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Arrêt
publié le 16 mai 2022

Extrait de l'arrêt n° 135/2021 du 7 octobre 2021 Extrait de l'arrêt n° 135/2021 du 7 octobre 2021 Numéro du rôle : 7482 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 51bis, § 4, et 70, § § 1 er e La Cour constitutionnelle, composée du président L. Lavrysen, des juges M. Pâques, Y. Kherbache,(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 135/2021 du 7 octobre 2021 Extrait de l'arrêt n° 135/2021 du 7 octobre 2021 Numéro du rôle : 7482 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 51bis, § 4, et 70, § § 1er et 2, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée et à l'article 29, alinéa 3, du Code d'instruction criminelle, posées par le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand.

La Cour constitutionnelle, composée du président L. Lavrysen, des juges M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters et S. de Bethune, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite F. Daoût, et assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 9 novembre 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 15 décembre 2020, le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand, a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1) L'article 51bis, § 4, du Code de la TVA viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution ainsi que le principe de proportionnalité qu' [ils] contien[nen]t], dès lors que cette disposition prévoit une responsabilité entière et inconditionnelle et que le juge ne peut l'apprécier en fonction de la part de chacun dans la fraude fiscale ? 2) L'article 51bis, § 4, du Code de la TVA viole-t-il le principe de proportionnalité au sens des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle l'article 51bis, § 4, du Code de la TVA doit être considéré comme une sanction pénale au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce sens qu'un fournisseur est solidairement responsable des impôts éludés par son client, même si le fournisseur n'a retiré aucun avantage patrimonial des faits ? 3) L'article 51bis, § 4, du Code de la TVA viole-t-il le principe de proportionnalité en ce que la responsabilité solidaire s'appliquerait également aux fournisseurs pour toute revente ultérieure effectuée par un de ses clients et pas seulement aux clients dans le cadre du chaîne de livraison ? 4) L'article 70, § § 1er et 2, du Code de la TVA viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que le principe non bis in idem trouve une autre application en matière d'impôts sur les revenus qu'en matière de TVA, ce qui a pour effet que les contribuables qui font l'objet d'une perception à l'impôt sur les revenus et les contribuables qui font l'objet d'une perception de TVA sont traités différemment, étant donné que la Cour européenne des droits de l'homme juge que le principe non bis in idem reste applicable en cas de procédures successives (arrêt du 19 décembre 2017, Ramda c.France), alors que la Cour de justice de l'Union européenne, par ses arrêts du 20 mars 2018 (Menci, Garlsson Real Estate SA), admet qu'il est possible d'engager deux procédures distinctes et d'infliger deux sanctions, pourvu qu'il soit satisfait à certaines conditions ? 5) L'article 29, alinéa 3, du Code d'instruction criminelle viole-t-il le principe de proportionnalité et le principe d'égalité consacrés par les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle cet article permettrait de scinder des faits procédant d'une unité d'intention, certains faits afférents à une année étant poursuivis administrativement et certains faits afférents à une autre année étant poursuivis pénalement, et selon laquelle il s'ensuit qu'un justiciable peut, dans ce cas, se voir infliger tant une sanction administrative qu'une sanction pénale, alors qu'un justiciable pour lequel il est décidé, au cours de la concertation visée à l'article 29, § 3, du Code d'instruction criminelle, d'engager seulement des poursuites pénales en raison de l'unité d'intention, se voit uniquement infliger une sanction pénale, alors que cette distinction ne repose pas sur une justification raisonnable ? 6) L'article 70, § § 1er et 2, du Code de la TVA viole-t-il le principe de proportionnalité et le principe d'égalité en ce qu'il prévoit la même peine pour la personne qui ne paie pas la TVA que pour celle qui paie la TVA, mais qui établit des facturées erronées ? 7) L'article 70, § 1er, du Code de la TVA viole-t-il le principe d'égalité et le principe de proportionnalité, qui est inhérent à celui-ci, ainsi que l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme en ce qu'il inflige une amende de 200 %, donc d'un montant incontestablement supérieur à celui de la TVA à récupérer ? ». (...) III. En droit (...) Quant aux première, deuxième et troisième questions préjudicielles B.1.1. Les première, deuxième et troisième questions préjudicielles portent sur l'article 51bis, § 4, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : le Code de la TVA), qui dispose : « Tout assujetti est solidairement tenu d'acquitter la taxe avec la personne qui en est redevable en vertu de l'article 51, § § 1er et 2, si, au moment où il a effectué une opération, il savait ou devait savoir que le non-paiement de la taxe, dans la chaîne des opérations, est commis ou sera commis dans l'intention d'éluder la taxe ».

