publié le 03 juin 2011
Extrait de l'arrêt n° 47/2011 du 30 mars 2011 Numéro du rôle : 4932 En cause : le recours en annulation des articles 65/22, § 2, et 65/32 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de f La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges J.-P.(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 47/2011 du 30 mars 2011 Numéro du rôle : 4932 En cause : le recours en annulation des articles 65/22, § 2, et 65/32 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services, insérés par l'article 2 de la loi du 23 décembre 2009 introduisant un nouveau livre relatif à la motivation, à l'information et aux voies de recours dans la loi du 24 décembre 1993 précitée, introduit par la commune d'Auderghem.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels, T. Merckx-Van Goey et P. Nihoul, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président R. Henneuse, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 12 mai 2010 et parvenue au greffe le 14 mai 2010, la commune d'Auderghem a introduit un recours en annulation des articles 65/22, § 2, et 65/32 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services, insérés par l'article 2 de la loi du 23 décembre 2009 introduisant un nouveau livre relatif à la motivation, à l'information et aux voies de recours dans la loi du 24 décembre 1993 précitée (publiée au Moniteur belge du 28 décembre 2009, troisième édition). (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées B.1.1. La partie requérante demande l'annulation des articles 65/22, § 2, et 65/32 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services, insérés par l'article 2 de la loi du 23 décembre 2009 introduisant un nouveau livre relatif à la motivation, à l'information et aux voies de recours dans la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services.
B.1.2. L'article 65/22, § 2, de la loi précitée dispose : « A la demande de toute personne intéressée et après avoir apprécié tous les aspects pertinents, l'instance de recours prononce une sanction de substitution visée au § 1er lorsque l'autorité adjudicatrice a conclu le marché en méconnaissance de l'article 65/11, alinéas 1er et 2, sans toutefois que cette violation : 1° ait privé le soumissionnaire de la possibilité d'introduire une demande en suspension visée à l'article 65/11, alinéa 2, et 2° soit accompagnée d'une violation du droit communautaire en matière de marchés publics, de la loi ou de ses arrêtés d'exécution, et que cette dernière violation ait pu compromettre les chances du soumissionnaire d'obtenir le marché. Les pénalités financières prononcées comme sanctions de substitution sont versées au Trésor ».
B.1.3. L'article 65/32 de la loi précitée dispose : « Lorsque l'article 65/30, alinéa 1er, est applicable, les articles 65/12, 65/13, 65/18, alinéa 1er et 4, et 65/19 à 65/22 sont également applicables.
Dans ce cas, les mots ' publicité européenne ' et ' Journal officiel de l'Union européenne ', mentionnés dans ces dispositions, sont remplacés par les mots ' publicité belge ' et ' Bulletin des Adjudications '.
Si l'autorité adjudicatrice, conformément à l'article 65/30, alinéa 2, fait application volontaire de l'article 65/11, alinéa 1er, les articles 65/13 et 65/17 à 65/22 ne sont pas applicables ».
B.2. La loi attaquée « vise, d'une part, à transposer en droit belge la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l'amélioration de l'efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics, [...] et, d'autre part, à insérer des dispositions applicables aux marchés n'atteignant pas les seuils européens » (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC 52-2276/001, p. 4).
B.3.1. La loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services établit une distinction entre les marchés publics qui atteignent les seuils prescrits pour la publication européenne préalable obligatoire et les marchés publics qui n'atteignent pas ces seuils. L'article 65/32 attaqué rend toutefois applicables aux marchés de travaux dont le montant de l'offre à approuver hors taxe sur la valeur ajoutée se situe en deçà du seuil européen mais atteint la moitié de ce seuil, soit les marchés de travaux dont le montant se situe entre 2.422.500 euros et 4.845.000 euros, certaines dispositions applicables aux marchés pour lesquels la publication européenne préalable est obligatoire. Ainsi, ces marchés de travaux sont également soumis au délai d'attente entre la décision d'attribution et la conclusion du marché (articles 65/11, 65/12 et 65/13 de la loi du 24 décembre 1993), et le non-respect de ce délai d'attente par le pouvoir adjudicateur peut être sanctionné, pour ces marchés de travaux également, lorsqu'ils sont conclus, par une déclaration d'absence d'effets ou par une sanction de substitution.
B.3.2. La sanction de déclaration d'absence d'effets et les sanctions de substitution ont été introduites dans la loi du 24 décembre 1993 par la loi du 23 décembre 2009. En application de l'article 65/17 de la loi du 24 décembre 1993, l'instance de recours déclare dépourvu d'effets un marché qui a été soit conclu sans publicité européenne préalable, alors que celle-ci était exigée par le droit communautaire européen ou par le droit interne applicable, soit conclu avant l'expiration du délai d'attente prévu par l'article 65/11, alinéa 1er, ou avant que l'instance de recours ait statué sur la demande de suspension ou sur la demande de mesures provisoires. Dans le second cas, la déclaration d'absence d'effets est prononcée lorsque la violation sanctionnée a « privé un soumissionnaire de la possibilité d'engager ou de mener à son terme le recours en suspension visé à l'article 65/11, alinéa 2, et est accompagnée d'une violation du droit communautaire en matière de marchés publics, de la loi ou de ses arrêtés d'exécution et si cette dernière violation a compromis les chances d'un soumissionnaire d'obtenir le marché ».
B.3.3. L'instance de recours ne prononcera pas la déclaration d'absence d'effets, mais appliquera une sanction de substitution en application de l'article 65/20, « si elle constate, après avoir examiné tous les aspects pertinents, que des raisons impérieuses d'intérêt général imposent que les effets du marché soient maintenus ». Elle prononcera également une sanction de substitution lorsque l'autorité adjudicatrice a conclu le marché en méconnaissance du délai d'attente ou avant que l'instance de recours ait pu se prononcer sur une demande de suspension ou sur une demande de mesures provisoires lorsque cette violation de l'article 65/11 n'a pas privé le soumissionnaire de la possibilité d'introduire une demande en suspension, et est accompagnée d'une autre violation du droit communautaire européen ou du droit interne qui n'a pu compromettre les chances du soumissionnaire d'obtenir le marché (article 65/22, § 2, de la même loi). Le législateur a considéré que dans ce cas, « une annulation rétroactive de toutes les obligations contractuelles aurait été une sanction disproportionnée » (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC 52-2276/001, p. 38).
La sanction de substitution consiste à abréger la durée du marché ou à imposer une pénalité financière à l'autorité adjudicatrice. L'instance de recours peut aussi choisir de prononcer les deux sanctions de substitution.
Quant au premier moyen B.4.1. Par le premier moyen, la partie requérante fait grief aux dispositions qu'elle attaque d'ouvrir les voies de recours visant à faire prononcer une sanction de substitution à de nouvelles catégories de personnes, différentes et potentiellement beaucoup plus nombreuses que celles qui peuvent solliciter du juge une sanction consistant en l'annulation ou la suspension de la décision d'attribution du marché, en une déclaration d'absence d'effets ou en l'octroi de dommages et intérêts. La partie requérante craint en conséquence de se trouver confrontée, de manière injustifiée, à une augmentation du nombre de recours auxquels elle doit, en tant que pouvoir adjudicateur, faire face.
B.4.2. En application de l'article 65/14 de la loi du 24 décembre 1993, l'instance de recours peut annuler les décisions prises par les autorités adjudicatrices « à la demande de toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par la violation alléguée ». La suspension des mêmes décisions peut être ordonnée dans les mêmes conditions (article 65/15 de la même loi). Des dommages et intérêts peuvent être accordés aux personnes lésées par une des violations visées à l'article 65/14 précité (article 65/16 de la même loi). En revanche, la sanction de déclaration d'absence d'effets du marché peut être prononcée par l'instance de recours à la demande de toute personne intéressée (article 65/17 de la même loi). Il en va de même des sanctions de substitution (article 65/22 de la même loi).
B.4.3. La partie requérante considère que les dispositions attaquées introduisent entre les catégories de requérants qui peuvent postuler du juge qu'il déclare l'absence d'effets du marché conclu et les catégories de requérants qui peuvent solliciter le prononcé d'une sanction de substitution une différence de traitement incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Toutefois, tant l'article 65/17, qui traite de la déclaration d'absences d'effets, que l'article 65/22, § 2, qui traite des sanctions de substitution, prévoient que l'instance de recours prononce ces sanctions « à la demande de toute personne intéressée ». Par contre, l'instance de recours déclarera le marché dépourvu d'effets ou limitera la sanction à une des sanctions de substitution selon que le non-respect du délai d'attente ou du délai dans lequel l'instance de recours se prononce sur une demande de suspension ou de mesures provisoires a ou non privé un soumissionnaire de la possibilité d'engager ou de mener à son terme un recours en suspension et que la violation du délai d'attente est accompagnée d'une violation du droit communautaire européen ou du droit interne qui a ou non compromis les chances d'un soumissionnaire d'obtenir le marché.
Il en résulte que les catégories de requérants qui peuvent solliciter de l'instance de recours une déclaration d'absence d'effets et celles qui peuvent solliciter une sanction de substitution sont définies de la même manière par le texte de la loi attaquée, de sorte qu'il ne saurait y avoir de discrimination entre ces catégories de requérants.
En revanche, il est exact que les catégories de requérants qui peuvent solliciter une déclaration d'absence d'effets et une sanction de substitution sont définies de manière plus large que les catégories de requérants qui peuvent solliciter l'annulation ou la suspension des décisions prises par l'autorité adjudicatrice. Ces derniers doivent en effet prouver qu'ils ont ou ont eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et qu'ils ont été ou risquent d'être lésés par la violation alléguée.
