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Arrêté Royal du 04 juillet 2024
publié le 25 juillet 2024

Arrêté royal complétant les listes de pratiques du marché déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire

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service public federal economie, p.m.e., classes moyennes et energie
numac
2024007214
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25/07/2024
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04/07/2024
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4 JUILLET 2024. - Arrêté royal complétant les listes de pratiques du marché déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire


RAPPORT AU ROI Sire, L'arrêté proposé a pour but, en application de l'article VI.109/7, alinéa 1er, du Code de droit économique (ci-après « CDE »), de compléter la liste des pratiques du marché considérées comme déloyales dans tous les cas (liste dite « noire », article VI.109/5 du CDE), ainsi que la liste des pratiques du marché présumées déloyales sauf preuve du contraire (liste dite « grise », article VI.109/6 du CDE), dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire.

Exposé général Les relations commerciales et contractuelles au sein de la filière agroalimentaire sont complexes. Elles sont notamment caractérisées par une intégration de plus en plus forte entre les activités agricoles et les activités en amont et en aval de la chaîne, mais aussi par la multiplication et la diversification des formes de contractualisation.

Dans un marché agricole et alimentaire mondialisé, caractérisé par une grande volatilité des prix, le secteur agricole se trouve confronté à des phénomènes d'instabilité, voire à de fortes perturbations commerciales.

Cette attention spécifique à un fonctionnement durable de la filière agroalimentaire répond aussi à la décision prise, tant au niveau européen qu'au niveau fédéral, de considérer le secteur agroalimentaire comme un écosystème économique : d'abord important économiquement et stratégiquement pour l'autonomie alimentaire du pays, ensuite essentiel ou critique dans les directives européennes relative à la sécurité informatique (NIS) ou des infrastructures (CER) et enfin vital dans les politiques de gestion de crise et de résilience en matière d'approvisionnement alimentaire.

Dans le prolongement des crises successives récentes (COVID 19 en 2020, inflation post COVID en 2021, conflit ukrainien en 2022), un mouvement de protestation du secteur agricole a démarré début février 2024, avec comme objectif de dénoncer des évolutions qui menacent directement sa rentabilité et sa pérennité.

Les préoccupations du secteur agricole font notamment référence aux situations récurrentes de rentabilité faible, voire négative, pour un certain nombre d'agriculteurs, liées à la combinaison d'une grande volatilité des prix en agriculture et des relations contractuelles avec les premiers acheteurs parfois peu transparentes et avec un partage des risques déséquilibré.

S'appuyant sur la conviction que la façon la plus efficace de répondre à l'inquiétude et aux revendications du secteur agricole est de renforcer le dialogue entre les maillons de la chaîne agro-alimentaire, tant en amont qu'en aval, une concertation importante avec les acteurs concernés a été mise en place. Celle-ci a, notamment, mis en évidence la nécessité et la valeur ajoutée d'adopter un cadre légal en vue d'interdire à l'acheteur d'acheter des produits au fournisseur à un prix inférieur à ses coûts de production, d'interdire le déréférencement déloyal des produits, d'appliquer le principe d'imprévision dans les contrats (interdiction de refus de renégociation en cas de circonstances imprévisibles) et d'interdire des pratiques du marché jugées déloyales (imposition de pénalités excessives ou non justifiées ou encore de compensations unilatérales automatiques).

Commentaire des articles

Article 1er.Champ d'application Tout comme les dispositions légales transposant la directive 2019/633/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire (voir notamment l'article VI.109/4 du CDE), le présent arrêté royal s'applique aux relations dans la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire entre, d'une part, les acheteurs et, d'autre part, les fournisseurs dont le chiffre d'affaires annuel n'excède pas 350 000 000 euros.

Comme l'a également relevé le Conseil d'Etat dans son avis, le champ d'application « ratione materiae » de cet arrêté royal est très large en ce sens qu'il couvre toutes les pratiques de marché dans la relation entre acheteurs et fournisseurs, et ne s'applique donc pas uniquement lorsqu'il existe un contrat de fourniture entre un acheteur et un fournisseur. Le terme « pratiques du marché » se réfère à tout acte, omission, comportement, démarche, et est donc plus large que le comportement dans le contexte d'une relation contractuelle. Cela peut prêter à confusion dans le cas des dispositions relatives à l'imputation ou à la compensation de dommages, intérêts, pénalités, où l'on pourrait s'attendre à ce qu'elles ne se réfèrent qu'aux relations contractuelles. Cependant, il faut voir les choses de manière plus large. Par exemple, il peut également s'agir de l'imputation automatique de dommages et intérêts si le fournisseur ne respecte pas d'autres accords ou s'il s'agit de la responsabilité extracontractuelle dans sa relation avec l'acheteur concerné.