B.1.2. La première question préjudicielle concerne la compatibilité de la disposition en cause avec « les articles 10, 11 et 172 de la Constitution ainsi [qu'avec] le principe de proportionnalité qu'[ils] contien[nen]t, dès lors que cette disposition prévoit une responsabilité entière et inconditionnelle et que le juge ne peut l'apprécier en fonction de la part de chacun dans la fraude fiscale ».

La deuxième question préjudicielle concerne la compatibilité de la disposition en cause avec « le principe de proportionnalité au sens des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle l'article 51bis, § 4, [du Code de la TVA] doit être considéré comme une sanction pénale au sens de [l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme], en ce sens qu'un fournisseur est solidairement responsable des impôts éludés par son client, même si le fournisseur n'a retiré aucun avantage patrimonial des faits ».

La troisième question préjudicielle concerne la compatibilité de la disposition en cause avec « le principe de proportionnalité en ce que la responsabilité solidaire s'appliquerait également aux fournisseurs pour toute revente ultérieure effectuée par un de ses clients et pas seulement aux clients dans le cadre de la chaîne de livraison ».

B.2.1. En vertu de l'article 142, alinéa 2, de la Constitution et de l'article 26, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur les questions relatives à la violation par une loi, un décret ou une règle visée à l'article 134 de la Constitution, des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'autorité fédérale, des communautés et des régions, des articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 143, § 1er, 170, 172 et 191 de la Constitution.

B.2.2. La Cour n'a pas pour mission de contrôler directement le respect par les législateurs d'autres règles, à moins qu'elles soient lues en combinaison avec les règles constitutionnelles relevant de sa compétence, comme le principe d'égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution.

Le principe de proportionnalité n'est pas une norme qui se combine avec les articles 10 et 11 de la Constitution puisqu'il est déjà contenu implicitement dans ces dispositions.

B.2.3. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

Pour que ce contrôle au regard des articles 10 et 11 de la Constitution puisse être exercé, les questions préjudicielles doivent préciser quelles catégories de personnes sont comparées. Ces catégories doivent à tout le moins ressortir de la motivation du jugement de renvoi. Si tel n'est pas le cas, la Cour ne peut pas juger si le principe d'égalité et de non-discrimination est violé.

B.2.4. Les première, deuxième et troisième questions préjudicielles ne précisent pas quelles catégories de personnes sont comparées. Le jugement de renvoi n'apporte aucune précision sur ce point. Dans la troisième question préjudicielle, la Cour est par ailleurs invitée à exercer un contrôle direct au regard du principe de proportionnalité.

La partie demanderesse devant le juge a quo fait valoir dans son mémoire en réponse que la première question préjudicielle porte sur une comparaison entre la situation visée à l'article 51bis, § 3, du Code de la TVA et la situation visée à l'article 51bis, § 4, du même Code. Les parties devant la Cour ne peuvent modifier ou étendre la portée de la question préjudicielle en désignant d'autres catégories de personnes que celles qui sont mentionnées dans la question préjudicielle avec lesquelles il faudrait établir une comparaison dans le cadre du contrôle au regard des articles 10 et 11 de la Constitution.

B.2.5. Les première, deuxième et troisième questions préjudicielles ne sont donc pas recevables.

