publié le 04 mars 2020
Extrait de l'arrêt n° 104/2019 du 27 juin 2019 Numéro du rôle : 6964 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 319, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 et à l'article 63, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeu La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges T. Merckx-V(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 104/2019 du 27 juin 2019 Numéro du rôle : 6964 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 319, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 et à l'article 63, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, posée par le Tribunal de première instance d'Anvers, division Anvers.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 13 juin 2018 en cause de la SA « X » contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 27 juin 2018, le Tribunal de première instance d'Anvers, division Anvers, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 319, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 et l'article 63, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée violent-ils les articles 15 et 22 de la Constitution belge, combinés ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans le sens où une autorisation conférée par le juge (de police), faisant seulement référence à une demande non étayée au minimum par des faits concrets, ne comporte aucune motivation ou au moins aucune motivation de la part du juge lui-même pour effectuer une visite dans des bâtiments ou locaux habités ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle concerne l'article 319, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : CIR 1992) et l'article 63, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : Code de la TVA).
B.2.1. L'article 319 du CIR 1992 dispose : « Les personnes physiques ou morales sont tenues d'accorder aux agents de l'administration en charge de l'établissement des impôts sur les revenus, munis de leur commission et chargés d'effectuer un contrôle ou une enquête se rapportant à l'application de l'impôt sur les revenus, le libre accès, à toutes les heures où une activité s'y exerce, aux locaux professionnels ou aux locaux où les personnes morales exercent leurs activités tels que bureaux, fabriques, usines, ateliers, magasins, remises, garages ou à leurs terrains servant d'usine, d'atelier ou de dépôt de marchandises, à l'effet de permettre à ces agents d'une part de constater la nature et l'importance de ladite activité et de vérifier l'existence, la nature et la quantité de marchandises et objets de toute espèce que ces personnes y possèdent ou y détiennent à quelque titre que ce soit, en ce compris les moyens de production et de transport et d'autre part d'examiner tous les livres et documents qui se trouvent dans les locaux précités.
Les agents de l'administration en charge de l'établissement des impôts sur les revenus, munis de leur commission, peuvent, lorsqu'ils sont chargés de la même mission, réclamer le libre accès à tous autres locaux, bâtiments, ateliers ou terrains qui ne sont pas visés à l'alinéa 1er et où des activités sont effectuées ou sont présumées être effectuées. Toutefois, ils ne peuvent pénétrer dans les bâtiments ou les locaux habités que de cinq heures du matin à neuf heures du soir et uniquement avec l'autorisation du juge de police.
Les agents précités, munis de leur commission, peuvent vérifier, au moyen du matériel utilisé et avec l'assistance des personnes visées à l'article 315bis, alinéa 3, la fiabilité des informations, données et traitements informatiques, en exigeant notamment la communication de documents spécialement établis en vue de présenter les données enregistrées sur les supports informatiques sous une forme lisible et intelligible ».
B.2.2. L'article 63 du Code de la TVA dispose : « Toute personne qui exerce une activité économique est tenue d'accorder, à tout moment et sans avertissement préalable, le libre accès des locaux où elle exerce son activité, aux fins de permettre aux agents habilités à contrôler l'application de la taxe sur la valeur ajoutée et munis de leur commission : 1° d'examiner tous les livres et documents qui s'y trouvent;2° de vérifier, au moyen du matériel utilisé et avec l'assistance de la personne requise, la fiabilité des informations, données et traitements informatiques, en exigeant notamment la communication de documents spécialement établis en vue de présenter les données enregistrées sur les supports informatiques sous une forme lisible et intelligible;3° de constater la nature et l'importance de l'activité qui s'y exerce et le personnel qui y est affecté, ainsi que des marchandises et tous les biens qui s'y trouvent, y compris les moyens de production et de transport. Sont notamment des locaux où une activité est exercée, les bureaux, fabriques, usines, ateliers, magasins, remises, garages et les terrains servant d'usines, d'ateliers ou de dépôts.
Ces agents peuvent, dans le même but, pénétrer librement, à tout moment, sans avertissement préalable, dans tous les bâtiments, ateliers, établissements, locaux ou autres lieux qui ne sont pas visés à l'alinéa précédent et où sont effectuées ou sont présumées être effectuées des opérations visées par le présent Code. Toutefois, ils ne peuvent pénétrer dans les bâtiments ou les locaux habités que de cinq heures du matin à neuf heures du soir et uniquement avec l'autorisation du juge de police.
Ils peuvent également arrêter et visiter à tout moment, sans avertissement préalable, tous moyens de transport, y compris les conteneurs, utilisés ou présumés être utilisés pour effectuer des opérations visées par le Code, en vue d'examiner les biens et les livres et documents transportés ».
B.2.3. En vertu de l'article 63, alinéa 1er, du Code de la TVA, toute personne qui exerce une activité économique est tenue d'accorder le libre accès des locaux où elle exerce son activité, aux fins de permettre aux agents habilités de contrôler l'application de la taxe sur la valeur ajoutée. Conformément à l'alinéa 3 de cette même disposition, ces agents peuvent également pénétrer dans les bâtiments et locaux habités, moyennant toutefois une autorisation du juge de police.
