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Arrêt
publié le 04 juillet 2022

Extrait de l'arrêt n° 184/2021 du 16 décembre 2021 Numéro du rôle : 7490 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 207, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Bruxelles. La Cour cons composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J.-P. Moerman, R. Leysen, Y. Kherbac(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 184/2021 du 16 décembre 2021 Numéro du rôle : 7490 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 207, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J.-P. Moerman, R. Leysen, Y. Kherbache, T. Detienne et S. de Bethune, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 16 décembre 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 29 décembre 2020, la Cour d'appel de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 207, alinéa 2, du CIR (1992), tel qu'il est applicable en l'espèce, lu en combinaison avec l'article 79 du CIR (1992), interprété en ce sens qu'il est également applicable aux avantages anormaux ou bénévoles qu'une société belge a reçus d'une entreprise étrangère, viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. Les articles 194octies à 207 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992) fixent les modalités pour la détermination du bénéfice net dans le cadre de l'impôt des sociétés.

La Cour est interrogée sur l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992, lu en combinaison avec l'article 79 du même Code, tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 2008, 2009 et 2009 spécial. Le régime qui était contenu dans l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992 figure à présent, sous une forme modifiée, à l'article 207, alinéa 7, du CIR 1992.

B.1.2. Dans sa version applicable devant le juge a quo, l'article 207, alinéas 1er et 2, du CIR 1992 disposait : « Le Roi détermine les modalités suivant lesquelles s'opèrent les déductions prévues aux articles 199 à 206.

Aucune de ces déductions ou compensation avec la perte de la période imposable ne peut être opérée sur la partie du résultat qui provient d'avantages anormaux ou bénévoles visés à l'article 79, ni sur les avantages financiers ou de toute nature reçus visés à l'article 53, 24°, ni sur l'assiette de la cotisation distincte spéciale établie sur les dépenses ou les avantages de toute nature, non justifiés conformément à l'article 219, ni sur la partie des bénéfices qui sont affectés aux dépenses visées à l'article 198, alinéa 1er, 12°, ni sur la partie des bénéfices provenant du non-respect de l'article 194quater, § 2, alinéa 4 et de l'application de l'article 194quater, § 4 ».

La Cour est uniquement interrogée au sujet de l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992 en ce qu'il est applicable aux avantages anormaux et bénévoles visés à l'article 79 du CIR 1992, lequel dispose : « Aucune déduction au titre de pertes professionnelles ne peut être opérée sur la partie des bénéfices ou profits qui provient d'avantages anormaux ou bénévoles que le contribuable a retirés, directement ou indirectement, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, d'une entreprise à l'égard de laquelle il se trouve directement ou indirectement dans des liens d'interdépendance ».

B.2.1. Aux termes de l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992, aucune des déductions visées aux articles 199 à 206 ou compensation avec la perte de la période imposable ne peut être opérée sur la partie du résultat qui provient d'avantages anormaux ou bénévoles visés à l'article 79 du CIR 1992.

B.2.2. La loi fiscale ne définit pas ce qu'il faut entendre par la notion d'« avantages anormaux ou bénévoles ». Selon la Cour de cassation, cette notion a une portée plus large que les simples avantages tirés d'opérations ne faisant pas l'objet d'une contrepartie directe ou dont la contrepartie ne répond pas aux conditions normales du marché. Elle comprend également les avantages obtenus dans des circonstances anormales dans le cadre d'opérations qui ne peuvent s'expliquer par des objectifs économiques mais par de seules finalités fiscales (Cass. 29 avril 2005, F.03.0037.N; 24 mai 2019, F.16.0063.N).

B.2.3. Un avantage est « anormal » lorsqu'il est contraire au cours normal des choses, aux usages établis ou à ce qui est habituel dans des cas semblables. Un avantage est « bénévole » lorsqu'il est accordé sans qu'il constitue l'exécution d'une obligation ou lorsqu'il est accordé sans aucune contrepartie.

B.3.1. Le litige porté devant le juge a quo concerne la déduction pour capital à risque visée aux articles 205bis à 205novies du CIR 1992.

Cette déduction a été instaurée par la loi du 22 juin 2005Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/06/2005 pub. 30/06/2005 numac 2005003577 source service public federal finances Loi instaurant une déduction fiscale pour capital à risque fermer « instaurant une déduction fiscale pour capital à risque » et avait pour objectif de remédier à l'inégalité fiscale entre le financement par des fonds de tiers et le financement par des fonds propres en permettant aux sociétés de déduire de leur base imposable des intérêts fictifs, calculés sur le capital à risque. Par cette technique dite de la « déduction des intérêts notionnels », les sociétés sont incitées à renforcer leurs fonds propres (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1778/004, p. 3).

