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Arrêt
publié le 23 juillet 2021

Extrait de l'arrêt n° 4/2021 du 14 janvier 2021 Numéros du rôle : 7229, 7278, 7283, 7302, 7303 et 7308 En cause : les recours en annulation totale ou partielle de l'article 115 de la loi du 5 mai 2019 « portant des dispositions diverses en ma La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et F. Daoût, des juges J.-P. Moer(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 4/2021 du 14 janvier 2021 Numéros du rôle : 7229, 7278, 7283, 7302, 7303 et 7308 En cause : les recours en annulation totale ou partielle de l'article 115 de la loi du 5 mai 2019Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/05/2019 pub. 24/05/2019 numac 2019030435 source service public federal justice Loi portant des dispositions diverses en matière pénale et en matière de cultes, et modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et le Code pénal social fermer « portant des dispositions diverses en matière pénale et en matière de cultes, et modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et le Code pénal social », introduits par Luc Lamine, par Alphonsius Mariën et par Serge Artunoff et autres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et F. Daoût, des juges J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et T. Detienne, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite A. Alen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président émérite A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours et procédure a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 10 juillet 2019 et parvenue au greffe le 11 juillet 2019, Luc Lamine a introduit un recours en annulation totale ou partielle de l'article 115 de la loi du 5 mai 2019Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/05/2019 pub. 24/05/2019 numac 2019030435 source service public federal justice Loi portant des dispositions diverses en matière pénale et en matière de cultes, et modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et le Code pénal social fermer « portant des dispositions diverses en matière pénale et en matière de cultes, et modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et le Code pénal social » (publiée au Moniteur belge du 24 mai 2019).b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 7 novembre 2019 et parvenue au greffe le 12 novembre 2019, Alphonsius Mariën a introduit un recours en annulation de la même disposition légale.c. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 13 novembre 2019 et parvenue au greffe le 14 novembre 2019, Luc Lamine a introduit un recours en annulation de la même disposition légale.d. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 21 novembre 2019 et parvenue au greffe le 22 novembre 2019, Luc Lamine a introduit un recours en annulation totale ou partielle de la même disposition légale.e. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 21 novembre 2019 et parvenue au greffe le 22 novembre 2019, Luc Lamine a introduit un recours en annulation totale ou partielle de la même disposition légale.f. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 22 novembre 2019 et parvenue au greffe le 26 novembre 2019, un recours en annulation de la même disposition légale a été introduit par Serge Artunoff, Yalim Bogoz, Cengiz Demirci, Taniyel Dikranian, Yahni Harutyun, Mariam Nersessian, Kirikur Okmen, Peter Petrossian, Serco Proudian, Noebar Sipaan, Karen Tadevosyan, Roza Tadevosyan et Nicolas Tavitian, assistés et représentés par Me E.Van Nuffel, avocat au barreau de Bruxelles.

Ces affaires, inscrites sous les numéros 7229, 7278, 7283, 7302, 7303 et 7308 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) II. En droit (...) Quant à la disposition attaquée B.1.1. L'article 115, attaqué, de la loi du 5 mai 2019Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/05/2019 pub. 24/05/2019 numac 2019030435 source service public federal justice Loi portant des dispositions diverses en matière pénale et en matière de cultes, et modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et le Code pénal social fermer « portant des dispositions diverses en matière pénale et en matière de cultes, et modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et le Code pénal social » a complété l'article 20 de la loi du 30 juillet 1981Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/07/1981 pub. 20/05/2009 numac 2009000343 source service public federal interieur Loi tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie. - Coordination officieuse en langue allemande fermer « tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie » par un 5° rédigé comme suit : « Est puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cinquante euros à mille euros, ou de l'une de ces peines seulement : [...] 5° Quiconque, dans l'une des circonstances indiquées à l'article 444 du Code pénal, nie, minimise grossièrement, cherche à justifier ou approuve des faits correspondant à un crime de génocide, à un crime contre l'humanité ou à un crime de guerre tel que visé à l'article 136quater du Code pénal, établis comme tels par une décision définitive rendue par une juridiction internationale, sachant ou devant savoir que ce comportement risque d'exposer soit une personne, soit un groupe, une communauté ou leurs membres, à la discrimination, à la haine ou à la violence, en raison de l'un des critères protégés ou de la religion, au sens de l'article 1er, § 3, de la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal, et ce, même en dehors des domaines visés à l'article 5 ». B.1.2. Par la disposition attaquée, le législateur visait « d'une part, à transposer en droit interne les obligations relatives à la répression pénale du négationnisme contenues dans la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil de l'Union européenne sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal. D'autre part, elle vise à mettre en oeuvre le Protocole du Conseil de l'Europe du 28 janvier 2003 additionnel à la Convention européenne sur la cybercriminalité du 23 novembre 2001, qui oblige les Etats parties à incriminer en droit interne certains comportements ' négationnistes ' » (Doc. parl., Chambre, 2018-2019, DOC 54-3515/001, p. 140).

