publié le 15 décembre 2008
Arrêté royal modifiant l'arrêté royal du 30 novembre 2001 portant interdiction de certaines expériences sur animaux en ce qui concerne des expériences sur animaux en vue du développement de produits du tabac
28 OCTOBRE 2008. - Arrêté royal modifiant l'arrêté royal du 30 novembre 2001 portant interdiction de certaines expériences sur animaux en ce qui concerne des expériences sur animaux en vue du développement de produits du tabac
RAPPORT AU ROI Sire, Le projet d'arrêté que nous avons l'honneur de soumettre à la signature de Votre Majesté vise particulièrement l'utilisation des animaux pour des expériences pour le développement de produits du tabac. De telles expériences sont actuellement encore menées en Belgique et posent des questions d'ordre éthique et juridique liés à l'utilité et à la nécessité de développer des produits du tabac « moins nocifs » et pour ce faire d'utiliser des animaux de laboratoires.
A. Exposé du problème Récemment, la question du caractère essentiel des expériences sur animaux en vue du développement de produits du tabac a suscité une polémique. Les questions parlementaires à ce sujet indiquent qu'il s'agit là d'un débat de société. Dans notre pays, la plupart des expériences sur animaux s'inscrivent dans le cadre de la recherche biomédicale ou dans le domaine de la recherche scientifique fondamentale. Les expériences sur animaux pour le développement de produits du tabac sont une exception à cette règle. Une enquête du service Bien-être animal et CITES du SPF Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement sur la situation dans les différents Etats membres de l'Union européenne a révélé que les expériences in vivo dans ce but ne se pratiquent vraisemblablement qu'en Belgique. Dès lors, au niveau européen, aucune nécessité urgente d'évaluer ou de réglementer cette recherche dans le cadre du bien-être animal ne se fait sentir.
B. Expériences sur animaux (en général) Outre d'importantes limites scientifiques aux expériences sur animaux - problème de l'extrapolation à l'homme des résultats et observations - les principales objections sont d'ordre éthique. Toute expérience s'accompagne en effet invariablement d'un certain degré d'inconfort ou de souffrance chez l'animal (cf. définition).
La définition d'une expérience sur animaux dans la législation belge est reprise de la Directive européenne 86/609/CEE du Conseil du 24 novembre 1986 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d'autres fins scientifiques (JO L358 du 18.12.1986, pp. 1 - 28) : "toute utilisation d'un animal à des fins expérimentales ou à d'autres fins scientifiques susceptibles de causer à cet animal des douleurs, des souffrances, de l'angoisse ou des dommages durables, y compris toute intervention visant à aboutir à la naissance d'un animal dans ces conditions ou susceptible d'aboutir à une telle naissance, mais à l'exception des méthodes les moins douloureuses acceptées par la pratique moderne (c'est-à-dire des méthodes « humaines ») pour le sacrifice ou le marquage des animaux".
Par ailleurs, la valeur intrinsèque de l'animal peut être altérée lors d'une expérience. L'animal ne peut ici être considéré exclusivement comme un instrument mais doit être protégé et respecté. La reconnaissance d'une valeur intrinsèque implique certaines conséquences pour le chercheur. La qualité scientifique de l'expérience est un impératif absolu. Les chercheurs ont le devoir moral de rechercher des alternatives aux expériences sur animaux.
Faute d'alternative disponible, une évaluation d'intérêts doit avoir lieu entre l'inconfort de l'animal et l'importance des résultats pour l'homme. "L'intérêt pour l'homme ou la société" par rapport à "l'inconfort de l'animal" est rarement aisé à qualifier ou à quantifier. Quel intérêt pour l'homme justifie quelle souffrance animale ? Il existe des normes impératives à respecter pour qu'une expérience sur animaux soit permise. Celles-ci sont légalement fixées dans la Loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux et dans son arrêté d'exécution, l'AR du 14 novembre 1993 relatif à la protection des animaux d'expérience. L'une de ces exigences est l'application dans le cadre d'une évaluation de la règle des 3 "R", à savoir : réduire autant que possible le nombre d'animaux, affiner la recherche (en anglais, refine) et, surtout, remplacer l'expérience sur animaux par des tests alternatifs. Chaque protocole de recherche et, plus largement, chaque objectif final de l'expérience sur animaux doit être confronté à cette règle.
