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Arrêt
publié le 03 mars 2023

Extrait de l'arrêt n° 118/2022 du 29 septembre 2022 Numéro du rôle : 7590 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 46bis du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, tel qu'il est applicable en Région de B La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet,(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 118/2022 du 29 septembre 2022 Numéro du rôle : 7590 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 46bis du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, tel qu'il est applicable en Région de Bruxelles-Capitale, posée par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et W. Verrijdt, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite J.-P. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 12 mai 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 1er juin 2021, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 46bis du Code des droits d'enregistrement applicable en Région de Bruxelles-Capitale, dans sa version en vigueur à la date du 28 décembre 2009 (date de l'acquisition d'un bien constituant le fait générateur des droits litigieux), viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus seuls ou en combinaison avec l'article 172 de la Constitution et le principe général de droit applicable en droit fiscal selon lequel la rigueur de la loi est tempérée en cas de force majeure, en ce que les acquéreurs visés par cette disposition se trouvant pour cause de force majeure dans l'incapacité de respecter la condition d'établissement de leur résidence principale à l'endroit de l'immeuble acquis dans les deux ans, prévue par l'alinéa 6, 2°, b), ne sont pas exonérés des droits d'enregistrement complémentaires, l'alinéa 8 de cette disposition prévoyant seulement que l'amende n'est pas due lorsque le non-respect de l'engagement résulte de la force majeure, - alors que les acquéreurs visés par cette disposition qui sont confrontés à un cas de force majeure les empêchant de respecter la condition de maintien de leur résidence principale dans la Région de Bruxelles-capitale (ou dans l'immeuble acquis, suivant le texte applicable à partir du 1er janvier 2013) pendant une durée ininterrompue d'au moins cinq ans, prévue par l'alinéa 6, 2°, c), sont exonérés du paiement de l'amende et des droits d'enregistrement complémentaires (dernier alinéa de l'article 46bis); - et alors que, de manière plus large, sur la base du principe général selon lequel la rigueur de la loi est tempérée en cas de force majeure, sauf dérogation justifiée, les personnes qui sont empêchées par force majeure de respecter une condition prévue par la loi fiscale peuvent prétendre à une dispense du prélèvement ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 46bis du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe tel qu'il est applicable dans la Région de Bruxelles-Capitale. Dans sa version applicable au litige pendant devant la juridiction a quo, cet article disposait : « En ce qui concerne les ventes, la base imposable déterminée conformément aux articles 45 et 46 est réduite de 60.000 euros en cas d'acquisition par une personne physique de la totalité en pleine propriété d'un immeuble affecté ou destiné en tout ou en partie à l'habitation, en vue d'y établir la résidence principale de l'acquéreur.

Le même abattement est applicable en cas d'acquisition par deux ou plusieurs personnes physiques de la totalité en pleine propriété d'un immeuble affecté ou destiné en tout ou en partie à l'habitation en vue d'y établir la résidence principale commune des acquéreurs.

Pour l'application de cet article, est considérée comme résidence principale, sauf preuve contraire, l'adresse à laquelle les acquéreurs sont inscrits dans le registre de la population ou dans le registre des étrangers. La date d'inscription dans ces registres vaut comme date d'établissement de la résidence principale.

L'abattement prévu aux alinéas 1 et 2 est porté à 75.000 euros lorsque l'acquisition concerne un immeuble situé dans un espace de développement renforcé du logement et de la rénovation, tel que délimité dans le Plan régional de développement pris en exécution des articles 16 à 24 de l'ordonnance du 29 août 1991 organique de la planification et de l'urbanisme.

La réduction de la base imposable ne s'applique pas en cas d'acquisition d'un terrain à bâtir. Cette exclusion ne s'applique pas pour l'acquisition d'un appartement en construction ou sur plan.