L'article 319 du CIR 1992 confère un pouvoir d'investigation analogue aux agents chargés d'effectuer un contrôle ou une enquête se rapportant à l'application de l'impôt sur les revenus. Cette disposition aussi prévoit que la visite de locaux professionnels n'est pas soumise à une autorisation judiciaire (alinéa 1er), alors qu'elle prévoit que la visite de bâtiments et locaux habités requiert une autorisation du juge de police (alinéa 2).
Par l'article 11 de la loi du 19 mai 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/05/2010 pub. 28/05/2010 numac 2010003319 source service public federal finances Loi portant des dispositions fiscales et diverses type loi prom. 19/05/2010 pub. 02/06/2010 numac 2010024175 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi portant des dispositions diverses en matière de santé fermer portant des dispositions fiscales et diverses, l'article 319 du CIR 1992 a été modifié afin d'aligner le pouvoir d'investigation prévu par cette disposition sur celui des agents compétents pour contrôler l'application de la taxe sur la valeur ajoutée sur la base de l'article 63 du Code de la TVA (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC 52-2521/001, pp. 7-9). Le fait que les contenus des deux dispositions en cause soient largement équivalents a dès lors été voulu par le législateur.
B.3.1. Par son arrêt n° 116/2017 du 12 octobre 2017, la Cour a statué sur la visite fiscale de locaux professionnels régie par l'article 319, alinéa 1er, du CIR 1992 et par l'article 63, alinéa 1er, du Code de la TVA. Elle a notamment constaté que ces dispositions ne confèrent pas aux agents compétents qui effectuent une visite fiscale un droit général, inconditionnel et illimité de libre accès aux locaux professionnels. En effet, elles mentionnent les personnes qui sont tenues de permettre à l'administration fiscale d'accéder librement aux locaux professionnels. Elles précisent ensuite où, quand et par qui la visite peut être effectuée et quel en est l'objet. Compte tenu de ce qui est dit en B.9 à B.15 de cet arrêt, la Cour a conclu que la visite fiscale de locaux professionnels dans le cadre des impôts sur les revenus et de la taxe sur la valeur ajoutée est entourée de garanties suffisantes contre les abus. Le législateur a ainsi trouvé un juste équilibre entre, d'une part, les droits des contribuables concernés et, d'autre part, la nécessité de pouvoir procéder de manière efficace à un contrôle ou à une enquête en ce qui concerne l'application des impôts sur les revenus ou de la taxe sur la valeur ajoutée.
B.3.2. La présente question préjudicielle porte sur la visite fiscale d'habitations privées et de locaux habités, qui, en vertu de l'article 319, alinéa 2, du CIR 1992 et de l'article 63, alinéa 3, du Code de la TVA, est soumise à une autorisation préalable du juge de police.
B.4.1. Le juge a quo demande à la Cour si ces dispositions sont compatibles avec les articles 15 et 22 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, « dans le sens où une autorisation conférée par le juge (de police) faisant seulement référence à une demande non étayée au minimum par des faits concrets, ne comporte aucune motivation ou au moins aucune motivation de la part du juge lui-même pour effectuer une visite dans des bâtiments ou locaux habités ».
B.4.2. Dans la mesure où la Cour est interrogée au sujet de l'application des dispositions en cause au litige soumis au juge a quo, et plus particulièrement sur le point de savoir si l'autorisation du juge de police attaquée devant le juge a quo contient une motivation suffisante, la question ne relève pas de la compétence de la Cour.
B.4.3. Il ressort de la décision de renvoi et de sa motivation que la question préjudicielle peut être interprétée en ce sens que la Cour est interrogée sur la compatibilité des dispositions en cause avec les articles 15 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans l'interprétation selon laquelle l'autorisation donnée par le juge de police ne doit pas être motivée.
La Cour répond à la question préjudicielle en ce sens.
B.5.1. L'article 15 de la Constitution dispose : « Le domicile est inviolable; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu'elle prescrit ».
L'article 22 de la Constitution dispose : « Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.
La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la protection de ce droit ».
L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». B.5.2. Ces dispositions exigent que toute ingérence des autorités dans le droit au respect de la vie privée et du domicile soit prescrite par une disposition législative suffisamment précise, qu'elle corresponde à un besoin social impérieux et qu'elle soit proportionnée à l'objectif légitime poursuivi par celle-ci.
B.6. Les dispositions en cause imposent aux personnes physiques ou morales de donner, dans le cadre d'une visite fiscale, libre accès aux bâtiments et locaux habités, ce qui constitue une ingérence dans le droit à l'inviolabilité du domicile. La visite fiscale doit dès lors satisfaire aux exigences mentionnées en B.5.2.
