Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 30 janvier 2023

Extrait de l'arrêt n° 40/2022 du 17 mars 2022 Numéro du rôle : 7436 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 541 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Liège, division de Liège. La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges J.-P. Moe(...)

source
cour constitutionnelle
numac
2022204616
pub.
30/01/2023
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 40/2022 du 17 mars 2022 Numéro du rôle : 7436 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 541 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Liège, division de Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges J.-P. Moerman, Y. Kherbache, T. Detienne et D. Pieters, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, de la juge émérite R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 7 septembre 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 24 septembre 2020, le Tribunal de première instance de Liège, division de Liège, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 541 C.I.R. 92 viole-t-il les articles 10, 11 et 23 de la Constitution interprété en ce sens qu'un contribuable qui lors de l'approbation de ses bilans au 31/12/2012 et 31/12/2013 n'a pas distribué tout ou partie du bénéfice comptable de ces années mais a précisé distribuer du bénéfice antérieur à 2012 pouvait constituer une réserve spéciale à hauteur du bénéfice comptable après impôt des exercices de référence alors qu'un contribuable qui a distribué le bénéfice comptable de ses bilans au 31/12/2012 et au 31/12/2013 pouvait constituer une réserve spéciale de liquidation à hauteur du bénéfice comptable après impôt des exercices de référence mais sous déduction du bénéfice distribué au cours des deux exercices de référence ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 541 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), qui dispose : « § 1er. Une société peut également constituer une réserve de liquidation dans un ou plusieurs comptes distincts dans le passif à concurrence d'une partie ou de la totalité du bénéfice comptable après impôt de l'exercice comptable qui se rattache à l'exercice d'imposition 2013, pour autant que les conditions suivantes soient respectées : 1° la société est considérée comme petite société sur la base de l'article 15 du Code des sociétés pour l'exercice comptable qui se rattache à l'exercice d'imposition 2013; 2° la société paie au plus tard le 30 novembre 2015 une cotisation spéciale de 10 p.c., qui est assimilée à la cotisation distincte visée à l'article 219quater pour l'application du présent Code, dont la base ainsi que les modalités d'application et de paiement sont déterminées aux §§ 3 et 4; 3° la réserve de liquidation est comptabilisée à un ou plusieurs comptes distincts du passif au plus tard à la date de clôture de l'exercice comptable au cours duquel la cotisation spéciale visée au 2° est payée;4° le montant de la réserve de liquidation visée au présent paragraphe ne dépasse pas le montant du bénéfice comptable après impôt de la période imposable qui se rattache à l'exercice d'imposition 2013;5° le montant de la réserve de liquidation visée au présent paragraphe est limité au montant visé au 4° qui est toujours comptabilisé en réserve au début de l'exercice comptable au cours duquel le paiement de la cotisation spéciale visée au 2° a été effectué;6° les opérations de constitution de la réserve de liquidation visée au présent paragraphe sont effectuées dans le respect des obligations légales et des obligations statutaires éventuelles;7° la société dépose au service compétent de l'administration en charge de la perception et du recouvrement, au plus tard à la date du paiement de la cotisation spéciale visée au 2°, une déclaration spéciale faisant connaître sa dénomination et son numéro fiscal d'identification ainsi que la base imposable, le taux, le montant de la cotisation spéciale susvisée et confirmant le fait que la société réunissait toutes les conditions visées à l'article 15 du Code des sociétés pour l'exercice comptable qui se rattache à l'exercice d'imposition 2013;8° la société joint une copie de la déclaration spéciale visée au 7° à la déclaration à l'impôt des sociétés relative à l'exercice d'imposition qui se rapporte à la période imposable au cours de laquelle le paiement de la cotisation spéciale a été effectué;9° les comptes annuels relatifs aux exercices comptables se rattachant à l'exercice d'imposition 2013 soit ont été déposés à la date du 31 mars 2015 soit, en ce qui concerne les sociétés visées à l'article 97 du Code des sociétés, ont été approuvés par l'assemblée générale conformément à l'article 92 du même Code et introduits avec la déclaration à l'impôt des sociétés pour l'exercice d'imposition concerné. § 2. Une société peut également constituer une réserve de liquidation dans un ou plusieurs comptes distincts du passif à concurrence d'une partie ou de la totalité du bénéfice comptable après impôt de l'exercice comptable qui se rattache à l'exercice d'imposition 2014, pour autant que les conditions suivantes soient respectées : 1° la société est considérée comme petite société sur la base de l'article 15 du Code des sociétés pour l'exercice comptable qui se rattache à l'exercice d'imposition 2014; 2° la société paie au plus tard le 30 novembre 2016 une cotisation spéciale de 10 p.c., qui est assimilée à la cotisation distincte visée à l'article 219quater pour l'application du présent Code, dont la base ainsi que les modalités d'application et de paiement sont déterminées aux §§ 3 et 4; 3° la réserve de liquidation est comptabilisée à un ou plusieurs comptes distincts du passif au plus tard à la date de clôture de l'exercice comptable au cours duquel la cotisation spéciale visée au 2° est payée;4° le montant de la réserve de liquidation visée au présent paragraphe ne dépasse pas le montant du bénéfice comptable après impôt de la période imposable qui se rattache à l'exercice d'imposition 2014;5° le montant de la réserve de liquidation visée au présent paragraphe est limité au montant visé au 4° qui est toujours comptabilisé en réserve au début de l'exercice comptable au cours duquel le paiement de la cotisation spéciale visée au 2° a été effectué;6° les opérations de constitution de la réserve de liquidation visée au présent paragraphe sont effectuées dans le respect des obligations légales et des obligations statutaires éventuelles;7° la société dépose au service compétent de l'administration en charge de la perception et du recouvrement, au plus tard à la date du paiement de la cotisation spéciale visée au 2°, une déclaration spéciale faisant connaître sa dénomination et son numéro fiscal d'identification ainsi que la base imposable, le taux et le montant de la cotisation spéciale susvisée et confirmant le fait que la société réunissait les conditions visées à l'article 15 du Code des sociétés pour l'exercice comptable qui se rattache à l'exercice d'imposition 2014;8° la société joint une copie de la déclaration spéciale visée au 7° à la déclaration à l'impôt des sociétés relative à l'exercice d'imposition qui se rapporte à la période imposable au cours de laquelle le paiement de la cotisation spéciale a été effectué;9° les comptes annuels relatifs à l'exercice comptable se rattachant à l'exercice d'imposition 2014 soit ont été déposés à la date du 31 mars 2015 ou, en ce qui concerne les sociétés qui clôturent leurs comptes annuels à partir du 1er septembre 2014 jusqu'au 30 décembre 2014 inclus, au plus tard sept mois après la date de clôture de l'exercice comptable, soit, en ce qui concerne les sociétés visées à l'article 97 du Code des sociétés, ont été approuvés par l'assemblée générale conformément à l'article 92 du même Code et introduits avec la déclaration à l'impôt des sociétés pour l'exercice d'imposition concerné. [...] ».