La réduction de la base imposable est subordonnée aux conditions suivantes : 1° l'acquéreur ne peut posséder, à la date de la convention d'acquisition, la totalité en pleine propriété d'un autre immeuble destiné en tout ou en partie à l'habitation;lorsque l'acquisition est faite par plus d'une personne, chaque acquéreur doit remplir cette condition et, en outre, les acquéreurs ne peuvent posséder ensemble la totalité en pleine propriété d'un autre immeuble destiné en tout ou en partie à l'habitation; 2° dans ou au pied du document qui donne lieu à la perception du droit d'enregistrement proportionnel ou dans un écrit signé joint à ce document, les acquéreurs sont tenus de : a) déclarer qu'ils remplissent la condition visée au 1° de cet alinéa;b) s'engager à établir leur résidence principale à l'endroit de l'immeuble acquis : - s'il s'agit d'une habitation existante, dans les deux ans : - soit de la date de l'enregistrement du document qui donne lieu à la perception du droit d'enregistrement proportionnel, lorsque ce document est présenté à l'enregistrement dans le délai prévu à cet effet; - soit de la date limite pour la présentation à l'enregistrement, lorsque ce document est présenté à l'enregistrement après l'expiration du délai prévu à cet effet; - s'il s'agit d'un appartement en construction ou sur plan, dans les trois ans de la même date. c) s'engager à maintenir leur résidence principale dans la Région de Bruxelles-Capitale pendant une durée ininterrompue d'au moins cinq ans à compter de la date de l'établissement de leur résidence principale dans l'immeuble pour lequel la réduction a été obtenue. S'il s'avère que la déclaration visée au 2°, a), de l'alinéa 6, est inexacte, les acquéreurs sont indivisiblement tenus au paiement des droits complémentaires sur le montant de la réduction de la base imposable, et d'une amende égale à ces droits complémentaires.

Les mêmes droits complémentaires et la même amende sont dus indivisiblement par les acquéreurs lorsqu'aucun d'eux ne satisfait à l'engagement visé au 2°, b), de l'alinéa 6. Lorsque certains acquéreurs ne satisfont pas à cet engagement, les droits complémentaires et l'amende auxquels ils sont indivisiblement tenus, sont déterminés en proportion de leur part légale dans l'immeuble acquis. L'amende n'est toutefois pas due lorsque le non-respect de l'engagement résulte de la force majeure.

Sauf cas de force majeure, les mêmes droits complémentaires majorés de l'intérêt légal au taux fixé en matière civile à compter de la date limite pour la présentation à l'enregistrement du document qui donne lieu à la perception du droit proportionnel, sont dus indivisiblement par les acquéreurs lorsqu'aucun d'eux ne satisfait à l'engagement visé au 2°, c), de l'alinéa 6 ».

B.1.2. Cette disposition a été insérée dans le Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe par l'article 2 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 20 décembre 2002 « modifiant le Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe » (ci-après : l' ordonnance du 20 décembre 2002Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 20/12/2002 pub. 31/12/2002 numac 2002031651 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance modifiant le Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe type ordonnance prom. 20/12/2002 pub. 31/12/2002 numac 2002031652 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance modifiant le Code des droits de succession fermer). Les montants des abattements ont été majorés par l'article 2 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 10 février 2006 « modifiant le Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe » (ci-après : l' ordonnance du 10 février 2006Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 10/02/2006 pub. 15/02/2006 numac 2006031056 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance modifiant le Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe fermer). Cette disposition a encore fait l'objet de modifications ultérieures qui ne sont pas applicables au litige pendant devant la juridiction a quo.

B.1.3. La disposition en cause prévoit une réduction de la base imposable des droits d'enregistrement, lorsqu'il s'agit de l'achat d'une habitation propre. L'octroi et le maintien de cet avantage fiscal sont subordonnés à la réalisation de trois conditions.

Premièrement, l'acquéreur ne peut, à la date de la convention d'acquisition, posséder en pleine propriété la totalité d'un autre immeuble destiné à l'habitation. Deuxièmement, l'acquéreur doit, dans les deux ans qui suivent l'enregistrement, établir sa résidence principale à l'endroit de l'immeuble acquis. Troisièmement, il doit maintenir sa résidence principale dans la Région de Bruxelles-Capitale pendant les cinq années qui suivent l'établissement de celle-ci dans l'immeuble acquis.

B.1.4. L'exposé général de l'exposé des motifs de l' ordonnance du 20 décembre 2002Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 20/12/2002 pub. 31/12/2002 numac 2002031651 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance modifiant le Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe type ordonnance prom. 20/12/2002 pub. 31/12/2002 numac 2002031652 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance modifiant le Code des droits de succession fermer mentionne : « Attirer des habitants à revenus moyens constitue un des objectifs prioritaires de l'accord du Gouvernement bruxellois et du Plan Régional de développement. Dans la perspective d'atteindre cet objectif, il ne faut pas négliger l'importance du levier fiscal, principalement en matière de droits d'enregistrement. Une réforme de ces droits d'enregistrement peut contribuer à ce que le prix des logements familiaux à Bruxelles reste concurrentiel par rapport à celui des logements dans la périphérie, certainement pour les catégories de personnes ciblées, et en particulier pour les jeunes ménages.