Article 2.Liste noire des pratiques du marché déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire La liste noire des pratiques du marché déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire (article VI.109/5 du CDE) est complétée avec les dispositions suivantes : 1° : l'interdiction du déréférencement déloyal des produits et du déréférencement qui ne serait pas justifié et communiqué par écrit au préalable; 2°, 3°, et 4° : l'interdiction de l'imputation automatique par l'acheteur de dommages et intérêts, l'interdiction de compensation unilatérale par l'acheteur de pénalités non indemnitaires et l'interdiction de compensation unilatérale par l'acheteur de dommages et intérêts indemnitaires sans justification écrite préalable.

Art. 2, 1° : Interdiction du déréférencement déloyal des produits et obligation d'un écrit préalable annonçant et justifiant le déréférencement Comme indiqué lors de l'examen du champ d'application (article 1er), cette disposition doit être envisagée de manière plus large que les comportements dans le cadre d'un contrat de livraison. En effet, elle s'applique à toutes les pratiques du marché dans la relation entre un acheteur et un fournisseur, c'est-à-dire à tous les cas où un acheteur cesse de proposer à la vente des produits fournis par un fournisseur.

La suppression abusive de produits de l'assortiment (en d'autres termes le déférencement déloyal des produits) était déjà mentionnée - en tant qu'exemple de mesures de représailles interdites de la part de l'acheteur - dans l'exposé des motifs de la loi du 28 novembre 2021Documents pertinents retrouvés type loi prom. 28/11/2021 pub. 15/12/2021 numac 2021022600 source service public federal economie, p.m.e., classes moyennes et energie Loi transposant la directive 2019/633 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire et modifiant le Code de droit économique fermer transposant la directive (UE) 2019/633 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire et modifiant le Code de droit économique (voir Doc Parl., Chambre, Doc. 55 2177/001, p. 24-25).

Cette forme d'abus, qui découlait implicitement de l'interdiction de l'article VI.109/5, 8°, du CDE, est dorénavant mentionnée explicitement comme exemple de mesure de rétorsion. Il est à noter qu'il ne s'agit en aucun cas d'une interdiction de la possibilité de déréférencer des produits afin de s'adapter aux préférences des consommateurs ou suite à une modification de l'offre proposée par le distributeur.

La négociation entre fournisseurs et acheteurs de produits agricoles et alimentaires, de l'objet et du prix des produits fournis, fait en effet partie de la liberté contractuelle et la menace de ou le déréférencement dans le cadre de celle-ci reste un moyen de pression non visé par la disposition proposée.

Cependant, la menace de retirer les produits agricoles et alimentaires des rayons ne peut pas être utilisée comme moyen de pression contre le fournisseur lorsque celui-ci souhaite exercer ses droits contractuels ou légaux et ce d'autant plus lorsque ce déréférencement n'est pas justifié par les pratiques honnêtes du marché.

Un exemple de déréférencement déloyal est celui où l'acheteur agit ainsi parce que, en raison de la baisse du prix d'un produit concurrent, il exige une baisse similaire de la part du fournisseur, contrairement aux accords contractuels contraignants conclus antérieurement. En revanche, il n'est pas déloyal et donc autorisé de retirer des produits des rayons lorsque l'acheteur est confronté à des augmentations de prix imposées par un fournisseur mais non justifiées par l'accord. Un exemple de déréférencement abusif lorsque le fournisseur souhaite exercer ses droits légaux est, par exemple, la menace de retirer les produits si le fournisseur refuse d'effectuer des paiements qui ne sont pas en lien avec la vente de produits agricoles et alimentaires du fournisseur.

