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Arrêt
publié le 09 mai 2022

Extrait de l'arrêt n° 180/2021 du 9 décembre 2021 Numéro du rôle : 7462 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 2.7.1.0.6 du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013, posée par le Tribunal de première instance de Fla La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J.-P. (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 180/2021 du 9 décembre 2021 Numéro du rôle : 7462 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 2.7.1.0.6 du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013, posée par le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J.-P. Moerman, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne et D. Pieters, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 19 octobre 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 9 novembre 2020, le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 2.7.1.0.6 du Code flamand de la fiscalité viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, notamment en ce qu'il crée une discrimination entre, d'une part, les contribuables auxquels il a été fait don d'un contrat d'assurance-vie (ou des droits liés à un tel contrat), qui ont acquitté le droit de donation y afférent et qui, au décès de l'assuré-donateur, sont redevables de l'impôt de succession sur la totalité de l'indemnité versée sur la base de ce contrat d'assurance-vie et, d'autre part, les contribuables qui ont reçu d'autres biens en donation, qui ont acquitté le droit de donation y afférent et qui, au décès du donateur, ne sont pas redevables d'un impôt de succession sur ces biens donnés ? ». (...) III. En droit (...) Quant à la disposition en cause et à son contexte B.1.1. La question préjudicielle porte sur le caractère imposable, à l'impôt successoral, du versement des prestations résultant d'un contrat d'assurance-vie, lorsque le de cujus-preneur d'assurance a fait don de ce contrat au bénéficiaire et qu'un impôt sur les donations a été payé sur cette donation.

B.1.2. La Cour est plus précisément interrogée sur l'article 2.7.1.0.6 du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013 (ci-après : le Code flamand de la fiscalité), tel qu'il était applicable avant sa modification par l'article 34 du décret flamand du 23 décembre 2016 « portant des dispositions fiscales diverses et des dispositions relatives au recouvrement de créances non fiscales » (ci-après : le décret du 23 décembre 2016).

La disposition en cause énonce : « § 1er. Sont considérées comme recueillies à titre de legs les sommes, rentes ou valeurs qu'une personne est appelée à recevoir à titre gratuit au décès du défunt en vertu d'un contrat renfermant une stipulation à son profit par le défunt ou par un tiers.

Sont de même considérées comme recueillies à titre de legs les sommes, rentes ou valeurs qu'une personne a été appelée à recevoir à titre gratuit dans les trois ans précédant le décès du défunt ou qu'elle est appelée à recevoir à titre gratuit à une date postérieure au décès, en vertu d'une stipulation faite à son profit dans un contrat conclu par le défunt.

Lorsque le défunt était marié sous un régime de communauté, les dispositions du premier et du second alinéa sont également d'application pour les sommes, rentes ou valeurs que le conjoint survivant est appelé à recevoir à titre gratuit en vertu d'un contrat conclu par lui. § 2. Le présent article est applicable aux sommes ou valeurs qu'une personne est appelée à recevoir à titre gratuit au décès de celui qui a contracté une assurance sur la vie à ordre ou au porteur.

La personne, mentionnée dans le présent article, est présumée recevoir à titre gratuit, sauf preuve contraire.

Le présent article n'est pas applicable : 1° aux sommes, rentes ou valeurs recueillies en vertu d'une stipulation qui a été assujettie aux droits de donation ou au droit d'enregistrement établi pour les donations entre vifs;2° aux rentes et capitaux constitués en exécution d'une obligation légale;3° aux capitaux et rentes constitués à l'intervention de l'employeur du défunt au profit du conjoint survivant du défunt ou, à défaut, au profit de ses enfants n'ayant pas atteint l'âge de vingt et un ans, en exécution soit d'un contrat d'assurance de groupe souscrit en vertu d'un règlement obligatoire de l'entreprise et répondant aux conditions déterminées par la réglementation relative au contrôle de ces contrats, soit du règlement obligatoire d'un fonds de prévoyance institué au profit du personnel de l'entreprise;4° aux sommes, rentes ou valeurs recueillies au décès du défunt en vertu d'un contrat renfermant une stipulation faite par un tiers au profit du bénéficiaire, quand il est établi que ce tiers a stipulé à titre gratuit au profit du bénéficiaire ». B.2.1. Le testateur peut arrêter par un acte, pour le temps où il n'existera plus, des dispositions de dernières volontés sous le titre d'un legs, afin de disposer de tout ou partie de ses biens (articles 895 et 967 de l'ancien Code civil). Les biens ainsi recueillis par un tiers bénéficiaire sont soumis à l'impôt successoral (article 2.7.1.0.2 du Code flamand de la fiscalité).