B.5. Contrairement à ce que soutient la partie requérante, le législateur n'a pas fait du recours visant à faire prononcer une sanction de substitution une action « qui confine à l'action populaire », puisqu'il a précisé que ce recours n'est ouvert qu'aux personnes « intéressées ». Le requérant doit dès lors démontrer un intérêt à ce que la sanction soit prononcée. Il reviendra aux juridictions compétentes de définir ce qu'il faut entendre par l'intérêt à agir dans ce contexte, en s'inspirant, le cas échéant, des travaux préparatoires relatifs aux dispositions attaquées.
B.6. Par ailleurs, le législateur, introduisant dans la législation relative aux marchés publics de nouvelles sanctions visant à faire respecter le délai d'attente par les autorités adjudicatrices, a pu définir les catégories de personnes qui sont recevables à solliciter de l'instance de recours qu'elle prononce ces nouvelles sanctions en fonction du but qu'il poursuivait, et il n'était pas tenu d'aligner les conditions de recevabilité de ces nouvelles actions sur celles qui étaient fixées par la législation antérieure pour les actions tendant à obtenir l'annulation, la suspension ou des dommages et intérêts. A cet égard, constatant avec le législateur européen que « l'absence d'effets est la manière la plus efficace de rétablir la concurrence et de créer de nouvelles perspectives commerciales pour les entreprises qui ont été privées illégalement de la possibilité de participer à la procédure », il a pu ouvrir l'action tendant à obtenir l'absence d'effets non seulement aux entreprises intéressées, mais également à « l'autorité qui doit faire cesser le manquement européen », ainsi qu'à , « par exemple, [...] l'autorité régionale agissant dans le cadre de la tutelle sur un pouvoir adjudicateur » (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC 52-2276/001, p. 33).
B.7. Le premier moyen n'est pas fondé.
Quant au second moyen B.8. Par le second moyen, la partie requérante reproche à l'article 65/32 inséré dans la loi du 24 décembre 1993 par l'article 2 de la loi attaquée d'étendre aux marchés de travaux d'une valeur estimée inférieure au seuil à partir duquel une publicité européenne s'impose des voies de recours propres aux marchés dont la valeur estimée atteint ce seuil. Elle considère que le législateur a ainsi créé une discrimination entre les marchés de travaux d'une part et les marchés de fournitures et de services d'autre part, et qu'il a méconnu la distinction objective entre les marchés soumis aux directives de l'Union européenne et ceux qui ne le sont pas, négligeant l'impact de cette mesure sur les coûts supportés par les pouvoirs adjudicateurs.
B.9. Les travaux préparatoires de la disposition en cause montrent que le législateur a constaté qu'il y avait « une différence de traitement trop importante entre les marchés dont les montants ont une valeur supérieure aux seuils [européens], où la protection juridique des soumissionnaires évincés est optimale, et ceux dont les montants ont une valeur inférieure aux seuils, où les principes d'information et de transparence pourraient être plus facilement malmenés », et qu'il a en conséquence décidé de rendre un certain nombre de dispositions applicables à tous les marchés. Il a toutefois jugé ne pas devoir soumettre tous les marchés aux dispositions relatives au respect du délai d'attente et à l'absence d'effets, « afin de ne pas imposer un régime trop lourd aux marchés dont le montant ne le justifierait pas. » Cependant, il a choisi d'imposer le respect des règles concernant le délai d'attente, la déclaration d'absence d'effets et les sanctions de substitution pour les marchés de travaux dont le montant se situe entre le seuil européen et la moitié de ce seuil, estimant que « ce montant se révèle en effet plus significatif et justifie l'application d'un régime plus sévère et offrant une plus grande transparence aux entreprises concernées » (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC 52-2276/001, p. 43-44).
B.10. La différence de traitement dénoncée est fondée sur deux critères objectifs, à savoir, d'une part, la nature du marché public envisagé et, d'autre part, le montant de celui-ci. Il relève du pouvoir d'appréciation du législateur de décider d'appliquer des mesures plus contraignantes à certains marchés, définis par référence à des montants qu'il détermine et qui peuvent différer selon la nature du marché envisagé. Dès lors qu'il soumet à la réglementation imposée par le droit communautaire européen tous les marchés qui sont visés par ce dernier, rien ne l'empêche d'y soumettre également des marchés qui se situent en deçà des seuils fixés par la réglementation européenne. Il a pu, sans violer les articles 10 et 11 de la Constitution, considérer que le seuil applicable aux marchés de travaux fixé par les dispositions relatives à la publicité européenne était trop élevé pour son application au contexte belge, de sorte que des marchés importants dans ce contexte échappaient à la protection prévue par certaines dispositions contraignantes, alors que tel n'était pas le cas pour les marchés de fournitures et de services.
B.11. Le second moyen n'est pas fondé.
Par ces motifs, la Cour rejette le recours.
Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 30 mars 2011.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, R. Henneuse.