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Arrêt
publié le 16 juin 2022

Extrait de l'arrêt n° 120/2021 du 30 septembre 2021 Numéro du rôle : 7338 En cause : le recours en annulation de l'article 1 er du décret de la Communauté française du 3 mai 2019 « portant diverses dispositions en matière d'enseign La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges J.-P. Moe(...)

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Extrait de l'arrêt n° 120/2021 du 30 septembre 2021 Numéro du rôle : 7338 En cause : le recours en annulation de l'article 1er du décret de la Communauté française du 3 mai 2019 « portant diverses dispositions en matière d'enseignement obligatoire et de bâtiments scolaires », introduit par Didier Mercier et autres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges J.-P. Moerman, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne et D. Pieters, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite F. Daoût et de la juge émérite T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président émérite F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 30 décembre 2019 et parvenue au greffe le 31 décembre 2019, un recours en annulation de l'article 1er du décret de la Communauté française du 3 mai 2019 « portant diverses dispositions en matière d'enseignement obligatoire et de bâtiments scolaires » (publié au Moniteur belge du 1er juillet 2019) a été introduit par Didier Mercier, Frédéric Dermien, Antoine Bouko et Thomas Lallemand, assistés et représentés par Me I. Leroy, avocat au barreau de Charleroi. (...) II. En droit (...) Quant à la disposition attaquée et à son contexte B.1. Les parties requérantes demandent l'annulation de l'article 1er du décret de la Communauté française du 3 mai 2019 « portant diverses dispositions en matière d'enseignement obligatoire et de bâtiments scolaires » (ci-après : le décret du 3 mai 2019), qui dispose : « Dans l'article 2 de l'arrêté royal du 8 avril 1959 organisant le régime des prestations de surveillants et maîtres d'études des établissements d'enseignement moyen et technique de l'Etat, les alinéas 2 et 3 sont supprimés et remplacés par des alinéas rédigés comme suit : ' Pour la détermination de la durée du travail, les heures de présence des membres du personnel dans l'internat entre vingt-deux heures trente et six heures trente sont considérées comme du temps pendant lequel le membre du personnel est à la disposition de l'employeur et sont rémunérées à concurrence de quatre heures.

La durée hebdomadaire du travail, en comptabilisant toutes les heures de présence du travailleur dans l'internat en ce compris celles entre vingt-deux heures trente et six heures trente, ne peut dépasser 48 heures en moyenne sur une période de référence de dix mois commençant le 1er septembre et se terminant le 30 juin.

La période de référence visée à l'alinéa 1er est portée à douze mois commençant le 1er septembre et finissant le 31 août pour ce qui concerne les homes d'accueil permanent.

Le nombre de prestations des membres du personnel imposant de dormir sur place ne peut dépasser trois nuits par semaine en moyenne sur la période des dix mois. ' ».

Cette disposition provient d'un amendement, dont la justification est la suivante : « L'impact budgétaire important de la mise en application de la jurisprudence belge et la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes nécessite de procéder d'une manière progressive.

Dès lors et dans un premier temps, la nuit prestée par un éducateur d'internat sera comptabilisée pour quatre heures de service au lieu des trois heures actuelles.

Cet article permet de comptabiliser les prestations d'une nuit de huit heures à raison de quatre heures de service. Afin de faciliter l'organisation de ces prestations au sein des internats et des homes d'accueil concernés, le calcul des prestations est effectué sur une période de référence de dix mois commençant le 1er septembre et se terminant le 30 juin. Ces prestations ne pouvant pas dépasser une moyenne de 48 heures/semaine.

La Communauté flamande comptabilise les heures de nuit des éducateurs d'internats à raison de quatre heures de service. La nuit y est comptée pour huit heures. Le présent amendement met donc en place un régime similaire en Communauté française » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2018-2019, n° 825/2, p. 3).