Par ailleurs, afin de clarifier les motifs du déréférencement et d'aider à l'appréciation de son caractère loyal ou non, il est nécessaire que l'acheteur informe son fournisseur au préalable et par écrit. La pratique consistant à retirer ou à menacer de retirer les produits agricoles et alimentaires des rayons, sans en informer au préalable le fournisseur par écrit, doit dès lors être considérée comme une pratique de marché agressive, interdite en toutes circonstances.

Désormais, l'acheteur doit toujours avertir le fournisseur au préalable, en indiquant la raison pour laquelle il procède au déréférencement des produits. En effet, dans le cas d'un tel acte unilatéral entre partenaires commerciaux, le fournisseur devrait au moins pouvoir réagir. La formulation du texte néerlandais de cette disposition a d'ailleurs été clarifiée, suite à la suggestion du Conseil d'Etat, afin de préciser que la justification doit également être communiquée par écrit à l'avance.

Article 2, 2° : Interdiction de l'imputation automatique par l'acheteur de dommages et intérêts Les acheteurs plus forts économiquement facturent parfois automatiquement des montants supplémentaires au titre de dommages et intérêts pour non-respect des engagements convenus, tels que, par exemple, l'heure de livraison, une qualité de la marchandise insuffisante, ou encore des dégâts survenus pendant le transport, sans donner à leur fournisseur la possibilité de réagir. Il ne s'agit pas ici de la compensation de montants réciproquement dus. Cette dernière hypothèse est visée par les points 3° et 4° ci-après.

De tels montants imputés automatiquement découlent des conditions contractuelles qui ont été convenues entre les parties, ou dans beaucoup de cas imposées par la partie économiquement plus forte. Il va sans dire que le respect des conditions convenues est essentiel.

Le Conseil d'Etat s'est demandé s'il s'agissait uniquement de dommages, d'intérêts et d'amendes dans le cadre d'un contrat de fourniture. Etant donné qu'il peut également d'agir d'une pratique commerciale déloyale dans la relation entre un acheteur et un fournisseur, il ne s'agit pas seulement d'un cas d'inexécution d'un contrat de fourniture. Cela peut également impliquer la facturation automatique de dommages et intérêts si le fournisseur ne respecte pas d'autres contrats ou s'il est prétendument responsable sur le plan extracontractuel.

Dans la pratique, des frais continuent d'être facturés automatiquement, sans motif ni fondement. De telles pratiques doivent être interdites, d'où ce champ d'application étendu.

L'article 5.88 du Code Civil encadre strictement les clauses indemnitaires. Il est question d'une clause indemnitaire lorsque les parties estiment à l'avance le dommage potentiel qui pourrait résulter de la non-exécution d'un contrat (article 5.88, § 1er, première phrase, du Code civil). En toute hypothèse, les clauses indemnitaires ne peuvent pas être excessives et ne peuvent pas manifestement dépasser l'étendue du préjudice susceptible d'être subi par l'entreprise, comme le prévoit l'article VI.91/5, 8°, du CDE. En outre, elles doivent respecter l'exigence de transparence. Cela signifie qu'il doit être clairement stipulé quels dommages et intérêts sont dus et à partir de quel moment.

Dans son avis du 17 novembre 2022 « sur certaines clauses dans la chaîne agricole et alimentaire à la suite de la crise en Ukraine » (voir les pages 15 à 17 de cet avis, consultable sur le site web du Conseil Central de l'Economie), la ccs Clauses abusives a constaté que des clauses indemnitaires dont la transparence et le caractère indemnitaire pouvaient souvent être remis en cause, étaient appliquées automatiquement dans beaucoup de cas.

Bien qu'il soit correct d'affirmer que l'objectif des clauses indemnitaires est de convenir à l'avance de l'indemnité qui sera payée dans une circonstance donnée, il convient d'apporter une nuance importante à cette affirmation : les clauses indemnitaires ne peuvent raisonnablement être réclamées à l'autre partie que lorsqu'un manquement contractuel est imputable au cocontractant. Dans des contrats entre entreprises, il arrive souvent que les circonstances peuvent avoir pour conséquence que la mauvaise exécution ou le manquement dans l'exécution ne soient pas imputables au débiteur de l'obligation et qu'il ne dispose pas du tout de la maîtrise sur le risque qui constitue, par exemple, la cause du retard. Il ressort ainsi des exigences minimales du droit commun qu'un créancier ne puisse pas imputer automatiquement une clause indemnitaire à son cocontractant, mais qu'il doive tout d'abord donner une justification écrite préalable du manquement et du dommage qui justifient le montant demandé.

