publié le 26 mai 2023
Extrait de l'arrêt n° 114/2022 du 22 septembre 2022 Numéros du rôle : 7616, 7645 et 7646 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 221, § 1 er , de la loi générale sur les douanes et accises, coordonnée le 18 La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges T. Giet, (...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 114/2022 du 22 septembre 2022 Numéros du rôle : 7616, 7645 et 7646 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 221, § 1er, de la loi générale sur les douanes et accises, coordonnée le 18 juillet 1977, posées par la Cour d'appel d'Anvers.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et W. Verrijdt, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite J.-P. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure 1. Par arrêt du 24 juin 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 19 juillet 2021, la Cour d'appel d'Anvers a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 221, § 1er, de la loi générale sur les douanes et accises viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que le juge pénal n'est pas investi d'une compétence équivalente à celle que l'article 263 de la loi générale sur les douanes et accises confère à l'Administration des douanes et accises, de sorte que l'administration a le pouvoir de proposer une transaction par laquelle elle renonce en tout ou en partie à la confiscation des marchandises et par laquelle elle n'impose pas non plus une obligation de paiement de la contre-valeur des marchandises, alors que le juge pénal est toujours tenu de condamner le prévenu à la confiscation ainsi qu'au paiement de la contre-valeur des marchandises qui l'assortit en cas de non-représentation de celles-ci ? ».2. Par deux arrêts du 30 septembre 2021, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour les 6 et 7 octobre 2021, la Cour d'appel d'Anvers a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 221, § 1er, de la loi générale sur les douanes et accises viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que le juge pénal n'est pas investi d'une compétence équivalente à celle que l'article 263 de la loi générale sur les douanes et accises confère à l'Administration des douanes et accises, de sorte que l'administration a le pouvoir de proposer une transaction par laquelle elle renonce en tout ou en partie à la confiscation des marchandises et par laquelle elle n'impose pas non plus une obligation de paiement de la contre-valeur des marchandises, alors que le juge pénal est toujours tenu de condamner le prévenu à la confiscation ainsi qu'au paiement de la contre-valeur des marchandises qui l'assortit en cas de non-représentation de celles-ci ? ». Ces affaires, inscrites sous les numéros 7616, 7645 et 7646 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) Quant aux dispositions en cause B.1.1. Les questions préjudicielles portent sur l'article 221 de la loi générale sur les douanes et accises, coordonnée le 18 juillet 1977 (ci-après : la LGDA), qui dispose : « § 1er. Dans les cas prévus par l'article 220, les marchandises seront saisies et confisquées, et les contrevenants encourront une amende comprise entre cinq et dix fois les droits fraudés, calculée d'après les droits les plus élevés de douanes ou d'accises. § 2. Pour les marchandises prohibées, l'amende sera comprise entre une et deux fois leur valeur. § 3. L'amende sera double en cas de récidive. § 4. Par dérogation au § 1er, la restitution des biens confisqués est accordée à la personne qui était propriétaire des biens au moment de la saisie et qui démontre qu'elle est étrangère à l'infraction.
En cas de restitution, les coûts éventuels liés à la saisie, la conservation et le maintien en état des biens restent à charge du propriétaire ».
B.1.2. Les questions préjudicielles mentionnent en outre l'article 263 de la LGDA, qui, dans sa version applicable devant le juge a quo, dispose : « Il pourra être transigé par l'administration ou d'après son autorisation, en ce qui concerne l'amende, la confiscation, la fermeture des fabriques, usines ou ateliers, sur toutes infractions à la présente loi, et aux lois spéciales sur la perception des accises, toutes et autant de fois que l'affaire sera accompagnée de circonstances atténuantes, ou qu'on pourra raisonnablement supposer que l'infraction doit être attribuée plutôt à une négligence ou erreur qu'à l'intention de fraude préméditée ».
L'article 13 de la loi du 23 février 2022Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/02/2022 pub. 07/03/2022 numac 2022020382 source service public federal finances Loi adaptant la loi générale sur les douanes et accises au Code des douanes de l'Union et portant dispositions diverses fermer « adaptant la loi générale sur les douanes et accises au Code des douanes de l'Union et portant dispositions diverses » a remplacé les mots « vergezellen, of als aannemelijk » par les mots « vergezellen, en als aannemelijk » uniquement dans le texte néerlandais de la LGDA. Il ressort toutefois des travaux préparatoires de cette loi que cette modification est uniquement dictée par des motifs linguistiques et qu'il ne s'agit donc pas de donner une autre signification à cette définition légale (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2410/001, p. 4), de sorte que cette modification législative n'a pas d'influence sur l'examen des questions préjudicielles.