Quant à la cinquième question préjudicielle B.3.1. La cinquième question préjudicielle porte sur l'article 29, alinéa 3, du Code d'instruction criminelle.

Tel qu'il était applicable avant la modification apportée par la loi du 5 mai 2019Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/05/2019 pub. 24/05/2019 numac 2019030435 source service public federal justice Loi portant des dispositions diverses en matière pénale et en matière de cultes, et modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et le Code pénal social fermer « portant des dispositions diverses en matière pénale et en matière de cultes, et modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et le Code pénal social », l'article 29, alinéa 3, du Code d'instruction criminelle disposait : « Le conseiller général visé à l'alinéa 2 [de l'Administration générale de la fiscalité, de l'Administration générale de la perception et du recouvrement, de l'Administration générale de la documentation patrimoniale et de l'Administration générale de l'Inspection spéciale des Impôts] ou le fonctionnaire qu'il désigne peut, dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale, se concerter sur des dossiers concrets avec le procureur du Roi. Le procureur du Roi peut poursuivre les faits pénalement punissables dont il a pris connaissance lors de la concertation. La concertation peut aussi avoir lieu à l'initiative du procureur du Roi. Les autorités policières compétentes peuvent participer à la concertation ».

B.3.2. Cette disposition a été justifiée comme suit dans les travaux préparatoires : « La lutte contre la fraude fiscale requiert une concertation mutuelle entre le directeur régional et les magistrats du ministère public qui exercent les poursuites, et leurs collaborateurs respectifs. Dès lors que ce type de fraude fiscale se manifeste dans des dossiers concrets, pour garantir l'efficacité et l'effectivité de cette concertation en fonction de la lutte contre la fraude, cette concertation doit pouvoir avoir lieu sur la base de dossiers concrets.

Cet article permet cette concertation mutuelle. Cette concertation vise à permettre au procureur du Roi d'apprécier, en vertu de son pouvoir constitutionnel, la nécessité de procéder à une information ou de requérir instruction, et de déterminer si les faits peuvent donner lieu à des poursuites individuelles dans le cadre du dossier de fraude fiscale. A l'issue de cette concertation, il sera déterminé, conformément au principe ' una via ', si le dossier de fraude suivra la voie administrative ou la voie pénale.

Si on suit la voie administrative, les administrations fiscales poursuivront et sanctionneront elles-mêmes la fraude dans un dossier fiscal. Si on suit la voie pénale, c'est le ministère public qui enquêtera sur la fraude fiscale et la poursuivra sur le plan pénal.

Dans ce cas, les administrations fiscales se limiteront à constater la dette fiscale, sans appliquer de sanctions administratives.

La concertation nécessaire ne peut toutefois être considérée comme un élément de la procédure, ni limiter le pouvoir d'appréciation du ministère public.

La concertation doit donc être considérée comme une concertation de travail qui a lieu préalablement à la prise de mesures effectives contre l'infraction fiscale et donc pas comme un acte de procédure » (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-1973/001, p. 9).

B.4.1. Le juge a quo demande à la Cour si l'article 29, alinéa 3, du Code d'instruction criminelle porte atteinte aux articles 10, 11 et 172 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle cette disposition permettrait d'effectuer entre des faits procédant d'une unité d'intention une scission dans le cadre de laquelle certains faits afférents à une année sont poursuivis administrativement et certains faits afférents à une autre année sont poursuivis pénalement.

Dans cette interprétation, la disposition en cause ferait naître une différence de traitement injustifiée entre, d'une part, un justiciable qui, dans le cas précité, se voit infliger tant une sanction administrative qu'une sanction pénale et, d'autre part, un justiciable à l'encontre duquel il est décidé, au cours de la concertation visée à l'article 29, § 3, du Code d'instruction criminelle, que seules des poursuites pénales seront engagées dans le cadre d'une unité d'intention et auquel une sanction pénale est infligée.