Quant à la recevabilité du recours B.2. Le Gouvernement de la Communauté française soutient que les parties requérantes ne justifient pas d'un intérêt à leur recours dès lors qu'en cas d'annulation de la disposition attaquée, elles se retrouveraient dans une situation moins favorable. En effet, la disposition attaquée améliore leur situation en ce qu'elle prévoit que les prestations de nuit des éducateurs d'internat - dites « gardes dormantes » au motif que les éducateurs peuvent dormir sur leur lieu de travail tout en étant disponibles en cas de besoin - sont désormais comptabilisées pour quatre heures et rémunérées comme telles, contre trois heures auparavant.

Le Gouvernement flamand quant à lui estime que les parties requérantes justifient d'un intérêt à leur recours pour autant qu'elles établissent où elles sont effectivement employées et qu'elles relèvent donc de l'application de la disposition attaquée.

B.3.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.

B.3.2. En ce qu'elle fixe à 48 heures la durée de travail hebdomadaire maximale des éducateurs au sein des internats des établissements de l'enseignement secondaire général et technique de la Communauté française, durée dont le respect doit être contrôlé sur la base d'une période de référence de dix mois commençant le 1er septembre et se terminant le 30 juin, et en ce qu'elle prévoit que les prestations de nuit sont rémunérées à concurrence de quatre heures pour huit heures de présence effective, la disposition attaquée affecte directement et défavorablement la situation des parties requérantes, qui affirment travailler en tant qu'éducateurs au sein de tels internats.

A cet égard, il y a lieu de souligner qu'aucune disposition de la loi spéciale du 6 janvier 1989 ne contraint les parties requérantes à fournir la preuve de faits qu'elles allèguent pour justifier leur intérêt au recours lorsqu'une autre partie se borne à en contester l'existence sans avancer elle-même d'indications permettant de douter de leur réalité.

La circonstance que la disposition attaquée améliorerait, du moins sous certains aspects, la situation des parties requérantes par rapport à leur situation sous le régime précédemment applicable ne change en toute hypothèse rien au fait que la situation de ces parties est directement et défavorablement affectée par ladite disposition.

Une éventuelle annulation de celle-ci pourrait du reste amener le législateur décrétal à réexaminer les règles applicables à la matière concernée.

B.3.3. Les parties requérantes justifient donc de l'intérêt requis.

Quant à la recevabilité du mémoire en intervention du Gouvernement flamand B.4. Les parties requérantes font valoir que l'intervention du Gouvernement flamand doit être déclarée nulle et, partant, irrecevable, dès lors que le mémoire qu'il a introduit est rédigé en néerlandais, sous peine de violer l'article 63 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer « concernant l'emploi des langues en matière judiciaire » et les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.5. La loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer précitée n'est pas applicable aux procédures devant la Cour constitutionnelle. Contrairement à ce que les parties requérantes soutiennent, la langue dans laquelle le Gouvernement flamand doit déposer ses mémoires n'est pas déterminée par l'article 63 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, mais par l'article 62, alinéa 2, 2°, de cette même loi, qui prévoit que, dans les actes et déclarations, les Gouvernements utilisent leur langue administrative. Dès lors qu'il a été rédigé en néerlandais, le mémoire en intervention du Gouvernement flamand est recevable.

B.6. Il n'est pas nécessaire d'examiner en l'espèce si les articles 6 et 13 de la Convention européenne de droits de l'homme sont applicables, puisque les exigences que l'article 6 précité contient en matière de droit à un procès équitable valent comme principe général du droit.

La nature particulière du contentieux constitutionnel distingue une cour constitutionnelle des cours et tribunaux et des juridictions administratives. En effet, une cour constitutionnelle ne statue pas sur les prétentions des parties au procès, mais juge uniquement in abstracto si les dispositions législatives applicables sont conformes aux règles au regard desquelles elle peut procéder à un contrôle (CEDH, grande chambre, 22 octobre 1984, Sramek c. Autriche, § 35).

Le droit à un procès équitable dont jouit la partie qui introduit devant la Cour constitutionnelle un recours en annulation d'une norme législative n'implique pas le droit pour cette partie de recevoir un mémoire dans sa langue, ni une traduction d'un mémoire qui a été valablement déposé, dans une des trois langues nationales, par une autorité soumise à des obligations en termes d'emploi des langues.