B.1.3. Les articles 220, § 1er, 264 et 281 de la LGDA sont également pertinents pour répondre aux questions préjudicielles.
L'article 220, § 1er, de la LGDA dispose : « Tout capitaine de navire, tout batelier ou patron d'une embarcation quelconque, tout voiturier, conducteur, porteur, et tous autres individus, qui, à l'entrée ou à la sortie, tenteraient d'éviter de faire, soit au premier, soit à tout autre bureau où cela devrait avoir lieu, les déclarations requises, et chercheraient ainsi à frauder les droits du Trésor, tout individu chez lequel on aura trouvé un dépôt prohibé par les lois en vigueur, seront punis d'un emprisonnement de quatre mois au moins et d'un an au plus ».
L'article 264 de la LGDA, tel qu'il est applicable devant le juge a quo, dispose : « Sans préjudice de l'article 285/4, § 2, toute transaction est interdite, si l'infraction doit être considérée comme pouvant être suffisamment prouvée en justice, et si l'on ne peut douter de l'intention de fraude préméditée ».
L'article 281 de la LGDA, tel qu'il est applicable devant le juge a quo, dispose : « § 1er. Toutes actions du chef de contraventions, fraudes ou délits, contre lesquels les lois en matière de douanes et accises prononcent des peines seront portées en première instance devant les tribunaux correctionnels, et, en cas d'appel, devant la cour d'appel du ressort, pour y être instruites et jugées conformément au Code d'instruction criminelle. § 2. Toutes celles des actions susmentionnées qui tendent à l'application d'amendes, de confiscations, ou à la fermeture de fabriques ou usines, seront intentées et poursuivies par l'administration ou en son nom devant lesdits tribunaux, lesquels, en tout cas, ne prononceront sur ces affaires qu'après avoir entendu les conclusions du ministère public. Toutefois, sur la demande écrite qui lui en est faite par un fonctionnaire de l'Administration générale des douanes et accises ayant au moins le grade de conseiller général désigné pour l'administration en charge des contentieux, le ministère public peut requérir le juge d'instruction d'informer, l'exercice de l'action publique restant pour le surplus réservé à l'administration. [...] ».
B.2.1. Il résulte des dispositions précitées que l'Administration générale des douanes et accises (ci-après : l'administration des douanes) peut, en cas d'infraction à la législation douanière, choisir soit de conclure une transaction, soit d'intenter des poursuites devant le tribunal correctionnel.
B.2.2. La convention constitue une transaction, dont l'exécution par l'inculpé ou le prévenu entraîne, en principe, l'extinction de l'action publique (Cass., 22 septembre 2011, C.10.0506.N). Bien qu'il ne puisse être transigé sur l'impôt en tant que tel, le paiement de cet impôt a valeur de condition de l'extinction de l'action publique et fait donc partie intégrante de la convention (Cass., 7 janvier 2020, P.19.0705.N).
Il appartient à l'administration des douanes de décider s'il existe des circonstances atténuantes et s'il est opportun de proposer une transaction. Elle décide également dans quelles conditions la transaction est proposée. Une transaction est toutefois exclue lorsque l'infraction est établie et si l'on ne peut douter de l'intention de fraude préméditée.
L'administration des douanes peut aussi proposer une transaction lorsque le juge pénal est déjà saisi de l'affaire, aussi longtemps qu'il n'existe aucun jugement ou arrêt passé en force de chose jugée (Pasin., 1822-1824, 64; Cass., 5 août 1942, Pas., 1942, I, p. 178).
Quant au fond B.3.1. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de l'article 221, § 1er, de la LGDA avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il ne confère pas au juge pénal une compétence équivalente à celle que l'article 263 de la loi LGDA confère à l'administration des douanes, de sorte que le juge pénal est toujours tenu de condamner les prévenus à la confiscation ainsi qu'au paiement corrélatif de la contre-valeur des biens en cas de non-représentation de ceux-ci, alors que l'administration des douanes peut, sur la base de l'article 263 de la LGDA, proposer une transaction par laquelle elle renonce en tout ou en partie à la confiscation des biens et par laquelle elle n'impose pas non plus une obligation de paiement de la contre-valeur des biens.