B.1.2. Cette disposition a été introduite dans le CIR 1992 par l'article 82 de la loi-programme du 10 août 2015Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 10/08/2015 pub. 18/08/2015 numac 2015203736 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer. Par son arrêt n° 20/2017 du 16 février 2017, la Cour a annulé cette disposition en ce qu'elle « ne porte pas sur les comptes annuels relatifs à l'exercice comptable rattaché à l'exercice d'imposition 2012, lorsque les réserves imposées de cet exercice d'imposition, eu égard à la date de l'assemblée générale, n'entraient pas en considération pour le régime de la ' liquidation interne ' ».

Par l'article 18, 3°, de la loi du 25 décembre 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/12/2017 pub. 29/12/2017 numac 2017014381 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales diverses IV type loi prom. 25/12/2017 pub. 29/12/2017 numac 2017014414 source service public federal finances Loi portant réforme de l'impôt des sociétés fermer « portant des dispositions fiscales diverses IV », le législateur a complété la disposition en cause par un paragraphe 2/1, qui élargit le régime de la « réserve de liquidation spéciale » aux sociétés qui ne tiennent pas leur comptabilité par année civile et dont les réserves taxées de l'exercice d'imposition 2012, compte tenu de la date de l'assemblée générale, n'entraient pas en considération pour la « liquidation interne » visée à l'article 537 du CIR 1992.

Cette annulation partielle et cette modification législative n'ont pas d'incidence sur l'objet de la question préjudicielle.