Quant au fond B.7. Il ressort de l'exposé des moyens que les parties requérantes développent en substance deux griefs, qui portent respectivement sur la répartition des compétences, d'une part, et sur le principe d'égalité et de non-discrimination et sur le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, d'autre part. La Cour examine les deux griefs dans cet ordre.

En ce qui concerne la répartition des compétences B.8. Le premier grief est pris de la violation des articles 35, 36, 38, 74, 127 à 130 et 141 à 143 de la Constitution, ainsi que des articles 4, 4bis, 5, § 1er, et 87 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980).

Selon les parties requérantes, la compétence des communautés en matière d'enseignement ne s'étend pas aux règles relatives à la santé et à la sécurité au travail, qui relèvent de la compétence exclusive de l'autorité fédérale. En ce qu'elle règle la durée du travail des éducateurs d'internat, la disposition attaquée empièterait donc sur la compétence de l'autorité fédérale.

B.9.1. Les articles 36, 38, 127 et 128 de la Constitution disposent : «

Art. 36.Le pouvoir législatif fédéral s'exerce collectivement par le Roi, la Chambre des représentants et le Sénat ». «

Art. 38.Chaque communauté a les attributions qui lui sont reconnues par la Constitution ou par les lois prises en vertu de celle-ci ». «

Art. 127.§ 1. Les Parlements de la Communauté française et de la Communauté flamande, chacun pour ce qui le concerne, règlent par décret : [...] 2° l'enseignement, à l'exception : a) de la fixation du début et de la fin de l'obligation scolaire;b) des conditions minimales pour la délivrance des diplômes;c) du régime des pensions; [...] § 2. Ces décrets ont force de loi respectivement dans la région de langue française et dans la région de langue néerlandaise, ainsi qu'à l'égard des institutions établies dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale qui, en raison de leurs activités, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l'une ou à l'autre communauté ». «

Art. 128.§ 1. Les Parlements de la Communauté française et de la Communauté flamande règlent par décret, chacun en ce qui le concerne, les matières personnalisables, de même qu'en ces matières, la coopération entre les communautés et la coopération internationale, y compris la conclusion de traités.

Une loi adoptée à la majorité prévue à l'article 4, dernier alinéa, arrête ces matières personnalisables, ainsi que les formes de coopération et les modalités de conclusion de traités. § 2. Ces décrets ont force de loi respectivement dans la région de langue française et dans la région de langue néerlandaise, ainsi que, sauf si une loi adoptée à la majorité prévue à l'article 4, dernier alinéa, en dispose autrement, à l'égard des institutions établies dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale qui, en raison de leur organisation, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l'une ou à l'autre communauté ».

B.9.2. L'article 5, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 énumère les matières personnalisables visées à l'article 128, § 1er, de la Constitution pour lesquelles les communautés sont compétentes en ce qui concerne la politique de santé.

B.9.3. La requête n'expose pas en quoi la disposition attaquée violerait les articles 35, 74, 129, 130, 141, 142 et 143 de la Constitution et les articles 4, 4bis et 87 de la loi spéciale du 8 août 1980. Le grief est donc irrecevable en ce qu'il invoque la violation de ces dispositions.

B.10. La répartition des compétences en matière d'enseignement est réglée par l'article 127, § 1er, alinéa 1er, 2°, de la Constitution.

Les communautés ont la plénitude de compétence pour réglementer l'enseignement au sens le plus large du terme, sauf les trois exceptions énoncées dans cette disposition constitutionnelle, exceptions qui doivent s'interpréter de manière stricte. Cette compétence inclut entre autres celle de fixer les règles relatives au statut du personnel de l'enseignement, en ce compris le statut pécuniaire.