Il ne peut dès lors pas être possible pour une entreprise d'imputer automatiquement à son cocontractant une défaillance qui ne lui est pas nécessairement imputable. Celui-ci doit toujours être informé de la raison pour laquelle des dommages et intérêts lui sont facturés ou pour laquelle la clause indemnitaire prévue au contrat est activée. Il est ainsi imposé qu'une justification écrite préalable du manquement et du dommage soit transmise au fournisseur avant que l'acheteur puisse imputer les dommages et intérêts. L'insertion de la disposition sous l'article 2, 2°, de l'arrêté proposé vise donc à lever tout risque d'ambiguïté à cet égard et à préciser les modalités de mise en oeuvre de ces clauses.

Il s'agit ici, ainsi que pour les dispositions de l'article 2, 3°, et 2, 4°, de l'arrêté proposé, de clarifier les principes relatifs aux clauses d'indemnisation (article 5.88, § 1er, du Code civil) et à leur mise en demeure (article 5.231 du Code civil). Il n'est pas question de déroger à l'article 5.88, § 1er, du Code civil.

En effet, on parle de clause indemnitaire lorsqu'on estime à l'avance le dommage potentiel qui pourrait résulter de l'inexécution du contrat, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de prouver le dommage subi. Il résulte par ailleurs également de l'article 5.231 du Code civil que toute sanction de l'inexécution doit être précédée d'une mise en demeure.

En outre, il est d'ordre public que les clauses indemnitaires doivent avoir un caractère réparatoire et ne peuvent être des clauses pénales (voir l'article 5.88, § 2, du Code civil). Par l'obligation préalable de justifier le dommage, une sorte de contrôle de ce caractère réparatoire est introduit, ce qui confirme l'article 5.88 du Code civil.

Enfin, bien qu'une clause indemnitaire doive toujours être déterminable, dans la pratique, elle sera généralement calculée concrètement en fonction du manquement et, par exemple, du délai de la livraison tardive.

Ces dispositions ne constituent donc pas une dérogation ou une érosion de l'article 5.88, § 1er, du Code civil, mais visent plutôt à les clarifier. Afin de ne laisser aucune ambiguïté à cet égard, il a été expressément énoncé, sur proposition du Conseil d'Etat, que ces dispositions s'appliquent sans préjudice de l'application de l'article 5.88 du Code civil.

Art. 2, 3° : Interdiction de compensation unilatérale par l'acheteur de montants indemnitaires sans justification écrite préalable On notera tout d'abord que, comme à l'article 2, 4°, de l'arrêté proposé cette pratique ne vise pas seulement la compensation unilatérale dans le cadre d'un accord de fourniture, mais toute pratique de compensation unilatérale dans les relations entre, d'une part, les clients et, d'autre part, les fournisseurs dont le chiffre d'affaires annuel n'excède pas 350 000 000 euros dans la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire.

Comme déjà indiqué à plusieurs reprises, les parties peuvent fixer des clauses indemnitaires et celles-ci sont en principe admissibles si elles satisfont aux exigences minimales en matière de licéité de telles clauses, en particulier à celle de transparence et de caractère principalement indemnitaire. A cet égard, outre les dispositions du Code civil (article 5.88 du Code civil), il peut être renvoyé à l'article VI.91/2 du CDE (transparence) et à l'article VI.91/5, 8°, du CDE (liste grise, disposition concernant les clauses indemnitaires).

Afin de protéger les fournisseurs contre les compensations unilatérales et non justifiées par l'acheteur de dommages et intérêts, il est décidé d'interdire la compensation lorsqu'elle est faite de manière unilatérale et sans justification écrite préalable. Il y a compensation lorsque des obligations réciproques s'éteignent à concurrence du montant ou de la quantité la plus faible. Il peut à cet égard être renvoyé à la réglementation de la compensation dans le Code civil, à savoir aux articles 5.254 et suivants du Code civil.