B.3.2. Dès lors que l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992 renvoie aux avantages anormaux ou bénévoles visés à l'article 79 du même Code, cette notion doit s'entendre au sens précité à l'égard de toutes les déductions mentionnées dans les articles 199 à 206 et donc aussi à l'égard de la déduction pour capital à risque - en cause dans le litige a quo - dont il est question aux articles 205bis à 205novies du CIR 1992 (Cass., 24 mai 2019, F.16.0063.N). Selon la Cour de cassation, cette interprétation de la notion d'avantages anormaux ou bénévoles permet de réprimer l'usage abusif de la déduction pour capital à risque (ibid.).

B.4.1. Dans l'affaire soumise au juge a quo, une société belge, qui faisait partie d'un groupe multinational, a reçu des intérêts pour l'octroi d'un prêt intragroupe à une entreprise étrangère liée et a recouru à la déduction pour capital à risque. Après examen des circonstances de fait de l'affaire, le juge a quo constate que, si les intérêts du prêt intragroupe respectent les conditions de pleine concurrence (at arm's length) et que l'apport en nature d'une créance dans la société belge constitue une opération assortie d'une réelle contrepartie, ces avantages ont été obtenus dans le cadre d'opérations qui ne peuvent s'expliquer non pas par des objectifs économiques, mais par la seule finalité fiscale de la déduction pour capital à risque.

Par conséquent, estime le juge a quo, cette opération doit être qualifiée d'avantage anormal au sens de l'article 79 du CIR 1992, de sorte que la déduction pour capital à risque, visée aux articles 205bis à 205novies du même Code, ne peut en principe être accordée.

B.4.2. Le juge a quo demande toutefois à la Cour si l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992, lu en combinaison avec l'article 79 du même Code, viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution dans l'interprétation selon laquelle il s'applique également aux avantages anormaux ou bénévoles obtenus par une société belge de la part d'une entreprise étrangère. Les appelants devant le juge a quo font valoir que les dispositions en cause ne peuvent être appliquées que si les avantages anormaux ou bénévoles ont été obtenus d'une entreprise belge et que leur application aux avantages qui ont été obtenus d'une entreprise étrangère, ce qui est le cas dans le litige au fond, entraîne une identité de traitement qui n'est pas raisonnablement justifiée.

B.5. Ni l'article 79 du CIR 1992, ni l'article 207, alinéa 2, du même Code ne précisent le champ d'application territorial de ces dispositions. Jusqu'en 2002, l'administration fiscale n'appliquait ces dispositions qu'aux avantages anormaux ou bénévoles obtenus d'entreprises belges. Au cours des travaux préparatoires de la loi du 24 décembre 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/12/2002 pub. 31/12/2002 numac 2002003520 source ministere des finances Loi modifiant le régime des sociétés en matière d'impôts sur les revenus et instituant un système de décision anticipée en matière fiscale fermer « modifiant le régime des sociétés en matière d'impôts sur les revenus et instituant un système de décision anticipée en matière fiscale », le ministre des Finances a toutefois déclaré que l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992 devait aussi s'appliquer aux avantages anormaux ou bénévoles reçus d'entreprises étrangères. Les travaux préparatoires indiquent : « La possibilité de compenser les avantages anormaux ou bénévoles reçus par les pertes de la période imposable peut également conduire à une allocation bénéficiaire exagérée pour la société bénéficiaire, des bénéfices qui ne sont en fait imposés nulle part. De ce fait, une double exonération d'impôt peut, entre autres, survenir.

C'est pourquoi, le gouvernement a considéré que l'asymétrie entre les pertes antérieures et les pertes de la période imposable doit être éliminée en empêchant la compensation entre les avantages anormaux ou bénévoles reçus et les pertes de la période imposable.

En outre, une application administrative plus stricte contribuera au fait que les transferts anormaux de bénéfices seront réprimés et cela au niveau international. Dans ce contexte, une déduction sur les avantages anormaux ou bénévoles reçus ne pourra plus être effectuée quand l'entreprise qui a consenti un avantage anormal ou bénévole est une entreprise établie à l'étranger » (Doc. parl., Chambre, 2001-2002, DOC 50-1918/001, p. 52).