B.11. En vertu de l'article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 12°, de la loi spéciale du 8 août 1980, l'autorité fédérale est seule compétente en matière de droit du travail et de sécurité sociale. Il ressort en outre de l'article 6, § 1er, II, alinéa 1er, 3°, de cette loi spéciale que l'autorité fédérale est compétente en matière de protection du travail. Cette compétence inclut le bien-être au travail, y compris la protection de la santé des travailleurs et la durée du travail.

L'article 6, § 1er, II, alinéa 1er, 3°, et VI, alinéa 5, 12°, de la loi spéciale du 8 août 1980 ne peut toutefois pas porter atteinte à la compétence communautaire en matière d'enseignement, qui résulte directement de la Constitution. Cette disposition doit en effet être lue en combinaison avec l'article 127, § 1er, alinéa 1er, 2°, de la Constitution.

Il en découle qu'en matière de droit du travail et de protection du travail, l'autorité fédérale est compétente pour édicter les règles générales applicables à des catégories abstraites de travailleurs et d'employeurs, tandis que les communautés peuvent, au titre de leur compétence en matière d'enseignement, édicter des règles spécifiques applicables au personnel enseignant.

B.12. En ce qu'elle règle la situation juridique des éducateurs au sein des internats des établissements de l'enseignement secondaire général ou technique de la Communauté française, notamment en ce qui concerne la durée du travail et la comptabilisation des prestations pour la rémunération de ces éducateurs, la disposition attaquée relève de la compétence de la Communauté française en matière d'enseignement visée à l'article 127, § 1er, alinéa 1er, 2°, de la Constitution.

B.13. Le grief pris de la violation des règles répartitrices de compétences n'est pas fondé.

En ce qui concerne le principe d'égalité et le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables B.14. Le second grief est fondé sur la violation des articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 « concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail » (ci-après : la directive 89/391/CEE), avec la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 « concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail » (ci-après : la directive 2003/88/CE) et avec l'article 2 de la Charte sociale européenne révisée.

Les parties requérantes font grief à la disposition attaquée de prévoir que les gardes dormantes effectuées par les éducateurs d'internat qu'elle vise ne sont comptabilisées qu'à concurrence de quatre heures pour une présence effective de huit heures. Il en résulte que, pour une présence hebdomadaire effective de 60 heures comprenant trois gardes dormantes maximum, les éducateurs d'internat sont considérés comme n'ayant travaillé que 48 heures. Or, en vertu des directives précitées, telles qu'elles sont interprétées par la Cour de justice, toutes les heures pendant lesquelles un travailleur est à la disposition de son employeur doivent être considérées comme des heures de travail effectif. En outre, la période de référence pour calculer la durée de travail hebdomadaire moyenne est de dix mois. Il en résulterait une violation de l'article 23 de la Constitution et de l'article 2 de la Charte sociale européenne révisée, qui protègent le droit à une rémunération et à des conditions de travail équitables et qui interdisent le travail forcé.

Selon les parties requérantes, la disposition attaquée discrimine en outre les éducateurs d'internat qu'elle vise par rapport aux autres membres de la fonction publique, dès lors que les prestations de ces derniers ne peuvent en principe pas dépasser 38 heures par semaine, que la période de référence pour calculer la durée de travail hebdomadaire moyenne est de quatre mois et que tout dépassement de cette limite donne lieu à un repos compensatoire, rémunéré à due concurrence, conformément à l'article 8 de la loi du 14 décembre 2000Documents pertinents retrouvés type loi prom. 14/12/2000 pub. 05/01/2001 numac 2000002134 source ministere de la fonction publique Loi fixant certains aspects de l'aménagement du temps de travail dans le secteur public fermer « fixant certains aspects de l'aménagement du temps de travail dans le secteur public » (ci-après : la loi du 14 décembre 2000Documents pertinents retrouvés type loi prom. 14/12/2000 pub. 05/01/2001 numac 2000002134 source ministere de la fonction publique Loi fixant certains aspects de l'aménagement du temps de travail dans le secteur public fermer).

B.15. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu'en soit l'origine : les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination sont applicables à l'égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique ou du droit de l'Union européenne.

B.16.1. L'article 23 de la Constitution dispose : « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.