L'imposition d'un écrit préalable de la part de l'acheteur permettra par ailleurs au fournisseur, le cas échéant, de contester la compensation. Le même raisonnement que celui concernant l'article 2, 2°, de l'arrêté proposé peut ici être opéré : c'est uniquement lorsqu'il est question d'un manquement imputable au débiteur de l'obligation qu'une clause indemnitaire peut être appliquée et il convient au minimum d'informer tout d'abord le cocontractant du manquement et de lui donner la justification de l'application de la clause indemnitaire et de la compensation qui sera appliquée. Une compensation automatique n'est dès lors pas possible.

Cette disposition vise uniquement la compensation faite avec des clauses indemnitaires. Des mécanismes qui prévoient l'adaptation du prix selon, par exemple, la qualité lors de l'achat de lait cru, qui sont d'ailleurs réglés légalement, ne tombent pas dans ce champ d'application.

Art. 2, 4° : Interdiction de compensation unilatérale par l'acheteur de pénalités non indemnitaires L'article 5.88 du Code Civil encadre strictement les clauses indemnitaires et interdit les clauses purement pénales. Ceci résulte d'un arrêt de principe de la Cour de Cassation du 17 avril 1970, (Cass. 17 avril 1970, Arr. Cass., 1970, 954), dans lequel il a été jugé qu' « une clause qui ne vise pas à compenser le dommage raisonnablement prévisible en cas de mauvaise exécution, est contraire à l'ordre public et est par conséquent nulle ». Il peut également être renvoyé à l'article VI.91/5, 8°, du CDE, qui dispose que « sont présumées abusives sauf preuve contraire, les clauses qui ont pour objet de fixer des montants de dommages et intérêts réclamés en cas d'inexécution ou de retard dans l'exécution des obligations de l'autre partie qui dépassent manifestement l'étendue du préjudice susceptible d'être subi par l'entreprise ».

Dans son avis du 17 novembre 2022 « sur certaines clauses dans la chaîne agricole et alimentaire à la suite de la crise en Ukraine » (cité plus haut), la ccs Clauses abusives a souligné en priorité que les montants imputés peuvent uniquement avoir un caractère indemnitaire mais aussi qu'une partie ne peut pas imputer une peine privée, autrement dit des pénalités non indemnitaires, à son cocontractant. Les clauses purement pénales, càd sans lien avec un dommage même potentiel, sont donc contraires à l'ordre public.

Malgré le fait que les clauses non indemnitaires ne sont pas autorisées, la compensation automatique de pénalités non indemnitaires est parfois pratiquée dans le secteur agricole. Afin de protéger les fournisseurs, il est décidé d'interdire expressément la compensation automatique de pénalités qui n'ont pas un caractère indemnitaire pour les contrats dans la chaîne agro-alimentaire et à lever toute ambiguïté à ce sujet.

Article 3.Liste grise des pratiques du marché déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire La liste grise des pratiques du marché déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire (article VI.109/6 du CDE) est complétée par les dispositions suivantes : 1° l'interdiction à l'acheteur d'acheter des produits au fournisseur à un prix inférieur à ses coûts de production ; 2° l'application du principe d'imprévision dans les contrats (interdiction du refus de renégociation en cas de circonstances imprévisibles) 1° L'interdiction à l'acheteur d'acheter des produits au fournisseur à un prix inférieur à ses coûts de production L'article VI.116 du CDE interdit la vente « à un prix qui n'est pas au moins égal au prix auquel l'entreprise a acheté le bien ou que l'entreprise devrait payer en cas de réapprovisionnement » tenant compte des éventuelles réductions acquises ou accordées par le cocontractant.

Cette disposition n'est pas applicable aux producteurs de denrées alimentaires, puisque ceux-ci ne disposent pas d'un prix d'approvisionnement ou de réapprovisionnement auquel se référer pour déterminer l'existence d'une vente à perte.

Aucun acteur économique ne peut être contraint d'exercer une activité économique dans laquelle il ne récupère pas ses coûts. Toutefois, particulièrement dans le secteur agricole, on constate une grande volatilité du prix de revient, en fonction de très nombreux facteurs, dont il pourrait être tenu compte dans le développement d'indicateurs de coûts de production tels le type de produits, les méthodes d'exploitation, les conditions climatiques, les éléments de fixation des prix, etc. Par exemple, le prix de revient dans la production animale dépend beaucoup du prix des aliments pour animaux, qui peut fluctuer d'un mois à l'autre. De même, certaines matières premières sont vendues par référence au prix du marché à terme (sucre, céréales, etc.), qui n'est donc pas connu au moment de la conclusion du contrat, plusieurs mois avant la livraison. Il arrive régulièrement que le prix ainsi convenu ne couvre plus les coûts réels de production.