C. Expériences sur animaux en vue du développement de produits du tabac 1. Cadre réglementaire Ni le développement, ni la commercialisation de produits du tabac ne sont soumis à un essai de toxicité réglementaire ou légalement obligatoire. La directive Tabac (Directive 2001/37/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2001 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac (JO L194 du 18.7.2001, pp. 26-35) et sa transposition en droit belge (AR du 13 août 1990 relatif à la fabrication et à la mise dans le commerce de produits à base de tabac et de produits similaires) prévoient une notification annuelle par le producteur "..., entre autres, des données toxicologiques disponibles pour les ingrédients, avec et sans combustion, selon le cas, se rapportant en particulier aux effets sur la santé et tenant compte entre autres des effets possibles de dépendance" (art. 4bis de l'AR précité).
L'aspect purement facultatif au niveau légal pour le producteur, de fournir des données toxicologiques ne lui accorde pour autant aucun sauf-conduit pour la réalisation de tests sur animaux dans ce cadre.
Actuellement, d'ailleurs, il n'existe aucune autorité belge ou européenne chargée d'évaluer ces données toxicologiques notifiées.
Cependant, la DG compétente de la Commission européenne prévoit bien une analyse des données afin de vérifier si certains ingrédients ne relèvent pas de la réglementation REACH. Au sein de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), le Groupe d'étude sur la réglementation des produits du tabac, dans sa recommandation « Principes directeurs pour la mise en place des capacités de recherche, d'essai et d'analyse sur les produits du tabac et propositions de protocoles pour la réalisation des tests sur ces produits » (2004), mentionne, outre les tests chimiques analytiques, la possibilité théorique d'une recherche sur les ingrédients des produits du tabac afin de répondre aux articles 9, 10 ou 11 de la "Convention cadre de l'OMS pour la lutte antitabac" en matière de composition, d'information sur le produit et d'étiquetage des produits. Ceci toutefois sous réserve que cette recherche s'effectue dans des centres publics de recherche dans une transparence totale. La recherche sur les effets de dépendance est ici une priorité.
Ce même Groupe d'étude évoque en arrière-plan de son troisième rapport (TobReg - Japon, juin 2006) les dangers potentiels pour la santé publique d'un "marketing tendancieux" en l'absence d'indépendance ou de supervision par l'autorité compétente. Cette notion d'indépendance est illustrée par la déclaration de la Commission européenne relative aux additifs présents dans les produits du tabac, à la suite des amendements du Parlement européen dans le contexte de l'adoption du Règlement REACH (procédure de codécision, 2ème lecture, P6 euro TC2-COD(2003)0256) : « Pour l'évaluation des effets toxicologiques et de dépendance des ingrédients des produits du tabac, considérés du point de vue de la santé publique, il faut promouvoir la collaboration entre laboratoires indépendants au sein de l'UE. Il devrait revenir entièrement au secteur du tabac de prouver les effets sanitaires des ingrédients et des émissions des produits du tabac. C'est également lui qui devrait financer la mise au point, la validation et l'exécution des essais toxicologiques et des essais appropriés concernant le potentiel de dépendance. Ce processus doit être dirigé par les autorités chargées de la santé publique afin de garantir que toutes les méthodes mises au point répondent bien aux problèmes de santé publique en cause ».
A quelles fins utilise-t-on actuellement des animaux dans le développement de produits du tabac ? - Dans la modification de produits conventionnels du tabac, p. ex. en ce qui concerne le goût (incitants à fumer), des modèles animaliers sont utilisés pour déterminer la nocivité de nouvelles combinaisons d'ingrédients. Lors de ces essais, aucune recherche sur un éventuel renforcement de l'effet de dépendance n'est effectuée. En outre, l'extrapolation à l'échelle d'un fumeur humain de ces modèles animaliers est loin d'être aisée. Le fait de fumer et les effets toxicologiques que ceci engendre sont difficiles à simuler dans leurs diverses facettes lors d'essais précliniques. - Une éventuelle réduction significative de la nocivité d'un produit du tabac semble liée à un tout nouveau concept de produit (moins de tabac et donc de goudron par cigarette et combustion du produit au lieu de sa pyrolyse). Le recours à des expériences (sur animaux) pour évaluer la toxicité résiduelle soulève de nouvelles questions éthiques. Les PREP (Potentially Reduced Exposure Products) de ce genre sont en effet comparés aux produits conventionnels sur des modèles animaliers afin de se prévaloir de la toxicité réduite obtenue.
Pondération L'utilisation d'animaux pour la modification ou le développement de produits du tabac ou à fumer se heurte d'emblée à l'un des principaux critères de pondération : l'utilité ou la nécessité d'une telle recherche (sur animaux) pour la société et la santé publique.
N'importe quel produit ne peut en effet justifier une expérience sur animaux. Ainsi, en Belgique, l'utilisation d'animaux pour le test de composants de produits cosmétiques est explicitement interdite depuis 2005.
