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Arrêt
publié le 23 avril 2021

Extrait de l'arrêt n° 157/2020 du 26 novembre 2020 Numéro du rôle : 7170 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 14 et 24 de la loi du 17 juin 2013 « relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en ma La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges T. Merc(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 157/2020 du 26 novembre 2020 Numéro du rôle : 7170 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 14 et 24 de la loi du 17 juin 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/06/2013 pub. 21/06/2013 numac 2013203640 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services fermer « relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions », posée par le Tribunal de première instance de Liège, division Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges T. Merckx-Van Goey, R. Leysen, M. Pâques, Y. Kherbache et T. Detienne, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 25 avril 2019, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 7 mai 2019, le Tribunal de première instance de Liège, division Liège, a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 14 et 24 de la loi du 17 juin 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/06/2013 pub. 21/06/2013 numac 2013203640 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services fermer relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions, violent-ils les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 160 de la Constitution et avec le principe général de la séparation des pouvoirs s'ils sont interprétés comme confiant au juge judiciaire le pouvoir d'annuler une décision prise en matière de marchés publics par une société de droit privé créée par les pouvoirs publics ou à leur initiative ou avec leur concours, et en tout cas sous leur contrôle de droit ou de fait, et à qui est confiée une mission d'intérêt général comme la gestion d'un aéroport régional, même si ces sociétés peuvent par ailleurs prendre unilatéralement des décisions liant les tiers lorsque l'acte attaqué ne ressortit pas à ce dernier pouvoir, alors que le même recours pris contre le même acte adopté dans le même contexte et avec le même effet par un service public au sens organique du terme sera confié au Conseil d'Etat ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 14 de la loi du 17 juin 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/06/2013 pub. 21/06/2013 numac 2013203640 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services fermer « relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions » (ci-après : la loi du 17 juin 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/06/2013 pub. 21/06/2013 numac 2013203640 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services fermer) dispose : « A la demande de toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché ou une concession déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par la violation alléguée, l'instance de recours peut annuler les décisions prises par les autorités adjudicatrices, y compris celles portant des spécifications techniques, économiques et financières discriminatoires, au motif que ces décisions constituent un détournement de pouvoir ou violent : 1° le droit de l'Union européenne en matière de marchés publics ou de concessions applicable au marché ou à la concession concerné, ainsi que la législation en matière de marchés publics ou de concessions;2° les dispositions constitutionnelles, légales ou réglementaires ainsi que les principes généraux du droit applicables au marché ou à la concession concerné;3° les documents du marché ou de la concession ». L'article 24 de la même loi dispose : « L'instance de recours pour les procédures de recours visées aux articles 14, 15 et 16 est : 1° la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat lorsque l'autorité adjudicatrice est une autorité visée à l'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat;2° le juge judiciaire lorsque l'autorité adjudicatrice n'est pas une autorité visée à l'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat. Pour la procédure de recours visée à l'article 16, l'instance de recours est également le juge judiciaire lorsque l'autorité adjudicatrice est une autorité visée à l'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat et qu'une indemnité réparatrice telle que visée à l'article 11bis de ces mêmes lois coordonnées n'a pas été demandée.

Pour les procédures de recours visées aux articles 17 et 22, l'instance de recours est le juge judiciaire. Pour la déclaration d'absence d'effets et les sanctions alternatives, le juge siège comme en référé ».

Cette disposition doit être lue conjointement avec l'article 14, § 1er, alinéa 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, qui dispose : « Si le contentieux n'est pas attribué par la loi à une autre juridiction, la section statue par voie d'arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements : 1° des diverses autorités administratives;2° des assemblées législatives ou de leurs organes, en ce compris les médiateurs institués auprès de ces assemblées, de la Cour des comptes et de la Cour constitutionnelle, du Conseil d'Etat et des juridictions administratives ainsi que des organes du pouvoir judiciaire et du Conseil supérieur de la Justice, relatifs aux marchés publics, aux membres de leur personnel, ainsi qu'au recrutement, à la désignation, à la nomination dans une fonction publique ou aux mesures ayant un caractère disciplinaire ». B.2. Le juge a quo interroge la Cour à propos de la compatibilité des dispositions en cause avec les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 160 de la Constitution et avec le principe général de la séparation des pouvoirs.