B.7. La visite fiscale telle qu'elle est réglée par l'article 319 du CIR 1992 et par l'article 63 du Code de la TVA doit permettre de faire les constats nécessaires en ce qui concerne la régularité de la déclaration fiscale et vise ainsi à assurer la perception des impôts nécessaire au bon fonctionnement de l'autorité et à la garantie du bien-être économique du pays. Elle poursuit donc un but légitime au sens de l'article 8, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.8. Comme la Cour l'a jugé par son arrêt n° 116/2017 du 12 octobre 2017 et comme elle l'a rappelé en B.3.1, les dispositions en cause sont - compte tenu de ce qui a été dit en particulier en B.10.2 et en B.11.3 dudit arrêt - suffisamment claires pour que le justiciable puisse savoir ce à quoi il doit s'attendre. Elles satisfont ainsi à la condition de prévisibilité visée à l'article 8, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.9.1. Il convient encore d'examiner si les mesures sont nécessaires dans une société démocratique et si elles sont raisonnablement proportionnées au but poursuivi. Il importe à cet égard que la visite fiscale relative aux impôts sur les revenus et à la taxe sur la valeur ajoutée s'accompagne de garanties effectives contre les abus (CEDH, 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS e.a. c. Norvège, § 163).
B.9.2. L'intervention préalable d'un magistrat indépendant et impartial constitue une garantie importante contre les risques d'abus ou d'arbitraire. Le juge de police dispose en la matière d'un large pouvoir d'appréciation pour déterminer si les circonstances qui lui sont soumises justifient une atteinte au principe constitutionnel de l'inviolabilité du domicile. L'autorisation qu'il délivre est spécifique. Elle concerne une enquête déterminée, vise une habitation déterminée et ne vaut que pour les personnes au nom desquelles l'autorisation a été accordée.
B.9.3. Le tribunal de première instance connaît des contestations relatives à l'application d'une loi d'impôt (article 569, 32°, du Code judiciaire). Au cours de ce contrôle judiciaire, il convient d'examiner si les conditions contenues dans les dispositions en cause ont été respectées et si la visite à laquelle il a été procédé était proportionnée au but poursuivi. Un contrôle juridictionnel effectif de la régularité d'une visite fiscale et de la preuve obtenue est donc possible.
B.9.4. Le contrôle juridictionnel effectif de l'autorisation de procéder à une visite et l'exercice concret des droits de la défense seraient toutefois entravés de manière disproportionnée si la mise en balance des intérêts en cause faite par le juge de police et les modalités qu'il a fixées, mentionnées en B.9.2, ne figuraient pas dans la motivation de l'autorisation.
B.9.5. Dans l'interprétation de l'article 319, alinéa 2, du CIR 1992, et de l'article 63, alinéa 3, du Code de la TVA, selon laquelle l'autorisation accordée par le juge de police ne doit pas être motivée, aucun contrôle juridictionnel effectif de la régularité d'une visite fiscale et de la preuve obtenue n'est donc possible.
Ce faisant, la visite fiscale en matière d'impôts sur les revenus et de taxe sur la valeur ajoutée n'est pas entourée de garanties suffisantes contre les abus. Les dispositions en cause ne satisfont donc pas aux exigences de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et sont contraires aux articles 15 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec cette disposition conventionnelle.
Dans cette interprétation des dispositions en cause, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
B.9.6. Les dispositions en cause peuvent toutefois être interprétées autrement, en ce sens qu'elles ne dispensent pas le juge de police de l'obligation de motiver expressément l'autorisation de procéder à une visite.
Ce faisant, l'autorisation de visite qui, par sa nature, ne peut concerner que des contrôles en matière d'impôts sur les revenus et de taxe sur la valeur ajoutée et a, dès lors, toujours un caractère limité, doit mentionner dans le cadre de quelle instruction, pour quel domicile et à quelles personnes elle est délivrée, ainsi que les motifs justifiant sa nécessité, fût-ce de manière concise (voir, en ce sens, relativement à une disposition analogue de la loi générale sur les douanes et accises, Cass., 27 mars 2012, P.11.1701.N).
Il peut être admis que le juge de police motive l'autorisation de visite en se référant aux indications figurant dans la demande d'autorisation ou dans les pièces jointes et en reprenant ces indications. Ces mentions et pièces doivent toutefois, dans ce cas, être soumises à la contradiction à l'occasion du contrôle juridictionnel de la régularité de la visite fiscale effectué par le tribunal de première instance, sauf si un autre droit fondamental ou un autre principe étaient ainsi vidés de leur substance de manière disproportionnée.
Dans cette interprétation, il existe un juste équilibre entre, d'une part, les droits des contribuables concernés et, d'autre part, la nécessité de pouvoir procéder de manière efficace à un contrôle ou à une enquête en ce qui concerne l'application des impôts sur les revenus ou de la taxe sur la valeur ajoutée.
Dans cette interprétation, la question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 319, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 et l'article 63, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, interprétés en ce sens que l'autorisation donnée par le juge de police ne doit pas être motivée, violent les articles 15 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. - Les mêmes dispositions, interprétées en ce sens qu'elles ne dispensent pas le juge de police de l'obligation de motiver expressément l'autorisation de procéder à une visite, ne violent pas les articles 15 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 27 juin 2019.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, A. Alen