B.2.1. L'article 541, en cause, du CIR 1992 concerne la taxation des « bonis de liquidation » et prévoit, pour les petites sociétés au sens de l'article 15 de l'ancien Code des sociétés, la possibilité de constituer une « réserve de liquidation spéciale ». Ce faisant, il vise à assurer une transition entre le régime de la « liquidation interne » et le régime de la « réserve de liquidation ».

B.2.2. La loi du 24 décembre 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/12/2002 pub. 31/12/2002 numac 2002003520 source ministere des finances Loi modifiant le régime des sociétés en matière d'impôts sur les revenus et instituant un système de décision anticipée en matière fiscale type loi prom. 24/12/2002 pub. 19/03/2003 numac 2003015003 source service public federal affaires etrangeres, commerce exterieur et cooperation au developpement Loi portant assentiment au Protocole portant modification de la loi uniforme Benelux sur les marques, fait à Bruxelles le 11 décembre 2001 fermer a instauré un impôt sur les revenus et un précompte mobilier de 10 % sur les allocations versées en cas de liquidation totale ou partielle d'une société. De ce fait, il n'était plus possible de distribuer en exonération d'impôt les bénéfices réservés de sociétés. La loi du 28 juin 2013 a augmenté le taux d'imposition à 25 %, à partir du 1er octobre 2014. La loi du 26 décembre 2015Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/12/2015 pub. 30/12/2015 numac 2015206007 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative aux mesures concernant le renforcement de la création d'emplois et du pouvoir d'achat fermer a de nouveau augmenté le taux d'imposition, pour le porter à 27 % à partir du 1er janvier 2016. La loi-programme du 25 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 25/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016021100 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer a ensuite porté le taux d'imposition à 30 %, à partir du 1er janvier 2017.

Le législateur a donc graduellement mis fin au régime fiscal de faveur dont bénéficiaient les "bonis de liquidation", contrairement aux dividendes.

B.2.3. L'augmentation du taux à 25 %, opérée par la loi du 28 juin 2013, était assortie d'une mesure transitoire, dite « liquidation interne ». Un nouvel article 537 du CIR 1992 prévoyait que les sociétés pouvaient distribuer au taux de 10 %, au cours de la dernière période imposable prenant fin avant le 1er octobre 2014, les réserves qui étaient inscrites dans les derniers comptes annuels qui avaient été approuvés au plus tard le 31 mars 2013 par l'assemblée générale.

Pour pouvoir bénéficier de ce précompte réduit, il fallait notamment que le montant perçu entre immédiatement et pour une certaine période dans le capital de la société.

B.2.4. La loi-programme du 19 décembre 2014Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 19/12/2014 pub. 29/12/2014 numac 2014021137 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer a instauré la « réserve de liquidation ». Un nouvel article 184quater du CIR 1992 prévoit, pour les petites sociétés au sens de l'article 15 de l'ancien Code des sociétés, une possibilité permanente de faire bénéficier leurs actionnaires ou associés de bonis de liquidation en exonération d'impôt ou de dividendes à un taux de précompte réduit. A cette fin, depuis l'exercice d'imposition 2015, ces petites sociétés peuvent réserver la totalité ou une partie du bénéfice comptable après impôt sur un compte distinct du passif. Cette mise en réserve de liquidation entraîne le paiement immédiat par la société d'une cotisation distincte de 10 % . Lors de la liquidation de la société, cette réserve est distribuée sous forme de bonis de liquidation en exonération d'impôt. En cas de distribution de cette réserve sous forme de dividendes en dehors du cadre d'une liquidation, un précompte mobilier réduit à 5 % ou à 15 % reste dû, selon que la réserve de liquidation a été maintenue plus ou moins de cinq ans dans la société.

B.2.5. Le régime de la « liquidation interne » n'était applicable qu'aux réserves imposées relevant de la dernière période imposable clôturée avant le 1er octobre 2014, telles qu'elles avaient été approuvées par l'assemblée générale de la société au plus tard le 31 mars 2013. Le régime de la « réserve de liquidation » n'est en revanche applicable que depuis l'exercice d'imposition 2015. Les réserves réalisées au cours des exercices comptables 2012 et 2013 n'entraient donc en considération dans aucun des deux régimes.