Ainsi, les pertes d'une année sont souvent compensées par les gains de l'année suivante. Dans certains cas, il peut être économiquement intéressant pour le fournisseur de vendre à perte sa production, plutôt que de la détruire. En ajoutant cette pratique/clause à la liste grise de l'article VI.109/6 le fournisseur garde cette faculté de choix de vendre ses produits à perte et sa position de négociation sera renforcée vis-à-vis de son acheteur. Il appartiendra au fournisseur de démontrer au regard de ses coûts de production, l'existence de cette pratique/clause abusive.

Le Conseil d'Etat a recommandé de préciser la notion de « coût de production ». Les coûts de production comprennent tous les coûts liés à la production du produit en question, qu'ils soient variables (aliments pour animaux, engrais, semences, etc.) ou fixes (travail de tiers, amortissements, salaires, etc.). Ils doivent également prendre en compte les coûts imputés (rémunération du travail familial, terre et capital) puisqu'il s'agit d'évaluer la rentabilité globale d'une activité agricole.

Comme il apparaît de cette description, il s'agit de coûts directs et indirects. Les coûts directs comprennent tous les coûts directement liés à la production du produit agricole et alimentaire en question.

Les coûts indirects comprennent tous les frais généraux de fonctionnement que l'entreprise doit supporter à cette fin.

Toutefois, la recommandation du Conseil d'Etat de préciser explicitement cette notion dans le dispositif de l'arrêté proposé ne peut être suivie. La notion de « coût de production » est avant tout un concept économique, qu'il est difficile de définir de manière exhaustive dans un texte réglementaire. De plus, il convient de prendre en compte la nécessaire flexibilité par organisation de branche.

La détermination d'indices de coûts de production spécifiques à chaque filière est en cours au sein d'un groupe de travail rassemblant les représentants des secteurs concernés et des économistes. Il s'agit de la mise en place de « tunnels de prix » par filière (animale et végétale), basés sur des indices de rentabilité plus transparents, élaborés en collaboration avec les administrations régionales et avec la Concertation de Chaîne. Une fois que ceux-ci auront fait l'objet d'un accord au sein d'une organisation de branche, ces indices constitueront la référence pour déterminer si une vente est faite en dessous des coûts de production. En tout état de cause, ces indices seront des moyennes auxquelles les agriculteurs qui ne sont pas membres des organisations de branche concernées pourront se référer lorsqu'ils estiment vendre leurs produits à des coûts inférieurs à leurs coûts de production réels.

L'organisation de branche dans le domaine agricole peut être définie comme une organisation interprofessionnelle réunissant tous les maillons d'une filière agricole donnée (viande bovine, viande porcine, volaille, céréales, sucre, pomme de terre, légumes, fruits...). La reconnaissance officielle des organisations interprofessionnelles agricoles est de compétence régionale.

Il s'agit de l'organisation interprofessionnelle visée à l'article 157 du règlement (EE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles (règlement dit « OCM »).

Cette disposition s'applique sans préjudice de dispositions du droit de l'Union européenne, comme par exemple le Règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, qui oblige le secteur du sucre à travailler avec des accords interprofessionnels comme cadre pour les contrats individuels.

Le terme fournisseur vise tant l'agriculteur que l'intermédiaire qui transforme des produits agroalimentaires.

Il convient de préciser que l'interdiction à l'acheteur d'acheter des produits au fournisseur à un prix inférieur à ses coûts de production doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat. C'est à cet instant que l'estimation des coûts de production doit avoir lieu.

