Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 21 décembre 2022

Extrait de l'arrêt n° 67/2022 du 19 mai 2022 Numéro du rôle : 7453 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 376 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles. composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J.-P. Moerman, T. Giet, J. Moerman, (...)

source
cour constitutionnelle
numac
2022206520
pub.
21/12/2022
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 67/2022 du 19 mai 2022 Numéro du rôle : 7453 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 376 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J.-P. Moerman, T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune et W. Verrijdt, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 14 octobre 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 21 octobre 2020, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 376 du Code des impôts sur les revenus 1992 viole-t-il les principes d'égalité et de non-discrimination consacrés par les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, pris isolément ou lus en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et avec les dispositions de cette Convention, en ce qu'il traite différemment : 1. d'une part les contribuables qui invoquent une surtaxe résultant d'une erreur matérielle (article 376, § 1er, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992) et d'autre part les contribuables qui invoquent une surtaxe résultant d'une erreur autre qu'une erreur matérielle ou résultant d'une cause autre qu'une erreur;existe-t-il des raisons de permettre au redevable de rectifier dans un délai prolongé par rapport au délai de réclamation ses erreurs matérielles, ou celles qu'aurait commises l'administration, et de ne pas reconnaître cette possibilité aux autres redevables qui, par exemple par omission d'un élément déductible, subissent une surtaxe, notamment en raison d'un oubli ou d'une ignorance, voire par méconnaissance de la loi ou en raison d'une autre appréciation s'avérant erronée ? la justification de cette différence de traitement pourrait être examinée au regard des incertitudes concernant la notion même d'erreur matérielle et de l'atteinte à la sécurité juridique qu'elles peuvent entraîner; 2. d'une part les contribuables qui invoquent une surtaxe résultant d'un double emploi (article 376, § 1er, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992), c'est-à-dire de la double taxation du même revenu, pour un même exercice d'imposition ou pour des exercices d'imposition différents, au nom du même redevable ou de redevables différents, lorsque l'une des taxations exclut légalement l'autre, et d'autre part les contribuables invoquant une surtaxe résultant d'une cause autre qu'un tel double emploi;3. d'une part les contribuables qui introduisent des demandes de dégrèvement visées par l'article 376, § 3, 2°, qui sont basées sur les réductions d'impôt résultant de l'application des articles 88, 131 à 135, 138, 139, 145 à 156, 257, 526, § 1er, et 539, et sur les réductions d'impôt et diminutions d'impôt régionales, et d'autre part les contribuables qui introduisent des demandes de dégrèvement basées sur d'autres motifs, tels que la déduction de rentes alimentaires prévue par l'article 104, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992; nombre des réductions d'impôt visées par l'article 376, § 3, 2°, sont, comme la déduction des rentes alimentaires, liées à des dépenses dont le payement a été effectué au cours de la période imposable; la loi du 21 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013003445 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales et financières diverses type loi prom. 21/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013000824 source service public federal interieur et service public federal justice Loi portant des dispositions diverses Intérieur fermer portant des dispositions fiscales et financières diverses (article 28) a étendu à de nombreux avantages fiscaux (réductions d'impôt) la possibilité de demander le dégrèvement des surtaxes dans un délai de cinq ans; existe-t-il des raisons objectives et raisonnables de traiter différemment à cet égard les avantages fiscaux liés à des dépenses du contribuable en fonction du fait que le législateur a opté pour la formule de la réduction d'impôt, pouvant correspondre à une quotité de la dépense, ou pour la déduction de la dépense (ou d'une partie de celle-ci, soit 80 % dans le cas des rentes alimentaires) ? les travaux préparatoires de la loi qui a étendu le dégrèvement d'office prévu par l'article 376, § 3, 2°, précisent que ' la volonté du législateur est essentiellement de créer la possibilité d'octroyer d'office les réductions d'impôt auxquelles le redevable avait droit dès l'origine mais qui, pour une raison quelconque, ne lui avaient pas été accordées lors de l'établissement de l'imposition et qui, éventuellement par ignorance, n'avaient pas non plus été demandées par une réclamation régulière ', et que cette extension se justifie par ' un souci d'équité '; il fut également indiqué que ' l'élargissement du dégrèvement d'office à toutes les réductions d'impôt constitu(ait) (...) un effort important consenti en faveur de l'honnête contribuable '; ces considérations justifient-elles que l'octroi d'un délai étendu pour soumettre à l'administration les éléments démontrant une surtaxe, à l'appui d'une demande de dégrèvement, se limite aux réductions d'impôt et ne bénéficie pas au contribuable qui a omis, par exemple par oubli ou par ignorance, de mentionner les rentes alimentaires donnant droit à la déduction ? dans cette appréciation, il pourrait s'indiquer de prendre aussi en considération le commentaire donné par l'administration à la réforme de la loi du 21 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013003445 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales et financières diverses type loi prom. 21/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013000824 source service public federal interieur et service public federal justice Loi portant des dispositions diverses Intérieur fermer : ' Au lieu de définir la notion d'erreur matérielle dans la loi et d'éventuellement lui donner un champ d'application plus large que celui défini par la Cour de cassation, le législateur, pour tenir compte de la complexité toujours grandissante du C.I.R. 1992, a étendu le champ d'application du dégrèvement d'office (plus précisément les réductions réunies dans l'art. 376, § 3, du C.I.R. 1992)... '; les raisons de ' définir la notion d'erreur matérielle dans la loi et d'éventuellement lui donner un champ d'application plus large que celui défini par la Cour de cassation ' pouvant valoir également pour d'autres surtaxes que celles qui sont liées à des réductions d'impôt, comme dans le cas de l'omission de déclarer des rentes alimentaires déductibles, ne fallait-il pas étendre le champ d'application du dégrèvement d'office à ces autres surtaxes, ou à certaines de celles-ci, sous peine de porter atteinte au principe d'égalité et de non-discrimination ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 376 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 2013, 2014 et 2015.

