publié le 20 décembre 2023
Extrait de l'arrêt n° 72/2023 du 27 avril 2023 Numéro du rôle : 7823 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 19, § 1 er , dernier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980 « sur l'accès au territoire, le séjour, l' La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Gie(...)
Extrait de l'arrêt n° 72/2023 du 27 avril 2023 Numéro du rôle : 7823 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 19, § 1er, dernier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer « sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers », posée par le Conseil d'Etat.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 254.102 du 24 juin 2022, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 30 juin 2022, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 19, § 1er, dernier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, interprété comme permettant de refuser à un étranger, tel le requérant, qui est né en Belgique et qui y a séjourné principalement et légalement, de rentrer en Belgique pour des raisons d'ordre public qui ne sont pas limitées à des cas de terrorisme ou de criminalité très graves, et de mettre fin en conséquence à son autorisation de séjour, sans qu'il soit tenu compte des mêmes restrictions que celles prévues pour l'application des articles 21 et 22 de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer, tels qu'interprétés par l'arrêt de la Cour constitutionnelle n° 112/2019 du 18 juillet 2019, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, conjugués avec l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de 1'homme ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 19, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer « sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers » (ci-après : la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer) dispose : « L'étranger, qui est porteur d'un titre de séjour ou d'établissement belge valable et quitte le pays, dispose d'un droit de retour dans le Royaume pendant un an.
L'étranger bénéficiant du statut de résident de longue durée sur la base de l'article 15bis, ne perd par contre son droit de retour dans le Royaume que s'il s'absente des territoires des Etats membres de l'Union européenne pendant douze mois consécutifs ou lorsqu'il a quitté le Royaume depuis six ans au moins.
Un étranger autorisé au séjour en application de l'article 61/27 et ayant obtenu ensuite le statut de résident de longue durée, perd son droit de retour dans le Royaume uniquement s'il quitte le territoire des Etats membres de l'Union européenne pendant vingt-quatre mois consécutifs. Cette même disposition s'applique aux membres de sa famille visés à l'article 10, § 1er, alinéa 1er, 4° à 6°, qui ont obtenu le statut de résident de longue durée.
L'étranger visé à l'article 61/12 et qui a fait usage de son droit à la mobilité de longue durée dans un autre Etat membre, conserve son droit de retour tant que son permis belge pour chercheur est valable.
Le Roi fixe, par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres, les conditions et les cas dans lesquels l'étranger bénéficiant du statut de résident de longue durée qui était absent des territoires des Etats membres de l'Union européenne pendant douze mois ou vingt-quatre mois consécutifs, ne perd pas son droit de retour dans le Royaume.
L'étranger qui prévoit que son absence du Royaume se prolongera au-delà du terme de validité du titre de séjour peut en obtenir la prorogation ou le renouvellement anticipé.
L'autorisation de rentrer dans le Royaume ne peut lui être refusée que pour raisons d'ordre public ou de sécurité nationale, ou s'il ne respecte pas les conditions mises à son séjour ».
B.1.2. La question préjudicielle porte sur le dernier alinéa de cette disposition. La juridiction a quo interprète cette disposition comme permettant de mettre fin au séjour d'un étranger, né en Belgique et y ayant séjourné principalement et régulièrement depuis, pour des raisons d'ordre public qui ne sont pas limitées aux cas de terrorisme ou de criminalité très grave en lui refusant l'entrée sur le territoire.
B.1.3. Cette disposition est située dans le chapitre 5, intitulé « Absences et retours de l'étranger », du titre 1er, consacré aux dispositions générales, de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer.
Le droit de retour pendant un an reconnu à l'étranger porteur d'un titre de séjour ou d'établissement belge valable qui a quitté le pays et la possibilité de lui refuser l'entrée dans le pays pour des raisons d'ordre public ou de sécurité nationale figurent dans cette disposition depuis l'adoption de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer : « Le projet de loi règle à l'article 19 ` le droit de retour ' de l'étranger porteur d'un titre de séjour ou d'établissement belge valable et entend voir régler dans un arrêté royal notamment le sort de l'étranger porteur d'un titre de séjour ou d'établissement néerlandais ou luxembourgeois. Le Gouvernement a de la sorte consacré formellement dans un chapitre distinct (chap. 5 du titre I) de la loi le droit de retour de l'étranger qui s'absente de notre pays. Il a répondu ainsi au souhait émis par de nombreuses instances consultées » (Doc. parl., Chambre, 1974-1975, n° 653/1, p. 10). et « Comme il a déjà été dit, l'alinéa 1er de l'article 19 du présent projet consacre le principe du droit de retour de l'étranger qui, porteur d'un titre de séjour ou d'établissement belge valable, quitte le pays pendant un an (cfr commentaires art. 2).
L'autorisation de ` rentrer ' ne peut lui être refusée que pour les motifs énumérés à l'alinéa 2 de l'article 19 » (ibid., p. 23).
B.1.4. Il ressort de l'arrêt de renvoi et des explications des parties que l'affaire pendante devant la juridiction a quo concerne un étranger né en Belgique, qui y a séjourné principalement et régulièrement depuis et qui était toujours autorisé à séjourner pour une durée illimitée dans le Royaume, au moment où, ayant égaré son titre de séjour belge au Maroc, il a introduit une demande de visa de retour, compte tenu de l'impossibilité de faire valoir autrement son droit de retour. Il en ressort également que, dans cette situation, la décision de refus opposée à la demande de délivrance d'un visa de retour, prise par l'autorité compétente sur la base de l'article 19, § 1er, dernier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer, équivaut à une décision de fin de séjour. La juridiction a quo a en effet jugé que « la perte de ce droit [le droit de séjour dont le requérant bénéficiait avant son départ de Belgique] a résulté implicitement mais nécessairement du refus de la partie adverse d'autoriser le requérant à rentrer en Belgique, adopté en vertu de l'article 19, § 1er, dernier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer » (arrêt de renvoi, p. 14).
B.1.5. La Cour limite son examen de la question préjudicielle à la situation dans laquelle la disposition en cause constitue la base légale d'une décision équivalente à une décision de fin de séjour prise à l'égard d'un étranger qui est né en Belgique et qui y a séjourné principalement et régulièrement depuis et qui est toujours titulaire, au moment de la demande de visa de retour, d'un droit de séjour sur le territoire. La Cour n'examine donc pas la situation de l'étranger qui n'a pas exercé son droit de retour dans le délai imparti par la loi et dont le titre de séjour ou d'établissement a, en conséquence, perdu sa validité.
B.2.1. La Cour est invitée à comparer la situation des étrangers à l'égard desquels une décision de refus de retour prise sur la base de l'article 19, § 1er, dernier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer est équivalente à une décision de fin de séjour avec la situation des étrangers qui sont présents sur le territoire et qui font l'objet d'une mesure de fin de séjour prise en application des articles 21 et 22 de la même loi.
B.2.2. Le Conseil des ministres fait valoir que ces catégories d'étrangers ne sont pas comparables, dès lors que les premiers se trouvent hors du territoire et font l'objet d'une décision de refus d'entrée, alors que les seconds se trouvent sur le territoire et font l'objet d'une mesure d'éloignement.
B.2.3. Il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. La différence soulevée par le Conseil des ministres peut certes constituer un élément dans l'appréciation d'une différence de traitement, mais elle ne saurait suffire pour conclure à la non-comparabilité, sous peine de vider de sa substance le contrôle au regard du principe d'égalité et de non-discrimination.
En l'espèce, la Cour est invitée à comparer deux catégories d'étrangers qui sont nés en Belgique et y ont séjourné principalement et régulièrement depuis, qui disposent d'un droit de séjour à durée illimitée dans le Royaume et à l'égard desquels est prise une décision administrative qui a pour effet de mettre fin à leur droit de séjour.
Ces catégories d'étrangers sont suffisamment comparables en ce qui concerne les motifs liés à l'ordre public qui peuvent fonder une telle décision.
B.3.1. Les articles 21 et 22 de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer disposent : «
Art. 21.Le ministre ou son délégué peut mettre fin au séjour d'un ressortissant de pays tiers admis ou autorisé au séjour pour une durée limitée ou illimitée pour des raisons d'ordre public ou de sécurité nationale.
Art. 22.§ 1er. Le ministre peut mettre fin au séjour des ressortissants de pays tiers suivants pour des raisons graves d'ordre public ou de sécurité nationale : 1° le ressortissant de pays tiers établi;2° le ressortissant de pays tiers qui bénéficie du statut de résident de longue durée dans le Royaume;3° le ressortissant de pays tiers qui est autorisé ou admis à séjourner plus de trois mois dans le Royaume depuis dix ans au moins et qui y séjourne depuis lors de manière ininterrompue ». B.3.2. Ces dispositions ont été remplacées par les articles 12 et 13 de la loi du 24 février 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/02/2017 pub. 19/04/2017 numac 2017011464 source service public federal interieur Loi modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers afin de renforcer la protection de l'ordre public et de la sécurité nationale fermer « modifiant la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers afin de renforcer la protection de l'ordre public et de la sécurité nationale ». Cette modification législative a notamment mis fin au fait que la législation antérieure excluait les étrangers nés en Belgique ou arrivés sur le territoire avant l'âge de douze ans et qui y avaient principalement et régulièrement séjourné depuis des mesures d'éloignement pour motifs d'ordre public ou de sécurité nationale.
B.3.3. Par son arrêt n° 112/2019 du 18 juillet 2019 (ECLI:BE:GHCC:2019:ARR.112), la Cour a rejeté des recours en annulation dirigés contre les articles 12 et 13, précités, sous la réserve que les articles 21 et 22 de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer soient interprétés comme « limitant la possibilité d'éloigner un étranger qui est né en Belgique ou qui est arrivé sur le territoire avant l'âge de douze ans et qui y a séjourné principalement et régulièrement depuis aux cas de terrorisme ou de criminalité très grave » (B.24.10).
B.4. Les dispositions précitées, telles qu'elles sont interprétées par la juridiction a quo, établissent dès lors une différence de traitement entre des catégories d'étrangers nés sur le territoire et qui y ont séjourné principalement et régulièrement depuis en ce qui concerne les motifs d'ordre public ou de sécurité nationale qui peuvent fonder une décision de fin de séjour à leur égard. Les étrangers qui se trouvent hors du territoire et qui demandent un visa de retour dans les circonstances décrites en B.1.4 peuvent se voir opposer un refus équivalent à une décision de fin de séjour pour des raisons d'ordre public ou de sécurité nationale non autrement précisées, alors qu'à l'égard des étrangers qui se trouvent sur le territoire, une décision de fin de séjour ne peut être motivée que par des raisons très graves d'ordre public ou de sécurité nationale, limitées aux cas de terrorisme ou de criminalité très grave.
B.5.1. La question préjudicielle invite la Cour à examiner la compatibilité de cette différence de traitement avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.5.2. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.5.3. L'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications ».
L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». B.6.1. La différence de traitement décrite en B.4 repose sur le critère du lieu où se trouve l'étranger lorsqu'est prise à son égard la décision qui met fin à son droit de séjour et, corrélativement, sur le type de décision administrative qui est prise. Un tel critère est objectif.
La Cour doit toutefois examiner si la disposition en cause n'emporte pas des effets disproportionnés lorsqu'elle constitue la base légale d'une décision de refus d'entrée sur le territoire équivalente à une décision de fin de séjour prise à l'égard d'un étranger qui est né en Belgique et qui y a résidé principalement et régulièrement depuis.
B.6.2. Par son arrêt n° 112/2019 précité, la Cour a jugé : « B.24.5. Suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, ` indépendamment de l'existence ou non d'une " vie familiale ", l'expulsion d'un immigré établi s'analyse en une atteinte à son droit au respect de sa vie privée. [...] Pareille ingérence enfreint l'article 8 de la Convention, sauf si elle peut se justifier sous l'angle du paragraphe 2 de cet article, c'est-à -dire si, " prévue par la loi ", elle poursuit un ou des buts légitimes énumérés dans cette disposition et est " nécessaire, dans une société démocratique ", pour le ou les atteindre ' (CEDH, grande chambre, 23 juin 2008, Maslov c.
Autriche, §§ 63-65).
Plus particulièrement, l'éloignement d'étrangers nés en Belgique ou arrivés avant l'âge de douze ans sur le territoire et qui y ont toujours séjourné depuis, de sorte qu'ils y ont été scolarisés et socialisés, n'est admissible, au regard des droits fondamentaux garantis par la Constitution et, singulièrement, du droit au respect de la vie privée, que s'il est motivé par une ` très solide raison ' pouvant justifier l'expulsion de ces étrangers, ainsi que l'admet la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, grande chambre, 23 juin 2008, Maslov c. Autriche, § 75; voir également CEDH, 14 septembre 2017, Ndidi c. Royaume-Uni, § 81).
B.24.6. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.24.2 que le législateur a eu principalement en vue, lorsqu'il a estimé devoir abroger l'exclusion antérieure de toute possibilité d'éloignement des étrangers nés en Belgique ou qui y sont arrivés avant l'âge de douze ans, la situation de jeunes étrangers ayant commis des faits très graves liés aux activités de groupes terroristes ou présentant un danger aigu pour la sécurité nationale.
B.24.7. Le principe d'égalité et de non-discrimination ne s'oppose pas à ce que le législateur revienne sur ses objectifs initiaux pour en poursuivre d'autres. D'une manière générale, les pouvoirs publics doivent d'ailleurs pouvoir adapter leur politique aux circonstances changeantes de l'intérêt général.
Il incombe aux autorités publiques d'assurer la protection des citoyens et des intérêts de l'Etat face à la menace que représentent les activités de groupes terroristes et la criminalité grave. Elles peuvent à cet égard considérer qu'il s'impose d'éloigner du territoire les étrangers qui prennent part à ces activités et contribuent dès lors à la menace qui pèse sur leurs concitoyens.
B.24.8. Bien qu'il ne soit désormais plus exclu qu'il puisse être mis fin au séjour d'étrangers nés en Belgique ou arrivés sur le territoire avant l'âge de douze ans, les dispositions attaquées contiennent plusieurs restrictions qui permettent de tenir compte de la situation particulière de ces étrangers.
Selon l'article 22 de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer, il ne peut être mis fin au droit de séjour de ressortissants de pays tiers que pour des raisons ` graves ' d'ordre public, lorsqu'il s'agit de ressortissants établis ou de résidents de longue durée, ou lorsqu'ils ont séjourné légalement en Belgique depuis dix années ininterrompues au moins. La loi prévoit donc des conditions plus strictes en ce qui concerne la décision de mettre un terme au droit de séjour lorsque l'étranger concerné a noué un lien particulier avec la Belgique.
L'article 23 de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer dispose par ailleurs que les décisions qui sont prises en vertu des articles 21 et 22 doivent être fondées sur un examen individuel, qui tienne compte de la durée du séjour en Belgique de l'étranger concerné, de l'existence de liens avec le pays de résidence ou de l'absence de liens avec le pays d'origine, de l'âge de l'étranger concerné et des conséquences de l'éloignement pour lui et pour les membres de sa famille.
B.24.9. Il ressort enfin des travaux préparatoires cités en B.24.2 que le législateur avait l'intention de ne permettre l'éloignement d'étrangers nés en Belgique ou arrivés sur le territoire avant l'âge de douze ans ` qu'en cas de menace grave pour la sécurité nationale ou sur la base de faits très graves ', à savoir des actes relevant du terrorisme ou de la criminalité très grave. De la sorte, le législateur estimait que les étrangers concernés ne seraient éloignés que lorsque les comportements justifiant la mesure constituent de ` très solides raisons ' pour ce faire.
B.24.10. Sous réserve que les articles 21 et 22 de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer soient interprétés comme limitant la possibilité d'éloigner un étranger qui est né en Belgique ou qui est arrivé sur le territoire avant l'âge de douze ans et qui y a séjourné principalement et régulièrement depuis aux cas de terrorisme ou de criminalité très grave, les moyens ne sont pas fondés ».
B.7.1. Il s'en déduit que, lorsqu'elle concerne un étranger né en Belgique ou qui y est arrivé avant l'âge de 12 ans et qui y a séjourné principalement et régulièrement depuis, la décision de fin de séjour pour raison d'ordre public ou de sécurité nationale ne peut être fondée que sur des faits de terrorisme ou de criminalité très grave.
B.7.2. Les étrangers qui se trouvent dans la situation décrite en B.1.4 ont avec la Belgique des liens aussi forts que les étrangers concernés par l'extrait de l'arrêt n° 112/2019, précité. L'ingérence dans leur droit à la vie privée que représente la décision de refus de visa de retour qui met fin à leur droit de séjour sur le territoire est identique à celle que représente une décision de fin de séjour et d'éloignement prise à l'égard des étrangers se trouvant sur le territoire visés par l'arrêt n° 112/2019, précité.
B.8.1. Il n'est pas justifié que la décision de refus de retour, lorsqu'elle a une portée équivalente à une décision de fin de séjour et d'éloignement, dans la situation décrite en B.1.4, puisse être prise pour des motifs différents, alors que les étrangers concernés se trouvent dans la même situation et que la décision prise sur la base de l'article 19, § 1er, dernier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer a une portée équivalente à leur égard à une décision de fin de séjour prise sur la base des articles 21 et 22 de la même loi.
B.8.2. Interprété comme permettant que, dans la situation décrite en B.1.4, une décision de refus de retour prise à l'égard d'un étranger né en Belgique ou qui est arrivé sur le territoire avant l'âge de douze ans et qui y a séjourné principalement et régulièrement depuis, lorsque cette décision a une portée équivalente à une décision de fin de séjour, soit prise pour tout motif d'ordre public ou de sécurité nationale, l'article 19, § 1er, dernier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.9.1. La disposition en cause est toutefois susceptible de faire l'objet d'une interprétation différente, dès lors que rien n'indique qu'elle ne pourrait pas être lue en combinaison avec les articles 21 et 22 de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer lorsqu'elle constitue la base légale d'une décision ayant une portée équivalente à une décision de fin de séjour. Ces dispositions visent en effet la « décision de fin de séjour » et non, comme telle, la décision « d'éloignement ».
L'article 19, § 1er, dernier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer peut dès lors être interprété en ce sens que, dans la situation décrite en B.1.4, lorsque le refus de retour opposé pour des raisons d'ordre public ou de sécurité nationale a une portée équivalente à une décision de fin de séjour et qu'il concerne un étranger qui est né en Belgique ou qui est arrivé sur le territoire avant l'âge de douze ans et qui y a séjourné principalement et régulièrement depuis, il ne peut être fondé que sur des faits de terrorisme ou de criminalité très grave. Il n'appartient pas à la Cour de juger s'il est satisfait ou non en l'espèce à ces dernières conditions.
B.9.2. Dans cette interprétation, la différence de traitement décrite en B.4 est inexistante, de sorte que l'article 19, § 1er, dernier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Interprété comme permettant que, dans la situation décrite en B.1.4, une décision de refus de visa de retour prise à l'égard d'un étranger né en Belgique ou qui est arrivé sur le territoire avant l'âge de douze ans et qui y a séjourné principalement et régulièrement depuis, lorsque cette décision a une portée équivalente à une décision de fin de séjour, soit prise pour tout motif d'ordre public ou de sécurité nationale, l'article 19, § 1er, dernier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/12/1980 pub. 20/12/2007 numac 2007000992 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives type loi prom. 15/12/1980 pub. 12/04/2012 numac 2012000231 source service public federal interieur Loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. - Traduction allemande de dispositions modificatives fermer viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. - La même disposition, interprétée comme, dans la situation décrite en B.1.4, limitant aux motifs de terrorisme ou de criminalité très grave la possibilité de prendre une décision de refus de retour à l'égard d'un étranger né en Belgique ou qui est arrivé sur le territoire avant l'âge de douze ans et qui y a séjourné principalement et régulièrement depuis, lorsque cette décision a une portée équivalente à une décision de fin de séjour, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 27 avril 2023.
Le greffier, Le président, F. Meersschaut P. Nihoul