B.3.2. Il ressort de la formulation des questions préjudicielles que la Cour n'est pas invitée à examiner la question de savoir si le juge pénal doit pouvoir, de manière générale, renoncer en tout ou en partie à la confiscation en matière douanière sur la base de circonstances atténuantes, ni si le juge pénal doit pouvoir modérer la confiscation au cas où elle porterait une atteinte telle à la situation financière de la personne à laquelle elle est infligée qu'elle constituerait une mesure disproportionnée au but légitime qu'elle poursuit, entraînant une violation du droit de propriété, garanti par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme (arrêt n° 12/2017 du 9 février 2017). La Cour est uniquement interrogée sur la comparaison entre le pouvoir de l'administration des douanes, dans le cadre d'une transaction et dans les limites des articles 263 et 264 de la LGDA, de renoncer en tout ou en partie à la confiscation et l'absence d'un pouvoir analogue pour le juge pénal qui doit apprécier une infraction douanière. La Cour limite son examen à cette situation.
B.4.1. Aux termes de l'article 263 de la LGDA, la transaction peut porter sur la confiscation.
B.4.2. En vertu de l'article 221, § 1er, de la LGDA, le juge qui considère qu'une infraction douanière définie à l'article 220 de la même loi est prouvée doit confisquer les biens concernés, de sorte que l'Etat belge devient de plein droit propriétaire de ces biens. La confiscation revêt un caractère réel, parce que son prononcé ne requiert pas que le condamné soit propriétaire des biens, ni que l'auteur de la fraude aux droits de douane soit connu (Cass., 19 janvier 2016, P.14.1519.N; 28 juin 2016, P.14.1588.N; 13 septembre 2016, P.15.0124.N; 4 octobre 2016, P.14.1881.N; 28 mai 2019, P.17.1006.N).
La Cour de cassation déduit du caractère réel de la confiscation que c'est aux condamnés qu'il incombe de représenter ces biens à l'Etat belge. Afin de préserver les droits de l'Etat belge, le juge qui prononce la confiscation doit aussi, à la demande du directeur des douanes et accises, assortir cette confiscation d'une condamnation au paiement de la contre-valeur des biens confisqués, qui devient exigible si ceux-ci ne sont pas représentés à temps à l'Etat belge.
Cette dernière condamnation, qui n'est pas expressément mentionnée dans l'article 221, § 1er, de la LGDA, découle des articles 1382 et 1383 du Code civil et des articles 44 et 50 du Code pénal. Elle ne doit pas être considérée comme une peine, mais comme un effet civil de la condamnation pénale à la confiscation.
Cette condamnation au paiement de la contre-valeur des biens confisqués mais non retenus constituant une application de l'article 1382 du Code civil, les dommages et intérêts doivent replacer l'Etat belge dans la situation dans laquelle il se trouverait si les biens lui avaient été représentés. En conséquence, les dommages et intérêts doivent toujours être équivalents à la contre-valeur de ces biens, de sorte que le juge n'est pas compétent pour modérer ces dommages et intérêts sur la base de circonstances atténuantes ou de la situation financière des auteurs.
B.4.3. Par son arrêt n° 16/2019 du 31 janvier 2019, la Cour a jugé que le fait que le juge pénal n'est pas investi du pouvoir d'admettre des circonstances atténuantes en ce qui concerne l'action civile en paiement de la contre-valeur des biens confisqués ne fait pas naître une différence de traitement par rapport au pouvoir de transaction de l'administration, et qu'il n'est donc pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que l'article 263 de la LGDA permet seulement à l'administration de transiger sur l'amende et sur la confiscation prévues à l'article 221, § 1er, de la LGDA, sans toutefois lui permettre de transiger sur des actions en dommages et intérêts, telles que l'action civile en paiement de la contre-valeur des biens confisqués.
B.4.4. Or, il ressort de la décision de renvoi qu'en posant les questions préjudicielles présentement examinées, le juge a quo n'invite pas la Cour à revenir sur l'appréciation qu'elle a faite dans l'arrêt n° 16/2019, précité, en ce qui concerne la comparaison entre le pouvoir de transaction de l'administration des douanes et la compétence du juge pénal relative à l'action civile en paiement de la contre-valeur des biens confisqués. Les questions préjudicielles présentement examinées ne portent que sur la confiscation proprement dite.
