publié le 10 octobre 2023
Extrait de l'arrêt n° 4/2023 du 12 janvier 2023 Numéro du rôle : 7779 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 11, 88, 91, alinéa 1er, 92, § 1 er et § 1er/1, et 319, alinéa 1er, juncto 1046 du Code j La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Gie(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 4/2023 du 12 janvier 2023 Numéro du rôle : 7779 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 11, 88, 91, alinéa 1er, 92, § 1er et § 1er/1, et 319, alinéa 1er, juncto 1046 du Code judiciaire, posées par la Cour d'appel de Gand.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par un arrêt du 16 mars 2022, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 23 mars 2022, la Cour d'appel de Gand a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. Les articles 91, alinéa 1er, et 92, § 1er, du Code judiciaire violent-ils les articles 10, 11 et 12 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec l'article 13 de la Constitution, en ce qu'ils prévoient que seuls sont attribués à une chambre composée de trois juges les affaires en matière répressive relatives aux crimes punissables d'une peine de réclusion de plus de vingt ans et les appels des jugements rendus en matière pénale par le tribunal de police, alors que les autres affaires en matière répressive relatives aux crimes et délits punissables d'une peine de vingt ans de réclusion ou d'une peine inférieure sont en principe, en vertu de la loi, attribuées à un juge unique ? 2. Les articles 91, alinéa 1er, et 92, § 1er/1, du Code judiciaire violent-ils les articles 10, 11 et 12 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec les articles 12 et 13 de la Constitution, en ce qu'ils doivent être interprétés en ce sens que l'intervention et l'appréciation d'autorité du président du tribunal de première instance peuvent/doivent avoir lieu (` au cas par cas ', cf.l'article 92, § 1er/1, du Code judiciaire) - en dehors de toute intervention/consultation du juge unique, qui est saisi de l'affaire répressive conformément à l'article 91 du Code judiciaire et qui dispose d'une compétence de ` pleine juridiction ' pour statuer sur le bien-fondé de l'action publique et en ce que cette intervention et cette appréciation d'autorité doivent également avoir lieu à chaque reprise - au plus tard à l'` audience d'introduction ', c'est-à -dire à un moment où les parties concernées n'ont pas encore soulevé/formulé (ou n'ont pu soulever/formuler) des moyens quant à l'éventuel bien-fondé de l'action publique intentée, conformément à l'article 152 du Code d'instruction criminelle et dans les circonstances prévues par cette disposition alors que la ` complexité ' de chaque affaire répressive individuelle ne peut pas être appréciée de manière abstraite, mais ne se manifeste/ne peut se manifester, dans toutes les affaires répressives, qu'au moment où les contours factuels et juridiques de l'affaire sont également établis et que l'affaire est, en tant que telle, effectivement ` en état ' d'être plaidée (c'est-à -dire au plus tard à la date d'audience, fixée conformément à l'article 152 du Code d'instruction criminelle par le juge unique qui, dans le cadre de l'exercice de la tâche procédurale (à savoir la ` mise en état ' administrative et non juridictionnelle d'une affaire), dispose en outre aussi sur le plan juridique d'une compétence de pleine juridiction en matière pénale) ? 3. Les articles 88 et 92, § 1er/1, juncto l'article 1046 du Code judiciaire violent-ils les articles 10, 11 et 12 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec l'article 13 de la Constitution, en ce qu'aucune voie de recours n'est ouverte contre une ordonnance rendue en application de l'article 92, § 1er/1, du Code judiciaire, alors qu'en application de l'article 88, § 2, du Code judiciaire, des voies de recours sont prévues contre l'attribution d'une affaire conformément à un règlement particulier établi en exécution de l'article 88, § 1er, du Code judiciaire ? 4.Les articles 11, 88, 92, § 1er/1, et 319, alinéa 1er, juncto l'article 1046 du Code judiciaire violent-ils les articles 10, 11 et 12 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec l'article 13 de la Constitution, en ce qu'ils permettraient à un chef de corps de déléguer à un président de division la compétence qui lui a été attribuée par la loi de prendre une décision sur une demande fondée sur l'article 92, § 1er/1, du Code judiciaire, alors qu'une ordonnance relative à un incident soulevé au sujet de la répartition des affaires au sens de l'article 88, § 2, du Code judiciaire peut uniquement être prise par le chef de corps ? ». (...) III. En droit (...) Quant aux dispositions en cause B.1.1. Les questions préjudicielles portent sur les articles 11, 88, 91, alinéa 1er, 92, §§ 1er et 1er/1, et 319, alinéa 1er, et 1046 du Code judiciaire.