L'installation d'habitants à revenus moyens et de jeunes ménages dans la Région bruxelloise, présente un certain nombre d'avantages sur le plan fiscal et financier. La capacité fiscale de la population générera en premier lieu des revenus complémentaires pour les communes via les centimes additionnels communaux à l'impôt des personnes physiques.

On peut également s'attendre à une augmentation du produit d'autres impôts qui reviennent à la Région (tels les droits de succession et les droits d'enregistrement, la taxe de circulation, la taxe régionale autonome). L'arrivée de nouvelles familles contribuera à la rénovation du patrimoine immobilier, à la diminution d'immeubles abandonnés et à l'amélioration de l'environnement urbain. Une augmentation du produit régional a des effets positifs pour différents secteurs de la vie économique. Et enfin, le trafic dû aux navetteurs peut diminuer. [...] La première modification au droit d'enregistrement sur les transmissions à titre onéreux de biens immeubles a spécifiquement pour but d'encourager les ménages à revenus moyens à acquérir un logement familial sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale. C'est pourquoi il est accordé un abattement important en matière de droits d'enregistrement lors d'une acquisition d'une habitation sise en Région bruxelloise par une ou plusieurs personnes physiques qui ont l'intention d'y établir leur résidence principale. Une telle mesure a un caractère social prononcé, étant donné que la réduction est relativement plus importante pour l'achat d'une habitation moyenne que pour l'achat d'une maison de standing. Le maintien de cette réduction d'impôt est subordonné à l'obligation pour l'acquéreur de rester domicilié dans la Région bruxelloise durant plusieurs années après l'achat, sous peine de devoir rembourser l'abattement.

La proposition bruxelloise, en ne visant qu'une catégorie bien déterminée d'acheteurs, offre à ces personnes un avantage qui n'entraînera pas ou peu d'augmentation des prix du marché immobilier mais qui leur permettra de mieux se positionner sur le marché et, par exemple, d'accéder à un logement plus confortable ou de disposer d'un budget plus important pour des travaux de rénovation.

En effet, on constate que bon nombre de jeunes ménages sont aujourd'hui à nouveau attirés par la ville. Un avantage fiscal approprié peut les convaincre de ne pas s'installer dans la périphérie toute proche et ainsi enrayer le phénomène de paupérisation propre aux centres urbains.

Bruxelles connaît en outre un certain nombre de quartiers dont il convient d'encourager la rénovation. En plus des efforts importants mis en oeuvre par la Région et les communes (contrats de quartiers, projets SDRB,...), il convient de développer la rénovation individuelle des immeubles en accordant un avantage substantiel aux transactions immobilières qui se déroulent au sein des espaces de développement renforcés du logement et de la rénovation définis dans le Plan régional de développement. Il convient dès lors d'attirer les jeunes ménages également vers ces quartiers » (Doc. parl., Parlement bruxellois, 2002-2003, A-361/1, pp. 1-3).

En outre, le commentaire des articles relatif à la disposition en cause mentionne : « Pour bénéficier de la réduction, les acquéreurs doivent établir leur résidence principale dans le bien acquis (ne favoriser que fiscalement l'acquisition, sans plus, pourrait stimuler la spéculation et l'abandon d'immeubles, avec pour résultat un effet contraire au but recherché). Dans le cas où des rénovations seraient nécessaires ou que des locataires occupent le bien, les acquéreurs disposent de deux ans pour s'acquitter de cette formalité. [...] La loi fédérale du 19 mai 1998 portant modification, entre autres, de l'article 60 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, prévoit actuellement une obligation, pour bénéficier du tarif réduit à 6 pour cent, de s'inscrire endéans un délai de trois ans, à l'adresse du bien acquis; cette inscription dans le registre de la population ou dans le registre des étrangers doit en outre être maintenue pendant une durée interrompue de trois ans au moins.

L'obligation proposée ici est plus souple, dans le sens où la résidence principale, sauf cas de force majeure, doit rester établie dans la Région de Bruxelles-Capitale, mais pas nécessairement dans le bien acquis. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale souhaite soutenir l'acquisition et la rénovation d'habitations existantes via des incitants fiscaux, mais il ne souhaite certainement pas empêcher la mobilité géographique des personnes au sein de la Région.

Le contrôle du respect des conditions se déroulera en trois phases.

Lors de l'enregistrement de l'acte, il sera vérifié si, dans le chef des acquéreurs, il a été satisfait à la condition négative relative au fait de déjà posséder une habitation. Le contrôle concernant le respect de la seconde condition, s'effectuera après que le délai de deux ans pour l'établissement du domicile principal à l'adresse du bien se soit écoulé; après cinq ans à compter de cet établissement, il sera contrôlé si la dernière condition (maintien du domicile principal en Région bruxelloise) a été remplie » (ibid., pp. 5-6).

