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Arrêt
publié le 09 juin 2021

Extrait de l'arrêt n° 27/2021 du 25 février 2021 Numéro du rôle : 7259 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 346 du Code des impôts sur les revenus de 1992, posée par le Tribunal de première instance de Liège, division Liè La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges T. Merc(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 27/2021 du 25 février 2021 Numéro du rôle : 7259 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 346 du Code des impôts sur les revenus de 1992, posée par le Tribunal de première instance de Liège, division Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 30 septembre 2019, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 9 octobre 2019, le Tribunal de première instance de Liège, division Liège, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 346 du CIR/92 viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce qu'il n'impose pas à l'administration fiscale d'envoyer au contribuable, dans le cadre de la détermination du taux à appliquer à un revenu imposable distinctement en application de l'article 171, 5°, a, du CIR/92, un avis précisant le taux ainsi que l'année qui seront retenus et les motifs pour lesquels ce choix a été opéré, alors que cette même disposition impose à l'administration de faire connaître au contribuable, par lettre recommandée à la poste, les revenus et les autres éléments qu'elle se propose de substituer à ceux qui ont été déclarés ou admis par écrit en indiquant les motifs qui lui paraissent justifier la rectification, dans la mesure où cette disposition est destinée à protéger le contribuable en lui permettant de connaître la position de l'administration préalablement à l'enrôlement et, le cas échéant, de présenter ses observations ou de marquer son accord en connaissance de cause sur cette position ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : CIR 1992), tel qu'il était applicable lors de l'exercice d'imposition 2016, dispose : « Lorsque l'administration estime devoir rectifier les revenus nets et les autres éléments que le contribuable a soit mentionnés dans une déclaration répondant aux conditions de forme et de délais prévues aux articles 307 à 311 ou aux dispositions prises en exécution de l'article 312, soit admis par écrit, elle fait connaître à celui-ci, par lettre recommandée à la poste, les revenus et les autres éléments qu'elle se propose de substituer à ceux qui ont été déclarés ou admis par écrit en indiquant les motifs qui lui paraissent justifier la rectification.

Lorsque l'administration fait usage du moyen de preuve prévu à l'article 342, § 1er, alinéa premier, elle communique de la même manière le montant des bénéfices ou profits de trois contribuables similaires ainsi que les éléments nécessaires pour établir proportionnellement le montant des bénéfices ou profits du contribuable concerné.

Un délai d'un mois à compter du troisième jour ouvrable qui suit l'envoi de cet avis, ce délai pouvant être prolongé pour de justes motifs, est laissé au contribuable pour faire valoir ses observations par écrit; la cotisation ne peut être établie avant l'expiration de ce délai, éventuellement prolongé, sauf si le contribuable a marqué son accord par écrit sur la rectification de sa déclaration ou si les droits du Trésor sont en péril pour une cause autre que l'expiration des délais d'imposition.

Les alinéas précédents sont également applicables aux revenus et autres éléments qui sont repris dans la proposition de déclaration simplifiée visée à l'article 306, lorsque ladite proposition de déclaration simplifiée, complétée par les éléments qui ont été communiqués par le contribuable dans le délai mentionné à l'article 306, § 3, est inexacte ou incomplète ou lorsque l'Administration marque son désaccord sur les remarques dont le contribuable lui fait part dans le délai de l'article 306, § 3.

Au plus tard le jour de l'établissement de la cotisation, l'administration fait connaître au contribuable, par lettre recommandée à la poste, les observations que celui-ci a formulées conformément à l'alinéa 3 du présent article, et dont elle n'a pas tenu compte, en indiquant les motifs qui justifient sa décision ».

B.2. La question préjudicielle porte sur la compatibilité de l'article 346 du CIR 1992 avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu'il n'impose pas à l'administration fiscale d'envoyer au contribuable qui déclare des revenus imposables distinctement en application de l'article 171, 5°, a), du CIR 1992, un avis motivé quant à l'année de référence retenue par elle pour déterminer le taux d'imposition de ces revenus, ce qui permettrait au contribuable de formuler des observations ou de marquer son accord sur la position de l'administration avant le calcul de l'impôt.

B.3. L'article 171, 5°, a), du CIR 1992, tel qu'il était applicable à l'exercice d'imposition 2016, dispose : « Par dérogation aux articles 130 à 145 et 146 à 156, sont imposables distinctement, sauf si l'impôt ainsi calculé, majoré de l'impôt Etat afférent aux autres revenus, est supérieur à l'impôt calculé conformément aux articles précités et afférent aux revenus visés aux articles 17, § 1er, 1° à 3° et 90, 6° et 9°, et aux plus-values sur valeurs et titres mobiliers imposables sur base de l'article 90, 1°, majoré de l'impôt Etat afférent à l'ensemble des autres revenus imposables : [...] 5° au taux moyen afférent à l'ensemble des revenus imposables de la dernière année antérieure pendant laquelle le contribuable a eu une activité professionnelle normale qui est déterminé sur base de l'impôt dû en application des articles 130 à 145 et 146 à 154, diminué des réductions d'impôt visées aux articles 1451 à 14516, 14524, 14526, 14528, 14532 à 14535 et 154bis : a) les indemnités payées contractuellement ou non, ensuite de la cessation de travail ou de la rupture d'un contrat de travail ». B.4.1. Le Conseil des ministres excipe de l'incompétence de la Cour pour connaître de la question préjudicielle en ce que la Cour serait invitée à se prononcer sur une lacune législative.

B.4.2. En vertu de l'article 142, alinéa 2, de la Constitution et de l'article 26, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur les questions relatives à la violation par une loi, un décret ou une règle visée à l'article 134 de la Constitution, des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'autorité fédérale, des communautés et des régions, des articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 143, § 1er, 170, 172 et 191 de la Constitution.

En vertu de ces dispositions, la Cour est compétente pour vérifier si une lacune dans la législation est compatible notamment avec les articles 10 et 11 de la Constitution, indépendamment de savoir s'il appartient au législateur ou, le cas échéant, au juge a quo de mettre fin à l'inconstitutionnalité éventuellement constatée.

L'exception est rejetée.

B.5.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5.2. L'article 172, alinéa 1er, de la Constitution constitue une application particulière, en matière fiscale, du principe d'égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution.

B.6. La question préjudicielle invite la Cour à comparer deux catégories de contribuables à savoir, d'une part, les contribuables qui déclarent un revenu imposable distinctement, visé par l'article 171, 5°, a), du CIR 1992, et auxquels l'administration fiscale ne doit pas envoyer un avis motivé quant au taux et à l'année de référence retenus pour le calcul de l'impôt dû et, d'autre part, les contribuables auxquels l'administration fiscale doit envoyer un avis de rectification motivé dans lequel elle fait connaître les revenus et autres éléments qu'elle se propose de substituer à ceux qui ont été déclarés ou admis par écrit par les contribuables. Les contribuables relevant de la première catégorie ne se voient pas offrir de possibilité de contester le calcul de l'impôt avant son enrôlement, tandis que les contribuables appartenant à la seconde catégorie peuvent faire valoir leurs observations avant l'établissement de la cotisation, dans un délai d'un mois à compter du troisième jour ouvrable qui suit l'envoi de l'avis motivé.

B.7.1. Le Conseil des ministres soutient que les deux catégories de contribuables ne sont pas comparables au regard de la disposition en cause.

B.7.2. Il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. Les procédures différentes que l'administration fiscale doit suivre peuvent certes constituer un élément dans l'appréciation du caractère raisonnable et proportionné d'une différence de traitement qui concerne les contribuables impliqués dans ces procédures, mais elles ne sauraient suffire pour conclure à la non-comparabilité de ces contribuables, au risque de vider de sa substance le contrôle exercé au regard du principe d'égalité et de non-discrimination.

B.8.1. La disposition en cause organise la procédure que doit suivre l'administration fiscale lorsqu'elle estime devoir rectifier les revenus et les autres éléments que le contribuable a soit mentionnés dans une déclaration répondant aux conditions de forme et de délais prévues aux articles 307 à 311 du CIR 1992 ou aux dispositions prises en exécution de l'article 312 du même Code, soit admis par écrit.

Dans le cadre de cette procédure, l'administration est tenue d'envoyer, préalablement au calcul de l'impôt, un avis de rectification motivé dont le but est de permettre au contribuable de répondre aux motifs invoqués par l'administration, c'est-à-dire de présenter ses observations ou de marquer son accord en connaissance de cause sur l'imposition envisagée (Cass., 14 mai 2010, F.08.0051.F/7;

Cass., 15 octobre 1963, Bull. 414, p. 2342; Cass., 17 décembre 1963, Bull. 411, p. 1792).

B.8.2. Comme il ressort du mémoire du Conseil des ministres, l'envoi au contribuable d'un avis de rectification motivé est justifié par le fait qu'en estimant devoir rectifier les revenus et autres éléments que le contribuable a déclarés ou admis par écrit, l'administration met en cause la force probante attachée à ces revenus ou éléments, qui est fondée sur une présomption d'exactitude.

B.9. L'hypothèse dans laquelle la disposition en cause trouve à s'appliquer est significativement différente de la situation soumise au juge a quo.

Dans l'hypothèse d'un revenu imposable distinctement, visé par l'article 171, 5°, a), du CIR 1992, l'administration détermine l'impôt en calculant le taux moyen afférent à l'ensemble des revenus imposables de la dernière année antérieure pendant laquelle le contribuable a eu une activité professionnelle normale. Le calcul de ce taux est effectué sans que l'administration fiscale ne rectifie les revenus et les éléments déclarés par le contribuable, et donc sans mettre en cause leur force probante. S'agissant du procédé normal de calcul de tout impôt, il est justifié que le contribuable ne se voit pas offrir la possibilité de contester l'impôt avant son enrôlement.

L'absence de possibilité donnée au contribuable de contester un impôt sur un revenu imposable distinctement avant son enrôlement est compensée suffisamment par la possibilité qui lui est offerte de vérifier, éventuellement avec l'aide d'un professionnel, sur la base de l'avertissement-extrait de rôle, l'impôt calculé par l'administration sur un revenu imposable distinctement, visé par l'article 171, 5°, a), du CIR 1992. En cas de désaccord, l'administré peut introduire une réclamation auprès de l'administration fiscale, voire une procédure devant le juge judiciaire.

B.10. La différence de traitement entre le contribuable dont l'administration calcule l'impôt sur un revenu imposable distinctement, visé par l'article 171, 5°, a), du CIR 1992 et le contribuable dont l'administration estime devoir rectifier les revenus et les éléments déclarés ou admis par écrit, est dès lors objectivement et raisonnablement justifiée.

B.11. En conséquence, la disposition en cause est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu'il était applicable lors de l'exercice d'imposition 2016, ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 25 février 2021.

Le greffier, Le président, F. Meersschaut F. Daoût

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