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Arrêt
publié le 13 juillet 2017

Extrait de l'arrêt n° 52/2017 du 11 mai 2017 Numéro du rôle : 6425 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 152 du Code d'instruction criminelle, posée par la chambre du conseil du Tribunal de première instance néerlandophone La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges J.-(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 52/2017 du 11 mai 2017 Numéro du rôle : 6425 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 152 du Code d'instruction criminelle, posée par la chambre du conseil du Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges J.-P. Snappe, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par ordonnance du 5 avril 2016 en cause de F.J. et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 12 mai 2016, la chambre du conseil du Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 152 [du Code d'instruction criminelle] viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'un inculpé ne peut pas demander à la chambre du conseil, à l'audience d'introduction du règlement de la procédure (article 127 du Code d'instruction criminelle), de fixer des délais pour conclure, alors qu'un prévenu devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel peut demander, à l'audience d'introduction, de fixer des délais pour conclure ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité de l'article 152 du Code d'instruction criminelle avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'un inculpé ne peut pas demander à la chambre du conseil, à l'audience d'introduction du règlement de la procédure, de fixer des délais pour conclure, alors qu'un prévenu devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel peut demander, à l'audience d'introduction, de fixer des délais pour conclure.

B.2. L'article 152 du Code d'instruction criminelle, remplacé par l'article 76 de la loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice (ci-après : la loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer), dispose : « § 1er. Les parties qui souhaitent conclure et n'ont pas encore déposé de conclusions demandent à l'audience d'introduction de fixer des délais pour conclure.

En pareil cas, le juge fixe les délais dans lesquels les conclusions doivent être déposées au greffe et communiquées aux autres parties et la date de l'audience, après avoir entendu les parties. La décision est mentionnée dans le procès-verbal d'audience. Les conclusions sont rédigées conformément aux articles 743 et 744 du Code judiciaire.

Les conclusions qui n'ont pas été déposées et communiquées au ministère public, si elles ont trait à l'action publique, et le cas échéant, à toutes les autres parties concernées avant l'expiration des délais fixés, sont écartées d'office des débats. § 2. A moins que le juge ne constate que le dépôt tardif ou la communication tardive poursuit des fins purement dilatoires ou porte atteinte aux droits des autres parties ou au déroulement de la procédure, des conclusions peuvent être déposées après l'expiration des délais fixés conformément au paragraphe 1er : - moyennant l'accord des parties concernées, ou - en cas de découverte d'une pièce ou d'un fait nouveau et pertinent justifiant de nouvelles conclusions.

Le juge peut, en conséquence, fixer de nouveaux délais pour conclure et une nouvelle date d'audience. Dans ce cas, le paragraphe 1er est d'application. § 3. Les décisions du juge visées aux paragraphes 1er et 2 ne sont susceptibles d'aucun recours. § 4. Les dispositions des paragraphes 1er et 2 sont applicables au ministère public ».

B.3.1. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle n'est pas recevable parce qu'elle partirait erronément de l'hypothèse que l'inculpé ne peut pas demander à la chambre du conseil de fixer des délais pour conclure, alors que l'article 127 du Code d'instruction criminelle ne s'y oppose pas.

B.3.2. Il appartient en règle au juge a quo d'interpréter les dispositions qu'il applique, sous réserve d'une lecture manifestement erronée de la disposition en cause. Il ressort de la décision de renvoi que la Cour est interrogée sur l'inégalité de traitement qui résulterait de l'impossibilité pour l'inculpé de demander à la chambre du conseil, lors de l'audience d'introduction réglant la procédure, de fixer des délais impératifs pour conclure, et de l'impossibilité de sanctionner des conclusions tardives, alors que la possibilité existe pour le prévenu dans la procédure devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel, comme le prévoit l'article 152 du Code d'instruction criminelle.

B.3.3. L'exception est rejetée.

B.4. La loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer a instauré des délais impératifs pour conclure en matière pénale dans le respect des « principes de la liberté de parole à l'audience et de l'égalité des armes » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, pp. 69-70; DOC 54-1418/005, p. 113). Le nouveau règlement a été inscrit à l'article 152 du Code d'instruction criminelle, qui porte sur la procédure devant les tribunaux de police. Cette disposition vaut également pour les tribunaux correctionnels (article 189 du Code d'instruction criminelle) et pour les cours d'appel (article 209bis, dernier alinéa, du Code d'instruction criminelle). Le nouveau règlement prévoit que les parties qui souhaitent conclure, et qui n'ont pas encore déposé de conclusions, demandent à l'audience d'introduction de fixer des délais pour conclure. En pareil cas, le juge fixe des délais pour conclure ainsi qu'une date d'audience, et il en est ensuite fait mention à la feuille d'audience. Les conclusions qui n'ont pas été déposées et communiquées à temps à toutes les parties concernées sont en principe écartées d'office des débats.

