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Arrêt
publié le 04 avril 2012

Extrait de l'arrêt n° 197/2011 du 22 décembre 2011 Numéro du rôle : 5137 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 44, 45 et 75 de la loi sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006, po La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges E. De(...)

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Extrait de l'arrêt n° 197/2011 du 22 décembre 2011 Numéro du rôle : 5137 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 44, 45 et 75 de la loi sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006, posées par la Cour d'appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président R. Henneuse, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 6 avril 2011 en cause de la SA de droit public « Belgacom », en présence de l'auditorat auprès du Conseil de la concurrence, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 avril 2011, la Cour d'appel de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 75 de la loi sur la protection de la concurrence économique coordonnée du 15 septembre 2006 (LPCE), interprété en ce sens qu'il exclut d'un recours devant la Cour d'appel de Bruxelles, les décisions prises ou les actes commis par l'Auditorat auprès du Conseil de la Concurrence dans le cadre d'une procédure d'instruction relative à des pratiques restrictives de concurrence, étant donné qu'aucune autre instance juridictionnelle ne peut connaître d'un tel recours, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution et les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que le droit à un contrôle juridictionnel effectif devant un juge indépendant au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial garanti par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ? 2. Si la réponse à la première question est positive, les articles 44, 45 et 75 de la LPCE violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution et les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que le droit à un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme en ce que la cour d'appel est tenue de se prononcer sur la régularité ou la nullité des actes d'instruction relatifs à des pratiques restrictives de concurrence, sans qu'un cadre légal garantissant les droits de l'entreprise n'indique les principes et modalités suivant lesquels ce contrôle juridictionnel doit être effectué, alors qu'au cas où ces mêmes actes d'instruction seraient commis dans le cadre d'une instruction criminelle, la personne concernée dispose de droits conférés par la loi, et notamment par les articles 131 et 235bis du Code d'instruction criminelle ? ». (...) III. En droit (...) B.1. Les articles 44, 45 et 75 de la loi sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006 (ci-après : LPCE), disposent : «

Art. 44.§ 1er. L'instruction des affaires par l'Auditorat se fait : 1° sur demande des intéressés visés à l'article 9 dans le cas d'une concentration notifiée;2° d'office ou à la demande du ministre ou sur plainte d'une personne physique ou morale démontrant un intérêt direct et actuel dans le cas d'une infraction aux articles 2, § 1er, 3, 9, § 1er, ou en cas de non-respect d'une décision prise en vertu des articles 9, § 5, 52, 53, 58 ou 59;3° sur demande du ministre des Classes moyennes, d'un organisme public ou d'une autre institution publique spécifique, chargés du contrôle ou de la surveillance d'un secteur économique dans le cas d'une infraction à l'article 2, § 1er, à l'article 3 ou à l'article 9, § 1er;4° d'office, sur demande du ministre ou de l'assemblée générale du Conseil en vue d'un arrêté royal d'exemption par catégorie d'accords, de décisions et de pratiques concertées sur la base de l'article 50;5° sur demande de la Cour d'appel de Bruxelles dans le cas de l'application de l'article 76, § 2. § 2. Dans l'accomplissement des tâches qui leur sont assignées, les auditeurs peuvent recueillir tous les renseignements nécessaires auprès des entreprises et des associations d'entreprises. Ils fixent le délai dans lequel ces renseignements doivent leur être communiqués.

Lorsque les auditeurs adressent une demande de renseignements à une entreprise ou une association d'entreprises, ils indiquent la base juridique et le but de leur demande.

Si une entreprise ou une association d'entreprises ne fournit pas les renseignements dans le délai imparti par l'auditeur ou les fournit de façon incomplète, inexacte ou dénaturée, l'auditeur peut exiger les renseignements par décision motivée.

Cette décision précise les renseignements demandés et fixe le délai dans lequel les renseignements doivent être fournis. Lorsque la décision de demande de renseignements est adressée à l'une des entreprises notifiantes, elle suspend en outre les délais visés à l'article 58 jusqu'au jour de la fourniture des renseignements ou au plus tard le jour de l'expiration du délai fixé par l'auditeur.