B.1.3. L'article 1er de la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 « sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal » (ci-après : la décision-cadre 2008/913/JAI) dispose : « 1. Chaque Etat membre prend les mesures nécessaires pour faire en sorte que les actes intentionnels ci-après soient punissables : [...] c) l'apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, tels que définis aux articles 6, 7 et 8 du Statut de la Cour pénale internationale, visant un groupe de personnes ou un membre d'un tel groupe défini par référence à la race, la couleur, la religion, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique lorsque le comportement est exercé d'une manière qui risque d'inciter à la violence ou à la haine à l'égard d'un groupe de personnes ou d'un membre d'un tel groupe; [...] 4. Tout Etat membre peut, lors de l'adoption de la présente décision-cadre ou ultérieurement, faire une déclaration aux termes de laquelle il ne rendra punissables la négation ou la banalisation grossière des crimes visés au paragraphe 1, points c) et/ou d), que si ces crimes ont été établis par une décision définitive rendue par une juridiction nationale de cet Etat membre et/ou une juridiction internationale ou par une décision définitive rendue par une juridiction internationale seulement ». B.1.4. Faisant usage de la faculté accordée aux Etats membres par l'article 1er, paragraphe 4, précité, de la décision-cadre 2008/913/JAI, le législateur a limité le champ d'application de la disposition pénale attaquée en retenant comme critère que les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre doivent avoir été « établis comme tels par une décision définitive rendue par une juridiction internationale ». Selon les travaux préparatoires, « les termes ' juridiction internationale ' renvoient à la Cour pénale internationale ou à une juridiction pénale internationale établie par décision du Conseil de sécurité des Nations Unies, sur la base du Chapitre VII de la Charte des Nations unies » (Doc. parl., Chambre, 2018-2019, DOC 54-3515/001, p. 151).

Les travaux préparatoires soulignent, en ce qui concerne ce critère, « qu'il a été jugé opportun de recourir à ce critère, étant donné que ni la décision-cadre, ni le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, n'imposent de limitation quant à la portée ratione temporis de l'infraction de négationnisme à insérer en droit interne, sauf à envisager de faire une déclaration conformément à l'article 1er, § 4, de la décision-cadre, ce qui a été retenu en l'espèce.

Afin d'éviter les incertitudes sur l'application dans le temps des dispositions pénales qu'il est proposé d'insérer dans la loi du 30 juillet 1981Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/07/1981 pub. 20/05/2009 numac 2009000343 source service public federal interieur Loi tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, il est prévu que la disposition nouvelle s'appliquera aux faits qui ont été établis comme crimes de génocide, crimes contre l'humanité ou crimes de guerre par une décision définitive rendue par une juridiction internationale » (ibid., p. 155).

Quant à l'étendue des recours en annulation B.2.1. La Cour doit déterminer l'étendue des recours en annulation sur la base du contenu des requêtes et en particulier sur la base de l'exposé des moyens. La Cour limite son examen aux dispositions contre lesquelles des moyens sont dirigés.

B.2.2. Il ressort des requêtes dans les affaires nos 7229, 7278, 7283 et 7302 que les moyens ne concernent la disposition attaquée qu'en ce qu'elle limite le champ d'application de l'incrimination qu'elle prévoit sur la base du critère selon lequel les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre doivent avoir été « établis comme tels par une décision définitive rendue par une juridiction internationale ».

Il ressort de la requête et du moyen exposé dans l'affaire n° 7308 que les griefs des parties requérantes dans cette affaire portent aussi uniquement sur la limitation de l'incrimination aux crimes « établis comme tels par une décision définitive rendue par une juridiction internationale ».