Ainsi même si durant le contrat, les coûts de production évoluent à la hausse ou à la baisse et que le prix préalablement payé par l'acheteur ou la formule de prix convenue est désormais inférieur aux nouveaux coûts de production, le fournisseur ne peut pas invoquer que l'acheteur a acheté ses produits à un prix inférieur à ses nouveaux coûts de production. Cependant, le fournisseur conserve le droit de demander à l'acheteur de renégocier le contrat étant donné que les conditions de son exécution ont changé, de manière telle que celle-ci est devenue excessivement onéreuse et qu'elle ne peut être raisonnablement exigée. Afin d'assurer que cette possibilité soit invocable, il est décidé de rajouter un point 8° (cfr. infra) à l'article VI.109/6, alinéa 1er, du CDE. Article 3, 2° : Application du principe d'imprévision dans les contrats (interdiction du refus de renégociation par une des parties en cas de changement de circonstances) Il s'agit ici d'ajouter à la liste des pratiques présumées déloyales le refus par une des parties de renégocier le contrat lorsque les conditions de son exécution ont changé, de manière telle que celle-ci est devenue excessivement onéreuse et qu'elle ne peut être raisonnablement exigée.

L'objectif de cet ajout est de s'assurer que les parties renégocient le contrat lorsque les conditions pour l'application de la théorie de l'imprévision, telle que reprise à l'article 5.74 du Code Civil sont réunies. Ces conditions, énumérées par cet article, sont les suivantes : 1° un changement de circonstances rend excessivement onéreuse l'exécution du contrat de sorte qu'on ne puisse raisonnablement l'exiger;2° ce changement était imprévisible lors de la conclusion du contrat; 3° ce changement n'est pas imputable au débiteur, au sens de l'article 5.225 du Code civil; 4° le débiteur n'a pas assumé ce risque. Lorsque ces conditions sont réunies, les parties ne peuvent pas refuser de renégocier le contrat ou reporter le processus de négociation. Dès le moment où une des parties a introduit une demande de renégociation des conditions de l'accord a été introduite, l'autre doit y répondre dans un délai raisonnable. De même, il importe de souligner qu'il n'existe pas d'obligation de résultat dans le chef des parties. Autrement dit, les parties ne doivent pas forcément aboutir à un accord.

Comme le Conseil d'Etat le remarque à juste titre, il ne s'agit pas d'une disposition impérative, mais d'une disposition de la liste grise de pratiques présumées déloyales sauf preuve du contraire. La présomption que le refus de renégociation en cas d'imprévision soit une pratique du marché déloyal peut donc être réfutée s'il peut être démontré qu'il y a eu un accord préalable à cet égard en termes clairs et dépourvus d'ambiguïté entre le fournisseur et l'acheteur. Cette disposition ne constitue pas une dérogation de l'article 5.74 du Code civil mais offre au contraire également la possibilité de déroger de ceci par accord.

Articles 4 et 5.

Afin de donner suffisamment de temps au secteur pour se conformer aux nouvelles exigences, l'arrêté proposé entre en vigueur le premier jour du troisième mois qui suit celui de sa publication au Moniteur belge pour les accords de fourniture conclus, renouvelés ou modifiés après cette date (article 4). Une période transitoire de six mois est prévue pour les accords existants (article 5).

Article 6.

Cet article ne requiert pas de commentaire particulier.

Nous avons l'honneur d'être, Sire, de Votre Majesté les très respectueux et très fidèles serviteurs, Le Ministre de l'Economie, P.-Y. DERMAGNE Le Ministre des Classes moyennes et de l'Agriculture, D. CLARINVAL 4 JUILLET 2024. - Arrêté royal complétant les listes de pratiques du marché déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire PHILIPPE, Roi des Belges, A tous, présents et à venir, Salut.

Vu le Code de droit économique, l'article VI.109/7, alinéa 1er, inséré par la loi du 28 novembre 2021Documents pertinents retrouvés type loi prom. 28/11/2021 pub. 15/12/2021 numac 2021022600 source service public federal economie, p.m.e., classes moyennes et energie Loi transposant la directive 2019/633 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire et modifiant le Code de droit économique fermer ;

Vu l'avis du Conseil central de l'Economie, donné le 29 mars 2024 ;

Vu l'avis du Conseil supérieur des Indépendants et des P.M.E., donné le 2 avril 2024 ;

Vu l'avis de l'Inspecteur des Finances, donné le 10 avril 2024 ;