L'auditeur notifie sa décision aux entreprises desquelles les renseignements sont exigés. § 3. Sans préjudice des pouvoirs des officiers de police judiciaire, les auditeurs et les fonctionnaires de la Direction générale de la concurrence commissionnés par le ministre sont compétents pour rechercher les infractions à la présente loi et pour constater ces infractions par des procès-verbaux faisant foi jusqu'à preuve du contraire.

Ils sont aussi compétents pour rechercher toute information utile et pour faire toute constatation nécessaire en vue de l'application des articles 6 à 10.

Dans l'exercice des missions qui leur sont confiées, ils sont soumis à la surveillance du procureur général.

Ils recueillent tous renseignements, reçoivent toutes dépositions ou tous témoignages écrits ou oraux, se font communiquer, quel qu'en soit le détenteur, tous documents ou éléments d'information qu'ils estiment nécessaires à l'accomplissement de leur mission et dont ils peuvent prendre copie et procèdent sur place aux constatations nécessaires.

Ils peuvent procéder à des perquisitions : 1° au domicile des chefs d'entreprise, administrateurs, gérants, directeurs, et autres membres du personnel ainsi qu'au domicile et dans les locaux professionnels des personnes physiques ou morales, internes ou externes, chargées de la gestion commerciale, comptable, administrative, fiscale et financière, entre 8 et 18 heures, avec l'autorisation préalable d'un juge d'instruction;2° dans les locaux, moyens de transport et autres lieux des entreprises où ils ont des raisons de croire qu'ils trouveront des documents ou éléments d'information qu'ils estiment nécessaires à l'accomplissement de leur mission et dont ils peuvent prendre copie, entre 8 et 18 heures, avec l'autorisation préalable du président du Conseil de la concurrence ou par un membre de l'assemblée générale du Conseil qui y est mandaté par le président. Dans l'accomplissement de leur mission, ils peuvent saisir sur place et apposer des scellés pour la durée de leur mission et dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de celle-ci, sans pouvoir excéder 72 heures, dans des locaux autres que ceux des entreprises ou d'associations d'entreprises. Ces mesures sont constatées dans un procès-verbal. Une copie de ce procès-verbal est remise à la personne qui a fait l'objet de ces mesures.

Dans l'accomplissement de leur mission, ils peuvent requérir la force publique.

Pour procéder à une perquisition, une saisie ou une apposition de scellés, les fonctionnaires visés à l'alinéa 1er doivent en outre être porteurs d'un ordre de mission spécifique délivré par l'auditeur. Cet ordre de mission précise l'objet et le but de leur mission.

Les auditeurs peuvent commettre des experts dont ils déterminent la mission consultative. Les auditeurs peuvent aussi avoir recours aux fonctionnaires de la Direction générale du Contrôle et de la Médiation du Service public fédéral Economie, P.M.E., Classes moyennes et Energie. § 4. Nonobstant les lois particulières qui garantissent le secret des déclarations, les administrations publiques prêtent leur concours aux auditeurs et aux fonctionnaires de la Direction générale de la concurrence dans l'exécution de leur mission. § 5. Dans l'exercice de leur mission d'instruction, les auditeurs, les fonctionnaires de la Direction générale de la concurrence et les fonctionnaires de la Direction générale du Contrôle et de la Médiation se conforment pour : 1° l'audition des personnes, aux dispositions de l'article 31, alinéa 3 excepté, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant l'emploi des langues en matière judiciaire;2° la rédaction des convocations, procès-verbaux et rapports, aux dispositions de l'article 11 de la même loi.Lorsque plusieurs personnes font l'objet de l'instruction, le rapport de l'auditeur visé à l'article 45, § 4, sera rédigé dans la langue de la majorité établie en tenant compte des dispositions dudit article 11. En cas de parité, il sera fait usage de l'une des langues nationales suivant les besoins de la cause. § 6. Avant de transmettre au Conseil le rapport motivé visé aux articles 45, § 4, 55, § 4, 59, § 2, ou 62, § 5, l'Auditorat ou l'auditeur établit un inventaire de tous les documents et données rassemblés au cours de l'instruction, et se prononce sur leur confidentialité.