La partie requérante dans l'affaire n° 7303 critique en outre le fait que la disposition attaquée « ne lie pas l'amende à la capacité économique des personnes coupables ».

B.2.3. La Cour limite dès lors son examen dans cette mesure.

Quant à l'intérêt B.3. Le Conseil des ministres conteste l'intérêt des parties requérantes.

B.4. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée; il s'ensuit que l'action populaire n'est pas admissible.

B.5.1. La partie requérante dans l'affaire n° 7278 et la partie requérante dans les affaires nos 7229, 7283, 7302 et 7303 déduisent du simple fait que la disposition attaquée prévoit une peine privative de liberté qu'elles disposent de l'intérêt requis.

Les parties requérantes dans les affaires nos 7229, 7283, 7302 en 7303 ajoutent qu'elles ont leur propre opinion sur le génocide rwandais et qu'elles veulent avoir l'opportunité « d'exprimer cette opinion nuancée, s'il y avait lieu dans un cas très particulier, sans être passibles de sanctions sur la base de la disposition attaquée ».

B.5.2. Comme il a été dit en B.2.2, les parties requérantes dans les affaires nos 7229, 7278, 7283 et 7302 visent la disposition attaquée uniquement en ce que l'incrimination de l'acte de nier, de minimiser grossièrement, de chercher à justifier ou d'approuver des faits correspondant à un crime de génocide, à un crime contre l'humanité ou à un crime de guerre est limitée aux crimes précités qui ont été « établis comme tels par une décision définitive rendue par une juridiction internationale ». A cet égard, elles ne démontrent cependant pas en quoi elles pourraient, à titre personnel, être affectées directement et défavorablement par la limitation de l'incrimination.

Par ailleurs, la partie requérante dans l'affaire n° 7303 critique le fait que la disposition attaquée « ne lie pas l'amende à la capacité économique des personnes coupables ». La partie requérante ne démontre pas que cette absence de lien pourrait l'affecter directement et défavorablement ni qu'elle dispose en l'espèce d'un intérêt personnel qui ne se confond pas avec l'intérêt général.

Enfin, le fait que les parties requérantes désapprouvent une loi sur la base d'une appréciation personnelle subjective ou de sentiments que cette loi suscite en elles ne saurait justifier leur intérêt aux recours.

B.5.3. Les recours dans les affaires nos 7229, 7278, 7283, 7302 et 7303 sont irrecevables, à défaut d'intérêt.

B.6.1. A l'appui de leur intérêt, les parties requérantes dans l'affaire n° 7308 font valoir qu'elles sont d'origine arménienne et qu'elles descendent de victimes du génocide arménien.

B.6.2. La limitation, par la disposition attaquée, de l'incrimination qu'elle prévoit aux crimes qui ont été « établis comme tels par une décision définitive rendue par une juridiction internationale » a pour effet que le génocide arménien est exclu de cette incrimination. Dans la mesure où elles descendent de victimes du génocide arménien, les parties requérantes peuvent donc être affectées directement et défavorablement dans leur situation par la disposition attaquée et elles justifient d'un intérêt à demander l'annulation de cette disposition.

B.6.3. Dans la mesure où, en cette qualité, les parties requérantes justifient de l'intérêt requis, il n'y a pas lieu de vérifier si elles justifient également de l'intérêt requis dans l'autre qualité qu'elles invoquent, c'est-à-dire en ce qu'elles participent aux actions et aux décisions du Comité des Arméniens de Belgique.

B.7. Enfin, le Conseil des ministres conteste l'intérêt de la partie intervenante dans l'affaire n° 7308.

B.8. L'article 87, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle dispose : « Lorsque la Cour constitutionnelle statue sur les recours en annulation visés à l'article 1er, toute personne justifiant d'un intérêt peut adresser ses observations dans un mémoire à la Cour dans les trente jours de la publication prescrite par l'article 74. Elle est, de ce fait, réputée partie au litige ».

Justifie d'un intérêt au sens de cette disposition la personne qui montre que sa situation peut être directement affectée par l'arrêt que la Cour est appelée à rendre à propos du recours en annulation.

