publié le 30 juin 2022
Extrait de l'arrêt n° 170/2021 du 25 novembre 2021 Numéro du rôle : 7395 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 8ter du décret de la Région wallonne du 30 mars 1995 « relatif à la publicité de l'Administration », tel qu'il La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J.-P. (...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 170/2021 du 25 novembre 2021 Numéro du rôle : 7395 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 8ter du décret de la Région wallonne du 30 mars 1995 « relatif à la publicité de l'Administration », tel qu'il a été inséré par l'article 7 du décret du 2 mai 2019, posée par la Commission d'accès aux documents administratifs.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J.-P. Moerman, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne et D. Pieters, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par décision du 27 avril 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 8 mai 2020, la Commission d'accès aux documents administratifs de la Région wallonne a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 8ter du décret de la Région wallonne du 30 mars 1995 sur la publicité de l'administration, tel qu'il a été inséré par l'article 7 du décret de la Région wallonne du 2 mai 2019, en ce que cette disposition prévoit une obligation pour l'entité concernée de communiquer les documents sollicités, alors que le décret précité du 30 mars 1995 ne prévoirait pas d'obligation de confidentialité spécifique s'imposant aux membres de la Commission d'accès aux documents administratifs instaurée par ce décret, viole-t-il les articles 10, 11 et 32 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, ce qui créerait une discrimination entre les personnes soumises au secret professionnel visé à l'article 458 du Code pénal et les membres de ladite Commission ainsi qu'entre les entités qui doivent communiquer des documents confidentiels à des personnes soumises à ce secret professionnel et celles qui doivent communiquer des documents confidentiels à cette Commission; et ce qui priverait ladite Commission de l'exercice du contrôle dont elle est chargée par le décret précité du 30 mars 1995 et, partant, créerait une violation du droit d'accès aux documents administratifs ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question présentement examinée est posée par la Commission d'accès aux documents administratifs de la Région wallonne (ci-après : la Commission), qui agit dans le cadre de la mission qui lui est conférée par l'article 8, § 1er, du décret de la Région wallonne du 30 mars 1995 « relatif à la publicité de l'Administration » (ci-après : le décret du 30 mars 1995).
B.2.1. L'article 8 du décret du 30 mars 1995 institue la Commission.
Initialement, la Commission pouvait rendre un avis sur une demande de consultation ou de correction d'un document administratif. Cet avis n'était pas contraignant.
Le décret de la Région wallonne du 2 mai 2019 « modifiant le décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l'Administration et le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de renforcer le rôle de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) de la Région wallonne » (ci-après : le décret du 2 mai 2019) a modifié le décret du 30 mars 1995, afin de confier à la Commission un pouvoir de réformation (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1075/1, p. 2).
L'article 8 du décret du 30 mars 1995, tel qu'il a été remplacé par le décret du 2 mai 2019, dispose : « § 1er. Il est créé une commission d'accès aux documents administratifs, ci-après dénommée ' la Commission '.
La Commission connaît des recours introduits contre les décisions de rejet, même implicites, de l'entité compétente saisie d'une demande de consultation, de communication ou de rectification d'un document administratif, conformément aux articles 6 et 7 du présent décret. § 2. La Commission peut également être consultée par une entité. § 3. La Commission peut, d'initiative, émettre des avis sur l'application générale du présent décret. Elle peut soumettre au Parlement des propositions relatives à son application et à sa révision éventuelle. § 4. La Commission se compose d'un président et de cinq membres, dont un vice-président, désignés par le Gouvernement. § 5. Chaque mandat a une durée de cinq ans, renouvelable deux fois, prenant cours à compter de la date de l'arrêté de désignation. § 6. Le président est un magistrat ou un magistrat honoraire du rôle francophone. Un membre est magistrat ou magistrat honoraire du rôle francophone.
Deux membres sont diplômés de l'enseignement universitaire et possèdent des connaissances en droit administratif. Le vice-président est désigné parmi eux.
Deux membres sont nommés parmi les fonctionnaires de la Région ou des personnes morales de droit public qui en dépendent, de rang A3 au moins. Ceux-ci disposent d'une voix consultative.
En cas d'égalité des voix, la voix du président, ou de son suppléant en cas d'empêchement ou d'absence du président, est prépondérante. § 7. Il est nommé, pour chacun des membres, un suppléant sous les mêmes conditions que les membres effectifs. § 8. En cas d'empêchement ou d'absence d'un membre, celui-ci est remplacé par son suppléant. Si un membre démissionne ou cesse pour une raison quelconque de faire partie de la Commission, le suppléant achève le mandat de son prédécesseur.