Le caractère confidentiel des données et documents est déterminé à l'égard de chaque personne physique ou morale qui prend connaissance du rapport motivé. § 7. Lorsque l'Auditorat ou l'auditeur est d'avis que des données qui ont été qualifiées de confidentielles par les personnes physiques ou morales qui les ont fournies, n'ont pas de caractère confidentiel vis-à-vis de l'entreprise concernée, il en avertit par lettre, télécopie ou courrier électronique les personnes physiques ou morales ayant fourni ces données et les invite à prendre position sur ce point par lettre, télécopie ou courrier électronique dans le délai fixé par lui.

L'Auditorat ou l'auditeur se prononce ensuite. L'Auditorat ou l'auditeur peut décider que l'intérêt d'une application effective de la présente loi l'emporte sur la protection du caractère confidentiel des données en cause. L'Auditorat ou l'auditeur notifie sa décision aux personnes physiques ou morales ayant fourni ces données.

Lorsque l'Auditorat ou l'auditeur accepte le caractère confidentiel des données, il demande, dans le délai qu'il fixe, à la personne physique ou morale ayant fourni les données, d'établir un résumé ou une version non confidentiel du document en cause, pour autant qu'un tel résumé ou version ne se trouve pas déjà au dossier. Les documents confidentiels sont ensuite retirés du dossier et remplacés par le résumé ou version non confidentiel.

Lorsque l'Auditorat ou l'auditeur n'accepte pas le caractère confidentiel des données, il en informe la personne physique ou morale ayant fourni les données en mentionnant les raisons pour lesquelles ces données ne peuvent être considérées comme confidentielles. Cette communication se fait par lettre, télécopie ou courrier électronique. § 8. La personne physique ou morale ayant fourni lesdites données peut, dans un délai de dix jours suivant la communication de la décision de l'Auditorat ou de l'auditeur, former un recours contre cette décision auprès du Conseil. Le délai est de deux jours ouvrables dans l'hypothèse d'une instruction ou décision en matière de concentration.

Un conseiller du Conseil, désigné par le président, qui ne siégera pas par la suite au sein de la chambre qui connaît de l'affaire, se prononce dans un délai de dix jours sur le recours. Le délai est de deux jours ouvrables dans l'hypothèse d'une instruction ou décision en matière de concentration. Un appel distinct ne peut être interjeté devant la Cour d'appel de Bruxelles contre pareille décision. § 9. L'Auditorat ou l'auditeur ne peut communiquer aucune donnée confidentielle tant que le conseiller du Conseil ne s'est pas prononcé sur le recours.

Art. 45.§ 1er. Les plaintes et les demandes relatives aux pratiques restrictives de concurrence sont introduites devant l'Auditorat. § 2. S'il conclut à l'irrecevabilité ou au non-fondement de la plainte ou de la demande, l'Auditorat classe la plainte ou la demande par décision motivée. L'auditorat peut aussi classer une plainte ou une demande par décision motivée eu égard à la politique de priorités et les moyens disponibles. Une décision de classement est notifiée, par voie de lettre recommandée, au plaignant ou au requérant en lui indiquant qu'il peut consulter le dossier auprès du greffe, en obtenir copie contre paiement et qu'il peut intenter un recours contre la décision de classement auprès du Conseil. § 3. Le recours visé au § 2, est intenté, à peine de nullité, par requête motivée et signée, déposée auprès du greffe dans les trente jours de la notification de la décision. La requête remplit, à peine de nullité, les conditions prévues à l'article 76, § 2, alinéa 3, 1° à 3°, 5° et 7°. La chambre du Conseil se prononce sur pièces. La décision de la chambre du Conseil n'est pas susceptible de recours ou d'opposition. Si la chambre estime que le recours est fondé, le dossier est renvoyé à l'Auditorat pour instruction et rapport à la chambre. § 4. Lorsque l'Auditorat estime que la plainte ou la demande ou, le cas échéant, une enquête d'office, est fondée, l'auditeur dépose au nom de l'Auditorat, un rapport motivé auprès de la chambre du Conseil.