B.1.2. L'article 11 du Code judiciaire dispose : « Les juges ne peuvent déléguer leur juridiction.
Ils peuvent néanmoins adresser des commissions rogatoires à un autre tribunal ou à un autre juge, et même à des autorités judiciaires étrangères, pour faire procéder à des actes d'instruction ».
B.1.3. L'article 88 du Code judiciaire dispose : « § 1er. Le règlement particulier de chaque tribunal est établi par ordonnance du président du tribunal, après avis, selon le cas, du premier président de la cour d'appel ou du premier président de la cour du travail, du procureur général et, selon le cas, du procureur du Roi ou de l'auditeur du travail, du greffier en chef du tribunal et des bâtonniers de l'Ordre ou des Ordres des avocats de l'arrondissement. L'avis du président du tribunal du travail est également requis pour les chambres correctionnelles spécialisées visées à l'article 76, § 2, alinéa 2.
Ce règlement détermine le nombre des chambres et leurs attributions, les jours et heures de leurs audiences et de l'introduction des causes. [Il] contient l'indication des chambres qui au tribunal de première instance siègent respectivement au nombre de trois juges, d'un juge ou d'un juge et de deux assesseurs au tribunal de l'application des peines. Il détermine aussi, s'il y a lieu, l'ordre de répartition des affaires entre les juges d'instruction.
Tous les trois ans, le président de chaque tribunal dont le siège est établi dans l'arrondissement judiciaire de Bruxelles adresse au ministre de la Justice un rapport sur les besoins du service, en fonction du nombre d'affaires qui ont été traitées au cours des trois dernières années.
Le règlement est affiché au greffe du tribunal. § 2. Les incidents qui sont soulevés au sujet de la répartition des affaires entre les divisions, les sections, les chambres ou les juges d'un même tribunal conformément au règlement particulier ou au règlement de répartition des affaires sont réglés de la manière suivante : Lorsqu'un tel incident est soulevé avant tout autre moyen, par l'une des parties, ou lorsqu'il est soulevé d'office à l'ouverture des débats, la division, la section, la chambre ou le juge soumet le dossier au président du tribunal aux fins de décider s'il y a lieu de modifier l'attribution de l'affaire et le ministère public en est simultanément informé. Les parties qui en font la demande disposent d'un délai de huit jours à compter de l'audience pour déposer des conclusions. Le ministère public peut rendre un avis dans le même délai.
Le président statue par ordonnance dans les huit jours suivant l'audience. Il peut attribuer l'affaire immédiatement à une division, à une section, à une chambre ou à un juge et fixer une date pour la poursuite de l'examen. Cette ordonnance n'est susceptible d'aucun recours, à l'exception du recours du procureur général près la cour d'appel, devant la Cour de cassation, dans les délais et suivant les modalités qui sont prévus à l'article 642, alinéas 2 et 3. Copie de l'arrêt de la Cour de cassation est envoyée par le greffier de la Cour au président du tribunal et aux parties.
La décision lie le juge auquel la demande est renvoyée, tous droits d'appréciation étant saufs sur le fond du litige ».
B.1.4. L'article 91, alinéa 1er, du Code judiciaire dispose : « En matière civile et répressive les demandes sont attribuées à des chambres ne comprenant qu'un juge, hormis les cas prévus à l'article 92 ».
L'article 92 du Code judiciaire dispose : « § 1er. Les affaires en matière répressive relatives aux crimes punissables d'une peine de réclusion de plus de vingt ans et les appels des jugements rendus en matière pénale par le tribunal de police, sont attribués à une chambre composée de trois juges. [...] § 1/1. Par dérogation à l'article 91, le président du tribunal de première instance peut, lorsque la complexité ou l'intérêt de l'affaire ou des circonstances spécifiques et objectives le requièrent, attribuer d'autorité, au cas par cas, des affaires à une chambre à trois juges. [...] ».
B.1.5. L'article 319, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire dispose : « Dans les tribunaux et parquets composés d'une ou plusieurs divisions, le chef de corps est remplacé par le président de division, le procureur de division ou l'auditeur de division qu'il désigne. A défaut de désignation d'un remplaçant il est remplacé par le président de division, le procureur de division ou l'auditeur de division ayant l'ancienneté de service la plus élevée.
