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Arrêt
publié le 04 octobre 2022

Extrait de l'arrêt n° 55/2022 du 21 avril 2022 Numéro du rôle : 7596 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 358, 347-3, 359-2 junctis les articles 361-4, b) et c), 348-3, 348-5, 348-5/1 et 348-11 de l'ancien Code civil La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges J.-P. Moe(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 55/2022 du 21 avril 2022 Numéro du rôle : 7596 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 358, 347-3, 359-2 junctis les articles 361-4, b) et c), 348-3, 348-5, 348-5/1 et 348-11 de l'ancien Code civil, posées par le tribunal de la famille et de la jeunesse du Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Termonde.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges J.-P. Moerman, T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune et E. Bribosia, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, de la juge émérite R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 28 mai 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 10 juin 2021, le tribunal de la famille et de la jeunesse du Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Termonde, a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. Les articles 358, 347-3, 359-2 junctis les articles 361-4, b) et c), 348-3, 348-5, 348-5/1 et 348-11 du Code civil, lus isolément ou conjointement, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 22bis de la Constitution, avec les articles 3 et 21 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant et avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'ils requièrent absolument le consentement de la mère, du père ou du tuteur de l'enfant mineur pour la conversion d'une adoption internationale en une adoption plénière dans le cas où l'Etat d'origine connaît l'adoption, mais pas la conversion (où la mère et le père sont inconnus et où il n'y a pas de représentant légal), et où le consentement ne peut pas être donné par un tuteur ad hoc désigné par le tribunal à la requête de toute personne intéressée ou du procureur du Roi, alors que, sur la base de l'article 348-5/1 juncto l'article 361-5, le consentement pour la conversion d'une adoption internationale en une adoption plénière peut être donné par un tuteur ad hoc désigné par le tribunal à la requête de toute personne intéressée ou du procureur du Roi dans le cas où l'Etat d'origine ne connaît pas l'adoption ni donc la conversion ? 2. Les articles 358, 347-3, 359-2 junctis les articles 361-4 b) et c), 348-3, 348-5, 348-5/1 et 348-11 du Code civil, lus isolément ou conjointement, violent-ils l'article 22bis de la Constitution, lu en combinaison ou non avec les articles 3 et 21 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant et avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'ils requièrent absolument le consentement de la mère, du père ou du tuteur de l'enfant mineur pour la conversion d'une adoption internationale en une adoption plénière dans le cas où l'Etat d'origine connaît l'adoption, mais pas la conversion (où la mère et le père sont inconnus et où il n'y a pas de représentant légal), et où le consentement ne peut pas être donné par un tuteur ad hoc désigné par le tribunal à la requête de toute personne intéressée ou du procureur du Roi ? ». (...) III. En droit (...) Quant aux dispositions en cause B.1. La Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité des articles 358, 347-3, 359-2 junctis les articles 361-4, b) et c), 348-3, 348-5, 348-5/1 et 348-11 de l'ancien Code civil avec les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 3 et 21 de la Convention relative aux droits de l'enfant et avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que ces dispositions prévoient la désignation d'un tuteur ad hoc pour consentir à l'adoption d'un enfant venant d'un pays qui ne connaît ni l'adoption, ni le placement en vue d'adoption, alors qu'elles ne prévoient pas la même possibilité de désigner un tuteur ad hoc pour consentir à la conversion d'une adoption simple en une adoption plénière lorsque le pays d'origine ne connaît pas l'adoption plénière ou la conversion, et que le père et la mère sont inconnus et qu'il n'y a pas de représentant légal.

B.2. Pour répondre aux questions, il faut également prendre en compte les articles 66 à 72 de la loi du 16 juillet 2004Documents pertinents retrouvés type loi prom. 16/07/2004 pub. 27/07/2004 numac 2004009511 source service public federal justice Loi portant le Code de droit international privé fermer « portant le Code de droit international privé » (ci-après : le Code de droit international privé), qui portent sur les aspects de droit international privé en matière de filiation adoptive.

Conformément à l'article 67, alinéa 1er, du Code de droit international privé, « sans préjudice de l'application de l'article 357 du Code civil, l'établissement de la filiation adoptive est régi par le droit de l'Etat dont l'adoptant ou l'un et l'autre adoptants ont la nationalité à ce moment ».