Depuis lors, l'administration fiscale interprète la disposition en cause en ce sens et refuse toute déduction sur la partie du résultat qui provient d'avantages anormaux ou bénévoles, même lorsque l'entreprise qui a accordé un tel avantage à une entreprise belge est une entreprise établie à l'étranger.

B.6.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d'égalité et de non-discrimination. L'article 172 de la Constitution constitue une application particulière de ce principe en matière fiscale.

B.6.2. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s'oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.7.1. L'article 207, alinéa 2, du CIR 1992 est une disposition anti-abus. Il vise à préserver l'imposition des bénéfices qui, entre sociétés appartenant à un même groupe, sont transférés artificiellement vers la société qui dispose d'un grand nombre de postes de déduction, mais qui n'a pas réalisé suffisamment de bénéfices pour exploiter pleinement ces déductions. Ce transfert a donc pour objectif de réduire le bénéfice imposable de la société cédante, tout en cherchant à compenser, à l'aide des déductions, le bénéfice transféré à la société bénéficiaire. Pour empêcher cette situation, la disposition précitée interdit toutefois d'opérer la moindre déduction sur le bénéfice transféré (Cass. 25 septembre 2020, F.19.0056.N). La disposition en cause poursuit dès lors un objectif légitime.

B.7.2. Il appartient au législateur de prendre des mesures qui tendent à lutter contre l'évasion fiscale et à y remédier. Il dispose en la matière d'une large marge d'appréciation. En effet, les mesures fiscales constituent un élément essentiel de la politique socioéconomique. Elles assurent non seulement une part substantielle des recettes qui doivent permettre la réalisation de cette politique, mais elles permettent également au législateur d'orienter certains comportements et d'adopter des mesures correctrices afin de donner corps à la politique sociale et économique.

B.8.1. L'égalité de traitement entre les sociétés belges, qu'elles aient obtenu un avantage anormal ou bénévole d'une entreprise belge ou d'une entreprise étrangère liée, repose sur un critère objectif, à savoir l'obtention d'un tel avantage.

B.8.2. Ce critère est par ailleurs pertinent au regard de l'objectif poursuivi par le législateur de lutter contre les abus, dès lors qu'il s'agit dans les deux cas d'empêcher des transferts illicites de bénéfices.

B.8.3. Lors de l'élaboration de la déduction pour capital à risque, le ministre compétent a souligné qu'il y avait lieu de lutter contre tout recours abusif à cette réglementation fiscale (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1778/004, p 36). Dans une circulaire du 3 avril 2008, le ministre précise : « Sa stabilité et sa pérennité dépendent toutefois du bon usage qu'en feront les entreprises. Il est en effet essentiel que les entreprises confortent cette mesure par leur comportement (' uti non abuti '), particulièrement en évitant de mettre en place des plannings agressifs par des constructions visant à accroître de manière purement artificielle leurs possibilités de déduction. [...] Le fonctionnaire-taxateur devra vérifier, le cas échéant, si le résultat sur lequel la société entend imputer la déduction pour capital à risque ne provient pas d'une opération obtenue dans des circonstances anormales et justifiée non par des objectifs économiques mais uniquement par des fins fiscales » (Circulaire n° Ci.RH.840/592.613 (AFER 14/2008) du 3 avril 2008).

B.8.4. Les appelants devant le juge a quo allèguent que l'égalité de traitement entre contribuables au sujet de laquelle la Cour est interrogée ne repose pas sur un critère pertinent, parce que l'octroi par une entreprise étrangère d'un avantage anormal ou bénévole à une entreprise belge ne lèse pas le Trésor belge.

Plutôt que de percevoir le plus de ressources possible pour le Trésor, les dispositions anti-abus, telles les dispositions en cause, visent à sanctionner le choix de monter des constructions fiscales artificielles si ce choix s'explique par la seule volonté d'obtenir un avantage fiscal contraire à l'objectif pour lequel cet avantage a été instauré. Par ailleurs, l'abus visé par les dispositions en cause est effectivement susceptible de léser le Trésor belge, dès lors que le contribuable obtient une déduction alors que des impôts belges seraient normalement dus.

B.9. La Cour doit toutefois encore examiner si les dispositions en cause, dans leur version mentionnée en B.1.1, ne produisent pas des effets disproportionnés dans l'interprétation selon laquelle elles s'appliquent aux avantages anormaux ou bénévoles obtenus par une société belge de la part d'une entreprise étrangère liée.