Vu l'analyse d'impact de la réglementation réalisée conformément à l'article 6, § 1er, de la loi du 15 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013021138 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi portant des dispositions diverses concernant la simplification administrative type loi prom. 15/12/2013 pub. 24/12/2013 numac 2013024436 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi portant dispositions diverses en matière d'agriculture fermer portant des dispositions diverses en matière de simplification administrative ;

Vu l'avis 76.469/1 du Conseil d'Etat, donné le 6 juin 2024, en application de l'article 84, § 1er, alinéa 1er, 2°, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 ;

Sur la proposition du Ministre de l'Economie, du Ministre des Classes moyennes et de l'Agriculture et de l'avis des Ministres qui en ont délibéré en Conseil,

Nous avons arrêté et arrêtons :

Article 1er.Cet arrêté s'applique aux relations, au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire, entre les acheteurs d'une part et les fournisseurs dont le chiffre d'affaires annuel ne dépasse pas 350 000 000 euros d'autre part, au sens de l'article VI.109/4 du Code de droit économique.

Art. 2.Sans préjudice de l'article VI.109/5 du Code de droit économique, sont également considérées comme déloyales et interdites conformément à l'article VI.109/8 du Code de droit économique, les pratiques de marché suivantes : 1° l'acheteur menace de procéder ou procède à l'encontre du fournisseur à un déréférencement déloyal de ses produits si le fournisseur exerce ses droits contractuels ou légaux, et l'acheteur procède à un déréférencement qui ne serait pas justifié et communiqué par écrit au préalable ; 2° l'imputation automatique par l'acheteur de dommages et intérêts, sans justification écrite préalable du manquement et du dommage qui justifie la somme réclamée, sans préjudice de l'application de l'article 5.88, § 1er, du Code civil ; 3° la compensation unilatérale par l'acheteur de dommages et intérêts sans justification écrite préalable du manquement et du dommage qui justifie la somme réclamée, sans préjudice de l'application de l'article 5.88, § 1er, du Code civil ; 4° la compensation unilatérale par l'acheteur de pénalités non indemnitaires, sans préjudice de l'application de l'article 5.88, § 1er, du Code civil.

Art. 3.Sans préjudice de l'article VI.109/6, alinéa 1er, du même Code, sont également présumées déloyales, à moins qu'elles n'aient été préalablement convenues en termes clairs et dépourvus d'ambiguïté dans l'accord de fourniture ou dans tout accord ultérieur entre le fournisseur et l'acheteur, les pratiques du marché suivantes : 1° l'acheteur achète ses produits au fournisseur à un prix inférieur à ses coûts de production.Pour l'application de ce point, sont pris en compte les coûts de production au moment de l'achat des produits.

Lorsque la vente porte sur un produit pour lequel un indice de coûts de production a été validé au sein d'une organisation de branche reconnue au sens de l'article 157 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007, à laquelle l'acheteur et le vendeur sont affiliés, cet indice sert de référence pour établir les coûts de production.

Lorsqu'aucun indice de coûts de production n'a été validé au sein d'une organisation de branche reconnue ou lorsque soit l'acheteur, soit le fournisseur, soit les deux ne sont pas affiliés à une organisation de branche reconnue, les coûts de production sont déterminés sur une base individuelle. 2° le refus par une des parties de renégocier le contrat lorsqu'un changement de circonstances qui n'est pas imputable aux parties au contrat et qui était imprévisible lors de la conclusion du contrat rend excessivement onéreuse l'exécution du contrat de sorte qu'elle ne peut être raisonnablement exigée.

Art. 4.Le présent arrêté entre en vigueur le premier jour du troisième mois qui suit celui de sa publication au Moniteur belge pour les accords de fourniture conclus, renouvelés ou modifiés après cette date.

Art. 5.Les accords de fourniture conclus avant la date d'entrée en vigueur du présent arrêté, sont mis en conformité avec le présent royal dans un délai de six mois à compter de cette date.

Art. 6.Le ministre qui a l'Economie dans ses attributions, le ministre qui a les Classes moyennes dans ses attributions et le ministre qui a l'Agriculture dans ses attributions sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent arrêté.

Donné à Bruxelles, le 4 juillet 2024.

PHILIPPE Par le Roi : Le Ministre de l'Economie, P.-Y. DERMAGNE Le Ministre des Classes moyennes et de l'Agriculture, D. CLARINVAL


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