L'article 68 de ce Code règle le droit applicable aux consentements, et dispose : « Sans préjudice de l'application de l'article 358 du Code civil, les consentements de l'adopté et de ses auteurs ou représentants légaux, ainsi que le mode d'expression de ces consentements, sont régis par le droit de l'Etat sur le territoire duquel l'adopté a sa résidence habituelle immédiatement avant le déplacement en vue de l'adoption ou, à défaut d'un tel déplacement, au moment de l'adoption.

Toutefois, le droit belge régit le consentement visé à l'alinéa 1er si le droit applicable en vertu de l'alinéa 1er ne prévoit pas la nécessité d'un tel consentement ou ne connaît pas l'institution de l'adoption ».

L'article 70 de ce Code dispose : « Le droit applicable en vertu de l'article 67 détermine la nature du lien créé par l'adoption et si l'adopté cesse d'appartenir à sa famille d'origine ».

L'article 71, § 1er, du même Code prévoit que « sans préjudice de l'application de l'article 359-2 du Code civil, la conversion d'une adoption est régie par le droit applicable en vertu des articles 67 à 69 ».

B.3. Les articles 358 et 359-2 de l'ancien Code civil, qui font partie de la section qui contient les « dispositions particulières de droit international privé » en matière d'adoption, portent sur l'adoption plénière dans un contexte international.

L'article 358 de l'ancien Code civil dispose : « Quel que soit le droit applicable au consentement de l'adopté, l'article 348-1 est d'application.

II ne peut être établi d'adoption plénière en Belgique que si le consentement de l'enfant et ceux de sa mère, de son père ou de son représentant légal, lorsqu'ils sont requis, ont été donnés en vue d'une adoption qui a pour effet de rompre le lien préexistant de filiation entre l'enfant et ses père et mère ».

L'article 348-1 de l'ancien Code civil prévoit que toute personne âgée de plus de douze ans doit consentir à son adoption.

L'article 359-2 de l'ancien Code civil dispose : « Lorsqu'une adoption d'un enfant, faite à l'étranger et reconnue en Belgique, n'a pas pour effet de rompre le lien préexistant de filiation, elle peut être convertie en Belgique en une adoption plénière si les consentements visés à l'article 361-4, 1°, b) et c), ont été donnés ou sont donnés en vue d'une adoption produisant cet effet ».

L'article 361-4 de l'ancien Code civil porte sur l'établissement d'une adoption impliquant le déplacement international d'un enfant, lorsque l'enfant réside habituellement dans un Etat étranger. Les consentements visés à l'article 361-4, 1°, b) et c), sont ceux « de l'enfant à l'adoption, lorsqu'il est requis » et ceux « des autres personnes, institutions et autorités dont le consentement est requis pour l'adoption ».

B.4.1. Les articles 348-3, 348-5, 348-5/1 et 348/11 de l'ancien Code civil, auxquels les questions préjudicielles font également référence, se rapportent à la condition du consentement dans le cadre d'une adoption conformément au droit interne.

Ces articles disposent : « Art. 348-3. Lorsque la filiation d'un enfant est établie à l'égard de sa mère et de son père, ceux-ci doivent tous deux consentir à l'adoption. Toutefois, si l'un d'eux est présumé absent, sans aucune demeure connue, dans l'impossibilité ou incapable d'exprimer sa volonté, le consentement de l'autre suffit.

Lorsque la filiation d'un enfant n'est établie qu'à l'égard d'un de ses auteurs, seul celui-ci doit consentir à l'adoption ». « Art. 348-5. Lorsque la filiation d'un enfant n'est pas établie ou lorsque le père et la mère d'un enfant ou le seul parent à l'égard duquel sa filiation est établie sont décédés, présumés absents, sans aucune demeure connue, dans l'impossibilité ou incapables d'exprimer leur volonté, le consentement est donné par le tuteur.

En cas d'adoption par le tuteur, le consentement est donné par le subrogé tuteur. Si les intérêts du subrogé tuteur sont en opposition avec ceux du mineur, le consentement est donné par un tuteur ad hoc désigné par le tribunal à la requête de toute personne intéressée ou du procureur du Roi ». « Art. 348-5/1. Par dérogation aux articles 348-3 et 348-5, le consentement est donné, en cas d'adoption visée à l'article 361-5, par un tuteur ad hoc désigné par le tribunal à la requête de toute personne intéressée ou du procureur du Roi ». « Art. 348-11. Lorsqu'une personne qui doit consentir à l'adoption en vertu des articles 348-2 à 348-7 refuse ce consentement, l'adoption peut cependant être prononcée à la demande de l'adoptant, des adoptants ou du ministère public s'il apparaît au tribunal de la famille que ce refus est abusif.