B.2.1. La question préjudicielle porte sur le huitième alinéa de cette disposition, qui prévoit que, si l'acquéreur n'établit pas sa résidence principale à l'endroit de l'immeuble acquis au plus tard deux ans après l'enregistrement de l'acte, des droits complémentaires calculés sur le montant de la réduction de la base imposable sont dus.

Une amende est également due dans cette hypothèse, sauf si l'acquéreur peut démontrer que le non-respect de cet engagement résulte de la force majeure.

B.2.2. La juridiction a quo interprète cette disposition en ce sens que si le défaut d'établir la résidence dans l'immeuble dans les deux ans de l'enregistrement résulte de la force majeure, l'amende n'est pas due, mais que les droits complémentaires restent dus, la force majeure ne dispensant pas du paiement des droits complémentaires dans ce cas. La Cour examine la disposition en cause dans cette interprétation.

B.3. Il ressort du jugement de renvoi que la personne qui a acquis le bien immeuble, qui s'est engagée à y établir sa résidence principale dans les deux ans et qui a en conséquence bénéficié de l'abattement prévu par la disposition en cause a, en raison d'une circonstance de force majeure, été empêchée de s'établir dans le bien dans le délai de deux ans. L'intéressée a néanmoins installé sa résidence principale dans l'immeuble peu de temps après l'écoulement de ce délai et l'y a maintenue pendant la période de cinq ans qui a suivi. Il en résulte qu'en l'espèce, les première et troisième conditions pour bénéficier de l'abattement en cause ont été remplies et que la deuxième condition n'a pu être remplie qu'au-delà du délai prescrit, en raison de la survenance d'un cas de force majeure. La force majeure a donc empêché non pas la réalisation de la condition d'établir la résidence à l'endroit du bien acquis, mais le respect du délai de deux ans dans lequel cet établissement devait avoir lieu. La Cour limite son examen de la question préjudicielle à cette hypothèse.

B.4.1. La Cour est invitée à comparer la situation de l'acquéreur qui, en raison d'une circonstance de force majeure, est empêché d'installer sa résidence principale dans le bien acquis au plus tard deux ans après l'enregistrement de l'acte d'achat avec la situation de l'acquéreur qui, en raison d'une circonstance de force majeure, est empêché de maintenir sa résidence principale dans la Région de Bruxelles-Capitale durant les cinq années qui suivent l'installation dans le bien acquis. Alors que le second est exonéré du paiement des droits d'enregistrement complémentaires sur le montant de l'abattement, le premier est tenu au paiement de ces droits. Pour pouvoir bénéficier de l'abattement prévu par la disposition en cause, les acquéreurs relevant de ces deux catégories se sont engagés à respecter la condition d'installation de leur résidence principale dans le bien dans les deux ans de l'enregistrement et la condition de maintien de cette résidence dans la Région de Bruxelles-Capitale durant une période de cinq ans. Contrairement à ce que soutient le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, ils se trouvent donc dans des situations comparables.

B.4.2. La force majeure constitue une cause générale d'exonération en droit fiscal, de sorte que le redevable qui prouve que le non-respect des délais prescrits pour la réalisation d'une condition à laquelle est subordonné le bénéfice d'un avantage est dû à la survenance d'un cas de force majeure est en principe exonéré du remboursement de l'avantage. Lorsque le législateur ordonnanciel entend déroger à ce principe général de droit selon lequel la rigueur de la loi peut être tempérée en cas de force majeure, il ne peut le faire que dans le respect des articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

L'article 172, alinéa 1er, de la Constitution constitue une application particulière, en matière fiscale, du principe d'égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution.

B.4.3. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5.1. La différence de traitement en cause dépend de la condition qui n'est pas respectée par l'acquéreur du bien immobilier qui a bénéficié de l'abattement prévu à l'article 46bis du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe applicable dans la Région de Bruxelles-Capitale. L'acquéreur qui, par suite d'un cas de force majeure, n'a pu établir sa résidence principale dans le bien acquis qu'après l'expiration du délai de deux ans n'est pas exonéré du paiement des droits d'enregistrement complémentaires, contrairement à l'acquéreur qui, par suite d'un cas de force majeure, n'a pas pu maintenir sa résidence principale dans la Région de Bruxelles-Capitale pendant cinq ans. Ce critère est objectif.

B.5.2. Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.1.4, le législateur ordonnanciel entendait, par l'avantage fiscal en cause, encourager les ménages à « revenus moyens », en particulier les jeunes ménages, à s'établir dans la Région de Bruxelles-Capitale.