B.10.1. L'article 207, alinéa 2, du CIR 1992 ne s'applique que lorsqu'il s'agit d'avantages anormaux et bénévoles visés à l'article 79 du même Code, ce qui signifie que l'administration fiscale ne peut se borner à appliquer des critères généraux préétablis, mais doit, dans chaque cas concret, examiner si les conditions des dispositions mentionnées sont remplies.

B.10.2. La charge de la preuve de l'existence d'un avantage anormal ou bénévole, de son ampleur et du lien d'interdépendance incombe à l'administration fiscale. Le contribuable, lui, supporte la charge de la preuve des circonstances économiques qu'il invoque pour justifier les opérations qui constituent en principe un avantage anormal ou bénévole (Cass., 2 avril 2021, F.19.0111.N).

B.10.3. La décision de l'administration fiscale peut faire l'objet d'un contrôle juridictionnel et peut dès lors être annulée lorsque l'administration fiscale a à tort qualifié d'avantage anormal ou bénévole un avantage octroyé par une entreprise étrangère.

B.11.1. Les appelants devant le juge a quo font valoir que l'application des dispositions en cause produit des effets disproportionnés dans l'hypothèse où les avantages anormaux ou bénévoles sont accordés par une entreprise étrangère, puisqu'il peut en résulter une double imposition lorsque l'octroi de l'avantage est également imposé dans l'Etat de résidence de la partie qui accorde l'avantage.

B.11.2. En vertu du principe de la souveraineté fiscale de l'Etat, le législateur peut mener la politique fiscale qu'il estime souhaitable et il détermine la réglementation fiscale applicable aux contribuables établis en Belgique, sous réserve de ses engagements internationaux et des règles constitutionnelles pertinentes.

B.11.3. Dans le cadre de la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la Cour de justice a jugé que, lorsqu'un Etat membre qualifie de bénéfice distribué tout ou partie des intérêts versés par une société résidente à une société non résidente appartenant au même groupe de sociétés, après avoir établi qu'il s'agit d'un montage purement artificiel dont le but est d'échapper à l'emprise de sa législation fiscale, il ne peut être exigé de cet Etat membre, dans ce contexte, qu'il assure que l'Etat de résidence de cette seconde société fasse le nécessaire pour éviter que, au niveau dudit groupe, le paiement qualifié de dividende soit imposé, en tant que tel, tant dans l'Etat membre de résidence de la première société que dans celui de la seconde (CJCE, 13 mars 2007, C-524/04, Thin Cap Group Litigation, point 88).

B.12.1. En ce qui concerne l'application de l'article 26, comparable, du CIR 1992, dans la situation dans laquelle une société belge octroie un avantage anormal ou bénévole à une autre entreprise établie en Belgique avec laquelle elle entretient un lien d'interdépendance, la Cour a jugé, par son arrêt n° 151/2008 du 6 novembre 2008, que l'imposition de la seconde entreprise, sans possibilité de déduction pour la première entreprise, à laquelle les dispositions attaquées pouvaient donner lieu, n'était pas sans justification. La Cour a motivé cette conclusion sur la base de la nature de l'avantage concerné, à savoir son caractère anormal ou bénévole. La Cour a jugé : « B.10.4. Il est vrai que la mesure contestée peut avoir pour conséquence que la déduction des indemnités octroyées sera rejetée dans le chef de celui qui les a concédées, même lorsqu'il s'agit d'avantages anormaux ou bénévoles qui sont également imposés dans le chef du bénéficiaire.

En l'espèce, le législateur pouvait considérer, eu égard à la nature même des avantages anormaux ou bénévoles, qu'il existe un risque d'usage abusif du régime consacré à l'article 26, alinéa 1er, du CIR 1992. Dès lors que la mesure attaquée peut être de nature à prévenir ce risque, elle n'est pas dépourvue de justification raisonnable ». B.12.2. Dans son arrêt n° 149/2013 du 7 novembre 2013, la Cour a repris ces considérants et en a déduit que le fait de tenir compte de l'avantage anormal ou bénévole dans le calcul des bénéfices de l'entreprise qui l'a accordé n'est pas, en soi, une mesure déraisonnable, même si cet avantage est déjà pris en compte dans la détermination du revenu imposable de son bénéficiaire.