B.1.2. Tel qu'il était applicable pour l'exercice d'imposition 2013, l'article 376 du CIR 1992 disposait : « § 1er. Le directeur des contributions ou le fonctionnaire délégué par lui, accorde d'office le dégrèvement des surtaxes résultant d'erreurs matérielles, de doubles emplois, ainsi que de celles qui apparaîtraient à la lumière de documents ou faits nouveaux probants, dont la production ou l'allégation tardive par le redevable est justifiée par de justes motifs, à condition que : 1° ces surtaxes aient été constatées par l'administration ou signalées à celle-ci par le redevable ou par son conjoint sur les biens duquel l'imposition est mise en recouvrement, dans les cinq ans à partir du 1er janvier de l'année au cours de laquelle l'impôt a été établi;2° la taxation n'ait pas déjà fait l'objet d'une réclamation ayant donné lieu à une décision définitive sur le fond. § 2. N'est pas considéré comme constituant un élément nouveau, un nouveau moyen de droit ni un changement de jurisprudence. § 3. Le directeur des contributions ou le fonctionnaire délégué par lui accorde aussi d'office le dégrèvement: 1° de l'excédent de crédits d'impôt, de précomptes et de versements anticipés visés à l'article 304, § 2, pour autant que cet excédent ait été constaté par l'administration ou signalé à celle-ci par le redevable ou par son conjoint sur les biens duquel l'imposition est mise en recouvrement, dans les cinq ans à partir du 1er janvier de l'exercice d'imposition auquel appartient l'impôt sur lequel ces crédits d'impôt, ces précomptes et ces versements anticipés sont imputables;2° des réductions résultant de l'application des articles 88, 131 à 135, 138, 139, 146 à 156 et 257, pour autant que le fait générateur de ces réductions ait été constaté par l'administration ou signalé à celle-ci par le redevable ou par son conjoint sur les biens duquel l'imposition est mise en recouvrement, dans les cinq ans à partir du 1er janvier de l'exercice d'imposition auquel appartient l'impôt sur lequel ces réductions doivent être accordées. § 4. Le Roi détermine les conditions et modalités de restitution d'office des versements anticipés visés aux articles 157 à 168 et 175 à 177 qui n'ont pas encore été imputés sur l'impôt réellement dû ».

B.1.3. Tel qu'il était applicable pour l'exercice d'imposition 2014, l'article 376 du CIR 1992 était identique à cette disposition, à l'exception de son § 3, 2°, qui était ainsi rédigé : « 2° des réductions résultant de l'application des articles 88, 131 à 135, 138, 139, 1451 à 156 et 257, pour autant que le fait générateur de ces réductions ait été constaté par l'administration ou signalé à celle-ci par le redevable ou par son conjoint sur les biens duquel l'imposition est mise en recouvrement, dans les cinq ans à partir du 1er janvier de l'exercice d'imposition auquel appartient l'impôt sur lequel ces réductions doivent être accordées ».