Toutefois, si ce refus émane de la mère ou du père de l'enfant, le tribunal ne peut prononcer l'adoption, que s'il apparaît, au terme d'une enquête sociale approfondie, que cette personne s'est désintéressée de l'enfant ou en a compromis la santé, la sécurité ou la moralité, sauf lorsqu'il s'agit d'une nouvelle adoption ou lorsqu'il s'agit de l'adoption de l'enfant ou de l'enfant adoptif d'un époux, d'un cohabitant ou d'un ancien partenaire à l'égard duquel un engagement parental commun existe.

Pour apprécier le caractère abusif du refus de consentement, le tribunal tient compte de l'intérêt de l'enfant ».

B.4.2. L'adoption visée à l'article 361-5 de l'ancien Code civil, à laquelle se réfère l'article 348-5/1 précité, se rapporte à l'adoption lorsque le droit applicable dans l'Etat d'origine de l'enfant ne connaît ni l'adoption, ni le placement en vue d'adoption. L'article 361-5 dispose : « Par dérogation aux articles 361-3 et 361-4, dans le cas où le droit applicable dans l'Etat d'origine de l'enfant ne connaît ni l'adoption, ni le placement en vue d'adoption, le déplacement de l'enfant vers la Belgique en vue d'adoption ne peut avoir lieu et l'adoption ne peut être prononcée que si les conditions suivantes sont remplies : 1° l'autorité centrale communautaire compétente a reçu de l'autorité compétente de l'Etat d'origine de l'enfant un rapport contenant des renseignements sur l'identité de l'enfant, son évolution personnelle, sa situation familiale, son passé médical et celui de sa famille, son milieu social, ainsi que sur ses besoins particuliers;2° l'autorité centrale communautaire compétente a reçu du ou des adoptants les documents suivants : a) une copie certifiée conforme de l'acte de naissance de l'enfant;b) une copie certifiée conforme de l'acte de consentement de l'enfant âgé de douze ans au moins à son déplacement vers l'étranger et certifiant que celui-ci a été donné librement, dans les formes légales requises, qu'il n'a pas été obtenu moyennant paiement ou contrepartie d'aucune sorte et qu'il n'a pas été retiré;c) soit une copie certifiée conforme de l'acte de décès des parents, soit une copie certifiée conforme de la décision d'abandon de l'enfant et une preuve de la mise sous tutelle de l'autorité publique;d) une copie certifiée conforme de la décision de l'autorité compétente de l'Etat d'origine établissant une forme de tutelle sur l'enfant dans le chef du ou des adoptants, ainsi qu'une traduction certifiée par un traducteur juré de cette décision;e) une copie certifiée conforme de la décision de l'autorité compétente de l'Etat d'origine autorisant le déplacement de l'enfant vers l'étranger, pour s'y établir de façon permanente, ainsi qu'une traduction certifiée par un traducteur juré de cette décision;f) une preuve que la loi autorise ou autorisera l'enfant à entrer et à séjourner de façon permanente en Belgique;g) une preuve de la nationalité de l'enfant et de sa résidence habituelle.3° l'autorité centrale communautaire compétente a été mise en possession du jugement sur l'aptitude du ou des adoptants et de l'avis écrit du ministère public, conformément à l'article 1231-1/8 du Code judiciaire;4° l'autorité centrale communautaire compétente et l'autorité compétente de l'Etat d'origine de l'enfant ont approuvé par écrit la décision de confier celui-ci à l'adoptant ou aux adoptants ». Quant au fond B.5.1. Les questions préjudicielles portent sur le consentement requis pour la conversion en une adoption plénière d'une adoption faite à l'étranger qui a été reconnue en Belgique et qui ne rompt pas le lien préexistant de filiation. Dans l'affaire au fond, il est demandé à la juridiction a quo d'autoriser une telle conversion.

