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Arrêt
publié le 09 mai 2022

Extrait de l'arrêt n° 123/2021 Numéro du rôle : 7461 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 419 du Code pénal, posée par la Cour de cassation. La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Niho après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procéd(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 123/2021 Numéro du rôle : 7461 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 419 du Code pénal, posée par la Cour de cassation.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et D. Pieters, et, conformément à l'article 60bis de la loi du 6 janvier 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/01/1989 pub. 18/02/2008 numac 2008000108 source service public federal interieur Loi spéciale sur la Cour d'arbitrage fermer sur la Cour constitutionnelle, du président émérite F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 27 octobre 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 9 novembre 2020, la Cour de cassation a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 419 du Code pénal viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'une personne poursuivie pour homicide involontaire ne peut être condamnée qu'à une peine d'emprisonnement maximale de deux ans (article 419, alinéa 1er) et qu'une personne poursuivie pour homicide involontaire dans le cadre d'un accident de la circulation peut être condamnée à plus du double de cette peine, à savoir cinq ans (article 419, alinéa 2), alors que les fautes commises par ces deux personnes revêtent le même caractère involontaire et ont la même conséquence, à savoir un décès, la seconde catégorie pouvant s'exposer en outre à une peine dont l'exécution est appréciée par le tribunal de l'application des peines, tandis que tel n'est pas le cas pour la première catégorie, et que la circonstance que le défaut de précaution ou de prudence se produit dans le contexte d'un accident de la circulation ne constitue pas une justification raisonnable à cette différence de répression ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 419 du Code pénal, qui dispose : « Quiconque aura involontairement causé la mort d'une personne sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de cinquante [euros] à mille [euros].

Lorsque la mort est la conséquence d'un accident de la circulation, l'emprisonnement sera de trois mois à cinq ans et l'amende de 50 euros à 2000 euros ».

B.1.2. En vertu de l'article 418 du Code pénal, il est question d'homicide involontaire lorsque, « sans [qu'il y ait eu] intention d'attenter à la personne d'autrui », le décès de cette personne a été causé « par défaut de prévoyance ou de précaution ». Toute faute, aussi légère soit-elle, constitue un défaut de prévoyance ou de précaution si elle contribue au décès (Cass., 27 septembre 1985, Pas., 1986, I, n° 51; 15 décembre 1992, Pas., 1992, I, n° 795). Le fait de ne pas tenir compte de l'éventualité qu'un acte ou qu'une négligence cause une lésion à autrui constitue en soi un défaut de prévoyance ou de précaution (Cass., 10 mai 1994, Pas., 1994, I, n° 229). Le juge doit vérifier si, sans le défaut de prévoyance ou de précaution imputé au prévenu, il n'y aurait pas eu de dommage tel qu'il s'est produit in concreto (Cass., 1er février 2011, P.10.1354.N; 20 octobre 2015, P.14.0763.N).

B.1.3. Dans le contexte d'un accident de roulage, il n'est pas question d'une contradiction interne dans les décisions judiciaires si l'auteur est condamné pour homicide involontaire alors qu'il est acquitté d'une infraction au code de la route (Cass., 12 mai 1958, Pas., 1958, I, p. 1012; 14 septembre 1959, Pas., 1960, I, p. 42; 1er octobre 2019, P.19.0479.N). Inversement, le juge doit considérer les infractions au code de la route comme des défauts de prévoyance ou de précaution, même si celles-ci ne sont pas imputées distinctement au prévenu (Cass., 22 septembre 2015, P.14.0990.N). Du reste, la prescription de l'infraction au code de la route n'empêche pas que l'auteur soit condamné du chef de l'infraction non encore prescrite d'homicide involontaire (Cass., 4 février 2009, P.08.1466.F).

Il n'est pas requis que la faute du prévenu soit l'unique cause de l'accident de la circulation et du décès. Une faute concurrente, prêtée à un tiers ou à la victime, est dès lors sans incidence sur la déclaration de culpabilité (Cass., 14 mai 2008, P.07.1112.F; 11 février 2009, P.08.1527.F).

B.2.1. La question préjudicielle porte sur la différence entre les peines d'emprisonnement maximales prévues en cas d'homicide involontaire, selon que les faits se produisent dans le contexte d'un accident de la circulation ou en dehors du contexte de la circulation.

Dans la première hypothèse, l'auteur risque une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans et, dans la seconde hypothèse, il risque une peine d'emprisonnement maximale de deux ans, alors que, dans les deux cas, la faute revêt un caractère involontaire et a la même conséquence, à savoir un décès.

B.2.2. Le demandeur en cassation a sollicité du juge a quo qu'il interroge la Cour à titre préjudiciel. La Cour de cassation a fait droit à cette demande, conformément à l'article 26, § 2, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.