B.1.4. Tel qu'il était applicable pour l'exercice d'imposition 2015, l'article 376 du CIR 1992 était identique à cette disposition, à l'exception de son § 3, 2°, qui était ainsi rédigé : « 2° des réductions résultant de l'application des articles 88, 131 à 135, 138, 139, 1451 à 156, 257, 526, § 1er, et 539 et des réductions d'impôt et diminutions d'impôt régionales, pour autant que le fait générateur de ces réductions ait été constaté par l'administration ou signalé à celle-ci par le redevable ou par son conjoint sur les biens duquel l'imposition est mise en recouvrement, dans les cinq ans à partir du 1er janvier de l'exercice d'imposition auquel appartient l'impôt sur lequel ces réductions doivent être accordées ».

B.2. Les articles 366 et suivants du CIR 1992 organisent, eux, la procédure de réclamation ordinaire, qui doit être introduite dans un délai de six mois à compter du troisième jour ouvrable qui suit la date d'envoi de l'avertissement-extrait de rôle mentionnant le délai de réclamation ou qui suit la date de l'avis de cotisation ou de la perception des impôts perçus autrement que par rôle (article 371 du CIR 1992).

B.3.1. La faculté de demander le dégrèvement d'office d'une surtaxe en alléguant une erreur matérielle ou une double imposition, telle qu'elle est organisée par l'article 376, § 1er, du CIR 1992, trouve son origine dans l'article 61 des lois relatives aux impôts sur les revenus, coordonnées le 15 janvier 1948, tel qu'il a été complété par la loi du 30 mai 1949 « instaurant des mesures exceptionnelles et interprétatives en matière d'impôts directs » (ci-après : la loi du 30 mai 1949).

B.3.2. L'exposé des motifs de la loi du 30 mai 1949 indique : « Il peut notamment être admis que le défaut d'introduction dans le délai légal d'une réclamation motivée ne doit pas faire obstacle au dégrèvement d'un impôt établi indûment à la suite d'un double emploi ou d'une erreur matérielle, à la condition que soit instituée une procédure telle que la bonne marche de l'administration et la stabilité de ressources de l'Etat ne soient pas compromises » (Doc. parl., Chambre, 1948-1949, n° 323, pp. 1-2). et : « Le dégrèvement d'office est en effet une mesure d'ordre gracieux, purement administrative, contre laquelle il n'est organisé aucun recours en justice. L'intérêt supérieur d'une bonne administration exige en effet que les cotisations acquièrent un caractère définitif après l'expiration d'un délai suffisamment long pour permettre au contribuable de vérifier leur bien fondé et d'introduire dans ce délai une réclamation. Il ne faut pas que ces cotisations puissent, après l'expiration de ce délai, être contestées, sous prétexte d'erreurs de quelque nature qu'elles soient. Mais, d'autre part, il convient d'accorder à l'administration le droit de réduire ou d'annuler en tout temps une cotisation qu'elle reconnaît être entachée d'erreur matérielle ou former double emploi avec une cotisation antérieure » (ibid., p. 4).

B.3.3. Par la loi du 27 juillet 1953 « instaurant des mesures en vue d'activer le recouvrement des impôts directs », le législateur a permis le dégrèvement d'office des surtaxes résultant d'une erreur matérielle, que celle-ci soit imputable à un agent de l'administration ou au contribuable lui-même, de sorte que : « il n'y aura plus lieu de rechercher désormais, avant de dégrever d'office les surtaxes constatées par l'administration, si la cause de ces surtaxes est imputable exclusivement à un agent de l'administration ou partiellement ou entièrement au contribuable lui-même » (Doc. parl., Chambre, 1952-1953, n° 277/1, p. 5).

L'exposé des motifs de la loi du 27 juillet 1953 précise : « Le texte projeté tend donc à permettre au Ministre des Finances ou à son délégué d'accorder d'office, dans des cas réellement exceptionnels et dans un esprit d'humanité, le dégrèvement de surtaxes manifestes que le contribuable n'a pu faire constater et dégrever dans les délais normaux » (ibid., p. 6).