B.2.6. C'est pour assurer la transition entre ces deux régimes que le législateur a prévu, par la disposition en cause, une « réserve de liquidation spéciale » : « Dès lors, pour les sociétés qui, sur la base de l'article 15 du Code des sociétés, sont considérées comme petites sociétés, le gouvernement a décidé d'instaurer en 2015 un ' prélèvement anticipatif ' de 10 p.c. sur le bénéfice comptable après impôt réalisé au cours de l'exercice comptable 2012, et en 2016 un prélèvement de 10 p.c. sur le bénéfice comptable après impôt réalisé au cours de l'exercice comptable 2013, dans la mesure où ce bénéfice est repris dans une réserve de liquidation spéciale. Les autres règles en matière de réserve de liquidation instaurées par la loi-programme du 19 décembre 2014Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 19/12/2014 pub. 29/12/2014 numac 2014021137 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer restent mutatis mutandis invariablement d'application pour l'application de cette nouvelle mesure.

Il s'agit donc, comme pour les deux mesures visées aux articles 184quater et 537, CIR 92, d'un régime facultatif dont l'application implique, dans le chef des sociétés qui en feront le choix, qu'elles devront reprendre tout ou partie des bénéfices concernés de l'exercice comptable 2012 et de l'exercice comptable 2013 (ou de l'un de ces deux exercices comptables) dans une réserve de liquidation spéciale et que ces sociétés devront s'acquitter respectivement en 2015 et en 2016, d'une cotisation spéciale de 10 p.c. sur ces bénéfices dans la mesure où ils seront repris dans une réserve de liquidation spéciale pour l'exercice comptable au cours duquel le paiement de la cotisation distincte sera versée » (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-1125/001, pp. 92-93).

B.3.1. La question préjudicielle invite la Cour à examiner la compatibilité de l'article 541 du CIR 1992 avec les articles 10, 11 et 23 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle la partie du bénéfice comptable des années 2012 et 2013 qui a été distribuée sous forme de dividendes au cours de ces exercices ne peut entrer en considération pour la constitution de la réserve de liquidation spéciale.

B.3.2. La juridiction a quo n'indique pas en quoi la disposition en cause ne serait pas compatible avec l'article 23 de la Constitution.

En ce qu'elle vise cette disposition, la question préjudicielle n'est pas recevable.

B.4. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5.1. La juridiction a quo invite la Cour à comparer la situation d'une petite société qui, au cours des exercices comptables 2012 et 2013, a distribué une partie des bénéfices imposés réalisés au cours de l'année correspondante à ses actionnaires sous la forme de dividendes à celle d'une société qui, au cours des mêmes exercices comptables, a distribué à ses actionnaires des dividendes puisés dans des réserves constituées de bénéfices réalisés au cours d'années antérieures à 2012. En vertu de la disposition en cause, telle qu'elle est interprétée par la juridiction a quo, la première société ne peut utiliser que la partie de son bénéfice imposé excédant les dividendes distribués pour constituer la réserve de liquidation spéciale, alors que la seconde pourrait utiliser tout le bénéfice imposé réalisé au cours de l'année considérée pour constituer la réserve de liquidation spéciale.

B.5.2. Bien que la situation à laquelle la société demanderesse devant la juridiction a quo entend comparer sa propre situation soit probablement rare, il n'apparaît pas, contrairement à ce que le Conseil des ministres soutient, que la Cour ne pourrait pas examiner la comparaison qui lui est soumise par la juridiction a quo.

B.6. La différence de traitement entre les sociétés qui se trouvent dans les situations comparées repose sur un critère objectif, à savoir le fait d'avoir distribué ou non une partie du bénéfice imposable réalisé au cours des exercices comptables 2012 et 2013, sous la forme de dividendes ou non. La Cour doit examiner si ce critère est pertinent et si la mesure ne produit pas des effets disproportionnés pour les sociétés qui, parce qu'elles ont distribué une partie de leur bénéfice à leurs actionnaires ou associés, ne peuvent plus utiliser le bénéfice distribué pour constituer une réserve de liquidation spéciale.

B.7.1. La différence de traitement en cause trouve son origine dans l'article 541, § 1er, 5°, et § 2, 5°, du CIR 1992, en ce que cette disposition impose que le montant affecté à la constitution de la réserve spéciale de liquidation soit toujours comptabilisé en réserve au début de l'exercice comptable au cours duquel le paiement de la cotisation spéciale de 10 % est effectué. La juridiction a quo en déduit que la disposition en cause doit être interprétée comme ne permettant pas aux sociétés qui souhaitent faire usage de la faculté offerte par l'article 541 du CIR 1992 de comptabiliser la partie de leur bénéfice imposé qu'elles ont distribuée sous la forme de dividendes dans la réserve de liquidation spéciale, même si elles disposent d'un montant provenant de réserves antérieures pouvant compenser le montant du bénéfice distribué.