A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.

Ces droits comprennent notamment : 1° le droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle dans le cadre d'une politique générale de l'emploi, visant entre autres à assurer un niveau d'emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d'information, de consultation et de négociation collective;2° le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l'aide sociale, médicale et juridique; [...] ».

B.16.2. L'article 2 de la Charte sociale européenne révisée dispose : « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables, les Parties s'engagent : 1 à fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire, la semaine de travail devant être progressivement réduite pour autant que l'augmentation de la productivité et les autres facteurs entrant en jeu le permettent; 2 à prévoir des jours fériés payés; 3 à assurer l'octroi d'un congé payé annuel de quatre semaines au minimum; 4 à éliminer les risques inhérents aux occupations dangereuses ou insalubres et, lorsque ces risques n'ont pas encore pu être éliminés ou suffisamment réduits, à assurer aux travailleurs employés à de telles occupations soit une réduction de la durée du travail, soit des congés payés supplémentaires; 5 à assurer un repos hebdomadaire qui coïncide autant que possible avec le jour de la semaine reconnu comme jour de repos par la tradition ou les usages du pays ou de la région; 6 à veiller à ce que les travailleurs soient informés par écrit aussitôt que possible et en tout état de cause au plus tard deux mois après le début de leur emploi des aspects essentiels du contrat ou de la relation de travail; 7 à faire en sorte que les travailleurs effectuant un travail de nuit bénéficient de mesures qui tiennent compte de la nature spéciale de ce travail ».

B.16.3. Contrairement à ce que le Gouvernement flamand soutient, le grief est recevable en ce qu'il est pris de la violation de l'article 2 de la Charte sociale européenne révisée, dès lors que les parties requérantes exposent dans la requête en quoi la disposition attaquée violerait le droit à des conditions de travail équitables visé par cette disposition.

B.17. L'article 23 de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. A cette fin, les différents législateurs garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, dont le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, et ils déterminent les conditions de leur exercice. L'article 23 de la Constitution ne précise pas ce qu'impliquent ces droits dont seul le principe est exprimé, chaque législateur étant chargé de les garantir, conformément à l'alinéa 2 de cet article, en tenant compte des obligations correspondantes.

Il appartient de la même manière au législateur compétent de préciser le contenu du droit à des conditions de travail équitables garanti par l'article 2 de la Charte précitée.

L'article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement le degré de protection offert par la législation applicable sans qu'existent pour ce faire des motifs d'intérêt général.

B.18. Les parties requérantes ne précisent pas quelle disposition spécifique de la directive 89/391/CEE serait violée par la disposition attaquée. Le grief est dès lors irrecevable en ce qu'il est pris de la violation de cette directive.

B.19. L'article 2, point 1, de la directive 2003/88/CE dispose : « Aux fins de la présente directive, on entend par : 1. ' temps de travail ' : toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ». Les parties requérantes n'identifient pas d'autres dispositions dans cette directive.

B.20. Contrairement à ce que les parties requérantes prétendent, la durée de travail hebdomadaire maximale de 48 heures qui est fixée par la disposition attaquée prend en compte l'ensemble des heures de gardes dormantes prestées. L'article 2, alinéa 3, de l'arrêté royal du 8 avril 1959 « organisant le régime des prestations de surveillants et maîtres d'études des établissements d'enseignement moyen et technique de l'Etat », tel qu'il a été modifié par la disposition attaquée, prévoit en effet explicitement qu'il y a lieu de comptabiliser « toutes les heures de présence du travailleur dans l'internat en ce compris celles entre vingt-deux heures trente et six heures trente » pour calculer cette durée maximale. Par ailleurs, il ressort de l'article 2, alinéa 2, de l'arrêté royal précité, tel qu'il a été modifié par la disposition attaquée, qu'en cas de garde dormante, la prise en compte de quatre heures pour huit heures de présence effective ne vaut que pour la rémunération de ces gardes dormantes.