B.2.2. Un contrat d'assurance-vie comprend différents rapports juridiques entre des acteurs distincts.

Il ressort de ces rapports juridiques que l'assureur ne verse les prestations d'assurance au bénéficiaire qu'au moment du décès et que ces prestations ne sont donc pas recueillies directement à partir de la succession du preneur d'assurance. Afin que ces prestations d'assurance-vie n'échappent pas aux droits de succession, il a été prévu un régime permettant de soumettre de telles prestations d'assurance-vie à l'impôt successoral.

B.2.3. L'article 8 du Code des droits de succession a donc contenu une fiction légale qui permettait de soumettre à l'impôt successoral les sommes recueillies gratuitement par un bénéficiaire en vertu d'une stipulation pour autrui en assimilant leur versement à un legs provenant de la succession du défunt. La fiction légale implique l'ajout de prestations à la succession du défunt s'il s'agit de sommes, rentes ou valeurs obtenues gratuitement d'un défunt en vertu de stipulations pour autrui.

Par le décret de la Région flamande du 19 décembre 2014 « portant modification du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013 », le législateur décrétal a codifié les règles existantes en matière de droits de succession, afin de mieux coordonner la structure du Code flamand de la fiscalité et d'y apporter des adaptations d'ordre linguistique, sans modifier le contenu des dispositions de droit matériel. L'article 8 du Code des droits de succession a ainsi été repris aux articles 2.7.1.0.6 et 2.7.3.2.8 du Code flamand de la fiscalité.

Un contrat d'assurance-vie avec un assureur contient généralement une stipulation, par le preneur d'assurance en faveur d'un tiers bénéficiaire, qu'au décès du preneur d'assurance, le bénéficiaire percevra des fonds sans contrepartie d'aucune sorte. Les prestations d'assurance-vie sont donc en principe soumises à l'impôt successoral en vertu de la fiction légale.

B.2.4. Pour échapper à ladite fiction légale, le bénéficiaire doit démontrer qu'il a recueilli les prestations d'assurance-vie à titre onéreux ou qu'il n'est nullement question d'une stipulation pour autrui.

B.2.5. L'administration fiscale fédérale a considéré, par la lettre n° EE/105.349 du 9 avril 2013, qu'en cas de don de l'assurance-vie par le preneur d'assurance, les prestations que le bénéficiaire recueille au décès du donateur ne constituent pas un legs au sens de l'article 8 du Code des droits de succession parce que, du fait du don de la police, la stipulation pour autrui s'est mue en une stipulation pour soi-même.

Le Service fédéral des décisions anticipées a confirmé ce point de vue dans sa décision anticipée n° 2016.813 du 6 juillet 2017.

B.2.6. L'administration fiscale flamande (Vlaamse Belastingdienst) n'a pas partagé le point de vue mentionné en B.2.5 et a abouti à une appréciation différente dans ses positions nos 15133 du 12 octobre 2015 et 15142 du 21 décembre 2015. Ainsi, le don d'un contrat d'assurance-vie localisé fiscalement en Région flamande, nonobstant sa présentation à l'enregistrement et son assujettissement à l'impôt sur les donations, ne permettrait pas d'éviter que les prestations d'assurance-vie tombent sous l'application des fictions légales. De même, la réalisation d'une donation n'enlèverait rien au fait qu'il s'agit toujours d'une prestation à la suite de la stipulation effectuée par le preneur d'assurance initial en faveur du bénéficiaire. L'administration fiscale flamande estime que la donation ne doit pas être prise en considération. L'article 2.7.1.0.6, § 2, alinéa 3, 1°, du Code flamand de la fiscalité ne serait pas applicable et les prestations d'assurance versées devraient également être ajoutées à la masse héritée. Elles seraient dès lors soumises à l'impôt successoral, même si un impôt sur les donations a été perçu sur le don du contrat d'assurance-vie.