B.12.3. Ce constat s'applique tout autant à la situation régie par l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992. L'objectif légitime du législateur de refuser le recours à la déduction pour capital à risque dans le cas de constructions totalement artificielles ne présentant aucun lien avec la réalité économique peut raisonnablement justifier que la déduction soit refusée à l'égard du bénéficiaire de l'avantage et que ce dernier soit dès lors effectivement imposé, même à supposer que cet avantage soit déjà pris en compte dans la détermination des revenus imposables de la partie qui a accordé l'avantage.

B.13.1. Les dispositions en cause ne peuvent donner lieu à une double imposition que si la partie étrangère qui accorde l'avantage anormal ou bénévole est effectivement imposée, dans l'Etat où elle est établie, sur l'octroi de cet avantage.

B.13.2. A cet égard, il convient d'abord d'observer que, lorsque des entreprises liées sont établies dans des Etats différents, il y a lieu de tenir compte des conventions préventives de la double imposition, qui sont le plus souvent fondées sur le Modèle de convention fiscale bilatérale concernant le revenu et la fortune (ci-après : le Modèle de convention fiscale de l'OCDE) et qui visent à prévenir les situations de double imposition. Les articles 79 et 207 du CIR 1992 ne peuvent être appliqués que pour autant qu'ils soient conformes à ces conventions.

B.13.3. Ensuite, pour l'application de la loi fiscale aux relations commerciales et financières transfrontalières, il convient de prendre en considération l'article 185, § 2, du CIR 1992.

Sur la base de l'article 185, § 2, alinéa 1er, b), du CIR 1992, dans sa version applicable aux exercices d'imposition 2008 et 2009, un établissement belge d'une société étrangère pouvait demander à l'administration fiscale, sous certaines conditions, de corriger son bénéfice fiscal à la baisse. C'est le cas « lorsque, dans les bénéfices [de cette] société sont repris des bénéfices qui sont également repris dans les bénéfices d'une autre société, et que les bénéfices ainsi inclus sont des bénéfices qui auraient été réalisés par cette autre société si les conditions convenues entre les deux sociétés avaient été celles qui auraient été convenues entre des sociétés indépendantes ».

L'objectif était dès lors d'assurer que la base d'imposition qui résulte de relations transfrontalières entre des sociétés liées puisse être corrigée pour tenir compte du principe de pleine concurrence et, ainsi, éviter une possible double imposition.

B.13.4. Cette disposition permettait dès lors de corriger à la baisse le bénéfice fiscal du bénéficiaire de l'avantage anormal ou bénévole, auquel cas l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992 ne pouvait pas s'appliquer, puisque la correction à la baisse effectuée en vertu de l'article 185, § 2, alinéa 1er, b), du CIR 1992 a pour conséquence que ces avantages ne sont plus inclus dans la base imposable de la société belge (Q.R., Chambre, 2005-2006, 15 mai 2006, QRVA 51-121, pp. 23471-23473).

B.13.5. Il est vrai que la correction à la baisse prévue à l'article 185, § 2, alinéa 1er, b), du CIR 1992 ne s'opère pas automatiquement et que l'administration fiscale peut refuser la correction et, partant, appliquer l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992, si elle estime que la correction à la hausse effectuée par l'administration fiscale étrangère n'est pas justifiée. Si l'un des Etats concernés rehausse le bénéfice imposable à l'égard du contribuable qui est établi sur son territoire, alors que l'autre Etat concerné n'est pas d'accord avec cette correction et que, partant, il n'effectue pas corrélativement de correction à la baisse, il n'est dès lors pas exclu qu'une partie du bénéfice soit doublement imposée.

B.13.6. Lorsqu'un litige naît entre les parties concernées au sujet d'une possible double imposition dans un contexte transfrontalier, elles peuvent recourir aux procédures amiables spécifiques contenues dans les conventions préventives de la double imposition, dans l'article 25 du Modèle de convention fiscale de l'OCDE ou, pour ce qui est de l'Union européenne, dans la Convention du 23 juillet 1990 relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées (la Convention d'arbitrage).

B.14. Compte tenu de ce qui précède, l'article 207 du CIR 1992, lu en combinaison avec l'article 79 du CIR 1992, tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 2008 et 2009, n'est pas incompatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu'il s'applique également aux avantages anormaux ou bénévoles obtenus par une société belge de la part d'une entreprise étrangère liée.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 207 du Code des impôts sur les revenus 1992, lu en combinaison avec l'article 79 de ce Code, tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 2008 et 2009, ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 16 décembre 2021.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, L. Lavrysen

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