publié le 18 décembre 2015
Extrait de l'arrêt n° 149/2015 du 22 octobre 2015 Numéro du rôle : 6090 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 12 et 14 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 juillet 1992 relative à la taxe régionale à La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De G(...)
Extrait de l'arrêt n° 149/2015 du 22 octobre 2015 Numéro du rôle : 6090 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 12 et 14 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 juillet 1992 relative à la taxe régionale à charge des occupants d'immeubles bâtis et de titulaires de droits réels sur certains immeubles, tels qu'ils étaient applicables aux exercices d'imposition 1995 et 1996, posée par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Moerman, E. Derycke et F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 22 octobre 2014 en cause de la SA « Dodder Belgium » contre la Région de Bruxelles-Capitale, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 18 novembre 2014, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « Dans leur texte applicable aux exercices 1995 et 1996, les articles 12 et 14 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 juillet 1992 instituant une taxe à charge des occupants d'immeubles bâtis, sont-ils conformes au principe de sécurité et aux articles 10, 11, 170 et 172 de la Constitution, en ce que les contribuables taxés d'office peuvent l'être sans délai, à la différence des contribuables taxés sur déclaration ou sur rectification de leur déclaration ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. Tel qu'ils sont applicables au litige pendant devant le juge a quo, les articles 12 à 14 de l'ordonnance du 23 juillet 1992 « relative à la taxe régionale à charge des occupants d'immeubles bâtis et de titulaires de droits réels sur certains immeubles » disposent : «
Art. 12.§ 1er. La taxe est perçue par voie de rôle.
Les rôles sont arrêtés par le fonctionnaire désigné par l'Exécutif au plus tard le 30 septembre qui suit la fin de l'exercice auxquels ils se rattachent, sans préjudice de la rectification prévue à l'article 13 ou de la taxation d'office de l'article 14; ils sont rendus exécutoires par l'Exécutif.
Les rôles mentionnent : 1° le nom de la Région;2° le nom, prénoms et adresse du redevable de la taxe;3° une référence à la présente ordonnance;4° le montant de la taxe et le fait qui en justifie l'exigibilité;5° l'exercice;6° le numéro d'article;7° la date du visa exécutoire. § 2. L'avertissement-extrait de rôle est, à peine de forclusion, notifié au redevable dans les six mois à compter de la date du visa exécutoire. Il est daté et porte les mentions indiquées au paragraphe premier. § 3. La taxe doit être payée au plus tard dans les deux mois suivant l'envoi de l'avertissement-extrait de rôle.
Art. 13.En cas d'erreur ou d'omission dans la déclaration du redevable, les fonctionnaires visés à l'article 11, procèdent à la rectification de la déclaration; la rectification motivée est notifiée au redevable dans un délai de huit mois à compter du jour de la réception de la déclaration.
Art. 14.§ 1er. Lorsque le redevable n'a pas remis dans les délais la déclaration dont question à l'article 10 ou ne s'est pas conformé aux obligations qui lui sont imposées par la présente ordonnance ou en exécution de celle-ci, les fonctionnaires visés à l'article 11 procèdent à l'établissement d'office de la taxe due par le redevable eu égard aux éléments dont ils disposent. § 2. Avant de procéder à la taxation d'office, les fonctionnaires notifient au redevable, par lettre recommandée, les motifs de la taxation d'office et les éléments sur lesquels la taxe sera basée. § 3. Dans le mois qui suit l'envoi de cette notification, le redevable peut faire valoir ses observations par écrit; la taxe ne peut être établie avant l'expiration de ce délai. § 4. Lorsque le redevable est taxé d'office, il lui incombe, en cas de contestation, de faire la preuve du caractère manifestement exagéré de la taxation d'office ».
B.1.2. Au cours des travaux préparatoires, le ministre précisa que le délai d'enrôlement fixé à l'article 12 de l'ordonnance en cause - équivalent à neuf mois après la clôture de l'exercice fiscal - était « raisonnable » (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1991-1992, A-183/2, p. 69).
B.1.3. Tel qu'il est applicable au litige pendant devant le juge a quo, l'article 16 de la même ordonnance dispose : « L'action en recouvrement de la taxe, des intérêts et des majorations se prescrit par cinq ans à compter du jour où elle est née ».