B.2.7. Par l'article 34, 2°, du décret du 23 décembre 2016, le législateur décrétal a ensuite précisé que « la personne, mentionnée dans le présent article, est présumée recevoir à titre gratuit, sauf preuve contraire. Cette preuve du contraire ne peut être fournie en démontrant qu'il a été fait don du contrat à cette personne » (article 2.7.1.0.6, § 2, alinéa 2, du Code flamand de la fiscalité). Il a également précisé, par l'article 35 du décret du 23 décembre 2016, que les prestations d'assurance sont soumises à l'impôt successoral, même si le don de l'assurance-vie a déjà été soumis à l'impôt sur les donations (article 2.7.3.2.8, § 2, du Code flamand de la fiscalité, lu en combinaison avec l'article 2.7.1.0.6 du même Code).

Le législateur décrétal entendait ainsi mettre un terme aux discussions et à l'incertitude survenues à la suite de la position, mentionnée en B.2.6, adoptée par l'administration fiscale flamande, qui estimait que le bénéficiaire de l'indemnité versée au décès du preneur d'assurance, en cas de don d'une assurance-vie à ce bénéficiaire, avait encore à payer un impôt successoral, même si le don avait été précédemment soumis à l'impôt sur les donations (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 928/1, p. 19; ibid., n° 928/3, p. 8).Il a décidé de confirmer ledit point de vue par voie décrétale (article 34, 2°, du décret du 23 décembre 2016). Le législateur décrétal a également cherché, compte tenu de ce qui a été dit en B.2.5, à empêcher que l'on puisse échapper, par un don d'assurance-vie, à l'impôt successoral sur les prestations d'assurance-vie. Il voulait soumettre de manière égale à l'impôt successoral tous les contribuables-bénéficiaires par rapport aux prestations d'assurance, qu'il y ait eu ou non un don de l'assurance-vie. Par souci d'équité et de justice, il a en même temps cherché, par l'article 35 du décret du 23 décembre 2016, à éviter les conséquences de l'éventuelle double imposition économique en ne réclamant l'impôt successoral que sur la différence entre l'indemnité en cas de décès et la valeur de la police d'assurance-vie au moment de la donation (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 928/3, pp. 8-9).

Un recours en annulation des articles 34 et 35 du décret du 23 décembre 2016 avait été introduit devant la Cour. Cette dernière l'a rejeté par son arrêt n° 34/2019 du 28 février 2019.

En vertu de l'article 60 du décret du 23 décembre 2016, l'article 34 produit ses effets pour les décès survenus à partir du 1er janvier 2017 et l'article 35 est entré en vigueur le 9 janvier 2017. Ces dispositions n'ont donc pas d'incidence directe sur le litige a quo, dès lors que le défunt dans ce litige est décédé le 23 mars 2016.

Quant à la portée de la question préjudicielle B.3.1. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la Cour est interrogée sur l'article 2.7.1.0.6 du Code flamand de la fiscalité, tel qu'il était applicable avant sa modification par l'article 34 du décret du 23 décembre 2016, dans l'interprétation qui lui est donnée dans les positions de l'administration fiscale flamande mentionnées en B.2.6. Dans cette interprétation, les prestations résultant d'un contrat d'assurance-vie doivent être ajoutées à la masse héritée et sont donc intégralement soumises à l'impôt successoral, même s'il a été fait don du contrat d'assurance-vie au bénéficiaire et qu'un impôt sur les donations a été payé sur cette donation.

La Cour souligne à cet égard que la question préjudicielle ne porte pas sur l'interprétation qu'il convient de donner à la disposition en cause, mais sur la compatibilité de cette disposition avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce que, dans l'interprétation soumise à la Cour, elle « crée une discrimination entre, d'une part, les contribuables auxquels il a été fait don d'un contrat d'assurance-vie (ou des droits liés à un tel contrat), qui ont acquitté le droit de donation y afférent et qui, au décès de l'assuré-donateur, sont redevables de l'impôt de succession sur la totalité de l'indemnité versée sur la base de ce contrat d'assurance-vie et, d'autre part, les contribuables qui ont reçu d'autres biens en donation, qui ont acquitté le droit de donation y afférent et qui, au décès du donateur, ne sont pas redevables d'un impôt de succession sur ces biens donnés ».