En cas d'empêchement ou d'absence du président, ou dans l'attente de son remplacement, ses missions sont remplies par son suppléant.
En cas d'empêchement ou d'absence du président et de son suppléant ou dans l'attente de leur remplacement, ses missions sont remplies par le vice-président.
En cas d'empêchement ou d'absence du président, de son suppléant et du vice-président ou dans l'attente de leur remplacement, les missions sont remplies par le suppléant du vice-président. § 9. Le Gouvernement arrête les modalités de fonctionnement de la Commission en ce compris la rémunération de ses membres, et de la composition et le fonctionnement de son secrétariat. § 10. La Commission instituée avant l'entrée en vigueur du présent décret reste valablement constituée jusqu'à son renouvellement. Elle exerce les missions définies par le présent décret ».
B.2.2. Les articles 8bis à 8sexies du décret du 30 mars 1995, tels qu'ils ont été insérés par le décret du 2 mai 2019, règlent la procédure des recours introduits auprès de la Commission contre les décisions de rejet de l'entité compétente saisie d'une demande de consultation, de communication ou de rectification d'un document administratif.
B.2.3. L'article 8bis du décret du 30 mars 1995 dispose : « Le recours devant la Commission peut être introduit par tout demandeur n'ayant pas obtenu satisfaction auprès de l'entité compétente par requête adressée au secrétariat de la Commission par lettre recommandée ou par tout autre moyen conférant date certaine à l'envoi et à la délivrance de cet envoi dans un délai de trente jours, qui en fonction du cas prend effet : - le lendemain de la réception de la décision de rejet; - le lendemain de l'expiration du délai visé à l'article 6, § 5, ou à l'article 7, alinéa 2.
La requête énonce l'identité et le domicile du requérant, l'identité et le siège de l'entité auteure de la décision de rejet, l'objet exact de la demande ainsi que les moyens du recours. Le requérant joint également la décision de rejet attaquée ou, en cas de décision implicite de rejet, les documents attestant de la demande qu'il a introduite auprès de l'entité.
Le secrétariat de la Commission adresse sans délai et par lettre recommandée ou par tout autre moyen conférant date certaine à l'envoi et à la délivrance de cet envoi une copie du recours introduit auprès d'elle à l'entité concernée ».
B.2.4. L'article 8ter du décret du 30 mars 1995 dispose : « L'entité concernée transmet au secrétaire de la Commission copie du document objet de la demande du requérant dans les quinze jours de la demande, ainsi que tout autre élément de droit ou de fait, document ou renseignement qui ont motivé sa décision de rejet. Elle y joint, le cas échéant, une note d'observations. La Commission envoie, moyennant le respect des exceptions prévues à l'article 6 du présent décret, une copie de cette note d'observations au requérant par lettre recommandée ou par tout autre moyen conférant date certaine à l'envoi et à la délivrance de cet envoi.
A défaut de communication par l'entité concernée de la copie du document ou de tout autre élément, document ou renseignement justifiant sa décision de rejet, la Commission fait d'office droit au recours et décide, moyennant le respect des exceptions prévues à l'article 6 du présent décret, la production du document demandé.
L'entité concernée exécute la décision de la Commission dans le délai imparti par cette dernière. Ce délai est au minimum de 15 jours et au maximum de 60 jours ».
A l'exception de la note d'observations, dont la Commission, moyennant le respect des exceptions prévues à l'article 6 du décret du 30 mars 1995, doit envoyer une copie au requérant, l'article 8ter du décret du 30 mars 1995 ne comporte aucune obligation d'envoi au requérant des documents transmis à la Commission par l'entité concernée.
Le document qui fait l'objet de la demande du requérant ne doit pas lui être communiqué lors de l'examen du recours, dès lors que le refus de communication de ce document constitue l'objet même du recours et que sa non-communication au requérant lors de l'examen du recours est une conséquence inéluctable du caractère confidentiel inhérent à la mission de la Commission.
En ce qui concerne les autres éléments de droit ou de fait, documents ou renseignements qui ont motivé la décision de rejet de l'entité concernée et que celle-ci transmet à la Commission, lorsque l'entité concernée allègue que ceux-ci sont confidentiels, il revient à la Commission d'apprécier la confidentialité invoquée en mettant en balance les exigences du contradictoire et celles des intérêts allégués par l'entité concernée, en vue de soumettre ou au contraire de soustraire ces éléments, documents ou renseignements à la contradiction.
B.2.5. L'article 8quater du décret du 30 mars 1995 dispose : « § 1er. Le requérant ou son conseil, ainsi que l'entité compétente ou son délégué sont, à leur demande, entendus par la Commission.