B.9.1. Le Centre interfédéral pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme et les discriminations (ci-après : UNIA) a été créé par l'accord de coopération du 12 juin 2013 « entre l'autorité fédérale, les Régions et les Communautés visant à créer un Centre interfédéral pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme et les discriminations sous la forme d'une institution commune, au sens de l'article 92bis de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 », qui a doté UNIA de la personnalité juridique.

Conformément à l'article 3 de cet accord de coopération, UNIA a pour mission « de promouvoir l'égalité des chances prenant en considération la diversité dans notre société et de combattre toute forme de discriminations, de distinction, d'exclusion, de restriction, d'exploitation ou de préférence fondée sur une prétendue race, la couleur de peau, l'ascendance, la nationalité, l'origine nationale ou ethnique, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'origine sociale, la naissance, la fortune, l'âge, la conviction religieuse ou philosophique, l'état de santé, la conviction politique ou la conviction syndicale, un handicap, une caractéristique physique ou génétique ». Conformément à l'article 6, § 3, alinéa 2, de cet accord de coopération, UNIA est habilité à ester en justice, dans les limites de ses missions définies à l'article 3, précité, dans tous les litiges auxquels pourrait donner lieu, notamment, l'application de la loi du 30 juillet 1981Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/07/1981 pub. 20/05/2009 numac 2009000343 source service public federal interieur Loi tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie. - Coordination officieuse en langue allemande fermer « tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie ».

B.9.2. La disposition attaquée tend à l'extension de la loi du 30 juillet 1981Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/07/1981 pub. 20/05/2009 numac 2009000343 source service public federal interieur Loi tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie. - Coordination officieuse en langue allemande fermer précitée en ce qu'elle prévoit l'incrimination de l'acte de nier, de minimiser grossièrement, de chercher à justifier ou d'approuver des faits correspondant à un crime de génocide, à un crime contre l'humanité ou à un crime de guerre. UNIA appuie les griefs des parties requérantes dans l'affaire n° 7308 selon lesquels la disposition attaquée porte une atteinte discriminatoire au droit au respect de la vie privée dans la mesure où cette incrimination est limitée aux crimes précités qui ont été « établis comme tels par une décision définitive rendue par une juridiction internationale ».

B.9.3. La disposition attaquée peut donc affecter la mission d'UNIA et l'intérêt collectif qu'il défend. Il justifie donc de l'intérêt requis.

Quant au fond B.10. Les parties requérantes prennent un moyen unique de la violation, par la disposition attaquée, des articles 10, 11 et 22 de la Constitution et des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que cette disposition limite l'incrimination qu'elle prévoit de l'acte de nier, de minimiser grossièrement, de chercher à justifier ou d'approuver des faits correspondant à un crime de génocide, à un crime contre l'humanité et à un crime de guerre sur la base du critère selon lequel ces crimes doivent avoir été « établis comme tels par une décision définitive rendue par une juridiction internationale ».

La disposition attaquée ferait ainsi naître une différence de traitement injustifiée entre les victimes de crimes établis comme tels par une décision définitive rendue par une juridiction internationale et les victimes de crimes non établis comme tels, dans la mesure où seuls les crimes de la première catégorie relèvent de la protection offerte par la loi contre les discours haineux.

B.11.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu'en soit l'origine : les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination sont applicables à l'égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique.

B.11.2. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.12. Il relève en principe du pouvoir d'appréciation du législateur de déterminer quel comportement mérite une sanction pénale, étant entendu que les choix qu'il opère dans ce domaine doivent être raisonnablement justifiés. Ce pouvoir d'appréciation du législateur est toutefois soumis à des restrictions lorsque l'Etat belge s'est engagé sur le plan international à punir un comportement déterminé.

B.13.1. Le droit au respect de la vie privée, tel qu'il est garanti par l'article 22 de la Constitution et par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, a pour but essentiel de protéger les personnes contre des ingérences dans leur vie privée.

Les dispositions précitées n'excluent pas l'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit, mais exigent que cette ingérence soit prévue par une disposition législative suffisamment précise, qu'elle réponde à un besoin social impérieux et qu'elle soit proportionnée à l'objectif légitime qu'elle poursuit. Ces dispositions engendrent de surcroît l'obligation positive pour l'autorité publique de prendre des mesures qui assurent le respect effectif de la vie privée, aussi dans la sphère des relations entre les individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31).