B.3.2. Pour autant que les parties demanderesses devant le juge a quo soulèvent également, dans leurs mémoires, l'incompatibilité de la disposition en cause avec les principes de la légalité, de la prévisibilité, de la sécurité juridique et de la confiance, ainsi qu'avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour observe que les parties ne peuvent modifier ou faire modifier la portée de la question préjudicielle posée par le juge a quo. C'est au juge a quo qu'il appartient de décider quelles questions préjudicielles doivent être posées à la Cour et de déterminer ainsi l'étendue de la saisine. La Cour limite son examen à la différence de traitement que la disposition en cause, dans l'interprétation soumise à la Cour, crée entre les catégories de contribuables mentionnées dans la question préjudicielle.

Quant au fond B.4.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.4.2. L'article 172, alinéa 1er, de la Constitution constitue une application particulière, en matière fiscale, du principe d'égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution.

B.4.3. Ni les articles 10 et 11 ni l'article 172, alinéa 1er, de la Constitution ne comportent une interdiction générale de la double imposition.

B.5. Conformément à l'article 2.7.1.0.2, alinéa 1er, du Code flamand de la fiscalité, un impôt successoral est en principe dû sur la transmission de biens d'une succession, qu'ils aient été acquis par le contribuable par dévolution légale, par legs ou par institution contractuelle.

En ce qui concerne cette succession dans le cadre de l'impôt successoral, l'article 2.7.1.0.5, § 1er, du même Code dispose : « Les biens dont l'entité compétente de l'administration flamande établit que le défunt a disposé à titre gratuit dans les trois années précédant son décès, sont considérés comme faisant partie de sa succession si la libéralité n'a pas été assujettie aux droits de donation ou au droit d'enregistrement établi pour les donations entre vifs. Les héritiers ou légataires possèdent un droit de recours contre le donataire pour les droits de succession acquittés à raison desdits biens.

Lorsque l'entité compétente de l'administration flamande ou les héritiers et légataires démontrent que la libéralisation [lire : libéralité] valait pour une personne particulière, celle-ci est considérée comme légataire de la donation.

Pour l'application du présent paragraphe, une libéralisation [lire : libéralité] faisant l'objet d'une exonération du droit d'enregistrement est assimilée à une libéralisation [lire : libéralité] assujettie aux droits de donation ou au droit d'enregistrement établi pour les donations entre vifs ».

B.6.1. Il ressort de l'article 2.7.1.0.5 du Code flamand de la fiscalité qu'aucun impôt successoral n'est en principe dû sur une donation de biens (par exemple de l'argent, des actions ou un tableau) si un impôt sur les donations a été payé sur cette donation, et qu'aucun impôt successoral n'est dû non plus sur l'accroissement de valeur du bien entre le moment de la donation et celui du décès.

B.6.2. Par contre, du fait de la disposition en cause, dans l'interprétation soumise à la Cour, en cas de donation d'une assurance-vie, les prestations d'assurance recueillies sont intégralement soumises à un impôt successoral, même si un impôt sur les donations a été payé sur la donation de l'assurance-vie.

B.7. Il faut tenir compte en l'espèce de la nature spécifique de l'objet de la donation. La nature spécifique d'un contrat d'assurance-vie comme produit d'investissement implique que, même après la donation, l'objet de la donation continue à procurer un avantage qui dépasse la valeur de rachat, même sans que le bénéficiaire de la donation en tant que preneur d'assurance fournisse lui-même des prestations quelconques.

Au moment de la donation, le bénéficiaire de celle-ci acquiert ainsi les droits nés de la relation juridique du preneur d'assurance initial, dont le droit de rachat et le droit de désignation ou de modification d'un bénéficiaire. Pour le transfert de ces droits d'assurance, si ceux-ci sont soumis à l'impôt sur les donations, l'on prend en compte la valeur de rachat du contrat d'assurance. Cette valeur de rachat correspond au montant versé au preneur d'assurance en cas de résiliation anticipée du contrat.

Le bénéficiaire du contrat d'assurance-vie ne recueille les prestations qui résultent de la relation juridique avec l'assureur qu'au moment du décès du de cujus-preneur d'assurance.

B.8.1. Par son arrêt n° 34/2019 du 28 février 2019, la Cour a jugé qu'il n'est pas sans justification raisonnable que l'accroissement de valeur, entre le moment de la donation et celui de l'enrichissement effectif du bénéficiaire des prestations d'assurance-vie soit soumis à l'impôt successoral, compte tenu des objectifs, mentionnés en B.2.7, d'égalité, d'équité et de justice dans le cadre de l'assujettissement de prestations d'assurance-vie à l'impôt successoral.

B.8.2. Ces objectifs ne sauraient toutefois justifier que l'impôt successoral soit établi sur la base de la valeur totale des prestations d'assurance versées, sans que l'impôt sur les donations déjà perçu sur la donation d'assurance soit pris en compte pour l'établissement de l'impôt successoral.

En ce qui concerne la donation d'une assurance-vie, l'impôt sur les donations est établi sur la base de la valeur de rachat de l'assurance, c'est-à-dire de l'indemnité que le preneur d'assurance percevrait en cas de résiliation anticipée de l'assurance-vie. En l'espèce, l'assurance-vie n'est pas résiliée anticipativement, mais les prestations d'assurance sont versées au bénéficiaire au décès du preneur d'assurance initial. A ce moment-là, selon l'interprétation de la disposition en cause soumise à la Cour, est également dû un impôt successoral, qui est établi sur la base de la valeur totale des prestations d'assurance versées. Il s'ensuit que le montant total de l'impôt dû peut être considérablement plus élevé que si aucune donation d'assurance-vie sur laquelle un impôt sur les donations aurait été perçu n'avait eu lieu.

La disposition en cause, dans l'interprétation soumise à la Cour, produit dès lors des effets disproportionnés à l'égard des contribuables qui recueillent des prestations résultant d'un contrat d'assurance-vie, lorsqu'il leur a été fait don de ce contrat et qu'un impôt sur les donations a été prélevé sur cette donation. Le fait que l'objet de l'impôt sur les donations (le transfert des droits nés de la relation juridique du preneur d'assurance initial) n'est en principe pas le même que celui de l'impôt successoral (le versement des prestations qui découlent de la relation juridique avec l'assureur) ne conduit pas à une autre conclusion.

B.9. La disposition en cause, interprétée en ce sens qu'elle s'applique à des prestations recueillies en vertu d'un contrat d'assurance-vie, lorsque ce contrat a fait l'objet d'une donation par le de cujus-preneur d'assurance au contribuable-bénéficiaire sur laquelle un impôt sur les donations a été prélevé, n'est par conséquent pas compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que cette disposition aboutit, dans une telle situation, à ce qu'un impôt successoral intégral est dû, établi sur la base de la valeur totale des prestations recueillies en vertu du contrat d'assurance-vie.

La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

B.10.1. Il découle des articles 170, §§ 1er et 2, et 172, alinéa 2, de la Constitution qu'aucun impôt ne peut être levé et qu'aucune exemption d'impôt ne peut être accordée sans qu'ait été recueilli le consentement des contribuables, exprimé par leurs représentants. La matière fiscale est une compétence que la Constitution réserve à une norme législative, le législateur compétent étant tenu de déterminer les éléments essentiels de l'impôt. Font partie des éléments essentiels de l'impôt, la désignation des contribuables, la matière imposable, la base d'imposition, le taux d'imposition et les éventuelles exonérations d'impôt.

Compte tenu de ce qui précède, il appartient exclusivement au législateur décrétal d'adopter, dans le respect des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, une réglementation visant à remédier à l'inconstitutionnalité qui, dans l'interprétation soumise à la Cour, affecte la disposition en cause.

Comme le Gouvernement flamand l'observe, il existe effectivement plusieurs possibilités pour remédier à cette inconstitutionnalité, parmi lesquelles une réduction de l'impôt successoral de l'impôt sur les donations déjà acquitté ou une réduction de la base imposable de l'impôt successoral du montant qui a servi de base imposable pour l'établissement de l'impôt sur les donations.

Entre-temps, dans le cadre de l'ancrage décrétal de la position de l'administration fiscale flamande mentionnée en B.2.6, le législateur décrétal a opté pour cette dernière possibilité. Par l'article 35 du décret du 23 décembre 2016, il a en effet été prévu que « dans le cas d'un contrat d'assurance-vie, la base imposable des sommes, rentes ou valeurs pouvant revenir à la personne visée à l'article 2.7.1.0.6 sont diminuées du montant ayant servi de base imposable pour le prélèvement des droits de donation si le contrat a fait l'objet d'une donation à cette personne par le défunt » (article 2.7.3.2.8, § 2, du Code flamand de la fiscalité). Comme il est dit en B.2.7, la diminution de la base imposable ainsi prévue ne peut toutefois pas être appliquée dans le litige a quo, puisque l'article 35 du décret du 23 décembre 2016 n'est entré en vigueur que le 9 janvier 2017.

B.10.2. L'inconstitutionnalité constatée porte exclusivement sur une situation telle que dans l'affaire soumise au juge a quo, dans laquelle, avant l'entrée en vigueur de l'article 35 du 23 décembre 2016, les prestations ont été recueillies en vertu d'un contrat d'assurance-vie qui a fait l'objet d'une donation par le de cujus-preneur d'assurance au contribuable-bénéficiaire sur laquelle un impôt sur les donations a été prélevé. Cette inconstitutionnalité ne porte pas atteinte à l'application de l'impôt successoral dans les autres situations, dans lesquelles, avant l'entrée en vigueur de l'article 35 du 23 décembre 2016, des sommes, rentes ou valeurs, y compris des prestations d'assurance-vie, ont été obtenues gratuitement d'un défunt en vertu d'une stipulation pour autrui.

Quant au maintien des effets B.11.1. Le Gouvernement flamand demande à titre subsidiaire le maintien des effets de la disposition en cause en cas de constat d'inconstitutionnalité. Il soutient que, si la disposition en cause est tout bonnement déclarée inconstitutionnelle, il en résultera que les contribuables-bénéficiaires ne seront plus redevables de la moindre forme d'impôt successoral. En cas de non-maintien des effets, le constat d'inconstitutionnalité aurait également des conséquences budgétaires et administratives indésirables.

B.11.2. Le maintien des effets doit être considéré comme une exception à la nature déclaratoire de l'arrêt rendu au contentieux préjudiciel.

Avant de décider de maintenir les effets de la disposition en cause, la Cour doit constater que l'avantage tiré de l'effet du constat d'inconstitutionnalité non modulé est disproportionné par rapport à la perturbation qu'il impliquerait pour l'ordre juridique.

B.11.3. Le Gouvernement flamand ne démontre pas qu'un constat d'inconstitutionnalité non modulé pourrait à ce point compromettre la sécurité juridique ou engendrer des conséquences budgétaires ou administratives telles que, lorsqu'elle répond à la question préjudicielle, la Cour doive décider de maintenir les effets de la disposition en cause. Par ailleurs, comme il est dit en B.10.1, il a entre-temps été remédié à l'inconstitutionnalité constatée, par le décret du 23 décembre 2016.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 2.7.1.0.6 du Code flamand de la fiscalité du 13 décembre 2013, tel qu'il était applicable avant sa modification par l'article 34 du décret flamand du 23 décembre 2016 « portant des dispositions fiscales diverses et des dispositions relatives au recouvrement de créances non fiscales », interprété en ce sens qu'il s'applique à des prestations recueillies en vertu d'un contrat d'assurance-vie, lorsque ce contrat a fait l'objet d'une donation par le de cujus-preneur d'assurance au contribuable-bénéficiaire sur laquelle un impôt sur les donations a été prélevé, viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que cette disposition aboutit, dans une telle situation, à ce qu'un impôt successoral intégral est dû, établi sur la base de la valeur totale des prestations recueillies en vertu du contrat d'assurance-vie.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 9 décembre 2021.

Le greffier, Le président, F. Meersschaut L. Lavrysen

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