Ce rapport comprend le rapport d'instruction, les griefs et une proposition de décision; il est accompagné du dossier d'instruction et d'un inventaire des pièces le composant. L'inventaire détermine la confidentialité des pièces à l'égard de chacune des parties ayant accès au dossier.

Le rapport comprend également une proposition motivée de réglementation au sens du deuxième alinéa de l'article 50, § 1er, si l'auditeur estime que les faits concrets nécessitent une réglementation générale ». «

Art. 75.Les décisions du Conseil de la concurrence et de son président ainsi que les décisions tacites d'admissibilité de concentrations par écoulement des délais visés aux articles 58 et 59 peuvent faire l'objet d'un recours devant la Cour d'appel de Bruxelles, sauf lorsque le Conseil de la concurrence statue en application de l'article 79.

La Cour d'appel statue avec un pouvoir de pleine juridiction sur les pratiques restrictives supposées et, le cas échéant, sur les sanctions imposées ainsi que sur l'admissibilité des concentrations. La Cour d'appel peut prendre en considération les développements survenus depuis la décision attaquée du Conseil.

La Cour d'appel peut imposer des amendes et des astreintes selon les dispositions visées à la Section 8 du Chapitre IV ».

B.2. La première question préjudicielle porte sur l'article 75 de la LPCE, interprété comme n'ouvrant pas de recours devant la Cour d'appel de Bruxelles contre les décisions et actes de l'auditorat auprès du Conseil de la concurrence dans le cadre d'une procédure d'instruction portant sur des pratiques restrictives de concurrence; à défaut de recours juridictionnel, il serait ainsi porté atteinte aux articles 10 et 11 de la Constitution et aux articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi qu'au droit à un contrôle juridictionnel effectif par un juge indépendant au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et au droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial garanti par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Il apparaît des faits de l'espèce, d'une part, que les actes et décisions de l'auditorat concernent des saisies effectuées lors de perquisitions menées en vertu d'une autorisation préalable délivrée par le président du Conseil de la concurrence sur la base de l'article 44, § 3, alinéa 5, 2°, de la LPCE et, d'autre part, que le juge a quo a interdit à l'auditorat de transmettre à l'équipe d'enquête, aux conditions indiquées par l'arrêt a quo et dans l'attente de la réponse de la Cour, les données électroniques ayant fait l'objet de la saisie.

La Cour limite son examen à cette hypothèse.

B.3. La seconde question préjudicielle porte sur les articles 44, 45 et 75 de la LPCE et suppose que soit donnée, à la première question, une réponse positive impliquant que la Cour d'appel de Bruxelles serait compétente pour connaître des recours contre les décisions et actes précités de l'auditorat : en ce que, faute de disposition réglant l'exercice de ce contrôle et les droits des intéressés, ceux-ci seraient soumis à un traitement différent de celui prévu, notamment, par les articles 131 et 235bis du Code d'instruction criminelle, pour les personnes concernées par une instruction criminelle, les dispositions en cause porteraient atteinte aux articles 10 et 11 de la Constitution, aux articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.4. Compte tenu de leur connexité, les deux questions sont examinées ensemble.

B.5. La Cour n'est pas compétente pour contrôler directement des normes législatives au regard de dispositions conventionnelles.

Toutefois, parmi les droits et libertés garantis par les articles 10 et 11 de la Constitution figurent les droits et libertés résultant de dispositions conventionnelles internationales liant la Belgique. Tel est le cas des dispositions conventionnelles mentionnées par les deux questions préjudicielles. En ce que celles-ci se réfèrent à ces dispositions conventionnelles, combinées avec les articles 10 et 11 de la Constitution, elles sont recevables.

B.6. La LPCE interdit les pratiques restrictives de concurrence définies par ses articles 2 et 3 et subordonne à l'approbation préalable du Conseil de la concurrence qu'elle crée les opérations de concentration qu'elle définit à l'article 6.