Dans ce contexte, la mention selon laquelle « la circonstance que le défaut de précaution ou de prudence se produit dans le contexte d'un accident de la circulation ne constitue pas une justification raisonnable à cette différence de répression » doit être comprise non comme une ingérence du juge a quo dans la compétence de la Cour, mais plutôt comme un élément de motivation avancé par le demandeur en cassation à l'appui de sa demande de poser une question préjudicielle.

B.2.3. Il n'appartient pas aux parties de modifier ou de faire modifier le contenu de la question préjudicielle. La Cour ne compare dès lors pas le taux de la peine en cause avec le taux de la peine en cas de récidive, ni avec le taux de la peine visé à l'article 420 du Code pénal. Elle ne tient pas compte non plus d'une circulaire ministérielle du 16 mai 2017 non précisée par les parties.

B.2.4. La différence de traitement entre les peines d'emprisonnement de plus de trois ans et les peines d'emprisonnement de moins de trois ans en ce qui concerne la surveillance du tribunal de l'application des peines et les éventuelles modalités de l'exécution de la peine est étrangère à la disposition en cause. Cette différence de traitement trouve son fondement dans la loi du 17 mai 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/05/2006 pub. 15/06/2006 numac 2006009456 source service public federal justice Loi relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d'exécution de la peine (2) fermer « relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d'exécution de la peine », qui n'est pas en cause. De plus, ce régime porte sur la peine d'emprisonnement infligée par le juge et non sur la peine maximale encourue par l'auteur. Par conséquent, la Cour répond à la question préjudicielle sans tenir compte de l'éventuelle surveillance par le tribunal de l'application des peines ni des éventuelles modalités de l'exécution de la peine.

B.3.1. Le caractère répréhensible de certains faits, le constat de ceux-ci en tant qu'infraction, la gravité de cette infraction et la sévérité avec laquelle elle peut être punie relèvent du pouvoir d'appréciation du législateur.

La Cour empiéterait sur le domaine réservé au législateur si, en s'interrogeant sur la justification des différences entre des sanctions, elle procédait chaque fois à une mise en balance fondée sur un jugement de valeur quant au caractère répréhensible des faits en cause par rapport à d'autres faits punissables commis et ne limitait pas son examen aux cas dans lesquels le choix du législateur est à ce point incohérent qu'il aboutit à une différence de traitement manifestement déraisonnable ou à une sanction manifestement disproportionnée.

B.3.2. Pour ce qui est de renforcer la sécurité routière aussi, le législateur dispose d'une large marge d'appréciation. Il peut partir du principe que les infractions de roulage comportent toujours un grave danger pour la sécurité routière dans son ensemble et qu'il y a lieu de lutter contre l'impunité dans ce domaine.

Il appartient au législateur, spécialement lorsqu'il entend lutter contre un fléau que d'autres mesures préventives n'ont pu suffisamment endiguer jusqu'ici, de décider s'il convient d'opter pour une répression plus stricte à l'égard de certaines formes de délinquance, et/ou s'il y a lieu de prévoir des mesures alternatives en vue de renforcer la sécurité routière. Le nombre d'accidents de la route et les conséquences de ceux-ci justifient que les personnes qui compromettent la sécurité routière fassent l'objet de procédures et de sanctions appropriées.

B.4.1. A l'origine, l'homicide involontaire était puni d'une peine d'emprisonnement maximale de deux ans, quel qu'en fût le contexte. Par la loi du 7 février 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/02/2003 pub. 25/02/2003 numac 2003014044 source service public federal mobilite et transports Loi portant diverses dispositions en matière de sécurité routière fermer « portant diverses dispositions en matière de sécurité routière », le législateur a inséré dans le Code pénal un nouvel article 419bis, qui prévoyait une incrimination distincte pour « tout usager de la route qui par défaut de prévoyance ou de précaution aura[it] provoqué un accident de la circulation d'où il est résulté la mort d'une personne ». La peine d'emprisonnement maximale de cette nouvelle infraction s'élevait à cinq ans.

Cette disposition a été abrogée par la loi du 20 juillet 2005Documents pertinents retrouvés type loi prom. 20/07/2005 pub. 11/08/2005 numac 2005014121 source service public federal mobilite et transports Loi modifiant les lois coordonnées du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière fermer « modifiant les lois coordonnées du 16 mars 1968 relatives à la police de la circulation routière ». Par cette même loi, il a été ajouté à l'article 419 du Code pénal un second alinéa portant la peine maximale pour homicide involontaire de deux à cinq ans si la mort est la conséquence d'un accident de la circulation. De ce fait, il n'est plus question d'une infraction distincte, mais le contexte d'un accident de la circulation constitue une circonstance aggravante de l'infraction d'homicide involontaire.

B.4.2. Dans les travaux préparatoires de la loi du 7 février 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/02/2003 pub. 25/02/2003 numac 2003014044 source service public federal mobilite et transports Loi portant diverses dispositions en matière de sécurité routière fermer, le législateur a justifié la répression plus sévère d'un défaut de prévoyance ou de précaution entraînant un décès dans un contexte de circulation routière en ces termes : « [La vice-première ministre et ministre de la Mobilité et des Transports souligne] la multiplicité des facettes de ce fléau social sous-estimé que représente le nombre des victimes de la route [...]. [...] Reste la question de savoir comment inciter le conducteur à conduire de façon à diminuer le risque d'accidents de la route. En la matière, une action préventive agira sur les mentalités, mais la perception subjective du risque d'être pris sur le fait et la dissuasion jouent également un rôle. Les règles doivent être claires et sensées. Il faut une bonne formation à la conduite. Les contrôles doivent augmenter le risque objectif d'être pris en cas d'infraction. Les sanctions, enfin, doivent être pertinentes » (Doc. parl., Chambre, 2002-2003, DOC 50-1915/006, p. 7); et « Par contre, la peine maximale d'emprisonnement, qui est de deux ans, est perçue dans certains cas comme insuffisante lorsqu'une infraction grave est à l'origine d'un accident dans lequel des personnes ont été blessées gravement ou ont trouvé la mort. Il suffit de penser à la situation dans laquelle une personne conduisant en état d'ébriété avancé (en dépit des nombreuses campagnes de prévention menées par les autorités au cours de la dernière décennie) renverse d'autres usagers de la route, causant leur mort ou les blessant grièvement. Aussi la présente proposition de loi porte-t-elle le taux de la peine en cas d'accident mortel à cinq ans d'emprisonnement au maximum; elle prévoit un emprisonnement d'un an au maximum pour les accidents entraînant une invalidité temporaire ou permanente d'une des personnes impliquées » (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1188/001, pp. 6-7).

B.5.1. La différence de traitement en cause repose sur un critère objectif, en l'occurrence la question de savoir si l'homicide involontaire s'est produit dans le contexte de la circulation routière ou non. D'après les travaux préparatoires, il ne s'agit pas seulement de collisions entre des véhicules à moteur, mais de « toute attitude de conduite dangereuse ou négligente dans le chef du conducteur d'un véhicule à moteur qui a provoqué la mort [...] à un usager de la voie publique, qu'il soit motorisé ou non » (Doc. parl., Chambre, 2001-2002, DOC 50-1915/001, p. 21).

B.5.2. L'augmentation significative de la peine maximale prévue en cas d'homicide involontaire dans le contexte d'un accident de la circulation est aussi une mesure pertinente à la lumière des objectifs de sécurité routière et de responsabilisation des conducteurs de véhicules à moteur poursuivis par le législateur.

B.5.3. Le taux de la peine de cinq ans maximum est en outre proportionné à ces objectifs. La volonté du législateur de lutter contre la prise de risques inconsidérés au volant qui peuvent entraîner des conséquences dramatiques justifie une peine maximale élevée. A cet égard, ce n'est pas tant le fait que l'auteur n'ait pas voulu les conséquences de son comportement pour la victime qui est pertinent, mais plutôt le fait qu'il aurait probablement pu éviter ces conséquences en adoptant un style de conduite plus raisonnable. Une peine qui vise à changer la mentalité des usagers de la route ne peut être utile que si elle est suffisamment dissuasive.

La disposition en cause donne du reste au juge pénal une fourchette allant d'une peine d'emprisonnement de trois mois à une peine d'emprisonnement de cinq ans. Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 7 février 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/02/2003 pub. 25/02/2003 numac 2003014044 source service public federal mobilite et transports Loi portant diverses dispositions en matière de sécurité routière fermer, cette fourchette lui permet de fixer une peine sur mesure : « La ministre plaide pour la confiance en le pouvoir judicaire, à qui le présent texte procure un instrument, dont il sera fait un usage raisonnable. Le juge peut ainsi par exemple tenir compte du fait que le conducteur qui a commis l'infraction, n'était pas sous l'influence d'alcool, roulait à une vitesse extravagante, etc. Le juge peut en outre également tenir compte de l'état de la victime. Cette solution est une solution intermédiaire entre la qualification de coups et blessures involontaires et celle ' d'entrave méchante ' » (Doc. parl., Sénat, 2002-2003, n° 2-1402/3, p. 34).

B.5.4. Enfin, le constat que d'autres mesures aussi permettent de renforcer la sécurité routière n'empêche pas le législateur de prévoir des sanctions pénales sévères à l'égard des personnes qui, par leur imprudence ou par leur défaut de précaution sur la route, provoquent un décès. Les mesures relatives à l'infrastructure routière, aux restrictions techniques des véhicules à moteur et à la plus grande probabilité de se faire contrôler ont du reste une incidence sur des facteurs externes au comportement du conducteur, alors qu'il est aussi crucial d'influencer ce comportement en vue de renforcer la sécurité routière.

B.6. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 419 du Code pénal ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 30 septembre 2021.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux L. Lavrysen

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