B.4.1. La possibilité de dégrèvement d'office des réductions résultant de l'application des articles du CIR 1992 mentionnés à l'article 376, § 3, 2°, du CIR 1992 trouve son origine dans l'article 277, § 3, du Code des impôts sur les revenus 1964, tel qu'il a été introduit dans ce Code par la loi du 4 août 1986 « portant des dispositions fiscales ». La portée de cette disposition a ensuite été étendue par l'article 28 de la loi du 21 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013003445 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales et financières diverses type loi prom. 21/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013000824 source service public federal interieur et service public federal justice Loi portant des dispositions diverses Intérieur fermer « portant des dispositions fiscales et financières diverses », puis par l'article 92 de la loi du 8 mai 2014 « modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 à la suite de l'introduction de la taxe additionnelle régionale sur l'impôt des personnes physiques visée au titre III/1 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions, modifiant les règles en matière d'impôt des non-résidents et modifiant la loi du 6 janvier 2014 relative à la Sixième Réforme de l'Etat concernant les matières visées à l'article 78 de la Constitution ».

B.4.2. L'exposé des motifs de la loi du 4 août 1986 indique qu'un des objectifs du législateur était d'assurer une plus grande sécurité juridique, notamment « en appliquant d'office les réductions d'impôts et abattements fiscaux dès lors que l'administration est en possession des éléments nécessaires à leur calcul », et, dans le même but, d'étendre la règle permettant au directeur des contributions directes d'accorder d'office le dégrèvement des excédents de précomptes et versements anticipés aux « cas où le redevable peut bénéficier de réductions d'impôt, réductions qui n'ont pas été demandées en temps voulu » (Doc. parl., Sénat, 1985-1986, n° 310/1, pp. 5 et 23).

L'exposé des motifs de la loi du 21 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 21/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013003445 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales et financières diverses type loi prom. 21/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013000824 source service public federal interieur et service public federal justice Loi portant des dispositions diverses Intérieur fermer indique : « La volonté du législateur est essentiellement de créer la possibilité d'octroyer d'office les réductions d'impôt auxquelles le redevable avait droit dès l'origine mais qui, pour une raison quelconque, ne lui avaient pas été accordées lors de l'établissement de l'imposition et qui, éventuellement par ignorance, n'avaient pas non plus été demandées par une réclamation régulière.

Dans un souci d'équité, l'adaptation de l'article 376, § 3, 2°, CIR 92, vise à élargir les réductions d'impôts susceptibles de donner lieu à un dégrèvement d'office » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3236/001, pp. 20-21).

B.5. L'affaire pendante devant la juridiction a quo concerne un contribuable qui a omis de mentionner dans sa déclaration d'impôt, pour trois exercices fiscaux successifs, les rentes alimentaires dont il s'est acquitté en faveur de son ex-épouse au profit des enfants communs.

La juridiction a quo a jugé, d'une part, que cette omission n'était pas constitutive d'une erreur matérielle et, d'autre part, que la preuve d'une double imposition n'était pas rapportée.

La Cour est donc invitée à examiner la compatibilité de l'article 376 du CIR 1992 avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il ne s'applique pas au contribuable qui a omis d'indiquer, dans sa déclaration, les rentes alimentaires dont il s'est acquitté en faveur de son ex-conjoint au profit des enfants communs. La juridiction a quo interroge la Cour au sujet de la différence de traitement ainsi créée entre ce contribuable et les contribuables qui se trouvent dans certaines des situations visées à l'article 376 du CIR 1992, lesquels peuvent demander le dégrèvement prévu par cette disposition dans un délai de cinq ans à partir du 1er janvier de l'exercice d'imposition auquel appartient l'impôt concerné.

B.6.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.6.2. L'article 172, alinéa 1er, de la Constitution constitue une application particulière, en matière fiscale, du principe d'égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution.

B.6.3. L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.

Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».

B.7. La juridiction a quo compare la situation du contribuable concerné par le litige pendant devant elle à la situation de trois autres catégories de contribuables visées à l'article 376 du CIR 1992, de sorte que la différence de traitement soulevée dans la question préjudicielle repose sur les critères suivants : - la circonstance que la surtaxe est causée par une erreur matérielle commise par l'administration ou par le contribuable (première branche de la question préjudicielle), - la circonstance que la surtaxe résulte de ce qu'un revenu a été taxé doublement (deuxième branche de la question préjudicielle), - la circonstance que l'une des réductions d'impôt résultant de l'application de l'une des dispositions visées à l'article 376, § 3, 2°, ou qu'une réduction ou diminution d'impôt régionale n'a pas été appliquée alors qu'elle aurait dû l'être (troisième branche de la question préjudicielle).