Le Conseil de la concurrence est une juridiction administrative; il est composé de l'assemblée générale, de l'auditorat et du greffe (article 11); il est divisé en chambres de trois conseillers (article 19) habilitées à statuer par voie de décision motivée sur toutes les affaires dont le Conseil est saisi (article 20). Les auditeurs sont, notamment, chargés de recevoir et de classer les plaintes et les demandes de mesures provisoires, de diriger et d'organiser l'instruction suivant les règles établies par les articles 44 et 45 et de se prononcer sur le caractère confidentiel des données fournies (article 29). Les auditeurs peuvent recueillir tous les renseignements nécessaires auprès des entreprises (article 44, § 2), sont compétents pour rechercher et constater les infractions à la LPCE et pour recueillir tous renseignements qu'ils estiment nécessaires à l'accomplissement de leur mission; ils peuvent procéder à des perquisitions, saisir sur place et apposer des scellés dans les conditions prévues par la LPCE, requérir la force publique et commettre des experts (article 44, § 3).

Les décisions en matière de pratiques restrictives de concurrence font l'objet d'une procédure contradictoire (article 48) et sont motivées (article 52); il en est de même des décisions en matière de concentration (articles 55, 57 et 58). Le président ou le conseiller qu'il délègue peut prendre des mesures provisoires (article 62). Des amendes et astreintes peuvent être infligées (articles 63 à 66). Les décisions font l'objet d'une publication et d'une notification (articles 67 et 68) et peuvent faire l'objet d'un recours devant la Cour d'appel de Bruxelles. Celle-ci statue avec un pouvoir de pleine juridiction sur les pratiques restrictives supposées, sur les sanctions imposées et sur l'admissibilité des concentrations et peut imposer des amendes et astreintes (article 75). Elle peut, notamment, demander à l'auditorat de procéder à une instruction (article 76, § 2, alinéa 8) et ses arrêts peuvent faire l'objet d'un pourvoi en cassation (article 78). Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître des décisions du Conseil des ministres en matière de concentrations (article 77).

B.7. Il résulte du libellé de la première question préjudicielle comme de la motivation de la décision par laquelle la Cour est saisie que le juge a quo considère que les actes et décisions de l'auditorat ne peuvent faire l'objet du recours devant la Cour d'appel de Bruxelles prévu à l'article 75 de la LPCE. Celui-ci vise, en effet, les « décisions du Conseil de la concurrence et de son président » alors que la loi prévoit des recours distincts devant le Conseil ou son président contre certaines décisions de l'auditorat, en tant que tel, en ce qui concerne le caractère confidentiel de certaines données (article 44, § 8), le classement des plaintes (article 45, § 2) ou des demandes de mesures provisoires (article 62, § 3).

B.8. Les dispositions en cause sont issues de deux lois du 10 juin 2006, l'une sur la protection de la concurrence économique, l'autre instituant le Conseil de la concurrence, coordonnées ensuite par l'arrêté royal du 15 septembre 2006. Lors de l'examen conjoint de leurs dispositions par la Chambre des représentants, le ministre a indiqué qu'elles visaient à « développer un système adapté de surveillance de la concurrence », compte tenu de ce que les dispositions en vigueur depuis 1991 n'avaient pas fait disparaître des « pratiques anticoncurrentielles [entravant] le bon fonctionnement du marché » (Doc. parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-2180/004, p. 3).

B.9. Les mesures adoptées en vue d'atteindre cet objectif comprennent celle par laquelle le corps des rapporteurs constitué par les dispositions antérieures est transformé en un auditorat indépendant créé auprès du Conseil (Doc. parl., Sénat, 2005-2006, n° 3-1665/2, p. 3) dont les pouvoirs sont par ailleurs renforcés afin de raccourcir les procédures puisqu'il peut désormais se prononcer sur la confidentialité des pièces du dossier et exiger des renseignements (Doc.parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-2180/001, p. 23).

Ce faisant, le législateur a entendu garantir le droit de défense des entreprises concernées en ce qui concerne cette confidentialité et la protection des secrets d'affaires, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (ibid., pp. 26, 27 et 57).