B.13.2. Tant l'identité ethnique que la réputation d'ancêtres peuvent, dans certaines circonstances, relever de la vie privée et de l'identité d'une personne et, dès lors, du champ d'application de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, grande chambre, 15 mars 2012, Aksu c. Turquie, §§ 58-61 et 81; 21 novembre 2013, Putistin c. Ukraine, §§ 33 et 36-41; 11 mars 2014, Jelsevar e.a. c. Slovénie, § 37; 9 décembre 2014, Dzhugashvili c.

Russie, §§ 26-35; grande chambre, 15 octobre 2015, Perinçek c. Suisse, §§ 200-203 et 227).

La Cour européenne des droits de l'homme a ainsi admis que le droit des Arméniens au respect de leur dignité et de celle de leurs ancêtres, y compris au respect de leur identité bâtie autour de l'idée que leur communauté a été victime d'un génocide, est protégé par l'article 8 de la Convention européenne, en ce qui concerne le droit au respect de la vie privée (CEDH, grande chambre, 15 octobre 2015, Perinçek c. Suisse, § 227).

B.13.3. La disposition attaquée, qui prévoit l'incrimination de l'acte de nier, de minimiser grossièrement, de chercher à justifier ou d'approuver des faits correspondant à un crime de génocide, à un crime contre l'humanité ou à un crime de guerre, vise notamment à protéger le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, dont relève le droit à une identité.

B.14.1. En rendant punissable la manifestation de certaines opinions, la disposition attaquée limite toutefois la liberté d'expression garantie par l'article 19 de la Constitution et par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.14.2. La liberté d'expression consacrée par ces articles constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique. Elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui « choquent, inquiètent ou heurtent » l'Etat ou une fraction de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de société démocratique (CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni, § 49; 23 septembre 1998, Lehideux et Isorni c. France, § 55; 28 septembre 1999, Öztürk c. Turquie, § 64; grande chambre, 13 juillet 2012, Mouvement Raëlien suisse c. Suisse, § 48).

B.14.3. Ainsi qu'il ressort des termes de l'article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, l'exercice de la liberté d'expression implique néanmoins certaines obligations et responsabilités (CEDH, 4 décembre 2003, Gündüz c. Turquie, § 37), notamment le devoir de principe de ne pas franchir certaines limites « tenant notamment à la protection de la réputation et aux droits d'autrui » (CEDH, 24 février 1997, De Haes et Gijsels c. Belgique, § 37; 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c. France, § 45; 15 juillet 2003, Ernst e.a. c. Belgique, § 92). La liberté d'expression peut, en vertu de l'article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, être soumise, sous certaines conditions, à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, en vue, notamment, de la protection de la réputation ou des droits d'autrui.

Les exceptions dont elle est assortie appellent toutefois « une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante » (CEDH, grande chambre, 20 octobre 2015, Pentikäinen c. Finlande, § 87).

L'article 19 de la Constitution interdit que la liberté d'expression soit soumise à des restrictions préventives, mais non que les infractions qui sont commises à l'occasion de la mise en oeuvre de cette liberté soient sanctionnées. Toutefois, en l'espèce, la disposition attaquée prévoit non pas des mesures préventives, mais une incrimination de propos déjà tenus.

B.15.1. Lorsque le droit au respect de la vie privée risque d'entrer en conflit avec la liberté d'expression, il convient de ménager un juste équilibre entre ces droits et libertés, qui méritent une protection équivalente. Le législateur dispose d'une marge d'appréciation lorsqu'il élabore un régime légal qui assure le respect de la vie privée dans la sphère des relations entre les individus. Il existe en effet plusieurs manières différentes d'assurer le respect de la vie privée et la nature de l'obligation dépend de l'aspect spécifique de la vie privée qui se trouve en cause. Dans le même sens, le législateur dispose d'une marge d'appréciation pour juger de la nécessité et de l'ampleur d'une ingérence dans la liberté d'expression (CEDH, grande chambre, 7 février 2012, Von Hannover c. Allemagne, §§ 104-107; grande chambre, 15 octobre 2015, Perinçek c. Suisse, § 198).

Cette marge d'appréciation du législateur n'est toutefois pas illimitée : pour apprécier si une règle législative est compatible avec le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si le législateur a ménagé un juste équilibre entre tous les droits et intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble; il doit également ménager un équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées (CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 46; 15 janvier 2013, Laakso c.