B.4.2. Cette différence de traitement ne peut être imputée à la disposition attaquée. Elle peut découler des circonstances de fait dans lesquelles les infractions ont été commises et de l'exercice par le Procureur du Roi de son pouvoir constitutionnel d'apprécier l'opportunité d'engager des poursuites pénales. Il appartient au juge compétent de veiller au respect du principe de proportionnalité et du principe non bis in idem.

B.4.3. La cinquième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant aux quatrième, sixième et septième questions préjudicielles B.5. Les quatrième, sixième et septième questions préjudicielles portent sur l'article 70, § § 1er et 2, du Code de la TVA, qui dispose : « § 1er. Pour toute infraction à l'obligation d'acquitter la taxe, il est encouru une amende égale à deux fois la taxe éludée ou payée tardivement.

Cette amende est due individuellement par chacune des personnes qui, en vertu des articles 51, §§ 1er, 2 et 4, 51bis, 52, 53, 53ter, 53nonies, 54, 55 et 58 ou des arrêtés pris en exécution de ces articles, sont tenues au paiement de la taxe. [...] § 2. Lorsque la facture ou le document en tenant lieu, dont l'émission ou l'établissement est prescrit par les articles 53, 53decies et 54, ou par les arrêtés pris en exécution de ces articles, n'a pas été émis ou établi ou qu'il contient des indications inexactes quant au numéro d'identification, au nom ou à l'adresse des parties intéressées à l'opération, à la nature ou à la quantité des biens livrés ou des services fournis, au prix ou à ses accessoires, il est encouru une amende égale à deux fois la taxe due sur l'opération, avec un minimum de 50 euros.

Cette amende est due individuellement par le fournisseur et par son cocontractant. Elle n'est cependant pas applicable lorsque les irrégularités peuvent être considérées comme purement accidentelles, notamment eu égard au nombre et à l'importance des opérations non constatées par des documents réguliers, comparés au nombre et à l'importance des opérations qui ont fait l'objet de documents réguliers, ou lorsque le fournisseur n'avait pas de raison sérieuse de douter de la qualité de non-assujetti du cocontractant.

Quand une personne encourt, pour une même infraction, à la fois l'amende prévue au § 1er et l'amende prévue au § 2, seule cette dernière est applicable ».

B.6.1. Par sa quatrième question préjudicielle, le juge a quo demande à la Cour si l'article 70, § § 1er et 2, en cause, du Code de la TVA viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que le principe non bis in idem trouverait en matière d'impôts sur les revenus une application autre qu'en matière de TVA, en raison des différences qui existent entre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, d'une part, et celle de la Cour de justice, d'autre part.

B.6.2. La Cour n'est pas compétente pour se prononcer sur une différence de traitement qui ne trouve pas son origine dans la disposition en cause, mais qui découlerait de différences entre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et celle de la Cour de justice.

B.6.3. La quatrième question préjudicielle n'est pas recevable.

B.7. Par sa sixième question préjudicielle, le juge a quo demande à la Cour si l'article 70, § § 1er et 2, en cause, du Code de la TVA viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il prévoit la même peine pour la personne qui ne paie pas la TVA que pour celle qui paie effectivement la TVA, mais qui établit des facturées erronées.

B.8.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s'oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.8.2. Les amendes visées à l'article 70 du Code de la TVA ont été explicitement conçues par le législateur comme des amendes administratives (article 72 du Code de la TVA).

Ces amendes sont proportionnelles à la taxe éludée ou payée tardivement ( § 1er) ou - si, pour une opération, le redevable n'a pas établi de factures ou a établi des factures comportant des indications inexactes -, à la taxe due sur l'opération ( § 2). Dans les deux cas, l'amende s'élève en principe à deux fois la taxe concernée.

L'article 70, § § 1er et 2, en cause, du Code de la TVA traite donc de la même manière, en ce qui concerne le calcul du montant de l'amende, ceux qui ne paient pas la taxe due ou qui la paient tardivement et ceux qui n'établissent pas de factures ou qui établissent des factures comportant des indications inexactes.