B.7.2. L'interprétation de la disposition en cause par la juridiction a quo est confirmée par une réponse du ministre des Finances à une question parlementaire : « Les bénéfices de l'exercice comptable liés à l'exercice d'imposition 2013 versés dans le cadre de l'affectation des bénéfices de cette année ne peuvent jamais être pris en considération. Ces bénéfices n'ont en effet jamais été comptabilisés dans les réserves. Ils ont déjà été versés, de sorte qu'ils ne peuvent plus faire l'objet d'un versement lors de la liquidation. Il en va mutatis mutandis de même pour les bénéfices de l'exercice associés à l'exercice d'imposition 2014 » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, CRIV 54, COM 258, p. 45).

B.8.1. Le mécanisme de la réserve de liquidation, qu'elle soit ordinaire ou spéciale, permet aux petites sociétés qui choisissent de faire usage de cette possibilité, moyennant le paiement d'une cotisation anticipative de 10 %, de distribuer, lors de la liquidation ultérieure, les bénéfices imposés mis en réserve sous la forme de bonis de liquidation en exonération d'impôt ou, en dehors de l'hypothèse de la liquidation, sous la forme de dividendes imposés de façon avantageuse, à condition que ces bénéfices soient demeurés en réserve durant un certain temps. Ce système a donc pour effet de créer un avantage fiscal sur la distribution de bénéfices demeurés dans la société durant une période déterminée.

B.8.2. Au regard de cet objet, il est pertinent de limiter le montant qui peut être consacré à la réserve de liquidation spéciale créée par la disposition en cause aux bénéfices mis en réserve au cours des exercices comptables 2012 et 2013 et maintenus en réserve jusqu'au début de l'exercice comptable au cours duquel le paiement de la cotisation spéciale est effectué et d'en exclure en conséquence la partie des bénéfices qui a été distribuée sous la forme de dividendes.

En effet, la partie des bénéfices qui a été immédiatement distribuée sous la forme de dividendes ne pourra plus l'être ultérieurement, que ce soit sous la forme de dividendes ou sous la forme de bonis de liquidation.

B.9. La disposition en cause ne produit pas des effets disproportionnés pour les sociétés qui ont distribué une partie de leurs bénéfices au cours des exercices comptables 2012 et 2013 et qui ne peuvent utiliser ni le montant distribué ni un montant équivalent puisé dans leurs réserves pour constituer une réserve de liquidation spéciale. En effet, ces sociétés ont pu, avant l'instauration du régime de la « réserve de liquidation spéciale » bénéficier du régime de la « liquidation interne », prévu à l'article 537 du CIR 1992, qui avait précisément pour but de compenser l'effet de l'augmentation du précompte mobilier sur les bonis de liquidation pour les sociétés qui avaient constitué des réserves destinées à être distribuées sous cette forme au moment de leur liquidation.

Enfin, la disposition en cause ayant pour but, comme il est dit en B.2.6, de pallier l'absence d'un régime de « réserve de liquidation » pour les exercices comptables 2012 et 2013, le système qu'elle met en place est semblable à celui-ci. Il est dès lors raisonnablement justifié que, comme la « réserve de liquidation », la « réserve de liquidation spéciale » ne puisse être constituée que par l'affectation du bénéfice comptable après impôt de l'exercice comptable clôturé et non par d'anciennes réserves imposées accumulées dans le passé.

B.10. L'article 541 du CIR 1992, interprété en ce sens qu'un contribuable qui a distribué le bénéfice comptable de ses bilans au 31 décembre 2012 et au 31 décembre 2013 ne pouvait constituer une réserve de liquidation spéciale à hauteur du bénéfice comptable après impôt des exercices de référence que moyennant la déduction du bénéfice distribué, n'est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 541 du Code des impôts sur les revenus 1992, interprété en ce sens qu'un contribuable qui a distribué le bénéfice comptable de ses bilans au 31 décembre 2012 et au 31 décembre 2013 ne pouvait constituer une réserve de liquidation spéciale à hauteur du bénéfice comptable après impôt des exercices de référence que moyennant la déduction du bénéfice distribué, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 17 mars 2022.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux P. Nihoul

^