La Cour examine d'abord l'objectivité et la pertinence de chacun de ces critères, puis la proportionnalité de la mesure en cause.

B.8.1. L'erreur matérielle a été définie par le législateur, lors des travaux préparatoires de la loi du 30 mai 1949, comme comprenant « les erreurs de calcul, les erreurs de plume ou autres erreurs grossières » (Doc. parl., Chambre, 1948-1949, n° 323, p. 1). A ce sujet, le législateur s'est référé à une jurisprudence constante (ibid., p. 4).

La Cour de cassation définit l'erreur matérielle comme étant « une erreur de fait qui résulte d'une méprise sur l'existence d'éléments matériels en l'absence desquels l'imposition manque de base légale » (voy., notamment, Cass., 20 juin 1991, F.1104.F; 10 novembre 1997, F.97.0013.F; 19 décembre 1997, F.97.0067.F; 23 janvier 2004, F.02.0081.F; 19 janvier 2012, R.G. F.10.0133.N).

Ainsi interprété, ce critère est objectif.

B.8.2. Dès lors qu'il entendait prévoir une possibilité exceptionnelle de dégrèvement des surtaxes causées par des erreurs, le législateur a raisonnablement pu limiter cette possibilité aux surtaxes provenant d'erreurs matérielles, une notion suffisamment circonscrite et déterminée, et ne pas l'étendre à toutes sortes d'erreurs autres que matérielles, aux oublis commis par le contribuable ou par son mandataire, ou encore à toute cause autre qu'une erreur. Une telle extension reviendrait en effet à vider de son contenu la procédure normale de la réclamation, qui est à introduire dans un délai de six mois, et à généraliser la procédure du dégrèvement à tous les cas dans lesquels une erreur ou une négligence a été commise dans la déclaration d'impôt introduite par le contribuable ou par son mandataire. Le législateur a pu estimer qu'une telle extension n'était pas souhaitable, dès lors qu'il est nécessaire d'assurer la stabilité des finances de l'Etat dans un délai raisonnable. Le critère de l'erreur matérielle est par conséquent un critère pertinent pour délimiter les cas dans lesquels un dégrèvement d'office peut avoir lieu au-delà du délai normal de réclamation.

B.9.1. Dans sa jurisprudence, la Cour de cassation définit le double emploi comme une double imposition qui « suppose que le même revenu ait fait l'objet de plusieurs impositions dont l'une exclut légalement l'autre » (Cass, 14 janvier 1999, F.98.0067.F; 26 janvier 2001, F.99.0101.N).

Ce critère est objectif.

B.9.2. Le critère tiré du double emploi est pertinent pour différencier les hypothèses dans lesquelles un dégrèvement d'office peut être demandé par le contribuable, dès lors que le législateur a pu considérer que la double imposition d'un même revenu donne toujours lieu à une surtaxe manifeste qui heurte l'équité, ce qui n'est pas le cas de toute surtaxe désignée, dans la question préjudicielle, en sa deuxième branche, comme « résultant d'une cause autre qu'un double emploi ».

B.10.1. Le critère de distinction mentionné dans la troisième branche de la question préjudicielle entre les surtaxes qui peuvent donner lieu à un dégrèvement d'office et celles qui ne le peuvent pas est, lui aussi, objectif, dès lors qu'il repose sur l'énumération, à l'article 376, § 3, 2°, d'un certain nombre de dispositions du CIR 1992 qui concernent toutes des réductions d'impôt, ainsi que sur la qualification de réduction ou diminution d'impôt régionale.

B.10.2. Comme il est dit en B.4.1, l'article 376, § 3, 2°, du CIR 1992 trouve son origine dans la loi du 4 août 1986 « portant des dispositions fiscales ». Les travaux préparatoires de cette loi montrent que le législateur avait l'intention « d'assurer la perception correcte des impôts et des autres prélèvements des pouvoirs publics » et, « dans le même temps, [d'accroître] la sécurité juridique des contribuables, notamment par une meilleure information et de meilleures relations entre le contribuable et l'administration » (Doc. parl., Sénat, 1985-1986, n° 310-2/2°, pp. 1-2).