Les produits du tabac ont un effet nocif grave, voire très grave sur la santé humaine. Aucun effet positif n'existe, si ce n'est le plaisir humain et la satisfaction des effets de dépendance. Voilà pourquoi les produits du tabac ont une image négative. Le développement d'un produit "moins nocif" semble vouloir contrer cette perception négative. Le développement de cigarettes "inoffensives" est probablement une illusion. D'où la question de la justification éthique du développement de produits du tabac "moins nocifs" et, en particulier, du recours à des expériences sur animaux dans la phase de recherche préclinique. A cela s'ajoute le fait que la réalisation d'essais de ce genre dans des instituts de recherche non publics n'offre aucune certitude que la santé publique soit l'unique but poursuivi.
Il n'est pas exclu que ces expériences sur animaux pratiquées en Belgique aient principalement un but (commercial) à destination des pays tiers. De telles "prétentions de santé" sont en effet incompatibles avec l'agenda politique belge ou européen qui vise au maximum à déconseiller de fumer. Le rapport de la Commission européenne Tobacco or Health in the European Union - past, present and future' (DG SANCO, octobre 2004) ne soutient nullement une telle politique. Aucune volonté ou ambition politique n'existe de promouvoir des produits "moins nocifs" ou de différencier des produits.
Il s'ensuit que des concepts de marketing de ce genre, - étayés par des expériences sur animaux insuffisamment prédictives ? - sont susceptibles de miner la politique de l'autorité visant à décourager de fumer. L'impact sur la santé au niveau de la population d'un concept de ce genre reste même incertain, vu que la promotion de tels produits est susceptible de ré-inciter les gens à fumer, à fumer autrement (inhaler) ou à fumer davantage. Dès lors, la mise sur le marché de tels "PREP" n'est pas en soi garante d'une amélioration de l'état de santé général.
Les autorités ne peuvent diffuser qu'un seul message : "Le tabac est extrêmement nocif pour la santé". A cet égard, aucun produit ne peut être mis en avant sous prétexte d'une toxicité réduite. Un produit du tabac reste en effet toujours un produit de consommation très nocif.
En revanche, ceci n'empêche nullement l'autorité de réglementer les ingrédients au travers de la législation afin, par exemple, de diminuer la dépendance à de tels produits.
Vu qu'il se peut qu'en Belgique, au moment de la parution de la loi, des expériences sur animaux soient en cours dans ce cadre, un délai est accordé pour arrêter ces études.
D. Conclusions Les observations ci-dessus ne permettent pas de qualifier les expériences sur animaux en vue du développement de produits du tabac d'éthiques ni d'essentielles pour la santé publique.
En ce sens, les objectifs de cette recherche sont incompatibles avec la disposition de l'article 24 de la Loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, à savoir que les expériences sur animaux doivent être limitées au strict nécessaire. Le présent arrêté royal vise dès lors à interdire les expériences sur animaux dans ce cadre.
Nous avons l'honneur d'être, Sire, De Votre Majesté, le très respectueux, et très fidèle servant, La Ministre de la Santé publique, Mme L. ONKELINX
28 OCTOBRE 2008. - Arrêté royal modifiant l'arrêté royal du 30 novembre 2001 portant interdiction de certaines expériences sur animaux en ce qui concerne des expériences sur animaux en vue du développement de produits du tabac ALBERT II, Roi des Belges, A tous, présents et à venir, Salut.
Vu la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, l'article 20, § 3, inséré par la loi du 4 mai 1995;
Vu l'arrêté royal du 30 novembre 2001 portant interdiction de certaines expériences sur animaux;
Vu l'avis de l'Inspecteur des Finances donné le 6 août 2008;
Vu l'accord du Secrétaire d'Etat au Budget, donné le 9 septembre 2008;
Vu l'avis 45.200/3 du Conseil d'Etat, donné le 7 octobre 2008, en application de l'article 84, § 1er, alinéa 1er, 1°, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973;
Sur la proposition de la Ministre de la Santé publique et de l'avis des Ministres qui en ont délibéré en Conseil, Nous avons arrêté et arrêtons :
Article 1er.Dans l'arrêté royal du 30 novembre 2001 portant interdiction de certaines expériences sur animaux, il est inséré un article 1erquinquies rédigé comme suit : «
Art. 1erquinquies.Les expériences sur animaux en vue du développement de produits du tabac sont interdites. »
Art. 2.Le présent arrêté entre en vigueur le premier jour du mois suivant le deuxième anniversaire de sa publication au Moniteur belge.
Art. 3.La Ministre qui a le Bien-Etre animal dans ses attributions est chargée de l'exécution du présent arrêté.
Donné à Bruxelles, le 28 octobre 2008.
ALBERT Par le Roi : La Ministre de la Santé publique, Mme L. ONKELINX