Selon le législateur ordonnanciel, l'arrivée de tels ménages dans la Région présente plusieurs avantages, notamment sur le plan fiscal et financier.

Ainsi, il ressort des travaux préparatoires précités que le législateur ordonnanciel a estimé que, de cette manière, la capacité fiscale de la population serait augmentée et que des revenus fiscaux supplémentaires seraient donc générés. A cet égard, il a été renvoyé aux additionnels communaux à l'impôt des personnes physiques, ainsi qu'aux différents impôts régionaux auxquels le public cible visé serait assujetti s'il s'établissait dans la Région de Bruxelles-Capitale. La condition selon laquelle l'acquéreur du bien immobilier doit maintenir sa résidence principale dans la Région pendant au moins cinq ans est susceptible de contribuer à la réalisation d'un tel objectif. Pour que l'acquéreur apporte une contribution substantielle dans le cadre des impôts qui sont perçus sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, il faut en effet qu'il reste assujetti à ces impôts pendant une période suffisamment longue.

Les travaux préparatoires renvoient en outre à la nécessité d'encourager les rénovations d'habitations dans certains quartiers et d'améliorer l'environnement urbain, ainsi que de lutter contre l'inoccupation et l'abandon, la spéculation immobilière devant, corrélativement, être évitée. La circonstance que l'acquéreur ne doit pas s'installer immédiatement dans le bien immobilier, mais qu'il dispose pour ce faire d'une période de deux ans, est liée à cet objectif. Partant, l'acquéreur dispose effectivement d'un délai raisonnable pour effectuer les travaux de rénovation nécessaires et est, corrélativement, incité à ne pas tarder inutilement.

B.6.1. Eu égard à ces objectifs, il n'est pas justifié de permettre l'exonération du paiement des droits d'enregistrement complémentaires lorsqu'il n'est pas satisfait à la condition de maintien de la résidence principale dans la Région durant les cinq années qui suivent l'enregistrement en raison d'un cas de force majeure mais de ne pas permettre cette même exonération lorsque, pour le même motif, il n'est satisfait à la condition d'établissement de la résidence principale dans le bien acquis qu'au-delà du délai prescrit de deux ans.

B.6.2. Contrairement à ce que soutiennent le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et le Conseil des ministres, la circonstance que les deux conditions envisagées doivent nécessairement être remplies de manière successive et que la troisième serait donc accessoire par rapport à la deuxième ne permet pas de considérer que la différence de traitement en cause repose sur un critère pertinent. En effet, lorsque, comme en l'espèce, c'est en raison du dépassement du délai qu'il n'est pas satisfait à la condition d'installation de la résidence dans le bien acquis dans les deux ans, il est tout à fait possible que les deux conditions soient, in fine, remplies, fût-ce tardivement. Lorsque la condition d'installation de la résidence principale dans le bien acquis est remplie au-delà du délai prescrit et qu'il est ensuite satisfait à la condition de maintien de la résidence durant cinq années, l'objectif poursuivi par la disposition en cause est plus certainement atteint que lorsqu'il n'est pas satisfait à la troisième condition parce que l'acquéreur a quitté la Région de Bruxelles-Capitale.

B.6.3. Enfin, l'obligation d'acquitter les droits d'enregistrement complémentaires sur le montant correspondant à l'abattement alors que le dépassement du délai prescrit pour l'installation de la résidence principale dans le bien acquis est dû à la survenance d'un cas de force majeure produit des effets disproportionnés pour l'acquéreur qui n'a pas pu prévoir ce montant supplémentaire dans le calcul de son budget relatif à l'acquisition et, le cas échéant, à la rénovation du bien concerné.

B.7. L'article 46bis du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, tel qu'il était applicable dans la Région de Bruxelles-Capitale en 2009, n'est pas compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce que les acquéreurs qui, pour cause de force majeure, ne peuvent établir leur résidence principale dans l'immeuble acquis qu'après l'expiration du délai de deux ans suivant l'enregistrement ne sont pas exonérés de l'obligation de payer les droits d'enregistrement complémentaires.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 46bis du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, tel qu'il était applicable dans la Région de Bruxelles-Capitale en 2009, viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce que les acquéreurs qui, pour cause de force majeure, ne peuvent établir leur résidence principale dans l'immeuble acquis qu'après l'expiration du délai de deux ans suivant l'enregistrement ne sont pas exonérés de l'obligation de payer les droits d'enregistrement complémentaires.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 29 septembre 2022.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux P. Nihoul

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