B.2.1. L'article 5 de l' ordonnance du 17 juillet 1997Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 17/07/1997 pub. 10/09/1997 numac 1997031361 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance modifiant la procédure de l'enquête, du recouvrement et des poursuites en matière de fiscalité régionale autonome fermer « modifiant la procédure de l'enquête, du recouvrement et des poursuites en matière de fiscalité régionale autonome » remplaça l'article 12, § 1er, alinéa 2, de l'ordonnance en cause par deux nouveaux alinéas qui disposaient : « Les rôles sont rendus exécutoires par le fonctionnaire, désigné à cet effet par le Gouvernement, au plus tard le 30 septembre de l'année qui suit l'exercice auquel ils se rattachent.
Dans le cas de la taxation d'office, visée à l'article 14, les rôles sont rendus exécutoires au plus tard le 30 septembre de la troisième année qui suit l'exercice auquel ils se rattachent ».
En vertu de l'article 20 de l' ordonnance du 17 juillet 1997Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 17/07/1997 pub. 10/09/1997 numac 1997031361 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance modifiant la procédure de l'enquête, du recouvrement et des poursuites en matière de fiscalité régionale autonome fermer, ces deux alinéas étaient « d'application aux taxes relatives aux exercices 1997 et suivants ».
B.2.2. L'article 36 de l' ordonnance du 21 décembre 2012Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 21/12/2012 pub. 08/02/2013 numac 2013031058 source region de bruxelles-capitale Ordonnance établissant la procédure fiscale en Région de Bruxelles-Capitale fermer « établissant la procédure fiscale en Région de Bruxelles-Capitale » a abrogé à partir de l'exercice d'imposition 2013 les articles 12, 13 et 14 de l'ordonnance en cause.
B.3.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité des articles 12 et 14 de l'ordonnance en cause avec les articles 10, 11, 170 et 172 de la Constitution ainsi qu'avec le principe de sécurité juridique en tant que le législateur ordonnanciel n'établit aucun délai pour procéder à la taxation d'office du contribuable, à la différence de la procédure de taxation du contribuable sur la base de sa déclaration ou de la rectification de sa déclaration.
B.3.2. L'article 170 de la Constitution établit le principe de légalité de l'impôt. La décision de renvoi ne fait pas apparaître en quoi les dispositions en cause sont susceptibles de méconnaître le principe de légalité en matière fiscale.
En ce qu'elle porte sur l'article 170 de la Constitution, la question préjudicielle est irrecevable.
B.3.3. En outre, la Cour n'est pas compétente pour contrôler directement des normes législatives au regard de principes généraux, comme le principe de sécurité juridique. Elle peut toutefois tenir compte de ces principes dans le contrôle direct de constitutionnalité qu'elle exerce au regard des articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
B.4.1. Contrairement à ce que soutient le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, les catégories de personnes visées par la question préjudicielle sont comparables. La seule circonstance que l'administration peut procéder à la taxation d'office de la première catégorie de personnes comparées n'a pas pour conséquence qu'elle ne puisse être comparée utilement aux contribuables dont la taxation est fondée sur leur déclaration ou sur la rectification de leur déclaration.
B.4.2. A la différence des contribuables taxés sur la base de leur déclaration ou d'une rectification apportée à leur déclaration, aucun délai n'est imposé à l'administration régionale pour procéder à la taxation d'office des contribuables qui, comme la partie demanderesse devant le juge a quo, n'ont pas remis leur déclaration dans les délais prescrits. La Cour doit dès lors vérifier si cette différence de traitement est raisonnablement justifiée.
B.5.1. L'établissement d'une taxation dans les cas où l'impôt est dû conformément à la loi constitue, pour l'administration, une obligation qui doit permettre de garantir l'égalité des citoyens devant la loi. A cet égard, il peut être admis que des mesures plus sévères soient adoptées à l'égard des contribuables qui n'ont pas satisfait à leur obligation de déclaration.
B.5.2. Il convient toutefois que le législateur ordonnanciel recherche un juste équilibre entre l'intérêt légitime qui commande que l'impôt dû soit payé et le souci de ne pas laisser indéfiniment le contribuable dans l'incertitude concernant cette imposition.