A cet égard, il résulte des dispositions en cause qu'il existe toutefois encore une différence de traitement entre le pouvoir de transaction de l'administration des douanes et la compétence du juge pénal relative à la confiscation.
B.5. La transaction peut également porter sur la confiscation, mais peut également ne pas en prévoir ou ne prévoir qu'une confiscation partielle.
En revanche, le juge pénal ne peut pas admettre de circonstances atténuantes en ce qui concerne la confiscation prononcée en vertu de l'article 221, § 1er, de la LGDA. L'article 85 du Code pénal, qui, en vertu de l'article 281-2, lequel n'est pas en cause, de la LGDA, inséré par l'article 37 de la loi du 21 décembre 2009Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/12/2009 pub. 31/12/2009 numac 2009003773 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales et diverses fermer « portant des dispositions fiscales et diverses », est applicable aux infractions à la législation douanière, ne mentionne en effet que des peines d'emprisonnement et des amendes.
Le juge pénal est donc toujours tenu de prononcer intégralement la confiscation. C'est cette différence entre le pouvoir de transaction de l'administration et la compétence du juge pénal qui fait l'objet des questions préjudicielles présentement examinées.
B.6. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.7.1. Les dispositions en cause s'inscrivent dans le cadre du droit pénal douanier, qui relève du droit pénal spécial et par lequel le législateur, sur la base d'un système spécifique de recherche et de poursuite pénales, entend combattre l'ampleur et la fréquence des fraudes dans une matière particulièrement technique relative à des activités souvent transfrontalières et régie en grande partie par une abondante réglementation européenne. La répression des infractions en matière de douanes et accises est souvent rendue difficile par le nombre de personnes qui interviennent dans le commerce et par la mobilité des biens sur lesquels les droits sont dus.
Dans ce cadre, le législateur a assorti d'amendes très lourdes les infractions en matière de douanes et accises pour empêcher que des fraudes soient commises en vue d'obtenir les gains énormes qu'elles peuvent engendrer. En vue de justifier la lourdeur de l'amende, il a toujours été soutenu que celle-ci non seulement constituerait une peine individuelle assortie d'un caractère fortement dissuasif pour l'auteur, mais viserait également à rétablir l'ordre économique perturbé et à assurer la perception des impôts dus. Le fait de permettre au juge répressif de tenir compte de circonstances atténuantes serait incompatible avec l'objectif consistant à réprimer la fraude fiscale.
B.7.2. Sous la réserve qu'il ne peut prendre une mesure manifestement déraisonnable, le législateur démocratiquement élu peut vouloir déterminer lui-même la politique répressive et exclure ainsi le pouvoir d'appréciation du juge.
Le législateur a opté à diverses reprises pour l'individualisation des peines, en abandonnant au juge le choix quant à la sévérité de la peine, en lui permettant de tenir compte de circonstances atténuantes qui l'autorisent à infliger une peine inférieure au minimum légal et en l'autorisant à accorder des mesures de sursis et de suspension du prononcé.
Il appartient toutefois au législateur d'apprécier s'il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit à l'intérêt général, spécialement dans une matière qui, comme en l'espèce, donne lieu à une fraude importante.
La Cour ne pourrait censurer pareil choix que si celui-ci était manifestement déraisonnable ou si la disposition litigieuse avait pour effet de priver une catégorie de prévenus du droit à un procès équitable devant une juridiction impartiale et indépendante, garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.7.3.1. A cet égard, il convient d'observer que les dispositions précitées s'inscrivent dans le contexte du droit de l'Union européenne. En vertu de l'article 42 du règlement (UE) n° 952/2013 du Parlement européen et du Conseil du 9 octobre 2013 « établissant le code des douanes de l'Union (refonte) », chaque Etat membre prévoit des sanctions en cas d'infraction à la législation douanière. Ces sanctions sont effectives, proportionnées et dissuasives. A cet égard, cet article prévoit expressément que les Etats membres peuvent opter pour un règlement proposé par les autorités douanières, en lieu et place d'une sanction pénale.