B.5.2. Les deux questions invitent d'abord la Cour à statuer sur la compatibilité des dispositions en cause de l'ancien Code civil avec les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution, en ce que ces dispositions prévoient la désignation d'un tuteur ad hoc pour consentir à l'adoption d'un enfant venant d'un pays qui ne connaît ni l'adoption, ni le placement en vue d'adoption, alors qu'elles ne prévoient pas la même possibilité de désigner un tuteur ad hoc pour consentir à la conversion d'une adoption simple en une adoption plénière, lorsque le pays d'origine ne connaît pas l'adoption plénière ou la conversion, et que le père et la mère sont inconnus et qu'il n'y a pas de représentant légal.

B.5.3. Il apparaît dès lors que les questions préjudicielles portent essentiellement, d'une part, sur les articles 348-5/1 et 361-5 de l'ancien Code civil et, d'autre part, sur les articles 358 et 359-2 de ce Code.

B.5.4. Il ressort de la motivation et du dossier de la procédure que les faits dans le litige que doit trancher le juge a quo portent sur le cas d'un enfant abandonné, ce qui a été attesté par les autorités compétentes, et dont les parents d'origine sont inconnus et qui est sans représentant légal.

La Cour limite son examen à cette situation.

B.6.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.6.2. L'article 22bis de la Constitution dispose : « Chaque enfant a droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle.

Chaque enfant a le droit de s'exprimer sur toute question qui le concerne; son opinion est prise en considération, eu égard à son âge et à son discernement.

Chaque enfant a le droit de bénéficier des mesures et services qui concourent à son développement.

Dans toute décision qui le concerne, l'intérêt de l'enfant est pris en considération de manière primordiale.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent ces droits de l'enfant ».

B.7.1. Il résulte des articles 348-5/1 et 361-5 de l'ancien Code civil que lorsque le droit applicable dans l'Etat d'origine de l'enfant ne connaît ni l'adoption, ni le placement en vue d'adoption, le consentement à l'adoption est donné par un tuteur ad hoc désigné par le tribunal à la requête de toute personne intéressée ou du procureur du Roi.

B.7.2. L'article 361-5 de l'ancien Code civil a été introduit par l'article 2 de la loi du 6 décembre 2005Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/12/2005 pub. 16/12/2005 numac 2005009965 source service public federal justice Loi modifiant certaines dispositions relatives à l'adoption fermer « modifiant certaines dispositions relatives à l'adoption ». Il peut être déduit des travaux préparatoires de cette disposition que le législateur a voulu prévoir un régime spécifique strictement limité au cas où le droit applicable dans l'Etat d'origine de l'enfant ne connaît ni l'adoption, ni le placement en vue d'adoption, régime qui ne s'applique en outre qu'aux enfants abandonnés ou orphelins (Doc. parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-2021/003, p. 7).

Le législateur a ensuite estimé nécessaire de prévoir qu'en cas d'application de l'article 361-5, le consentement à l'adoption est donné par un tuteur ad hoc désigné par le tribunal en Belgique, après qu'une certaine jurisprudence a considéré qu'il était impossible pour les parents ou pour les représentants légaux de donner leur consentement puisque le droit applicable dans l'Etat d'origine ne connaît ni l'adoption, ni le placement en vue d'adoption (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2259/001, pp. 70-72). C'est la raison pour laquelle l'article 66 de la loi du 6 juillet 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/07/2017 pub. 24/07/2017 numac 2017030652 source service public federal justice Loi portant simplification, harmonisation, informatisation et modernisation de dispositions de droit civil et de procédure civile ainsi que du notariat, et portant diverses mesures en matière de justice fermer « portant simplification, harmonisation, informatisation et modernisation de dispositions de droit civil et de procédure civile ainsi que du notariat, et portant diverses mesures en matière de justice » a introduit l'article 348-5/1, précité, de l'ancien Code civil.