Dans les autres cas, le chef de corps est remplacé par le magistrat qu'il désigne à cette fin. A défaut de désignation d'un remplaçant il est remplacé par un titulaire d'un mandat adjoint dans l'ordre d'ancienneté de service ou à défaut par un autre magistrat dans l'ordre d'ancienneté de service ».
B.1.6. L'article 1046 du Code judiciaire dispose : « Les décisions ou mesures d'ordre telles que les fixations de cause, les remises, les omissions de rôle et les radiations, ainsi que les jugements ordonnant une comparution personnelle des parties ne sont susceptibles ni d'opposition, ni d'appel ».
Quant au fond En ce qui concerne la première question préjudicielle B.2.1. La première question préjudicielle porte sur la compatibilité des articles 91, alinéa 1er, et 92, § 1er, du Code judiciaire avec les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce que seuls les affaires en matière répressive relatives aux crimes punissables d'une peine de réclusion de plus de vingt ans et les appels des jugements rendus en matière pénale par le tribunal de police sont attribués à une chambre composée de trois juges, alors que les autres affaires en matière répressive relatives aux crimes et délits punissables d'une peine de vingt ans de réclusion ou d'une peine inférieure sont en principe attribuées à un juge unique en vertu de la loi.
B.2.2. Par son arrêt n° 62/2018 du 31 mai 2018 (ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.062), la Cour, en ce qui concerne la généralisation du juge unique dans les tribunaux de première instance, sauf attribution à une chambre collégiale, a jugé ce qui suit : « B.20. Pour le surplus, en ce qui concerne l'allégation d'une discrimination entre justiciables, selon qu'ils sont jugés par un juge unique ou une chambre collégiale, il convient de constater que le simple fait que certains justiciables soient jugés par un juge unique et que d'autres, dans des affaires analogues, le soient par une chambre collégiale, n'est pas en soi susceptible d'engendrer une différence de traitement contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.
Le fait que le siège d'une juridiction soit composé d'un seul juge ou de plusieurs ne détermine pas en soi la qualité de la décision rendue.
L'attribution d'une affaire à une chambre collégiale par le chef de corps suppose en outre qu'aient été pris en compte les critères légaux énumérés dans les dispositions attaquées, liés à la complexité ou l'intérêt de l'affaire ou des circonstances spécifiques et objectives, ces critères visant à réserver les chambres collégiales aux affaires qui le requièrent concrètement, ce qui est justifié et proportionné au regard des objectifs poursuivis d'accélérer la justice et de respecter ainsi le droit d'être jugé dans un délai raisonnable ».
B.2.3. La Cour ne voit pas de motif d'en juger autrement en ce qui concerne la différence de traitement soulevée dans la première question préjudicielle. L'examen au regard des autres normes nationales et internationales mentionnées dans la question préjudicielle ne conduit pas à une autre conclusion.
Les articles 91, alinéa 1er, et 92, § 1er, du Code judiciaire sont compatibles avec les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
En ce qui concerne la deuxième question préjudicielle B.3.1. Dans la deuxième question préjudicielle, la Cour est interrogée sur la compatibilité des articles 91, alinéa 1er, et 92, § 1er/1, du Code judiciaire avec les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
B.3.2. Il ressort de la formulation de la question préjudicielle et des motifs de la décision de renvoi que cette question se fonde sur la prémisse selon laquelle les articles du Code judiciaire précités doivent être interprétés en ce sens que l'intervention et l'appréciation d'autorité du président du tribunal de première instance doivent avoir lieu sans la moindre intervention du juge unique qui est saisi de l'affaire répressive conformément à l'article 91 du Code judiciaire, et ce, au plus tard à l'audience d'introduction.
B.3.3. Par son arrêt n° 62/2018 précité, la Cour, en ce qui concerne la compatibilité des articles 91 et 92 du Code judiciaire avec les articles 10, 11, 13 et 146 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a jugé ce qui suit : « B.17.1. Plusieurs dispositions du Code judiciaire confient aux chefs de corps le pouvoir de répartir les affaires, conformément au règlement particulier du tribunal, mais aussi de déroger à ces règles de répartition des affaires, lorsque les nécessités de service le justifient (voy. l'article 68 du Code judiciaire, pour le président des juges de paix et des juges au tribunal de police; l'article 90 du Code judiciaire pour le président du tribunal de première instance, du tribunal du travail et du tribunal du commerce; l'article 109 du Code judiciaire pour le premier président de la cour d'appel); ces nécessités du service sont conçues comme ` la répartition de la charge de travail, l'indisponibilité d'un juge, une exigence d'expertise, la bonne administration de la justice ou d'autres raisons objectives comparables ' (articles 68, alinéa 4, et 90, alinéa 4, du Code judiciaire).
Le fait de confier au chef de corps le soin de décider d'attribuer une affaire à une chambre collégiale se situe dans la continuité du rôle existant du chef de corps en ce qui concerne la répartition des affaires.
B.17.2. En l'espèce, le pouvoir du chef de corps ne concerne pas une dérogation aux règles de répartition des affaires au sein de la juridiction concernée, pour les nécessités du service, telles qu'elles sont précisées dans le Code judiciaire, mais une dérogation au principe d'attribution d'une affaire à un juge unique, par le renvoi devant une chambre collégiale, ` lorsque la complexité ou l'intérêt de l'affaire ou des circonstances spécifiques et objectives le requièrent '.
Si cette mesure peut aboutir à ce qu'une affaire ne soit pas traitée par le juge ` légalement compétent ', à savoir un juge unique, elle permet cependant de garantir que les affaires complexes, délicates ou ` médiatiques ' (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-1219/001, p. 43) puissent être traitées par une chambre collégiale.Le ` Compendium de bonnes pratiques pour la gestion du temps dans les procédures judiciaires ' du 8 septembre 2006, élaboré par la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) du Conseil de l'Europe, qui invite à cet égard à un mécanisme souple d'affectation des affaires, est clair à ce sujet, en considérant que ` [m]ême dans les pays où l'attribution d'affaires à un juge unique doit être basée sur des règles fixées au préalable (principe du juge naturel), il est possible d'introduire une certaine flexibilité afin de pouvoir faire face aux modifications inattendues du nombre d'affaires à traiter ou à une charge de travail particulièrement lourde ' (CEPEJ(2006)13, p. 23).
Les dispositions attaquées poursuivent dès lors un objectif légitime qui est d'adapter la composition du siège aux spécificités d'une affaire, objectivement constatées. La possibilité d'attribution d'une affaire à une chambre collégiale au regard des spécificités de chaque affaire n'est pas en soi de nature à méconnaître le principe de légalité et de prévisibilité garanti par les dispositions visées dans les moyens.
B.17.3. Il convient maintenant d'examiner si le pouvoir conféré au chef de corps de décider ` d'autorité ' d'attribuer une affaire à une chambre collégiale est encadré de suffisamment de garanties pour ne pas créer le risque d'arbitraire dénoncé par les parties requérantes.
La possibilité pour le chef de corps d'attribuer une affaire à une chambre collégiale ne saurait en effet ` représenter un moyen d'influencer la composition d'un siège en vue de l'instruction d'une cause déterminée ' et il convient de veiller à ce que les circonstances entourant cette décision ne soient pas de nature à faire naître chez les justiciables le sentiment que la composition du siège a été influencée (comp. avec Cass., 19 avril 2007, Pas., 2007, n° 194, points 9-10, en ce qui concerne la délégation temporaire d'un juge, prévue par l'article 98 du Code judiciaire).
B.18.1. En ce qui concerne les critères sur la base desquels le chef de corps peut décider d'attribuer une affaire à une chambre collégiale, il convient de rappeler que l'avant-projet de loi soumis à la section de législation du Conseil d'Etat prévoyait initialement uniquement que le chef de corps pouvait attribuer ` d'office ' une affaire à une chambre collégiale (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-1219/001, pp. 64-65).
Afin de répondre aux critiques de la section de législation du Conseil d'Etat, citées en B.13.2, des critères ont dès lors été expressément insérés dans la loi, l'exposé des motifs précisant que cette attribution à une chambre collégiale ne peut intervenir que dans des cas exceptionnels (ibid., p. 43). Ces critères légaux, liés à la complexité ou l'intérêt de l'affaire ou des circonstances spécifiques et objectives, tendent à ce que l'utilité d'une chambre collégiale soit appréciée de manière individualisée, en tenant compte des particularités de chaque affaire (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-1219/005, p. 115).
Les critères légaux prévus dans les dispositions attaquées sont d'ailleurs directement inspirés de l'article 90, § 1er, alinéa 4, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, qui permet au président de chambre, si le requérant l'a demandé de manière motivée dans sa requête ou d'office, d'ordonner le renvoi d'une affaire, qui relèverait d'une chambre à un membre, à une chambre composée de trois membres ` lorsque la complexité juridique ou l'intérêt de l'affaire ou des circonstances spécifiques le requièrent '.