En effet, l'absence de tout délai d'imposition a pour effet que le principe de la sécurité juridique est violé, puisque le contribuable demeure indéfiniment dans l'incertitude en ce qui concerne l'exercice d'imposition concerné, sans disposer de la faculté de faire accélérer la procédure (voy., à cet égard, CEDH, 3 mars 2015, Dimitrovi c.
Bulgarie, § 46).
B.5.3. Par ailleurs, le point de départ d'un délai de prescription ne peut être totalement laissé à l'arbitraire d'une des parties. Au contraire, le souci de prévenir l'insécurité juridique « exige que le point de départ ou d'expiration des délais de prescription [soit] clairement définis et liés à des faits concrets et objectifs » (voy.
CEDH, 6 novembre 2008, Kokkinis c. Grèce, §§ 34 et 35).
Or, la lecture combinée des articles 14 et 16 de l'ordonnance en cause aboutit à ce que le point de départ du délai de prescription de l'action en recouvrement de l'administration fiscale, visée à l'article 16 de l'ordonnance, soit conditionné par le seul moment où cette administration décide d'enrôler la taxation d'office à charge du contribuable, ce moment pouvant être indéfiniment retardé.
B.6. L'article 5 de l' ordonnance du 17 juillet 1997Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 17/07/1997 pub. 10/09/1997 numac 1997031361 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance modifiant la procédure de l'enquête, du recouvrement et des poursuites en matière de fiscalité régionale autonome fermer précitée a instauré un délai pour procéder à la taxation d'office en cause afin d'« augmente [r] la sécurité juridique du contribuable » (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1996-1997, n° 148/2, p. 3). De même, l' ordonnance du 21 décembre 2012Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 21/12/2012 pub. 08/02/2013 numac 2013031058 source region de bruxelles-capitale Ordonnance établissant la procédure fiscale en Région de Bruxelles-Capitale fermer « établissant la procédure fiscale en Région de Bruxelles-Capitale », qui abroge les dispositions en cause, fixe un délai dans lequel l'administration peut procéder à la taxation d'office en ce qui concerne les diverses taxes régionales (article 10, § 1er, alinéa 3).
B.7. Contrairement à ce que soutient le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, l'éventualité qu'au cours d'une procédure judiciaire ultérieure, le délai mis pour taxer d'office le contribuable puisse être jugé comme déraisonnable ne constitue pas une garantie suffisante.
Certes, la Cour a admis, dans son arrêt n° 158/2009, du 20 octobre 2009, que l'autorité taxatrice puisse remédier, par l'établissement d'une cotisation subsidiaire, à une irrégularité - autre que celle relative à la prescription - pendant l'instance au cours de laquelle il est statué sur la nullité de la cotisation initiale. La Cour souligna toutefois à cet égard que, ce faisant, l'administration fiscale demeurait tenue d'établir la cotisation subsidiaire dans un délai déterminé, à savoir avant la fin de la clôture des débats devant la juridiction.
Le contribuable ne pourrait, en revanche, être contraint d'intenter une action en justice à la seule fin de vérifier si l'autorité taxatrice a agi dans un délai raisonnable, alors que le législateur ordonnanciel s'est abstenu de déterminer le délai dans lequel il y avait lieu de procéder à l'imposition d'office. Dans un tel cas, en effet, l'administration peut décider de manière discrétionnaire du délai applicable à la procédure de taxation d'office et procéder à une telle taxation en dehors de tout délai prédéterminé.
B.8. Il s'ensuit que l'absence, dans les dispositions en cause, d'un délai imposé à l'administration régionale pour procéder à la taxation d'office prévue par l'article 14 de l'ordonnance en cause, à savoir le délai prévu en cas de taxation d'office comme il est indiqué en B.2.1, établit une différence de traitement injustifiée entre les catégories de contribuables visées par la question préjudicielle.
B.9. Dès lors que le constat de la lacune qui a été fait en B.8 est exprimé en des termes suffisamment précis et complets qui permettent l'application des dispositions en cause dans le respect des normes de référence sur la base desquelles la Cour exerce son contrôle, il appartient au juge a quo de mettre fin à la violation de ces normes.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 12 et 14 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 juillet 1992 « relative à la taxe régionale à charge des occupants d'immeubles bâtis et de titulaires de droits réels sur certains immeubles », tels qu'ils étaient applicables aux exercices d'imposition 1995 et 1996, violent les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 octobre 2015.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels