publié le 27 janvier 2021
Extrait de l'arrêt n° 115/2020 du 24 septembre 2020 Numéro du rôle : 7032 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 22 de la loi du 15 juin 1935 « concernant(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 115/2020 du 24 septembre 2020 Numéro du rôle : 7032 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 22 de la
loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés
type
loi
prom.
15/06/1935
pub.
11/10/2011
numac
2011000619
source
service public federal interieur
Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande
fermer « concernant l'emploi des langues en matière judiciaire », tel qu'il était en vigueur avant le 1er juin 2017, posée par la Cour d'appel de Liège.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 18 octobre 2018, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 24 octobre 2018, la Cour d'appel de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 22 de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant l'emploi des langues en matière judiciaire, tel qu'il était en vigueur avant le 1er juin 2017, violait-il les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, les articles 47 et 48, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 5, paragraphes 3 et 5 de la Directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales, en ce que, dans le cadre d'une instruction, l'inculpé qui demandait une traduction du dossier ou de certaines pièces de ce dossier dans une langue nationale autre que celle de l'instruction, était obligé d'adresser cette demande au ministère public, qui assumait, dans la suite de la procédure pénale, le rôle de la partie poursuivante, sans qu'une décision de refus du ministère public de la traduction sollicitée ait pu faire l'objet d'un contrôle juridictionnel effectif ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 22 de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer « concernant l'emploi des langues en matière judiciaire » (ci-après : la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer), tel qu'il était en vigueur avant le 1er juin 2017, dans sa version avant son remplacement par l'article 16 de la loi du 28 octobre 2016 « complétant la transposition de la Directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales et de la Directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI ».
B.1.2. Situé dans le chapitre II, intitulé « Emploi des langues à l'information et à l'instruction en matière répressive ainsi que devant les juridictions répressives de première instance et devant les Cours d'assises », l'article 22 de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, tel qu'il a été modifié par l'article 4 de la loi du 24 mars 1980 « modifiant les articles 19, 20, 21, 22 et 43bis de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant l'emploi des langues en matière judiciaire et les articles 121, 166, 223, 226 et 229 du Code judiciaire », par l'article 14 de la loi du 23 septembre 1985 « relative à l'emploi de la langue allemande en matière judiciaire et à l'organisation judiciaire » et par l'article 101 de la loi du 10 avril 2003 « réglant la suppression des juridictions militaires en temps de paix ainsi que leur maintien en temps de guerre », disposait : « Tout inculpé qui ne comprend que le néerlandais et l'allemand ou une de ces langues peut demander que soit jointe au dossier une traduction néerlandaise ou allemande des procès-verbaux, des déclarations de témoins ou plaignants et des rapports d'experts rédigés en français.
Tout inculpé qui ne comprend que le français et l'allemand ou une de ces langues peut demander que soit jointe au dossier une traduction française ou allemande des prédites pièces rédigées en néerlandais.
De même, tout inculpé qui ne comprend que le français et le néerlandais ou une de ces langues peut demander que soit jointe au dossier une traduction française ou néerlandaise des prédites pièces rédigées en allemand.
L'inculpé adresse sa requête à l'officier du ministère public par la voie du greffe; elle n'est plus recevable après les huit jours qui suivront la signification soit de l'arrêt de renvoi devant la Cour d'assises, soit de la citation à comparaître à l'audience du tribunal de police, du tribunal militaire ou du tribunal correctionnel siégeant en premier degré.
Le même droit est reconnu à l'inculpé devant les juridictions d'appel pour les pièces nouvelles produites.
Les frais de traduction sont à charge du Trésor ».
B.2.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité de l'article 22 de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer avec les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec les articles 47 et 48, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec l'article 5, paragraphes 3 et 5, de la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 « relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales » (ci-après : la directive 2010/64/UE), en ce que, dans le cadre d'une instruction, l'inculpé qui demandait une traduction de certaines pièces du dossier dans une langue nationale autre que celle de l'instruction, était obligé d'adresser cette demande au ministère public, sans que la décision de refus du ministère public de la traduction sollicitée ait pu faire l'objet d'un contrôle juridictionnel effectif.
B.2.2. La question préjudicielle porte notamment sur la compatibilité de la disposition en cause avec « l'article 5, paragraphes 3 et 5, » de la directive 2010/64/UE. Il ressort néanmoins du contenu de la question préjudicielle et de la décision de renvoi qu'il s'agit d'une erreur matérielle et que le juge a quo visait l'article 3, paragraphes 3 et 5, de cette même directive.
Cette erreur matérielle n'a pas empêché le Conseil des ministres de développer ses arguments de manière pertinente.
B.3. Il ressort des faits soumis au juge a quo que la Cour est invitée à examiner la situation d'un « inculpé », poursuivi pour plusieurs infractions commises en région de langue allemande, qui a introduit une demande de traduction en langue française portant sur des pièces de son dossier, établies en langue allemande, après avoir sollicité en décembre 2014 l'accomplissement d'actes d'instruction complémentaires et interjeté appel, devant la chambre des mises en accusation, de l'ordonnance du juge d'instruction refusant d'accomplir ces actes complémentaires. La demande de traduction a été rejetée en août 2015 par le ministère public parce que les procès-verbaux établis dans le cadre d'autres dossiers démontrent que le prévenu dispose d'une connaissance suffisante de la langue allemande.
Après le renvoi devant le tribunal correctionnel par la chambre du conseil, le tribunal correctionnel d'Eupen a décidé, le 2 mai 2016, à la demande du prévenu, de poursuivre la procédure en français. Le prévenu a ensuite réitéré sa demande de traduction le 29 mai 2017, qui a été acceptée par jugement du 14 juin 2017, et la traduction française des pièces essentielles fondant l'accusation a été déposée au greffe du tribunal correctionnel le 5 septembre 2017.
La Cour limite son examen à cette situation et à la législation applicable avant le 1er juin 2017.
B.4.1.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d'égalité et de non-discrimination.
L'article 12 de la Constitution dispose : « La liberté individuelle est garantie.
Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit.
Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu'en vertu d'une ordonnance motivée du juge qui doit être signifiée au plus tard dans les quarante-huit heures de la privation de liberté et ne peut emporter qu'une mise en détention préventive ».
L'article 13 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne ».
B.4.1.2. Ni le libellé de la question préjudicielle ni les motifs de la décision de renvoi n'indiquant en quoi la disposition en cause violerait l'article 12 de la Constitution, la question n'appelle pas de réponse sur ce point.
B.4.2. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. 2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.3. Tout accusé a droit notamment à : a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience ». L'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ».
B.4.3.1. L'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose : « Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.
Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice ».
L'article 48, paragraphe 2, de la même Charte dispose : « Le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé ».
B.4.3.2. La compatibilité de la disposition en cause avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, lu en combinaison avec les articles 10 à 13 de la Constitution, ne peut être examinée par la Cour qu'en ce que la disposition en cause met en oeuvre le droit de l'Union conformément à l'article 51, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (CJUE, grande chambre, 26 février 2013, C-617/10, Aklagaren, points 17 et suivants).
Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 à 13 de la Constitution, lus ou non en combinaison notamment avec l'article 3, paragraphes 3 et 5, de la directive 2010/64/UE. En vertu de l'article 9 de la directive 2010/64/UE, les Etats membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à ladite directive au plus tard le 27 octobre 2013. A partir de cette date, la directive avait pour effet que la disposition en cause, qui traite une matière relevant de cette directive, entre dans le champ d'application du droit de l'Union (CJUE, grande chambre, 19 janvier 2010, C-555/07, Kücükdeveci, point 25). Ainsi, lors de l'examen de la disposition en cause, il convient aussi de tenir compte de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
B.4.3.3. La Cour de justice rappelle à cet égard que l'article 48 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne correspond à l'article 6, paragraphes 2 et 3, de la Convention européenne des droits de l'homme (CJUE, 5 septembre 2019, C-377/18, A.H. e.a., point 41) et que les premier et deuxième alinéas de l'article 47 de la Charte correspondent à l'article 6, paragraphe 1, et à l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme (CJUE, grande chambre, 19 novembre 2019, C-585/18, C-624/18 et C-625/18, A.K., point 117). La Cour de justice doit, dès lors, conformément à l'article 52, paragraphe 3, de la Charte, veiller à ce que l'interprétation qu'elle effectue des articles 47 et 48 de la Charte « assure un niveau de protection qui ne méconnaît pas celui garanti à l'article 6 de la CEDH, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme » (CJUE, 29 juillet 2019, C-38/18, Gambino et Hyka, point 39).
B.4.4. La directive 2010/64/UE « établit des règles minimales communes à appliquer dans les domaines de l'interprétation et de la traduction dans le cadre des procédures pénales afin de renforcer la confiance mutuelle entre les Etats membres » (considérant 12). Cette directive respecte les droits garantis par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et par les articles 47 et 48, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (considérant 5).
L'article 3 de la directive 2010/64/UE, intitulé « Droit à la traduction des documents essentiels », dispose : « 1. Les Etats membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies qui ne comprennent pas la langue de la procédure pénale concernée bénéficient, dans un délai raisonnable, de la traduction écrite de tous les documents essentiels pour leur permettre d'exercer leurs droits de défense et pour garantir le caractère équitable de la procédure. 2. Parmi ces documents essentiels figurent toute décision privative de liberté, toutes charges ou tout acte d'accusation, et tout jugement.3. Les autorités compétentes décident cas par cas si tout autre document est essentiel.Les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur conseil juridique, peuvent présenter une demande motivée à cet effet. 4. Il n'est pas obligatoire de traduire les passages des documents essentiels qui ne sont pas pertinents pour permettre aux suspects ou aux personnes poursuivies d'avoir connaissance des faits qui leur sont reprochés.5. Les Etats membres veillent à ce que, conformément aux procédures prévues par le droit national, les suspects ou les personnes poursuivies aient le droit de contester la décision concluant à l'inutilité de traduire des documents ou des passages de ces documents et que, lorsqu'une traduction est fournie, ils aient la possibilité de se plaindre de ce que la qualité de la traduction ne permet pas de garantir le caractère équitable de la procédure.6. Dans les procédures relatives à l'exécution d'un mandat d'arrêt européen, l'Etat membre d'exécution veille à ce que ses autorités compétentes fournissent à toute personne visée par une telle procédure qui ne comprend pas la langue dans laquelle le mandat d'arrêt européen est établi, ou dans laquelle il a été traduit par l'Etat membre d'émission, une traduction écrite de celui-ci.7. A titre d'exception aux règles générales fixées aux paragraphes 1, 2, 3 et 6, une traduction orale ou un résumé oral des documents essentiels peuvent être fournis à la place d'une traduction écrite, à condition que cette traduction orale ou ce résumé oral ne portent pas atteinte au caractère équitable de la procédure.8. En cas de renonciation au droit à la traduction des documents visés au présent article, les suspects ou les personnes poursuivies doivent avoir préalablement été conseillés juridiquement ou informés pleinement par tout autre moyen des conséquences de cette renonciation, et celle-ci doit être sans équivoque et formulée de plein gré.9. La traduction prévue par le présent article est d'une qualité suffisante pour garantir le caractère équitable de la procédure, notamment en veillant à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient connaissance des faits qui leur sont reprochés et soient en mesure d'exercer leurs droits de défense ». B.5. Comme il est dit en B.3, la question préjudicielle concerne la situation d'un « inculpé » qui a pu solliciter l'accomplissement d'actes d'instruction complémentaires avant de solliciter la traduction des pièces, conformément à la disposition en cause, et qui n'a réitéré sa demande de traduction que devant la juridiction de jugement saisie par renvoi de la chambre du conseil.
La Cour doit examiner si la disposition en cause, en ce qu'elle prévoit que la demande de traduction de l'inculpé qui ne comprend pas la langue de la procédure doit être adressée, au stade de l'instruction, au ministère public, alors qu'elle n'organise pas de recours contre la décision de refus du ministère public, est compatible avec le droit à un procès équitable, avec les droits de la défense et avec le droit à un recours effectif garantis par les dispositions précitées, en ce qu'elle priverait ainsi, sans justification raisonnable, une certaine catégorie de personnes de ces droits, garantis à tous.
B.6.1. La disposition en cause garantit un droit à la traduction gratuite pour tout inculpé qui ne comprend que le néerlandais, le français ou l'allemand et qui peut demander que soit jointe au dossier une traduction néerlandaise, française ou allemande des procès-verbaux, des déclarations de témoins ou plaignants et des rapports d'experts rédigés en néerlandais, en français ou en allemand.
L'inculpé qui ne comprend pas la langue nationale dans laquelle sont rédigées les pièces essentielles du dossier peut donc, aux conditions mentionnées à l'article 22 de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, en cause, demander qu'une traduction gratuite de ces pièces dans une langue nationale qu'il comprend soit jointe à ce dossier.
B.6.2. Par son arrêt n° 1/2006 du 11 janvier 2006, la Cour a jugé que l'article 22 de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer ne violait pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6, paragraphe 3, a) et b), de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il privait de ce droit à la traduction gratuite l'inculpé qui ne comprend pas la langue nationale dans laquelle sont rédigées les pièces du dossier, autres que celles qui sont visées par l'article 22 précité.
B.7.1. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, les garanties de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme sont applicables dès qu'il existe une « accusation en matière pénale » au sens de la jurisprudence de la Cour, et elles peuvent donc jouer un rôle au stade antérieur à la phase de jugement si et dans la mesure où leur inobservation initiale risque de compromettre gravement l'équité du procès (CEDH, grande chambre, 13 septembre 2016, Ibrahim e.a. c.
Royaume-Uni, § 253).
Le respect des exigences du procès équitable s'apprécie toutefois à l'aune de la conduite de la procédure dans son ensemble et non en se fondant sur l'examen isolé de tel ou tel point ou incident, bien que l'on ne puisse exclure qu'un élément déterminé soit à ce point décisif qu'il permette de juger de l'équité du procès à un stade précoce (ibid., § 251). L'équité globale d'un procès s'apprécie en tenant compte, s'il y a lieu, des droits minimaux énumérés à l'article 6, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l'homme (ibid.).
Les exigences de l'article 6, paragraphe 3, doivent être considérées comme des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention (CEDH, grande chambre, 2 novembre 2010, Sakhnovskiy c. Russie, § 94).
B.7.2.1. L'article 6, paragraphe 3, a), exige que la notification de l'« accusation » à l'intéressé soit faite avec « un soin extrême » (CEDH, grande chambre, 1er mars 2006, Sejdovic c. Italie, § 89).
L'information à laquelle l'accusé au sens de cette disposition a droit sur cette base comprend, d'une part, les faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l'accusation (la « cause » de l'accusation) et, d'autre part, la qualification juridique donnée à ces faits (la « nature » de l'accusation). Une information précise et complète des charges pesant contre un accusé est une condition essentielle de l'équité de la procédure.
La Cour européenne des droits de l'homme considère qu'un accusé à qui la langue employée par le tribunal n'est pas familière peut en pratique se trouver désavantagé si on ne lui délivre pas aussi une traduction de l'acte d'accusation (CEDH, grande chambre, 18 octobre 2006, Hermi c. Italie, § 68; CEDH, 28 août 2018, Vizgirda c. Slovénie, § 75). Les autorités auxquelles une telle demande de traduction est adressée doivent y donner suite, afin de respecter les exigences de l'article 6, paragraphe 3, a), sauf à établir que le demandeur possède assez la maîtrise de la langue de la procédure pour saisir la portée de l'acte lui notifiant les accusations formulées contre lui (CEDH, plén., 19 décembre 1989, Brozicek c. Italie, § 41).
B.7.2.2. L'information - dont le caractère plus ou moins détaillé est fonction des circonstances de la cause - de l'accusé doit en tout cas contenir les éléments suffisants pour comprendre pleinement les charges précitées en vue de lui permettre de préparer convenablement sa défense. A cet égard, le caractère adéquat des informations doit s'apprécier en relation avec le littera b) de l'article 6, paragraphe 3, précité (CEDH, 25 juillet 2000, Mattoccia c. Italie, § § 59-60; 17 juillet 2001, Sadak et autres c. Turquie, § § 48-50).
L'article 6, paragraphe 3, a), n'impose toutefois aucune forme particulière quant à la manière dont l'accusé doit être informé de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui (CEDH, 25 mars 1999, Pélissier et Sassi c. France, § 53).
B.7.3. Compte tenu du lien entre les litterae a) et b) de l'article 6, paragraphe 3, le droit d'être informé sur la nature et la cause de l'accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l'accusé de préparer sa défense (ibid., § 54).
Les droits de la défense dont cette disposition donne une liste non exhaustive visent avant tout à instaurer, autant que possible, l'égalité entre l'accusation et la défense. Les facilités qui doivent être octroyées à l'accusé sont celles qui sont nécessaires à la préparation de sa défense (CEDH, 20 janvier 2005, Mayzit c. Russie, § § 78-79).
B.7.4. L'article 6, paragraphe 3, e), de la Convention européenne des droits de l'homme garantit le droit à l'assistance gratuite d'un interprète. Ce droit ne vaut pas uniquement pour les déclarations orales à l'audience, il vaut aussi pour les pièces écrites et pour l'instruction préparatoire (CEDH, grande chambre, 18 octobre 2006, Hermi c. Italie, § 69; CEDH, 28 août 2018, Vizgirda c. Slovénie, § 76). Cette disposition ne va pourtant pas jusqu'à exiger une traduction écrite de toute preuve documentaire ou pièce officielle du dossier (CEDH, 19 décembre 1989, Kamasinski c. Autriche, § 74), de sorte qu'une assistance linguistique orale peut satisfaire aux exigences de la Convention (CEDH, Hermi c. Italie, précité, § 70).
Selon la Cour européenne des droits de l'homme, la question des connaissances linguistiques du requérant est primordiale et les tribunaux internes sont les ultimes garants de l'équité de la procédure, y compris en ce qui concerne l'absence éventuelle de traduction ou d'interprétation en faveur d'un accusé (ibid., § § 71-72). Toutefois, les Etats contractants disposent d'une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leurs systèmes judiciaires de répondre aux exigences de l'article 6, et notamment pour établir les besoins d'assistance linguistique de l'accusé (CEDH, Vizgirda c. Slovénie, précité, § 84).
B.8.1. La directive 2010/64/UE vise également à faciliter l'exercice du « droit à l'interprétation et à la traduction, accordé aux personnes qui ne parlent pas ou ne comprennent pas la langue de la procédure, [...] consacré à l'article 6 de la CEDH, tel qu'interprété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme » (considérant 14). Les règles minimales que cette directive établit devraient garantir une assistance linguistique gratuite et appropriée afin de « permettre aux suspects ou aux personnes poursuivies qui ne parlent pas ou ne comprennent pas la langue de la procédure pénale d'exercer pleinement leurs droits de la défense » et de « garantir le caractère équitable de la procédure » (considérant 17). Le droit à la traduction, dans un délai raisonnable, des documents essentiels, consacré par l'article 3 de la directive 2010/64/UE poursuit ces objectifs (CJUE, 15 octobre 2015, C-216/14, Covaci, point 43; 12 octobre 2017, C-278/16, Sleutjes, point 32).
B.8.2. Ainsi, la directive 2010/64/UE exige des Etats membres qu'ils veillent à la mise en place d'une procédure ou d'un mécanisme permettant de déterminer si les suspects ou les personnes poursuivies parlent et comprennent la langue de la procédure pénale et s'ils ont besoin de l'assistance d'un interprète (article 2, paragraphe 4) et qu'ils veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies qui ne comprennent pas la langue de la procédure pénale bénéficient, dans un délai raisonnable, de la traduction écrite de tous les documents essentiels pour leur permettre d'exercer leurs droits de défense et pour garantir le caractère équitable de la procédure (article 3, paragraphe 1). Le considérant 21 de la directive 2010/64/UE laisse toutefois à la discrétion des autorités le choix des moyens de vérification les plus appropriés, notamment la consultation des suspects ou des personnes poursuivies. De même, l'article 3, paragraphe 3, de la directive 2010/64/UE laisse le soin aux « autorités compétentes » de décider au cas par cas quels documents sont essentiels, l'obligation de traduction ne visant que les passages des documents essentiels qui sont « pertinents pour permettre aux suspects ou aux personnes poursuivies d'avoir connaissance des faits qui leur sont reprochés » (article 3, paragraphe 4).
L'article 3, paragraphe 5, de la directive 2010/64/UE prévoit par ailleurs que les suspects ou les personnes poursuivies devraient avoir le droit de contester la conclusion selon laquelle une traduction n'est pas nécessaire, conformément aux procédures prévues par la législation nationale. Il ne peut toutefois pas être déduit de cette disposition que les Etats membres sont obligés de prévoir une procédure de réclamation ou un mécanisme séparé permettant de contester cette conclusion.
Enfin, l'article 3, paragraphe 7, de la directive 2010/64/UE permet qu'une traduction orale ou un résumé oral des documents essentiels soient fournis à la place d'une traduction écrite.
B.9. La Cour doit dès lors examiner si, compte tenu de la procédure dans son ensemble, la disposition en cause ne porte pas une atteinte discriminatoire aux droits de la défense de l'inculpé, tels qu'ils sont garantis par les dispositions conventionnelles précitées.
B.10.1. La loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer règle de manière contraignante l'emploi des langues en matière judiciaire en Belgique et se fonde à cet égard sur l'unilinguisme des actes judiciaires et de la procédure, sans préjudice des exceptions prévues par la loi et de la possibilité d'introduire, dans certaines conditions, une demande de renvoi ou de changement de langue.
Il découle des articles 1er à 4 de la loi précitée, que l'ensemble de la procédure en matière contentieuse est menée entièrement dans une seule langue, soit le français, le néerlandais ou l'allemand, selon le lieu dans lequel est établi le siège du tribunal concerné.
La loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer distingue quatre régions linguistiques : la région de langue néerlandaise, la région de langue française, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue allemande (article 42; Ann., Chambre, 1933-1934, 15 mai 1934, p. 1455). Elle correspond donc à la répartition en régions linguistiques, telle qu'elle est fixée dans l'article 4 de la Constitution.
B.10.2. En matière pénale, la langue de la procédure est en principe l'allemand dans l'arrondissement judiciaire d'Eupen (article 14, alinéa 1er, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, renvoyant à l'article 2bis de la même loi).
Les procès-verbaux relatifs à la recherche et à la constatation de crimes, de délits et de contraventions sont rédigés en allemand dans la région de langue allemande (article 11, alinéa 1er, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer).
Les officiers du ministère public et le juge d'instruction font usage, pour leurs actes de poursuite et d'instruction, de la langue prévue en matière répressive pour le tribunal près duquel ils sont établis (article 12 de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer). Devant la chambre du conseil siégeant en matière répressive et la chambre des mises en accusation, toute la procédure est faite dans la langue employée pour les actes d'instruction (article 13 de la même loi).
Les avis et réquisitoires du ministère public sont prononcés dans la langue de la procédure (article 35, alinéa 1er, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer).
B.10.3. Toutefois, la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer permet de demander un changement de la langue de la procédure. Ainsi, « l'inculpé peut demander que la procédure ait lieu en français, auquel cas elle est poursuivie en français devant la même juridiction » (Doc. parl., Chambre, 1984-1985, n° 1136/1, p. 2, et n° 1136/6, p. 7). Cette possibilité est organisée par l'article 23, alinéa 5, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer au bénéfice du « prévenu qui ne connaît que le français ou s'exprime plus facilement dans cette langue », lorsqu'il est, comme en l'espèce, attrait devant un tribunal correctionnel où la procédure est en allemand.
B.10.4. Par ailleurs, l'article 31 de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer garantit que, dans tous les interrogatoires de l'information et de l'instruction ainsi que devant les juridictions d'instruction et les juridictions de jugement, les parties qui comparaissent en personne font usage de la langue de leur choix pour toutes leurs déclarations verbales (article 31, alinéa 1er, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer). En outre, les parties qui ne comprennent pas la langue de la procédure sont assistées par un interprète juré qui traduit l'ensemble des déclarations verbales (article 31, alinéa 3, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer).
Le ministère public peut, en outre, si un ou plusieurs des inculpés ou leurs conseils ne comprennent pas la langue de la procédure, faire un résumé de son réquisitoire en français, en néerlandais ou en allemand (article 35, alinéa 3, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer).
B.10.5. En outre, selon l'article 38, alinéa 10, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, l'inculpé a toujours le droit de demander, à ses frais, une traduction de tout acte de procédure qui n'est pas visé par la disposition en cause. La personne qui ne disposerait pas des revenus nécessaires pour faire face à ces frais peut demander l'assistance judiciaire en vue d'obtenir les services d'un traducteur (article 664 du Code judiciaire).
B.11.1. La disposition en cause garantit à l'inculpé qui ne comprend pas la langue de la procédure le droit à la traduction gratuite des pièces essentielles du dossier pénal (Doc. parl., Chambre, 1932-1933, n° 136, p.13).
Le droit à la traduction gratuite des pièces essentielles du dossier, garanti par la disposition en cause, vise à assurer le respect des droits de la défense du prévenu (Doc. parl., Sénat, 1934-1935, n° 86, p. 21), qui pourra comprendre ce qu'il doit réellement savoir (Doc. parl., Chambre, 1932-1933, n° 136, p. 18).
La commission de la Justice chargée de l'examen du projet de loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire visait toutefois également à éviter des moyens dilatoires, de sorte que le texte de l'article 22, alinéa 5, de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer a été ajouté afin d'éviter que, « pour la première fois en appel, un inculpé demande la traduction des documents déjà produits en première instance » (Doc. parl., Sénat, 1934-1935, n° 86, p. 21) : la commission précitée « craint que ce ne soit là un moyen trop facile pour gagner du temps, retarder le prononcé de l'arrêt ou même atteindre une prescription » (ibid., pp. 21-22).
B.11.2. Ainsi, le législateur voulait trouver un équilibre entre, d'une part, les droits de l'inculpé et, d'autre part, une lutte efficace contre les infractions dans l'intérêt de la société et des victimes, ce qui nécessite de combattre les procédures dilatoires.
B.12.1. Comme il est dit en B.8, ni l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ni la directive 2010/64/UE n'imposent que la demande de traduction soit examinée par une juridiction, ni que soit organisé un recours séparé permettant de contester le refus de traduction en raison d'une connaissance suffisante de la langue de la procédure.
B.12.2. La Cour doit, en l'espèce, se prononcer sur une demande de traduction faite au cours d'une instruction.
B.12.3. Lors du règlement de la procédure, la chambre du conseil décide de la clôture de l'instruction. La chambre du conseil statue sur le rapport du juge d'instruction, le procureur du Roi, la partie civile et l'inculpé entendus. L'inculpé peut se faire assister, le cas échéant, d'un interprète (article 31 de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer).
