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Arrêt
publié le 12 novembre 2020

Extrait de l'arrêt n° 102/2020 du 9 juillet 2020 Numéro du rôle : 6942 En cause: le recours en annulation partielle de l'article 5 du décret de la Région wallonne du 16 novembre 2017 « modifiant l'article D.IV.99 et le Livre VII du Code du D La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 102/2020 du 9 juillet 2020 Numéro du rôle : 6942 En cause: le recours en annulation partielle de l'article 5 du décret de la Région wallonne du 16 novembre 2017 « modifiant l'article D.IV.99 et le Livre VII du Code du Développement territorial en vue d'y insérer un article D.VII.1bis instaurant une présomption de conformité urbanistique pour certaines infractions », introduit par Joseph Schütz et Romain Schütz.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 4 juin 2018 et parvenue au greffe le 5 juin 2018, un recours en annulation de l'article 5 du décret de la Région wallonne du 16 novembre 2017 « modifiant l'article D.IV.99 et le Livre VII du Code du Développement territorial en vue d'y insérer un article D.VII.1bis instaurant une présomption de conformité urbanistique pour certaines infractions » (publié au Moniteur belge du 7 décembre 2017), en ce qu'il insère un article D.VII.1, § 2/2, dans le Code du Développement territorial, a été introduit par Joseph Schütz et Romain Schütz. (...) II. En droit (...) Quant à la disposition attaquée B.1.1. Les parties requérantes demandent l'annulation de l'article 5 du décret de la Région wallonne du 16 novembre 2017 « modifiant l'article D.IV.99 et le Livre VII du Code du Développement territorial en vue d'y insérer un article D.VII.1bis instaurant une présomption de conformité urbanistique pour certaines infractions » (ci-après : le décret attaqué), en ce qu'il insère, dans l'article D.VII.1 du Code du Développement territorial (ci-après : CoDT), un paragraphe 2/2, ainsi rédigé : « Les paragraphes 2 et 2/1 ne s'appliquent pas aux actes et travaux visés à l'alinéa 2 de l'article D.VII.1bis ».

B.1.2. L'article D.VII.1, ainsi modifié, du CoDT dispose : « § 1er. Sont constitutifs d'infraction les faits suivants : [...] 3° sans préjudice de l'article D.VII.lbis, le maintien des travaux exécutés après le 21 avril 1962 sans le permis qui était requis ou en méconnaissance de celui-ci; [...] § 2. Le maintien des actes et travaux sans le permis qui était requis ou en méconnaissance de celui-ci n'est pas constitutif d'une infraction au terme d'un délai de dix ans après l'achèvement des actes et travaux, pour autant que les conditions cumulatives suivantes soient réunies : 1° l'infraction a été commise : a) soit dans une zone destinée à l'urbanisation au plan de secteur au sens de l'article D.II.23, alinéa 2; b) soit dans une zone d'aménagement communal concerté mise en oeuvre et qui porte sur une ou plusieurs affectations destinées à l'urbanisation au sens de l'article D.II.23, alinéa 2; c) soit sur des constructions, installations ou bâtiments, ou leurs aménagements accessoires ou complémentaires, existant avant l'entrée en vigueur du plan de secteur, ou dont l'affectation est conforme à la zone, ou dont l'affectation a été autorisée en dérogation au plan de secteur;2° les actes et travaux en infraction sont conformes aux normes du guide régional;3° les actes et travaux en infraction rencontrent l'une des hypothèses suivantes : a) en cas de non-respect du permis d'urbanisme ou du permis d'urbanisation délivré, l'ampleur des écarts est inférieure à vingt pour cent : i) de l'emprise au sol autorisée; ii) de la hauteur sous corniche et au faîte du toit autorisée; iii) de la profondeur autorisée; iv) de la volumétrie autorisée; v) de la superficie de planchers autorisée; vi) des cotes d'implantation des constructions; vii) de la dimension minimale ou maximale de la parcelle; b) en cas de réalisation d'un auvent en extension d'un hangar agricole autorisé, pour autant que : v) la hauteur du faîte de l'auvent soit inférieure à celle sous corniche du hangar; ii) le hangar présente un tel auvent sur une seule de ses élévations; iii) l'auvent présente une profondeur maximale de sept mètres mesurés à partir de l'élévation du hangar; c) en cas de non-respect des ouvertures autorisées;d) en cas de non-respect des tonalités autorisées par le permis d'urbanisme. Le maintien d'un logement créé sans le permis qui était requis n'est pas constitutif d'infraction après l'entrée en vigueur de la zone d'habitat vert désignée en application de l'article D.II.64. § 2/1. Le maintien des actes et travaux autres que ceux visés à l'article D.VII.l, § 2, et réalisés sans le permis qui était requis ou en méconnaissance de celui-ci n'est pas constitutif d'une infraction au terme d'un délai de vingt ans après l'achèvement des actes et travaux. § 2/2. Les paragraphes 2 et 2/1 ne s'appliquent pas aux actes et travaux visés à l'alinéa 2 de l'article D.VII.1bis. § 3. Les dispositions du Livre Ier du Code pénal, en ce compris le Chapitre VII et l'article 85, sont applicables auxdites infractions ainsi qu'à celles prévues aux articles D.VII.7 et D.VII.11 ».

Cet article a ensuite été modifié par un décret de la Région wallonne du 26 avril 2018 et par un décret de la Communauté germanophone du 12 décembre 2019.

B.1.3. L'article D.VII.1bis, inséré par l'article 2 du décret du 16 novembre 2017, dispose : « Les actes et travaux réalisés ou érigés avant le 1er mars 1998 sont irréfragablement présumés conformes au droit de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme.

Cette présomption ne s'applique pas : 1° aux actes et travaux qui ne sont pas conformes à la destination de la zone du plan de secteur sur laquelle ils se trouvent, sauf s'ils peuvent bénéficier d'un système dérogatoire sur la base soit de la réglementation en vigueur lors de l'accomplissement des actes et travaux soit d'une réglementation ultérieure entrée en vigueur avant le 1er mars 1998;2° aux actes et travaux qui consistent à créer un ou plusieurs logements après le 20 août 1994;3° aux actes et travaux réalisés au sein d'un site reconnu par ou en vertu de la loi du 12 juillet 1973Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/07/1973 pub. 24/08/2010 numac 2010000473 source service public federal interieur Loi sur la conservation de la nature Traduction en langue allemande de la version fédérale fermer sur la conservation de la nature;4° aux actes et travaux réalisés sur un bien concerné par une mesure de protection du patrimoine;5° aux actes et travaux pouvant faire l'objet d'une incrimination en vertu d'une autre police administrative;6° aux actes et travaux ayant fait l'objet d'un procès-verbal de constat d'infraction ou d'une décision judiciaire passée en force de chose jugée constatant la non-conformité d'actes et travaux aux règles du droit de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme avant l'entrée en vigueur du présent Code ». B.1.4. L'infraction de maintien d'actes et travaux réalisés ou érigés sans permis ou en méconnaissance du permis délivré est une infraction continue. Avant l'entrée en vigueur du CoDT (décret du 20 juillet 2016 « abrogeant le décret du 24 avril 2014 abrogeant les articles 1er à 128 et 129quater à 184 du Code wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme, du Patrimoine et de l'Energie, abrogeant les articles 1er à 128 et 129quater à 184 du Code wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme et du Patrimoine et formant le Code du Développement territorial »), cette infraction n'était pas limitée dans le temps, de sorte que l'infraction existait jusqu'à la régularisation des actes et travaux ou jusqu'à la démolition des constructions érigées ou des modifications réalisées sans permis ou en méconnaissance du permis.

L'article D.VII.1, § 2, du CoDT, qui est entré en vigueur le 1er juin 2017, limite à dix ans le caractère continu de l'infraction de maintien de certains actes et travaux infractionnels, que cette disposition énumère. Il en résulte que le maintien des actes et travaux visés n'est plus constitutif d'une infraction au terme d'un délai de dix ans après leur achèvement.

B.1.5. Par l'effet de l'article D.VII.1, § 2/2, attaqué, du CoDT, le maintien des actes et travaux visés à l'article D.VII.1, § 2, du CoDT n'est plus constitutif d'une infraction dix ans après leur achèvement, à la condition notamment qu'ils n'aient pas fait l'objet, avant l'entrée en vigueur du CoDT, d'un procès-verbal de constat d'infraction ou d'une décision judiciaire, passée en force de chose jugée, constatant la non-conformité d'actes et travaux aux règles du droit de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme. La disposition attaquée a dès lors pour effet d'exclure de la limitation dans le temps du caractère continu de l'infraction celle qui consiste à maintenir certains actes et travaux réalisés sans permis ou en méconnaissance du permis délivré, constatée par un procès-verbal ou par une décision judiciaire avant le 1er juin 2017.

B.1.6. L'article 5 du décret attaqué trouve son origine dans un amendement déposé en commission de l'Environnement, de l'Aménagement du territoire et des Travaux publics du Parlement wallon (Doc. parl., Parlement wallon, 2016-2017, n° 739/4, p. 4). Le paragraphe 2/2, qu'il insère dans l'article D.VII.1 du CoDT, n'a fait l'objet d'aucune explication.

Quant à la recevabilité du recours B.2.1. Le Gouvernement wallon et le président du Parlement wallon soulèvent tous deux une exception d'irrecevabilité du recours, faisant valoir que les parties requérantes ne justifieraient pas de l'intérêt requis à demander l'annulation de la disposition attaquée.

B.2.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.

B.2.3. Il n'est pas contesté qu'il a été proposé aux parties requérantes de payer un montant transactionnel en ce qui concerne l'infraction de maintien de divers actes et travaux réalisés sans permis ou en méconnaissance d'un permis délivré en 1995 ni que la fonctionnaire déléguée compétente a refusé d'annuler la partie de cette transaction qui concernait des infractions qu'elles qualifient de « mineures ». Il est vraisemblable que la fonctionnaire déléguée leur refuse ainsi le bénéfice de l'article D.VII.1, § 2, du CoDT, sur la base du paragraphe 2/2 de la même disposition.

B.2.4. La circonstance que les parties requérantes ont introduit une demande de régularisation des actes et travaux litigieux et qu'aucune poursuite ne pourrait plus être entamée si cette demande était acceptée n'est pas de nature à influencer leur intérêt à poursuivre l'annulation de la disposition attaquée, dès lors que l'issue de la procédure de régularisation est incertaine.

B.2.5. La question de savoir si c'est à bon droit que la fonctionnaire déléguée compétente a rejeté la demande des parties requérantes et, en conséquence, si la situation des parties requérantes pourrait être influencée favorablement en cas d'annulation de la disposition attaquée dépend par ailleurs de la portée de celle-ci. Il en résulte que l'examen de la recevabilité du recours se confond avec celui du fond.

B.2.6. Les exceptions d'irrecevabilité sont rejetées.

Quant au moyen unique B.3.1. Les parties requérantes prennent un moyen unique de la violation, par l'article D.VII.1, § 2/2, du CoDT, inséré par l'article 5 du décret attaqué, des articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

B.3.2. L'article 12, alinéa 2, de la Constitution dispose : " Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit ".

L'article 14 de la Constitution dispose : " Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi ".

L'article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : " Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise ".

L'article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose : " Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier ".

B.4. Les parties requérantes considèrent que la disposition attaquée « rétablit, postérieurement à l'entrée en vigueur du CoDT, une infraction continue qui était prescrite depuis l'entrée en vigueur du CoDT », ce qui constituerait une violation du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale garanti par les dispositions précitées.

B.5. Du fait de l'entrée en vigueur de l'article D.VII.1, § 2, du CoDT, le 1er juin 2017, le maintien d'actes et travaux répondant aux conditions fixées dans cette disposition cesse de constituer une infraction dix ans après leur achèvement. Le délai de prescription débute au moment où l'infraction de maintien, qui est une infraction continue, cesse d'exister.

B.6. L'entrée en vigueur de l'article D.VII.1, § 2/2, attaqué, du CoDT, dix jours après sa publication au Moniteur belge le 7 décembre 2017, n'a pas eu pour effet de « rétablir une infraction continue qui était prescrite » à ce moment. Il n'est pas concevable que les situations infractionnelles continues qui ont pris fin du fait de l'entrée en vigueur de l'article D.VII.1, § 2, du CoDT existent à nouveau ultérieurement, sous peine de conférer à la disposition attaquée une portée rétroactive qu'elle n'a pas et qu'elle ne pourrait avoir.

En revanche, la fin de la situation infractionnelle et l'extinction corrélative de l'infraction de maintien ne font pas obstacle à ce que l'infraction de maintien fasse l'objet de poursuites, tant que la prescription n'est pas acquise. L'article D.VII.1, § 2/2, attaqué, du CoDT n'a aucune incidence sur la prescription relative aux infractions de maintien concernées.

B.7. Il résulte de ce qui précède que les parties requérantes donnent à la disposition attaquée une portée qu'elle n'a pas et que le moyen unique repose sur une prémisse erronée, de sorte qu'il n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 9 juillet 2020.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût

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