B.7.3. D'ailleurs, le consentement à l'adoption donné par le tuteur ad hoc conformément à l'article 348-5/1 de l'ancien Code civil ne porte pas préjudice aux conditions de l'article 361-5 de l'ancien Code civil, qui exige notamment que les documents nécessaires qui « doivent remplacer la déclaration d'adoptabilité de l'enfant » soient disponibles, de même que la « décision de tutelle sur l'enfant, dans le chef des adoptants » (Doc. parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-2021/003, p. 8). La ministre compétente a déclaré par rapport à ces conditions que « vu qu'un accord explicite de ces instances avec l'adoption n'est pas possible, comme leur législation ne connaît pas l'adoption, cette exigence est remplacée par la preuve que l'autorité compétente de l'Etat d'origine a établi une forme de tutelle sur l'enfant, dans le chef du ou des adoptants et que l'autorité centrale communautaire et l'autorité compétente de l'Etat d'origine ont approuvé par écrit la décision de leur confier l'enfant, en vue de son déplacement à l'étranger » (Ann., Sénat, 2005-2006, 15 décembre 2005, n° 3-140, p.27). Même lorsque le droit applicable dans l'Etat d'origine de l'enfant ne connaît ni l'adoption, ni le placement en vue d'adoption, il faut donc plusieurs décisions des autorités locales en remplacement du consentement à l'adoption, de sorte qu'il est inexact d'affirmer que le consentement donné en Belgique par le tuteur ad hoc conformément à l'article 348-5/1 de l'ancien Code civil suffirait à lui seul pour qu'une adoption puisse avoir lieu.

B.8. La désignation d'un tuteur ad hoc n'est pas possible lorsque, comme c'est le cas dans l'affaire ayant donné lieu aux questions préjudicielles, l'on demande la conversion en une adoption plénière d'une adoption faite à l'étranger, reconnue en Belgique, qui ne rompt pas le lien de filiation préexistant. L'article 359-2 de l'ancien Code civil prévoit dans ce cas qu'une telle adoption peut être convertie en Belgique en une adoption plénière si les consentements visés à l'article 361-4, 1°, b) et c), ont été donnés ou sont donnés en vue d'une adoption produisant cet effet. Les consentements visés à l'article 361-4, 1°, b) et c), sont ceux « de l'enfant à l'adoption, lorsqu'il est requis » et ceux « des autres personnes, institutions et autorités dont le consentement est requis pour l'adoption ». Les travaux préparatoires de l'article 359-2 confirment qu'une telle conversion est également possible lorsque, comme c'est le cas en droit éthiopien d'après la juridiction a quo, « le droit étranger ne connaît que l'adoption simple » (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1366/001, p. 45).

B.9.1. Il existe une différence objective entre, d'une part, la situation visée à l'article 361-5 de l'ancien Code civil, dans laquelle aucune adoption ne pourrait avoir lieu en l'absence de la désignation d'un tuteur ad hoc et, d'autre part, la conversion en une adoption plénière d'une adoption faite à l'étranger, reconnue en Belgique, qui ne rompt pas le lien préexistant de filiation, situation dans laquelle une adoption simple a donc déjà été faite.

B.9.2. Si le législateur a insisté sur les consentements dans le cadre de la conversion en une adoption plénière, c'est pour « empêcher que l'on court-circuite la procédure normale d'adoption plénière et que l'on se contente de consentements exprimés en vue d'une adoption ne rompant pas totalement les liens de filiation » (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1366/001, p. 45). De façon plus générale, le législateur a cherché « à contrer les adoptions plénières réalisées frauduleusement sur la base de consentements exprimés par des personnes qui n'en mesuraient pas les implications », l'important étant « de s'assurer que les consentements portaient bien sur la rupture des liens de filiation (avec les personnes à l'égard desquelles ce lien est établi, qu'il s'agisse des père et mère ou d'un seul d'entre eux) » (ibid., p. 44). A la lumière de ces objectifs, il est pertinent d'exiger que les consentements visés à l'article 361-4, 1°, b) et c), de l'ancien Code civil, à savoir les consentements de l'enfant et des autres personnes, institutions et autorités dont le consentement est requis pour l'adoption, aient été ou soient donnés spécifiquement en vue d'une adoption rompant le lien préexistant de filiation.

L'importance du consentement ressort d'ailleurs également de l'article 347-3 de l'ancien Code civil, selon lequel la conversion d'une adoption simple en une adoption plénière n'est possible que si toutes les conditions, notamment de consentement, sont remplies.