Finlande, § 46; 29 janvier 2013, Röman c. Finlande, § 51). La Cour européenne des droits de l'homme accorde toutefois un large pouvoir d'appréciation aux Etats lorsqu'il s'agit de ménager un équilibre entre des intérêts contradictoires protégés par la Convention européenne (CEDH, 18 janvier 2011, MGN Limited c. Royaume Uni, § 142; 10 janvier 2013, Ashby Donald et autres c. France, § 40; 13 février 2020, Sanofi Pasteur c. France, § 57).

B.15.2. Sur la question spécifique de l'incrimination de comportements négationnistes, la Cour européenne des droits de l'homme précise que, pour mettre les intérêts en balance, il faut tenir compte de la nature des déclarations tenues dans le cadre des propos contestés, des contextes géographique et historique dans lesquels est opérée la restriction à la liberté d'expression, de la mesure dans laquelle les propos ont heurté les droits des intéressés, de l'existence ou non d'un consensus parmi les Etats membres quant à la nécessité de recourir à des sanctions pénales à l'égard de propos de cette nature, à l'existence de règles de droit international en la matière et de la gravité de l'ingérence dans la liberté d'expression (CEDH, grande chambre, 15 octobre 2015, Perinçek c. Suisse, § 228).

B.16. La Cour doit examiner si la disposition attaquée, en ce qu'elle limite l'incrimination qu'elle prévoit de l'acte de nier, de minimiser grossièrement, de chercher à justifier ou d'approuver des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre à des crimes qui ont été « établis comme tels par une décision définitive rendue par une juridiction internationale », est compatible avec les dispositions constitutionnelles et conventionnelles, citées par les parties requérantes, qui garantissent le droit au respect de la vie privée, compte tenu de ce que cette disposition pénale limite la liberté d'expression.

B.17.1. En incriminant, dans la disposition attaquée, l'acte de nier, de minimiser grossièrement, de chercher à justifier ou d'approuver des faits correspondant à un crime de génocide, à un crime contre l'humanité ou à un crime de guerre, le législateur a mis en oeuvre l'obligation européenne contenue dans l'article 1er, paragraphe 1, de la décision-cadre 2008/913/JAI. L'article 1er, paragraphe 4, de cette décision-cadre permet aux Etats membres de limiter la disposition pénale relative à « la négation ou [à]la banalisation grossière » des crimes visés, selon que ces crimes « ont été établis par une décision définitive rendue par une juridiction nationale de cet Etat membre et/ou une juridiction internationale ou par une décision définitive rendue par une juridiction internationale seulement ». L'article 7 de la décision-cadre prévoit en outre que la décision-cadre et sa mise en oeuvre par les Etats membres ne peuvent emporter une violation de la liberté d'expression.

B.17.2. Il ressort des travaux préparatoires que le législateur a jugé opportun de recourir à ce critère, « étant donné que ni la décision-cadre, ni le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, n'imposent de limitation quant à la portée ratione temporis de l'infraction de négationnisme à insérer en droit interne » (Doc. parl., Chambre, 2018-2019, DOC 54-3515/001, p. 155).

En limitant la disposition pénale attaquée aux crimes « établis comme tels par une décision définitive rendue par une juridiction internationale », le législateur a ainsi voulu préciser dans des termes offrant une sécurité juridique suffisante les crimes pour lesquels les comportements négationnistes cités sont punissables. Le législateur a donc voulu respecter le principe de légalité en matière pénale qui découle des articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution et de l'article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et qui procède de l'idée que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est punissable ou non.

B.17.3. Compte tenu du fait que la disposition attaquée, en ce qu'elle porte atteinte à la liberté d'expression et en ce qu'elle est une loi pénale, appelle une interprétation restrictive, il ressort de ce qui précède que le choix opéré par le législateur de faire usage de la faculté offerte par l'article 1er, paragraphe 4, de la décision-cadre 2008/913/JAI de limiter l'incrimination sur la base du critère selon lequel les crimes visés doivent avoir été « établis comme tels par une décision définitive rendue par une juridiction internationale », n'est pas sans justification raisonnable.

B.18. La disposition attaquée ne viole dès lors pas les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Le moyen unique n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour rejette les recours.

Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 janvier 2021.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen

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