Le choix d'inscrire expressément ces critères dans le texte légal - et non dans le règlement particulier du tribunal concerné, comme l'admettait la section de législation du Conseil d'Etat (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-1219/001, p. 117) - tend ainsi à respecter le principe de légalité et de prévisibilité garanti par les dispositions visées dans les moyens.
B.18.2. Les travaux préparatoires cités en B.13.1.3 indiquent en outre clairement que l'initiative du renvoi d'une affaire devant une chambre collégiale n'appartient pas au seul chef de corps et que trois hypothèses peuvent se présenter : ` Soit le chef de corps décide de sa propre initiative d'attribuer une affaire à un collège à trois juges, soit le chef prend une décision à la demande d'un juge unique (qui, par exemple, ne se sentirait pas suffisamment expérimenté), soit à la demande des parties. Dans ce dernier cas de figure, le chef de corps n'est pas obligé d'obtempérer ' (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-1219/005, p. 116).
Il en résulte que si le chef de corps décide ` d'autorité, au cas par cas ' d'attribuer une affaire à une chambre collégiale, il peut prendre cette décision de sa propre initiative, mais aussi à la demande du juge unique saisi ou à la demande des parties.
B.18.3. Par ailleurs, le fait que le chef de corps décide ` d'autorité ' du renvoi devant une chambre collégiale ne signifie pas que sa décision ne doit pas être motivée au regard des critères légaux énumérés par les dispositions attaquées.
Lorsque les parties sollicitent, de manière motivée, le renvoi devant une chambre collégiale, si, comme l'indiquent les travaux préparatoires, le chef de corps n'est pas tenu d'obtempérer, il doit néanmoins, s'il refuse d'accéder à la demande des parties, motiver sa décision au regard des critères légaux et sa décision doit leur être communiquée.
B.18.4. La décision de renvoi doit, enfin, être prise le plus tôt possible dans le déroulement du litige, afin d'éviter, comme l'indiquent les travaux préparatoires cités en B.13.1.3, les conséquences négatives qui découlent du fait de devoir reprendre celui-ci ab initio devant la chambre collégiale, sans préjudice d'éléments nouveaux pouvant, dans le cours du litige, révéler la complexité ou l'intérêt de l'affaire ou des circonstances spécifiques et objectives requérant l'attribution de l'affaire à une chambre collégiale (ibid., p. 117).
Dans cette dernière hypothèse, la décision du chef de corps doit être prise en concertation avec le juge unique déjà saisi, pour évaluer, au regard des spécificités de l'affaire et des critères légaux, la nécessité d'un renvoi devant une chambre collégiale.
La mesure attaquée vise dès lors à adapter au mieux la composition du siège aux spécificités de chaque affaire, quel que soit le moment où ces spécificités interviennent.
B.18.5.1. Les travaux préparatoires cités en B.13.1.1 indiquent enfin que la décision du chef de corps est une ` mesure d'ordre interne qui n'est pas susceptible d'appel, conformément à l'article 1046 du Code judiciaire ' (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-1219/001, p. 43).
B.18.5.2. La décision de renvoi d'une affaire devant une chambre collégiale constitue en effet une mesure d'ordre au sens de l'article 1046 du Code judiciaire, qui ne peut faire l'objet d'un recours, dès lors que cette mesure n'est pas de nature à léser les droits des parties concernées.
Les parties au litige sont en effet jugées, à titre exceptionnel, par une chambre collégiale, cette composition collégiale étant justifiée et motivée au regard des critères légaux. Le chef de corps est présumé, ` [j]usqu'à preuve du contraire ', ` n'avoir eu en vue que le bon fonctionnement du service et tous les juges sont également censés statuer en toute impartialité ' (Cass., 19 avril 2007, précité, point 9). Si toutefois, compte tenu des circonstances d'espèce, les parties arrivent à démontrer l'existence d'un doute légitime quant à l'impartialité des juges statuant sur leur affaire, découlant de l'attribution d'une affaire devant une chambre collégiale, il leur appartient, le cas échéant, d'invoquer les causes de récusation prévues aux articles 828 à 842 du Code judiciaire ou d'exercer les voies de recours à l'égard du jugement ou de l'arrêt adopté par cette chambre collégiale et d'en contester, dans ce cadre, la composition régulière au regard, notamment, des garanties d'indépendance et d'impartialité des juges, consacrées par les dispositions visées dans les moyens.
Quant au juge unique dessaisi, à supposer que la décision puisse apparaître comme une sanction disciplinaire déguisée, il dispose du recours prévu par l'article 413, § 5, du Code judiciaire.
B.19. Sous réserve de ce qui est dit en B.18.3 et B.18.4 et compte tenu de ce qui est dit en B.18.5.2, le pouvoir conféré au chef de corps de décider ` d'autorité ' d'attribuer une affaire à une chambre collégiale est encadré de suffisamment de garanties pour ne pas générer le risque d'arbitraire dénoncé par les parties requérantes ».
B.3.4. La Cour ne voit pas de motif d'en juger autrement dans l'affaire présentement examinée. L'examen au regard des autres normes nationales et internationales mentionnées dans la question préjudicielle ne conduit pas à une autre conclusion.
Sous réserve de ce qui est dit en B.3.3, les articles 91, alinéa 1er, et 92, § 1er/1, du Code judiciaire sont compatibles avec les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
En ce qui concerne la troisième question préjudicielle B.4.1. La troisième question préjudicielle porte sur la compatibilité des articles 88, 92, § 1er/1, et 1046 du Code judiciaire avec les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce qu'aucune voie de recours n'est ouverte contre une ordonnance rendue en application de l'article 92, § 1er/1, du Code judiciaire, alors qu'en application de l'article 88, § 2, du Code judiciaire, des voies de recours sont prévues contre l'attribution d'une affaire conformément à un règlement particulier en exécution de l'article 88, § 1er, du Code judiciaire.
B.4.2. Il ressort de la motivation de la décision de renvoi que la question préjudicielle porte sur la possibilité, pour le prévenu, d'exercer ou non une voie de recours contre l'attribution d'une affaire conformément à l'article 92 du Code judiciaire. Comme il est dit en B.1.3, l'attribution d'une affaire conformément à un règlement particulier en exécution de l'article 88, § 1er, du Code judiciaire, n'est, en application de l'article 88, § 2, du même Code, susceptible d'aucun recours, à l'exception du recours du procureur général près la cour d'appel, devant la Cour de cassation, dans les délais et suivant les modalités qui sont prévus à l'article 642, alinéas 2 et 3. Le prévenu ne bénéficie donc d'une voie de recours dans aucun des deux cas. La différence de traitement est inexistante. A titre surabondant, il peut être observé que l'absence d'une voie de recours en ce qui concerne les décisions fondées sur l'article 92 du Code judiciaire ne produit pas des effets disproportionnés, comme il est jugé dans l'arrêt n° 62/2018, précité (B.18.5.1 à B.19).
B.4.3. Les articles 88, 92, § 1er/1, et 1046 du Code judiciaire sont compatibles avec les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
En ce qui concerne la quatrième question préjudicielle B.5.1. La quatrième question préjudicielle porte sur la compatibilité des articles 11, 88, 92, § 1er/1, et 319, alinéa 1er, juncto l'article 1046 du Code judiciaire avec les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce que ces articles permettraient à un chef de corps de déléguer à un président de division la compétence de prendre une décision quant à une demande fondée sur l'article 92, § 1er/1, du Code judiciaire, alors qu'une ordonnance relative à un incident de répartition au sens de l'article 88, § 2, du Code judiciaire ne pourrait être prise que par le chef de corps.
B.5.2. Comme le Conseil des ministres l'allègue, il ne saurait aucunement se déduire des dispositions en cause que l'article 319 du Code judiciaire ne peut pas être appliqué en ce qui concerne les ordonnances relatives à un incident de répartition au sens de l'article 88, § 2, du Code judiciaire.
B.5.3. Il s'ensuit que la différence de traitement au sujet de laquelle la Cour est interrogée est inexistante.
Les articles 11, 88, 92, § 1er/1, et 319, alinéa 1er, juncto l'article 1046 du Code judiciaire sont compatibles avec les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : 1. Les articles 91, alinéa 1er, et 92, § 1er, du Code judiciaire ne violent pas les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. 2. Sous réserve de ce qui est dit en B.3.3, les articles 91, alinéa 1er, et 92, § 1er/1, du Code judiciaire ne violent pas les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. 3. Les articles 88, 92, § 1er/1, et 1046 du Code judiciaire ne violent pas les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.4. Les articles 11, 88, 92, § 1er/1, 319, alinéa 1er, et 1046 du Code judiciaire ne violent pas les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 12 janvier 2023.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, L. Lavrysen