B.10. Plus généralement, tout en relevant la compétence de pleine juridiction que l'article 75 de la loi en cause confère à la Cour d'appel de Bruxelles (ibid., pp. 32 et 68) et le caractère inquisitoire de la procédure (ibid., DOC 51-2180/004, p. 11), le législateur a indiqué que les décisions du Conseil de la concurrence « peuvent s'immiscer de manière particulièrement profonde dans la structure du marché ainsi que dans l'organisation et la structure économique d'une entreprise » (ibid., DOC 51-2180/001, p. 69). Il a été observé, à cet égard, que l'auditorat disposait de larges pouvoirs compte tenu du caractère d'ordre public du droit de la concurrence (ibid., p. 49), le Conseil ayant lui-même mis en exergue l'aspect pénal de cette législation (ibid., p. 27); le rôle du rapporteur - désormais auditeur - a été considéré comme celui d'un enquêteur et d'un procureur (ibid., p. 25) et comparé à celui du parquet (ibid., DOC 51-2180/004, pp. 30 et 36), le plaignant n'ayant pas la maîtrise de la conduite de la procédure, à la différence du procès civil, compte tenu de la nécessité de protéger l'intérêt économique général reposant sur la libre concurrence (ibid., DOC 51-2180/001, pp. 13 et 14).

B.11. Les droits garantis par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne impliquent, en ce qui concerne des mesures telles que celles qui sont contestées devant le juge a quo, que les intéressés puissent obtenir, dans un délai raisonnable, un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la mesure ainsi que, le cas échéant, des mesures prises sur la base de cette décision; cette procédure de contrôle doit permettre, en cas de constat d'irrégularité, soit de prévenir la survenance de l'opération, soit, si elle a déjà eu lieu, de fournir aux intéressés un redressement approprié (CEDH, 21 mai 2008, Ravon et autres c. France, § 28, et 21 décembre 2010, Société Canal Plus et autres c. France, § § 36 et 40).

B.12.1. Les dispositions en cause n'offrent pas la possibilité d'un contrôle juridictionnel - devant la Cour d'appel de Bruxelles ou devant une autre juridiction - sur les mesures prises par l'auditorat telles que celles qui sont contestées devant le juge a quo; or, comme il a été indiqué en B.10, la réglementation qui les prévoit a été présentée comme ayant un caractère d'intérêt général ou d'ordre public pour justifier le caractère contraignant de ces mesures et le renforcement des pouvoirs de l'auditorat. Cette réglementation peut aboutir à ce que, faute de recours immédiat, des pièces et éléments irréguliers puissent continuer à être accessibles jusqu'à ce que l'instruction de l'affaire soit achevée et soumise au juge compétent, voire à ce que celui-ci puisse être influencé par eux, alors que ces pièces et éléments peuvent être de nature à faire grief à ceux qui font l'objet des mesures prises par l'auditorat. Certes, la circonstance que ces pièces et éléments ont été obtenus illicitement a pour seule conséquence que le juge, lorsqu'il forme sa conviction, ne peut les prendre ni directement ni indirectement en considération soit lorsque le respect de certaines conditions de forme est prescrit à peine de nullité, soit lorsque l'irrégularité commise a entaché la crédibilité de la preuve, soit lorsque l'usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable. Néanmoins, les dispositions en cause portent, compte tenu des exigences indiquées en B.11, une atteinte discriminatoire au droit à une protection juridictionnelle effective que les intéressés tirent des dispositions visées par la question préjudicielle en ce qu'il ne leur est pas possible de prévenir la survenance de la mesure par laquelle, comme en l'espèce, des données feraient l'objet d'une communication qui serait de nature à leur faire grief. Cette atteinte ne peut être justifiée par le souci de garantir un traitement rapide des dossiers.

Sans doute les procédures en cause peuvent-elles aboutir à ce qu'il soit constaté que les entreprises qu'elles concernent ne se sont pas rendues coupables de pratiques restrictives de concurrence, ce qui peut constituer le redressement adéquat visé en B.11. Toutefois, pour que cela soit le cas, il faut que ces entreprises ne soient plus lésées et que toute conséquence préjudiciable pour elles soit effacée.

B.12.2. Dans cette interprétation, la première question préjudicielle appelle une réponse positive.

B.13.1. La Cour constate cependant que l'article 75 de la LPCE peut faire l'objet d'une autre interprétation que celle indiquée en B.7.