Il ressort des décisions de renvoi que, dans les affaires nos 7616 et 7646, les préventions portent sur une infraction à l'article 15bis du règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil du 23 mars 2012 « concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement (UE) n° 961/2010 ». Ces mesures restrictives comprennent, en particulier, des restrictions supplémentaires aux échanges de biens et technologies à double usage et d'équipements et technologies essentiels pouvant être utilisés dans l'industrie pétrochimique, ainsi qu'une interdiction d'importer du pétrole brut, des produits pétroliers et des produits pétrochimiques iraniens et d'investir dans l'industrie pétrochimique. L'article 15bis de ce règlement impose, en particulier, d'exiger une autorisation préalable pour vendre, fournir, transférer ou exporter du graphite et des métaux (bruts ou semi-finis) énumérés à l'annexe VIIter à toute personne, toute entité ou tout organisme iraniens, ou aux fins d'une utilisation en Iran. Par analogie avec l'article 42 du règlement (UE) n° 952/2013, l'article 47 du règlement (UE) n° 267/2012 impose aux Etats membres de déterminer le régime des sanctions applicables en cas de violation des dispositions dudit règlement et de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir leur mise en oeuvre. Les sanctions prévues sont effectives, proportionnées et dissuasives.
Ce règlement se fonde sur l'article 215 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après : le TFUE), qui permet au Conseil de décider d'interrompre ou de réduire, en tout ou en partie, des relations économiques et financières avec un ou plusieurs pays tiers, dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne. Sous l'angle de l'intérêt fondamental du maintien de la paix et de la sécurité internationale, il a pour objectif de contraindre l'Iran à mettre un terme au développement de son programme en matière de prolifération nucléaire (voir, par exemple, en ce qui concerne le gel des avoirs bancaires, CJUE, 8 septembre 2015, T-564/12, Ministry of Energy of Iran, points 114 et 118).
Dans l'affaire n° 7645, la prévention porte sur une prétendue infraction au règlement d'exécution (UE) n° 214/2013 du Conseil du 11 mars 2013 « instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de certains produits en acier en revêtement organique originaires de la République populaire de Chine », ainsi qu'au règlement d'exécution (UE) n° 215/2013 du Conseil du 11 mars 2013 « instituant un droit compensateur sur les importations de certains produits en acier à revêtement organique originaires de la République populaire de Chine ». En vertu de ces règlements, un droit antidumping a été instauré sur certains produits en acier à revêtement organique originaires de la République populaire de Chine.
Ces règlements trouvent leur fondement juridique dans l'article 207 du TFUE, qui permet à l'Union européenne de prendre, dans le cadre de la politique commerciale commune, des mesures de défense commerciale, dont celles à prendre en cas de dumping et de subventions.
B.7.3.2. Cette disposition impose aux Etats membres, lorsqu'une réglementation du droit de l'Union ne comporte aucune disposition spécifique prévoyant une sanction pour sa violation ou renvoie sur ce point aux dispositions nationales, de prendre toutes mesures propres à garantir la portée et l'efficacité du droit de l'Union. A cet effet, les Etats membres doivent veiller à ce que les violations du droit de l'Union soient sanctionnées dans des conditions, de fond et de procédure, qui soient analogues à celles applicables aux violations du droit national d'une nature et d'une importance similaire. A cet égard, ils sont certes libres dans leur choix des sanctions à infliger mais celles-ci doivent avoir un caractère effectif, proportionné et dissuasif (voy., entre autres, CJCE, 21 septembre 1989, 68/88, Commission c. Grèce, point 24; 10 juillet 1990, C-326/88, Hansen, point 17; 27 février 1997, C-177/95, Ebony Maritime, point 35; CJUE, 9 février 2012, C-210/10, Urbà n, point 21).
B.8.1. Selon le Conseil des ministres, la circonstance que l'administration des douanes peut transiger sur la confiscation ne porte pas atteinte aux droits des intéressés, dès lors qu'ils ne sont pas obligés d'accepter une proposition de transaction.
B.8.2. Il est vrai que, dans toutes les matières où elle est permise, la transaction met fin à l'action publique sans contrôle du juge. Le prévenu est libre d'accepter la transaction qui lui serait proposée par l'administration, mais, s'il la refuse ou si elle ne lui est pas proposée, il ne pourra jamais faire apprécier par un juge l'existence de circonstances atténuantes justifiant que la confiscation ne soit pas prononcée ou qu'elle soit modérée, le cas échéant.
B.9.1. Par ses arrêts nos 199/2006 du 13 décembre 2006 et 8/2007 du 11 janvier 2007, la Cour a jugé que l'absence dans le chef du juge pénal du pouvoir, analogue à celui de l'administration des douanes, d'admettre des circonstances atténuantes justifiant que l'amende soit réduite en deçà du montant fixé par la loi, n'est pas compatible avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et avec le principe général de droit pénal qui exige que rien de ce qui appartient au pouvoir d'appréciation de l'administration n'échappe au contrôle du juge.