Il ressort de la question préjudicielle ainsi que des motifs du jugement de renvoi que la Cour est invitée à comparer, au regard de la juridiction compétente, la situation des soumissionnaires à un marché public qui introduisent un recours en annulation d'une décision prise par une autorité adjudicatrice, dans cette matière, selon que cette autorité est soit « une société de droit privé créée par les pouvoirs publics, à leur initiative ou avec leur concours et, en tout cas, sous leur contrôle de droit ou de fait, et à qui est confiée une mission d'intérêt général [...], même si [cette société peut] par ailleurs prendre des décisions liant les tiers lorsque l'acte attaqué ne ressortit pas à ce dernier pouvoir », telle que la partie défenderesse devant le juge a quo, soit un « service public au sens organique du terme ».

Dans le premier cas, le juge judiciaire est compétent pour connaître du recours, alors que la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat l'est dans le second.

B.3.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu'en soit l'origine : les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination sont applicables à l'égard de tous les droits et de toutes les libertés.

B.3.2. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.3.3. L'article 13 de la Constitution garantit le droit d'accès au juge compétent.

B.3.4. L'article 160 de la Constitution dispose qu'il y a pour toute la Belgique un Conseil d'Etat, dont la composition, la compétence et le fonctionnement sont déterminés par la loi, et que ce Conseil « statue par voie d'arrêt en tant que juridiction administrative et donne des avis dans les cas déterminés par la loi ». Par cette disposition, le Constituant a entendu consacrer le contrôle objectif de la légalité des actes administratifs.

B.3.5. Il ressort de la motivation du jugement de renvoi que le principe général de la séparation des pouvoirs mentionné dans la question préjudicielle doit être compris comme visant la répartition de la compétence juridictionnelle entre le Conseil d'Etat et le pouvoir judiciaire. La Cour examine la question préjudicielle dans ce sens.

B.4.1. Il résulte de la combinaison des dispositions citées en B.1 que la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat connaît des recours en annulation dirigés contre les décisions des autorités adjudicatrices qui sont des autorités au sens de l'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973. Ces autorités sont, d'une part, les diverses autorités administratives (alinéa 1er, 1°) et, d'autre part, les assemblées législatives ou leurs organes, en ce compris les médiateurs institués auprès de ces assemblées, la Cour des comptes et la Cour constitutionnelle, le Conseil d'Etat et les juridictions administratives ainsi que les organes du pouvoir judiciaire et du Conseil supérieur de la Justice, dans certaines matières seulement (alinéa 1er, 2°). Le juge judiciaire connaît des recours en annulation dirigés contre les décisions des autorités adjudicatrices qui ne sont pas des autorités visées à l'article 14, § 1er, précité.

B.4.2. Les travaux préparatoires de l'article 65/24 de la loi du 24 décembre 1993 « relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services », tel qu'il a été inséré par l'article 2 de la loi du 23 décembre 2009 « introduisant un nouveau livre relatif à la motivation, à l'information et aux voies de recours dans la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services », qui est à l'origine de l'article 24 de la loi du 17 juin 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/06/2013 pub. 21/06/2013 numac 2013203640 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services fermer, en cause, indiquent que cette disposition a pour objectif de clarifier les compétences respectives du Conseil d'Etat et du juge judiciaire en matière de marchés publics et de mettre ainsi un terme au problème du « forum shopping » qui a pu exister entre les deux ordres juridictionnels : « Le présent projet reprend le principe, inauguré par la loi du 16 juin 2006 précitée, en vertu duquel le soumissionnaire qui souhaite mettre en oeuvre un recours doit s'adresser uniquement au Conseil d'Etat ou uniquement au juge civil, selon sa qualité ou non d'autorité administrative de l'autorité adjudicatrice concernée, le but de cette disposition étant de mettre fin au ' forum shopping ' qui existe parfois entre les juridictions civiles et administratives » (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC 52-2276/001, p. 40).