Parmi les mesures adoptées à cette fin figurait l'application d'office des réductions d'impôt et abattements fiscaux, qui était réalisable « dès lors que l'administration [était] en possession des éléments nécessaires à leur calcul » (Doc. parl., Sénat, 1985-1986, n° 310/1, p. 5).Il ressort par ailleurs des discussions relatives à cette disposition en commission de la Chambre qu'une proposition visant à permettre le remboursement d'office des ristournes et des exonérations auquel l'intéressé avait droit mais qui ont échappé à son attention ou dont il n'avait pas connaissance a été examinée mais qu'elle n'a pas été retenue en raison de problèmes d'application. Il a été observé à cet égard qu'il convenait de faire « une distinction entre l'application pure et simple de la loi et l'application en considération d'une situation de fait dont il convient de vérifier l'existence » (Doc. parl., Chambre, 1985-1986, n° 576/7, p. 104).

B.10.3. Les extensions ultérieures du champ d'application de la disposition en cause ont également porté sur des réductions d'impôt pour lesquelles les données nécessaires au calcul peuvent être connues de l'administration fiscale indépendamment de leur communication par le contribuable, dès lors que la volonté du législateur était « de créer la possibilité d'octroyer d'office les réductions d'impôt auxquelles le redevable avait droit dès l'origine mais qui, pour une raison quelconque, ne lui avaient pas été accordées lors de l'établissement de l'imposition et qui, éventuellement par ignorance, n'avaient pas non plus été demandées par une réclamation régulière » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3236/001, p. 20). Les dépenses donnant droit à une réduction d'impôt sont en effet exposées en faveur de professionnels, qui doivent établir une attestation à l'attention de l'administration fiscale.

B.10.4. La déduction partielle des rentes alimentaires payées à l'ex-conjoint au profit des enfants, visée à l'article 104, 1°, du CIR 1992, se distingue des réductions d'impôt énumérées dans la disposition en cause, en ce que le fait générateur de la déduction et les montants concernés ne peuvent être connus de l'administration fiscale que par la déclaration du contribuable lui-même. Elle ne peut donc pas être accordée d'office par l'administration.

En limitant le dégrèvement d'office aux réductions d'impôt visées par les dispositions énumérées à l'article 376, § 3, 2°, du CIR 1992 et aux réductions et diminutions d'impôt régionales, et en ne l'étendant pas aux demandes basées sur d'autres motifs, comme la déduction des rentes alimentaires, le législateur a dès lors retenu un critère de distinction pertinent.

B.11.1. La Cour doit encore examiner si l'exclusion des contribuables qui ont omis de mentionner, dans leur déclaration, le montant des rentes alimentaires payées au profit de leurs enfants de la possibilité de bénéficier d'un dégrèvement d'office ne produit pas des effets disproportionnés pour les contribuables concernés.

B.11.2. Comme il est dit en B.2, en vertu des articles 366 et suivants du CIR 1992, le redevable peut introduire un recours administratif (la réclamation), pour quelque motif que ce soit, contre le montant de l'imposition établie. Cette réclamation doit être introduite dans un délai de six mois à compter du troisième jour ouvrable qui suit la date d'envoi de l'avertissement-extrait de rôle mentionnant le délai de réclamation, telle qu'elle figure sur ledit avertissement-extrait de rôle, ou qui suit la date de l'avis de cotisation ou de la perception des impôts perçus autrement que par rôle (article 371). Un recours judiciaire est ensuite ouvert contre la décision relative à la réclamation. Tous les redevables disposent dès lors d'un délai de six mois pour vérifier les données qui ont été prises en compte par l'administration fiscale et pour s'apercevoir, le cas échéant, d'un oubli ou d'une négligence de leur part au moment où ils ont rempli leur déclaration. En l'espèce, ce délai ne saurait être jugé déraisonnable, dès lors que les montants payés à titre de rentes alimentaires que le contribuable est invité à renseigner dans sa déclaration d'impôt sont en principe bien connus de lui et qu'il est donc en mesure de vérifier rapidement si ces montants ont été correctement pris en considération par l'administration.

B.12. L'article 376, § 1er et § 3, 2°, du CIR 1992 est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Le contrôle au regard de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ne conduit pas à une autre conclusion.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 376, § 1er et § 3, 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 mai 2022.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, P. Nihoul

^