En ce qu'il allègue que les heures de gardes dormantes ne sont pas intégralement comptabilisées dans le calcul de la durée hebdomadaire de travail, le grief repose sur une prémisse erronée.

B.21. Les parties requérantes invitent la Cour à comparer la situation des éducateurs au sein des internats des établissements de l'enseignement secondaire général ou technique de la Communauté française et la situation des autres membres de la fonction publique, qui bénéficieraient d'un traitement plus favorable en ce qui concerne la durée de travail hebdomadaire maximale moyenne, y compris la période de référence utilisée pour le calcul de cette durée, et la rémunération des prestations, en vertu de la loi du 14 décembre 2000Documents pertinents retrouvés type loi prom. 14/12/2000 pub. 05/01/2001 numac 2000002134 source ministere de la fonction publique Loi fixant certains aspects de l'aménagement du temps de travail dans le secteur public fermer.

B.22. Les éducateurs d'internat se trouvent dans une situation objectivement différente de celle des autres membres de la fonction publique, eu égard à la nature particulière des prestations de ces éducateurs. En effet, dès lors que, pendant les gardes dormantes, l'éducateur d'internat dort sur son lieu de travail tout en restant disponible en cas de besoin, il n'est pas sans justification raisonnable que, d'une part, ces prestations fassent l'objet d'un traitement particulier sur le plan de la rémunération et que, d'autre part, les éducateurs d'internat soient soumis à une durée de travail hebdomadaire maximale plus longue que celle qui s'applique à des agents qui ne doivent pas accomplir des prestations analogues aux gardes dormantes.

La Cour de justice de l'Union européenne a jugé à cet égard que la directive 2003/88/CE, précitée, « se borne à réglementer certains aspects de l'aménagement du temps de travail, en sorte que, en principe, elle ne trouve pas à s'appliquer à la rémunération des travailleurs » (CJUE, ordonnance, 11 janvier 2007, C-437/05, Vorel c.

Nemocnice Cesky Krumlov, points 32 et 34; voy. aussi 1er décembre 2005, C-14/04, Dellas e.a. c. Premier ministre e.a., point 38). La Cour de justice a également jugé que « les directives 93/104 et 2003/88 ne s'opposent pas à l'application par un Etat membre d'une réglementation qui, aux fins de la rémunération du travailleur et s'agissant du service de garde effectué par celui-ci sur son lieu de travail, prend en compte de manière différente les périodes au cours desquelles des prestations de travail sont réellement effectuées et celles durant lesquelles aucun travail effectif n'est accompli, pour autant qu'un tel régime assure intégralement l'effet utile des droits conférés aux travailleurs par lesdites directives en vue de la protection efficace de la santé et de la sécurité de ces derniers » (CJUE, 11 janvier 2007, C-437/05, Vorel, précité, point 35).

Les parties requérantes n'apportent aucun élément susceptible de mettre en doute le caractère raisonnable de la mesure, tant en ce qui concerne la comptabilisation des heures dans le cadre du calcul de la rémunération qu'en ce qui concerne la fixation de la durée de travail hebdomadaire maximale à 48 heures. Il y a lieu, à cet égard, de souligner que le calcul des prestations sur une période de référence de dix mois commençant le 1er septembre et se terminant le 30 juin est raisonnablement justifié par l'objectif de « faciliter l'organisation de ces prestations au sein des internats et des homes d'accueil concernés » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2018-2019, n° 825/2, p. 3). Par ailleurs, le fait de ne pas prendre en compte l'intégralité des heures de travail prestées en cas de garde dormante pour le calcul de la rémunération ne rend pas en soi inéquitable la rémunération des travailleurs concernés et ne revient pas à assujettir ceux-ci à un régime de travail forcé.

B.23. Pour le reste, les parties requérantes n'établissent pas concrètement en quoi la disposition attaquée entraînerait pour les éducateurs concernés un recul significatif du degré de protection du droit à une rémunération et à des conditions de travail équitables qui ne pourrait pas être justifié par les motifs d'intérêt général mentionnés en B.22.

B.24. Le second grief n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 30 septembre 2021.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût

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