B.5. Selon la Cour de cassation, « même si elle a été créée par une autorité administrative et est soumise au contrôle des pouvoirs publics, une personne morale de droit privé n'acquiert le caractère d'une autorité administrative que dans la mesure où elle peut prendre des décisions obligatoires à l'égard des tiers; le fait qu'une mission d'intérêt général lui est confiée est à cet égard sans incidence » (Cass., 13 juin 2013, C.12.0458.F). La Cour de cassation en déduit « qu'un acte émanant de cette personne morale n'est de nature à faire l'objet d'un recours en annulation [...] devant le Conseil d'Etat que dans la mesure où il ressortit à l'impérium dont elle est investie » (ibid.; Cass., 5 février 2016, C.15.0164.F; Cass., 28 mars 2019, C.18.0272.F).

Il découle de cette jurisprudence qu'une personne morale de droit privé qui a été créée par une autorité administrative et qui est soumise au contrôle des pouvoirs publics n'acquiert pas le caractère d'autorité administrative en ce qui concerne les décisions qu'elle prend en matière de marchés publics qui ne ressortissent pas au pouvoir qui lui est attribué, le cas échéant, de prendre des décisions obligatoires à l'égard des tiers (ci-après : l'imperium).

B.6. Les catégories de personnes mentionnées en B.2 sont comparables, dès lors qu'il s'agit dans l'un et l'autre cas d'un soumissionnaire à un marché public qui souhaite contester la décision d'une autorité adjudicatrice dans cette matière.

B.7. La différence de traitement repose sur le critère de la qualité de l'autorité adjudicatrice, qui est ou non une autorité visée à l'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973. Eu égard à la jurisprudence précitée de la Cour de cassation en ce qui concerne la qualification d'une personne morale de droit privé comme « autorité administrative », ce critère est objectif. Il convient encore d'examiner s'il est pertinent au regard de l'objet de la mesure en cause.

B.8. La compétence de la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat pour connaître du contentieux objectif de la légalité des actes administratifs des autorités administratives et, par extension, des actes pris par plusieurs autres autorités et juridictions énumérées à l'article 14, § 1er, alinéa 1er, 2°, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, n'est pas sans justification raisonnable, compte tenu de la compétence du Conseil d'Etat en tant que « juge administratif », au sens de l'article 160 de la Constitution.

B.9. Il ressort de la motivation du jugement de renvoi que le juge a quo cherche essentiellement à savoir si la notion d'« autorité administrative », telle qu'elle est interprétée par la Cour de cassation, est compatible avec les dispositions et principe cités en B.3, en ce qu'elle a pour effet qu'une société de droit privé telle que la partie défenderesse devant le juge a quo n'est pas qualifiée comme telle et que, partant, les décisions qu'elle prend en matière de marchés publics et qui ne ressortissent pas à l'imperium dont elle est dotée sont soustraites à la compétence de la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat, comme il est dit en B.5.

B.10. La circonstance qu'une société de droit privé, telle que la partie défenderesse devant le juge a quo, soit étroitement liée à des pouvoirs publics, qu'elle soit investie d'une mission d'intérêt général et qu'elle puisse prendre des décisions obligatoires à l'égard des tiers n'implique pas que cette société se trouverait dans une situation objectivement identique à celle d'un service public au sens organique, compte tenu de sa structure de droit privé.

A cet égard, il est pertinent que seuls les actes qui ressortissent à l'imperium dont cette société est dotée, le cas échéant, soient justiciables de la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat, ces actes pouvant être considérés comme revêtant un aspect de droit public prédominant, à la différence des autres actes.

B.11. La différence de traitement n'emporte pas une limitation disproportionnée des droits des soumissionnaires concernés.

En effet, en vertu de l'article 14 de la loi du 17 juin 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/06/2013 pub. 21/06/2013 numac 2013203640 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services fermer, en cause, l'objet du recours, les personnes pouvant demander l'annulation, les normes à l'aune desquelles la légalité des décisions des autorités adjudicatrices doit être vérifiée, ainsi que les effets de ces décisions sont identiques, quelle que soit l'instance de recours. Il résulte par ailleurs de l'article 23 de la même loi que les délais pour saisir l'instance de recours sont les mêmes dans les deux cas. Partant, il y a lieu de considérer que le contrôle effectué par la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat et celui effectué par le juge judiciaire sont équivalents.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 14 et 24 de la loi du 17 juin 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/06/2013 pub. 21/06/2013 numac 2013203640 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services fermer « relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions » ne violent pas les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 160 de la Constitution et avec le principe général de la séparation des pouvoirs.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 26 novembre 2020.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût

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