B.9.3. Par ailleurs, il n'apparaît pas que, lorsque les consentements requis pour la réalisation de l'adoption initiale à l'étranger n'ont été donnés qu'en vue d'une adoption ne rompant pas le lien préexistant de filiation, il y aurait par la suite une impossibilité absolue d'obtenir les consentements requis en vertu de l'article 359-2 de l'ancien Code civil afin de convertir l'adoption faite à l'étranger, reconnue en Belgique, en une adoption plénière. Selon les travaux préparatoires de l'article 359-2 de l'ancien Code civil, la seule circonstance que le droit de l'Etat d'origine connaît uniquement l'adoption simple ne rend pas la conversion impossible, et « éventuellement, on recueillera à nouveau les consentements » (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1366/001, p. 45). A cet égard, il a également été souligné que « l'attention des magistrats sera attirée sur la nécessité de procéder chaque fois à des recherches sérieuses dans le pays d'origine notamment afin de retrouver les personnes appelées à consentir et de s'assurer de la teneur de leur consentement » (ibid., p. 44).

B.10.1. La Cour doit encore examiner si l'article 359-2 de l'ancien Code civil, qui prescrit de manière absolue les consentements de l'enfant et des autres personnes, institutions et autorités dont le consentement est requis pour l'adoption, ne produit pas des effets disproportionnés dans l'hypothèse mentionnée en B.5.4.

B.10.2. Comme il est dit au B.9, le législateur, en instaurant la condition du consentement à la conversion en adoption plénière, est surtout parti de l'idée, d'une part, qu'une adoption plénière sans consentement éclairé pourrait contrevenir aux intérêts de l'enfant et des parents d'origine en ce qu'elle a pour effet de rompre tous les liens avec la famille d'origine, et, d'autre part, qu'il y a lieu de lutter contre les abus. Rien ne permet toutefois de présumer qu'il ne saurait jamais être dans l'intérêt de l'enfant d'autoriser la conversion d'une adoption simple en une adoption plénière par le tribunal de la famille lorsqu'il est impossible de recueillir le consentement requis par le législateur parce que les parents d'origine sont inconnus et qu'il n'y a pas de représentant légal.

B.10.3. En effet, l'impossibilité de recueillir un consentement, compte tenu de l'absence d'un mécanisme prévoyant un consentement de remplacement, empêche de manière absolue toute conversion en une adoption plénière, quand bien même celle-ci serait dans l'intérêt de l'enfant. Le législateur laisse ainsi les effets juridiques d'une condition de fond relative à la conversion d'une adoption prévaloir, dans toutes les circonstances, sur d'autres intérêts susceptibles d'être en cause, comme l'intérêt de l'enfant.

Il en découle que le juge ne se voit offrir aucune possibilité de prononcer tout de même la conversion d'une adoption lorsqu'il considère que l'intérêt de l'enfant l'exige (cf. l'article 344-1 de l'ancien Code civil). L'absence d'un mécanisme prévoyant un consentement de remplacement a en effet pour conséquence que l'intérêt de l'enfant, compte tenu des circonstances spécifiques de la cause, ne peut pas toujours être pris en considération par le tribunal de la famille dans la décision sur le fond relative à une demande de conversion d'une adoption simple en une adoption plénière (cf. les articles 1231-13 et 1231-23 du Code judiciaire).

B.10.4. Partant, en n'organisant pas de mécanisme prévoyant un consentement de remplacement dans le cas de l'impossibilité de recueillir un consentement dans l'hypothèse citée en B.5.4, l'article 359-2 de l'ancien Code civil a des conséquences disproportionnées et la différence de traitement sur laquelle est interrogée la Cour n'est pas raisonnablement justifiée.

B.10.5. Le contrôle au regard des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme ne conduit pas à un constat d'inconstitutionnalité plus étendu.

B.11. Par conséquent, l'article 359-2 de l'ancien Code civil n'est pas compatible avec les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 3 et 21 de la Convention relative aux droits de l'enfant, en ce que cette disposition n'organise pas de mécanisme prévoyant un consentement de remplacement quand il est établi que les parents d'origine sont inconnus et qu'il n'y a pas de représentant légal.

B.12. Il revient toutefois exclusivement au législateur de mettre fin à l'inconstitutionnalité constatée.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 359-2 de l'ancien Code civil viole les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 3 et 21 de la Convention relative aux droits de l'enfant, en ce que cette disposition n'organise pas de mécanisme prévoyant un consentement de remplacement quand il est établi que les parents d'origine sont inconnus et qu'il n'y a pas de représentant légal.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 avril 2022.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, L. Lavrysen

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