Il résulte en effet de ce qui a été indiqué en B.2 que les actes et décisions en cause ont trait à une saisie effectuée lors d'une perquisition ayant fait l'objet d'une autorisation accordée par le président du Conseil de la concurrence, de sorte qu'ils doivent être considérés comme trouvant leur fondement dans cette autorisation. Or, le libellé de l'article 75 ne s'oppose pas à ce que la compétence de la Cour d'appel de Bruxelles portant sur les décisions du Conseil de la concurrence et son président inclue les mesures prises sur leur fondement par la composante du Conseil que constitue, en vertu de l'article 11, § 2, de la LPCE, l'auditorat.

B.13.2. Dans cette interprétation, les dispositions en cause ne violent pas les normes auxquelles la première question préjudicielle se réfère.

B.14. C'est au législateur qu'il appartient d'organiser le contrôle juridictionnel visé en B.12 et prévu par l'article 75, en cause dans l'interprétation indiquée en B.13.1.

B.15. Les dispositions en cause n'indiquent pas les modalités selon lesquelles le contrôle juridictionnel doit être exercé. Elles créent ainsi une différence de traitement entre les justiciables qui sont soumis à ce contrôle et ceux qui, dans le cadre d'une instruction pénale, peuvent invoquer les garanties prévues par la loi, telles celles inscrites aux articles 131 et 235bis du Code d'instruction criminelle. Pour les mêmes motifs, mutatis mutandis, que ceux indiqués en B.12, cette différence de traitement est discriminatoire.

B.16. Dans cette interprétation, la seconde question préjudicielle appelle une réponse positive.

B.17. La Cour constate cependant que les dispositions en cause peuvent faire l'objet d'une autre interprétation. Il ressort, en effet, des éléments indiqués en B.6 et B.10 que la perquisition et la saisie qui ont donné lieu au litige dont la Cour d'appel est saisie peuvent être comparées à celles qui sont menées lors d'une instruction pénale. Il ressort par ailleurs de l'arrêt a quo que, statuant sur le règlement provisoire de la situation qui lui est soumise, le juge a quo a constaté qu'il était, « dans l'état actuel de la législation nationale, la seule juridiction indépendante au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme à laquelle Belgacom puisse avoir recours pour connaître de ses griefs ».

Dans l'attente d'une intervention du législateur, il peut être admis qu'il appartient au juge a quo, compte tenu de ces éléments, de déterminer les modalités de ce contrôle en ayant égard, le cas échéant, aux articles 131 et 235bis du Code d'instruction criminelle.

B.18. Dans cette interprétation, la seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Les articles 44, 45 et 75 de la loi sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006, violent les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec les articles 20, 21 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, s'ils sont interprétés comme excluant d'un recours juridictionnel les actes ou décisions de l'auditorat auprès du Conseil de la concurrence concernant des saisies effectuées lors de perquisitions menées dans le cadre d'une procédure d'instruction relative à des pratiques restrictives de concurrence. - Les mêmes dispositions ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec les articles 20, 21 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, si elles sont interprétées comme n'excluant pas d'un recours devant la Cour d'appel de Bruxelles les actes ou décisions de l'auditorat auprès du Conseil de la concurrence concernant des saisies effectuées lors de perquisitions menées dans le cadre d'une procédure d'instruction relative à des pratiques restrictives de concurrence. - Les mêmes dispositions violent les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, si elles sont interprétées comme imposant à la Cour d'appel de Bruxelles de se prononcer sur la régularité ou la nullité des actes d'instruction relatifs à des pratiques restrictives de concurrence sans qu'un cadre législatif garantissant les droits de l'entreprise n'indique les principes et modalités suivant lesquels ce contrôle juridictionnel doit être effectué. - Les mêmes dispositions ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, si elles sont interprétées comme permettant à la Cour d'appel de Bruxelles de déterminer les modalités du contrôle juridictionnel prévu à l'article 75 précité en ayant égard, le cas échéant, aux articles 131 et 235bis du Code d'instruction criminelle.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 22 décembre 2011.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, R. Henneuse.

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