B.8.3. Les amendes fiscales visées à l'article 70 du Code de la TVA ont pour but de prévenir et de sanctionner les infractions commises par tous les redevables, sans distinction aucune, qui ne respectent pas les obligations imposées par ce Code. Le redevable, qui connaît à l'avance la sanction qu'il risque d'encourir, est incité à respecter ses obligations.

B.8.4. La facture occupe une place centrale dans la taxe sur la valeur ajoutée, entre autres parce que le droit du redevable à la déduction est subordonné à l'existence d'un tel document. C'est la raison pour laquelle celui-ci est l'objet d'une réglementation stricte. Il est raisonnablement justifié que le non-respect de ces obligations soit sanctionné par une même amende proportionnelle que le non-paiement de la TVA. Eu égard à l'objectif mentionné en B.8.3, les catégories précitées ne se trouvent en effet pas dans des situations fondamentalement différentes, dès lors qu'elles ont toutes deux manqué aux obligations qui sont contenues dans le Code de la TVA, avec pour conséquence qu'elles ont commis une fraude fiscale.

La disposition en cause ne produit par ailleurs pas des effets disproportionnés, dans la mesure où l'article 70, § 2, alinéa 2, du Code de la TVA prévoit que l'amende n'est pas applicable lorsque les irrégularités relatives à la facture « peuvent être considérées comme purement accidentelles, notamment eu égard au nombre et à l'importance des opérations non constatées par des documents réguliers, comparés au nombre et à l'importance des opérations qui ont fait l'objet de documents réguliers, ou lorsque le fournisseur n'avait pas de raison sérieuse de douter de la qualité de non-assujetti du cocontractant ».

De plus, l'article 84, alinéa 3, du Code de la TVA prévoit la possibilité de remplacer les amendes fixées par la loi par des amendes proportionnelles réduites, fixées selon une échelle dont les graduations sont déterminées par le Roi. Cette échelle a été fixée par l'arrêté royal n° 41 du 30 janvier 1987 « fixant le montant des amendes fiscales proportionnelles en matière de taxe sur la valeur ajoutée » et permet que les amendes prévues à l'article 70, § 2, du Code de la TVA soient réduites, à condition que ces irrégularités n'aient pas été commises dans l'intention d'éluder ou de permettre d'éluder la taxe (article 1er, alinéa 1er, 3°, et alinéa 2, et tableau C annexé). Enfin, le ministre des Finances ou son délégué peuvent, à la demande de l'intéressé, remettre totalement ou partiellement l'amende (article 9 de l'arrêté du Régent du 18 mars 1831 organique de l'administration des finances).

B.8.5. La sixième question préjudicielle appelle une réponse négative.

B.9. Par sa septième question préjudicielle, le juge a quo demande à la Cour si l'article 70, § 1er, en cause, du Code de la TVA viole les articles 10 et 11 de la Constitution et l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il prévoit une amende dont le montant s'élève à deux fois la TVA due.

B.10.1. Comme il est dit en B.8.3, les amendes fiscales visées à l'article 70 du Code de la TVA ont pour but de prévenir et de sanctionner les infractions commises par tous les redevables, sans distinction aucune, qui ne respectent pas les obligations imposées par ce Code. Elles ont donc un caractère répressif et sont de nature pénale au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La Cour doit dès lors prendre en compte, dans le contrôle qu'elle exerce au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, les garanties contenues dans cet article 6 et, notamment, la garantie qu'un juge indépendant et impartial puisse exercer un contrôle de pleine juridiction sur l'amende infligée par l'autorité administrative compétente.

B.10.2. Il appartient au législateur d'apprécier s'il est souhaitable de contraindre l'administration et le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l'intérêt général, spécialement dans une matière qui, comme en l'espèce, donne lieu à une fraude importante. Cette sévérité peut concerner entre autres le niveau de la peine pécuniaire.

La Cour ne pourrait censurer pareil choix que si celui-ci était manifestement déraisonnable notamment parce qu'il porterait une atteinte disproportionnée au principe général qui exige qu'en matière de sanctions rien de ce qui appartient au pouvoir d'appréciation de l'administration n'échappe au contrôle du juge, ou au droit au respect des biens lorsque la loi prévoit un montant disproportionné et n'offre pas un choix qui se situerait entre cette peine, en tant que peine maximale, et une peine minimale.

B.10.3. Par son arrêt n° 22/99 du 24 février 1999, la Cour a jugé, en ce qui concerne l'article 70, en cause, du Code de la TVA, que « le texte [de cette disposition] ne s'oppose pas à ce que le juge, saisi d'une opposition à contrainte, exerce une compétence de pleine juridiction lui permettant de contrôler tout ce qui relève de l'appréciation de l'administration en matière d'amende fiscale. Dans cette interprétation, il n'y a pas de discrimination ».

Par son arrêt n° 79/2008 du 15 mai 2008, la Cour a en outre jugé, en ce qui concerne la même disposition : « B.6.2. Il s'ensuit que l'article 70 du Code de la TVA est incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, s'il est interprété en ce sens qu'il n'autorise pas le juge à exercer un contrôle de pleine juridiction sur la décision administrative refusant la remise ou la réduction d'une amende fiscale.

Ce contrôle doit permettre au juge de vérifier si cette décision est justifiée en fait et en droit et si elle respecte l'ensemble des dispositions législatives et des principes généraux qui s'imposent à l'administration, parmi lesquels le principe de proportionnalité.

B.6.3. Ainsi, lorsqu'il est saisi d'un recours contre une décision prise, en vertu de l'article 9 de l'arrêté du Régent du 18 mars 1831, par le ministre des Finances ou son délégué, le juge doit pouvoir remettre ou réduire l'amende au même titre que le ministre des Finances ou son délégué.

B.7. Dans l'interprétation mentionnée en B.6.2, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

B.8. L'article 70 du Code de la TVA peut cependant recevoir une autre interprétation, selon laquelle cette disposition ne s'oppose pas à ce que le juge, saisi d'un recours contre la décision prise, en vertu de l'article 9 de l'arrêté du Régent du 18 mars 1831, par le ministre des Finances ou son délégué, exerce une compétence de pleine juridiction lui permettant de contrôler tout ce qui relève de l'appréciation de l'administration ».

B.10.4. En l'espèce, il y a lieu d'admettre que la sanction dont le montant s'élève à deux fois la taxe éludée ou à deux fois la taxe payée tardivement n'est pas disproportionnée à l'infraction commise, compte tenu des répercussions que la fraude fiscale peut avoir sur le Trésor et des distorsions de concurrence qui peuvent en découler pour les entreprises qui remplissent leurs obligations fiscales, de la possibilité de remplacer l'amende prévue par la loi par une amende proportionnelle réduite ou de faire remettre totalement ou partiellement l'amende (article 84, alinéa 3, du Code de la TVA, article 1er, alinéa 1er, 1°, et alinéa 2, de l'arrêté royal n° 41 du 30 janvier 1987 et article 9 de l'arrêté du Régent du 18 mars 1831 organique de l'administration des finances) et de la compétence des tribunaux, mentionnée dans les arrêts précités, d'exercer un contrôle de pleine juridiction sur tout ce qui relève de l'appréciation de l'administration. L'ingérence causée par ces amendes dans le droit au respect des biens, lequel est garanti par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, est donc proportionnée et raisonnablement justifiée.

B.10.5. La septième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit: - Les première, deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles ne sont pas recevables. - L'article 29, alinéa 3, du Code d'instruction criminelle ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution. - L'article 70, § § 1er et 2, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. - L'article 70, § 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle, le 7 octobre 2021.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, L. Lavrysen

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