B.9.2. Les questions préjudicielles présentement examinées ne portent toutefois pas sur une éventuelle réduction de l'amende, mais sur une éventuelle réduction de la confiscation.
B.9.3. Bien qu'elles constituent toutes deux des peines patrimoniales, la confiscation poursuit une autre finalité que l'amende.
Contrairement à l'amende, la confiscation constitue exclusivement une peine accessoire. En règle, les circonstances atténuantes ne sont appliquées qu'aux peines principales. La confiscation entraîne la perte définitive des biens confisqués au profit de l'administration des douanes. Elle procède de l'idée que le comportement criminel ne peut pas être profitable sur le plan civil. L'obligation de prononcer la confiscation spéciale en cas de crimes ou délits est justifiée par le fait que ces « infractions sont assez graves » (Doc. parl., Sénat, 1851-1852, n° 70, p. 25). Le caractère obligatoire de certaines formes de confiscation contraint le législateur à garantir légalement l'exécution effective de cette peine. C'est aussi pour cette raison que le législateur a abrogé la faculté pour le juge d'accorder une suspension du prononcé ou un sursis en ce qui concerne la confiscation (obligatoire).
B.9.4. La finalité et la nature de la confiscation précisées plus haut valent également en ce qui concerne la confiscation prévue par l'article 221, § 1er, de la LGDA. La confiscation en cause porte sur l'objet d'une infraction, à savoir les biens qui ont été soustraits au contrôle douanier. Tout comme la confiscation de droit commun de l'objet de l'infraction prévue à l'article 42, 1°, du Code pénal, les biens sur lesquels porte la confiscation prévue par l'article 221, § 1er, de la LGDA présentent dès lors un lien direct avec l'infraction : ils concernent les biens sur lesquels l'infraction douanière a été commise. Tout comme son équivalent en droit pénal commun, il s'agit en outre d'une confiscation obligatoire.
B.10.1. Eu égard à ce qui est dit en B.7 à B.9, il est raisonnablement justifié que le juge pénal ne puisse pas renoncer en tout ou en partie à la confiscation sur la base de circonstances atténuantes.
B.10.2. La circonstance que l'administration des douanes a le pouvoir de renoncer à la confiscation s'inscrit dans le cadre de l'objectif de régler aisément des infractions douanières au moyen d'une transaction, ce qui profite à l'Etat, qui peut, en effet, de cette manière, obtenir, le cas échéant, un paiement plus rapide des droits de douane fraudés. La transaction peut aussi être à l'avantage du contrevenant, dès lors que celui-ci échappe à une condamnation pénale. Puisque les infractions douanières, tout comme les infractions fiscales ou sociales, portent atteinte à l'ensemble de la collectivité, en privant l'autorité des moyens nécessaires à son bon fonctionnement, l'intérêt de la transaction se fait encore plus ressentir pour ces infractions que pour d'autres infractions. Le paiement des droits de douane fraudés est en effet une condition pour permettre l'extinction de l'action publique. Par conséquent, il n'est pas déraisonnable que l'administration des douanes puisse transiger sur la confiscation et rendre ainsi la transaction plus intéressante pour le contrevenant.
B.10.3. La possibilité pour l'administration des douanes de proposer une transaction s'inscrit dans sa politique en matière de recherche et de poursuites des infractions douanières. Dans les limites des articles 263 et 264 de la LGDA et sous réserve qu'elle n'exerce pas ses compétences arbitrairement, l'administration des douanes dispose du pouvoir discrétionnaire de faire ou non une proposition de transaction ou d'accepter ou non une proposition formulée en ce sens par la personne concernée, sans que celle-ci soit en droit de l'exiger. Elle n'est pas tenue à cet égard de justifier son refus ni de faire une proposition de transaction ni d'accepter une demande.
En revanche, le juge pénal qui se prononce sur une infraction douanière ne dispose pas du pouvoir de renoncer en tout ou en partie à l'action publique. Il est tenu, le cas échéant, d'infliger les sanctions prévues par la loi, dans les limites prévues par celle-ci (Cass., 3 mars 2009, P.08.1451.N).
B.10.4. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l'application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n'est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.
B.10.5. Le contrôle au regard du principe de la plénitude de juridiction, garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, ne conduit pas à une autre conclusion. Le juge qui apprécie l'imposition d'une sanction administrative a pleine juridiction pour contrôler celle-ci en fait et en droit. Toutefois, le juge pénal ne doit pas se prononcer en l'espèce sur une sanction infligée par l'administration des douanes, dès lors que cette dernière a uniquement le pouvoir de proposer une transaction ou d'engager des poursuites pénales. Le principe de la plénitude de juridiction ne saurait s'interpréter en ce sens que le juge pénal doit avoir le pouvoir, lorsque, comme c'est le cas dans les litiges soumis à la juridiction a quo, l'administration des douanes a refusé de proposer une transaction, de contrôler ce refus ou de renoncer à la confiscation de la même manière que l'administration des douanes peut le faire dans le cadre d'une transaction.
B.11.1. Le fait que le prévenu, s'il refuse une proposition de transaction ou si aucune transaction ne lui est proposée, ne pourra jamais faire décider par un juge que la confiscation ne soit éventuellement pas prononcée ou qu'elle soit réduite, ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits des intéressés.
B.11.2. Tout d'abord, l'administration des douanes a certes la faculté de renoncer à la confiscation dans le cadre d'une proposition de transaction, mais elle n'est pas tenue de le faire. Elle peut aussi subordonner la transaction à la production de certains biens, auquel cas la différence de traitement présentée en B.3.2. n'existe pas, ou elle peut consentir à une confiscation partielle.
B.11.3. Ensuite, toute infraction, y compris une infraction à la législation douanière, requiert, outre un élément matériel, un élément moral. Même si la plupart des infractions relevant du droit pénal des douanes et accises concernent la négligence du respect d'une obligation positive précise, la culpabilité du chef d'une infraction requiert la connaissance de ce qu'elle est commise (Cass., 4 octobre 2006, P.06.0545.F). S'il est vrai que, pour certaines infractions, en raison de la spécificité de l'acte punissable, la preuve du fait résulte de la contravention à la prescription même, cette présomption est réfragable. Lorsque le prévenu qui refuse une proposition de transaction ou auquel aucune transaction n'a été proposée, peut démontrer ou peut à tout le moins démontrer de façon crédible que l'infraction à la législation douanière résulte de la force majeure, de l'erreur invincible ou d'une autre cause de justification, il doit être mis hors de cause pénalement (Cass., 12 septembre 2006, P.06.0416.N; 27 septembre 2005, P.05.0371.N; 14 juin 2005, P.05.0123.N). Si le prévenu réussit à administrer cette charge de la preuve, il n'est pas traité différemment du prévenu ou de l'inculpé qui consent à une proposition de transaction.
En ce qui concerne la cause de justification de la force majeure, la LGDA prévoit, outre cette cause de justification générale, une disposition spécifique relative à la force majeure. En vertu de l'article 135, alinéa 2, et de l'article 261/2, 1°, de la LGDA, l'agent en douane qui, ayant suivi les instructions de son client pour la déclaration à faire à la douane et qui est poursuivi judiciairement du chef de fraude, est mis hors de cause dès que la fraude est établie à charge du client.
Alors que les infractions douanières n'impliquent en général pas une condition d'intention, cela n'exclut pas que le juge pénal juge dans un cas concret que l'infraction a été commise intentionnellement ou qu'il est question d'une fraude, auquel cas un recours à l'erreur invincible, à la force majeure ou à une autre cause de justification n'est, certes, pas possible, mais auquel cas la différence de traitement décrite en B.3.2 n'existe pas non plus, eu égard à l'article 264 de la LGDA. B.11.4. Enfin, l'article 85 du Code pénal permet au prévenu qui refuse une proposition de transaction ou auquel aucune transaction n'a été proposée, de demander au juge pénal de bénéficier d'une réduction de l'amende ou, le cas échéant, de la peine d'emprisonnement. De même, le prévenu peut demander au juge pénal de lui accorder un sursis ou une suspension du prononcé en ce qui concerne l'amende ou de lui infliger une peine de travail en lieu et place de l'amende ou, le cas échéant, de la peine d'emprisonnement.
B.12. Eu égard à ce qui précède, l'article 221, § 1er, de la LGDA est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 221, § 1er, de la loi générale sur les douanes et accises, coordonnée le 18 juillet 1977, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il ne confère pas au juge pénal un pouvoir analogue au pouvoir que l'article 263 de la même loi confère à l'administration des douanes.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 septembre 2022.
Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux L. Lavrysen