B.5.1. La procédure devant la chambre du conseil diffère fondamentalement de celle devant les juridictions de jugement. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l'application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n'est pas discriminatoire en soi. Il ne saurait y avoir discrimination que si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

B.5.2. Dans la présente affaire, la question se pose de savoir si la disposition en cause porte atteinte au droit à un procès équitable, garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il ne serait pas possible, pour un inculpé, de demander à la chambre du conseil, lors du règlement de la procédure, de fixer des délais impératifs pour conclure, et en ce qu'il ne serait pas possible de sanctionner des conclusions tardives.

B.6. Lors du règlement de la procédure, la chambre du conseil décide de la clôture de l'instruction. Même si l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme n'est en principe pas applicable au cours de la phase préalable à la procédure pénale devant les juridictions qui statuent sur le bien-fondé de l'action publique, il convient d'avoir égard au fait que les exigences de l'article 6 peuvent jouer un rôle avant la saisine du juge du fond si et dans la mesure où leur inobservation initiale risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès (CEDH, 24 novembre 1993, Imbrioscia c. Suisse).En outre, il existe des dérogations au principe général prévoyant que la chambre du conseil ne se prononce pas sur le fond de l'affaire lors du règlement de la procédure.

B.7.1. En instaurant un règlement impératif des délais pour conclure devant les juridictions de jugement en matière pénale, le législateur vise à une meilleure canalisation du déroulement de la procédure pénale et à une meilleure gestion du calendrier des audiences (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, p. 69). Bien qu'il existât déjà une pratique dans le cadre de laquelle, en matière pénale, les parties fixaient elles-mêmes, de commun accord, des délais pour conclure ou demandaient à la juridiction de jugement de les fixer pour elles, il ne s'agissait cependant que d'un simple « gentlemen's agreement » (ibid.).

B.7.2. Toutefois, il n'était en principe pas possible de sanctionner le dépôt tardif de conclusions, problème qui a été résolu par la disposition en cause. Selon le législateur, l'écartement de conclusions peut, dans certaines circonstances, s'avérer justifié, en l'occurrence lorsqu'il est question d'abus de procédure et lorsque des conclusions tardives entravent une bonne administration de la justice et violent en outre fautivement les droits d'autres parties, et portent atteinte au droit à un procès équitable (ibid.).

B.8.1. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable s'applique à l'ensemble de la procédure et ce droit peut être irrémédiablement compromis au cours de l'information préliminaire (CEDH, 15 juillet 2002, Stratégies et communications et Dumoulin c. Belgique, § 39).

B.8.2. Lors du règlement de la procédure devant la chambre du conseil, les parties déposent leurs conclusions à l'audience. Bien qu'aucune disposition légale n'interdise aux parties de communiquer leurs conclusions jusqu'à la clôture des débats, il n'est pas exclu qu'elles conviennent de délais pour conclure de commun accord ou en concertation avec la chambre du conseil.

B.8.3. Certes, il n'existe aucune disposition autorisant, au cours de la procédure devant la chambre du conseil, l'écartement de conclusions tardives des débats. La chambre du conseil peut toutefois rejeter des conclusions déposées dans un but purement dilatoire (Cass., 16 juin 2004, Pas., 2004, n° 331; Cass., 23 décembre 2015, P.15.0615.F). La chambre du conseil peut également écarter des débats, comme étant constitutives d'un abus de procédure, des conclusions déposées tardivement qui empêchent une bonne administration de la justice, lèsent fautivement les droits de la partie adverse et portent atteinte au droit à un procès équitable (Cass., 8 juin 2011, Pas., 2011, n° 388; Cass., 29 avril 2015, Pas., 2015, n° 282).

B.8.4. La chambre du conseil peut donc tenir compte, d'une part, de l'intérêt public et du souci d'une bonne administration de la justice dans un délai raisonnable et, d'autre part, du droit des parties en cause à un débat contradictoire, en respectant l'égalité des armes.

B.9. Compte tenu de ce qui précède, il n'est pas porté atteinte de manière disproportionnée aux droits de l'inculpé en ce que l'article 152 du Code d'instruction criminelle, remplacé par l'article 76 de la loi du 5 février 2016Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/02/2016 pub. 19/02/2016 numac 2016009064 source service public federal justice Loi modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice fermer, ne s'applique pas par analogie au règlement de la procédure devant la chambre du conseil.

B.10. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 152 du Code d'instruction criminelle ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 11 mai 2017.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, E. De Groot

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