Lorsqu'une partie demande à être entendue, les autres parties sont invitées à comparaître. § 2. La Commission peut auditionner toutes les parties concernées, ainsi que, le cas échéant, les experts et les membres du personnel de l'entité concernée pour demander des informations supplémentaires.
L'audition respecte le principe du contradictoire ".
B.2.6. L'article 8quinquies du décret du 30 mars 1995 dispose : « § 1er. La Commission se prononce sur le recours à huis clos et porte sa décision à la connaissance du demandeur et de l'entité concernée par lettre recommandée ou par tout autre moyen conférant date certaine à l'envoi et à la délivrance de cet envoi dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la réception de la copie du document administratif objet de la demande. Elle peut toutefois, par décision motivée, proroger ce délai d'une durée maximum de 15 jours. En cas d'audition, le délai est d'office prorogé de 15 jours. Il est suspendu du 16 juillet au 15 août. § 2. Si la Commission fait droit au recours, l'entité concernée exécute sa décision dans le délai imparti par cette dernière dans sa décision. Ce délai est au minimum de 15 jours et au maximum de 60 jours. Le Gouvernement fixe les sanctions en cas de non-respect de l'alinéa 1er ".
B.2.7. L'article 8sexies du décret du 30 mars 1995 dispose : « La Commission exerce sa mission de manière indépendante et impartiale. Lors du traitement des recours, elle ne peut recevoir aucune instruction. Ses membres ne peuvent pas faire l'objet d'une évaluation ou d'une procédure disciplinaire sur la base des motifs des décisions adoptées dans le cadre des tâches qui leur sont attribuées par le présent décret ou par ses arrêtés d'exécution ».
B.2.8. Enfin, bien que cela ne soit pas réitéré dans le décret du 30 mars 1995, la Commission, ses membres et son secrétariat sont soumis au secret professionnel visé à l'article 458 du Code pénal, eu égard à la nature des missions de la Commission.
B.3. En vertu de l'article 142, alinéa 3, de la Constitution et de l'article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, seules les juridictions peuvent saisir la Cour de questions préjudicielles. Bien que les travaux préparatoires de ces dispositions ne donnent aucune définition de la notion de « juridiction » habilitée à poser une question préjudicielle à la Cour, il peut être déduit de l'objectif poursuivi par l'instauration de la procédure préjudicielle qu'il convient de donner une interprétation large à cette notion.
La Cour n'est donc compétente pour répondre à la question préjudicielle que pour autant que la Commission soit une juridiction au sens de l'article 142 de la Constitution.
B.4. Il ressort des travaux préparatoires du décret du 2 mai 2019 que le législateur décrétal a voulu considérer la Commission comme une autorité administrative et qu'il n'a pas souhaité en faire une juridiction administrative : « Les auteurs de la présente proposition de décret soulignent que la Commission est une autorité administrative, et que ses décisions sont des actes administratifs susceptibles de recours devant le Conseil d'Etat » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1075/1, p. 4); et « L'article crée la CADA. Les auteurs précisent que cette commission n'est pas une juridiction administrative mais reste elle-même une autorité administrative. La commission ne répond en effet pas à l'ensemble des critères que le Conseil d'Etat émet dans sa doctrine sur le sujet (doctrine basée sur la jurisprudence [de] diverses Hautes Juridictions), même avec la composition nouvellement proposée.
Ceci a des implications importantes puisqu'une décision de la CADA ne pourra pas faire l'objet d'une cassation administrative par le Conseil d'Etat mais bien d'une suspension ou d'une annulation comme tout acte administratif unilatéral à portée individuelle » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1075/10, p. 2).
Il ressort en outre de ces mêmes travaux préparatoires que cette Commission exerce non seulement un contrôle de la légalité des décisions des autorités auprès desquelles le demandeur avait sollicité la consultation d'un document administratif, mais qu'elle dispose aussi « d'un véritable pouvoir de réformation » et « d'un pouvoir d'appréciation autonome » et qu'elle est « chargée de prendre une décision qui se substituera à celle de l'autorité initialement saisie » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1075/1, p. 3).
La considération relative à la volonté du législateur décrétal de ne pas créer une juridiction administrative suffit à conclure que la Commission n'est pas une juridiction administrative.
B.5. En outre, les règles relatives à la compétence, à la composition et au fonctionnement de la Commission, mentionnées en B.2.1 à B.2.8, sont compatibles avec la qualification d'autorité administrative.
B.6. Il résulte de ce qui précède que la Commission est une autorité administrative et non une juridiction.
B.7. Par conséquent, la question posée ne relève pas de la compétence de la Cour.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : La question posée ne relève pas de la compétence de la Cour.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 25 novembre 2021.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, P. Nihoul