L'inculpé peut se faire assister d'un conseil ou être représenté par lui, et le dossier est mis à la disposition de l'inculpé et de son conseil, qui peuvent en prendre connaissance et en lever copie (article 127 du Code d'instruction criminelle). Lors du règlement de la procédure devant la chambre du conseil, les parties déposent leurs conclusions à l'audience. La chambre du conseil examine la régularité de la procédure et elle peut annuler un acte d'instruction ou toute la procédure lorsqu'elle constate une irrégularité, omission ou une cause de nullité (l'article 131 du Code d'instruction criminelle).
Dans le cadre du règlement de la procédure, la chambre du conseil peut donc tenir compte, d'une part, de l'intérêt public et du souci d'une bonne administration de la justice dans un délai raisonnable et, d'autre part, du droit des parties en cause à un débat contradictoire, en respectant l'égalité des armes.
Par ailleurs, la chambre des mises en accusation peut, en appel, exercer tous les pouvoirs de la chambre du conseil, comme l'examen de la régularité de la procédure, auquel il peut même être procédé d'office, en ce compris la purge d'éventuelles nullités du dossier (articles 135, 223 et 235bis du Code d'instruction criminelle).
B.12.4. La Cour de cassation considère à cet égard qu'« en règle, si un inculpé a demandé à l'occasion du règlement de la procédure la traduction écrite de pièces du dossier répressif, la juridiction d'instruction ne peut régler la procédure qu'après que la traduction écrite de ces pièces a été jointe au dossier et que l'inculpé a pu en prendre connaissance, pour autant que l'on considère qu'il s'agit de pièces qui sont essentielles à l'exercice de ses droits de défense devant la juridiction d'instruction » (Cass., 15 juillet 2014, P.14.1029.N).
B.13.1. Ainsi, l'inculpé, à qui une traduction a été refusée pendant l'instruction, dispose de la possibilité de solliciter devant les juridictions d'instruction, conformément à la disposition en cause, la traduction des pièces essentielles du dossier. C'est alors à la juridiction d'instruction d'évaluer la nécessité d'une traduction et d'apprécier souverainement, en tenant compte des circonstances particulières de l'espèce, si le refus de traduction méconnaît ou non l'exercice des droits de la défense de l'inculpé devant la juridiction d'instruction. La juridiction d'instruction peut, à cet égard, dans le souci de garantir les droits de la défense, prendre en considération toutes les circonstances pertinentes de la cause, tel notamment le fait que la personne concernée a déjà demandé ou aurait déjà pu demander la traduction des pièces sur la base de l'article 22 de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer (Cass., 23 septembre 2014, P.14.0024.N). Une violation des droits de la défense à la suite du refus par le ministère public de la traduction demandée peut donner lieu à l'irrecevabilité de l'action publique.
B.13.2. Cette possibilité de solliciter la traduction des pièces essentielles de la procédure devant les juridictions d'instruction permet dès lors à l'inculpé de contester devant un juge indépendant et impartial le refus du ministère public d'accéder à cette demande avant de pouvoir procéder au règlement de la procédure. Il n'y a, partant, pas d'atteinte au droit à un recours effectif.
Compte tenu de l'existence de ce contrôle juridictionnel devant les juridictions d'instruction, la compétence du ministère public pour statuer sur la demande de traduction au stade de l'instruction, prévue par la disposition en cause, n'est pas incompatible avec les droits de la défense et avec le caractère équitable de la procédure.
B.14. Enfin, il convient de souligner que la personne poursuivie pouvait, sur la base de la disposition en cause, encore demander dans la procédure au fond devant la juridiction de jugement une traduction des pièces essentielles de la procédure afin d'exercer ses droits de la défense.
B.15. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 22 de la loi du 15 juin 1935Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/06/1935 pub. 11/10/2011 numac 2011000619 source service public federal interieur Loi concernant l'emploi des langues en matière judiciaire. - Coordination officieuse en langue allemande fermer « concernant l'emploi des langues en matière judiciaire », tel qu'il était en vigueur avant le 1er juin 2017, ne viole pas les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec les articles 47 et 48, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec l'article 3, paragraphe 5, de la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 « relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales ».
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 24 septembre 2020.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût