publié le 27 novembre 2009
Extrait de l'arrêt n° 140/2009 du 17 septembre 2009 Numéro du rôle : 4569 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 22, § 1 er , cinquième(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 140/2009 du 17 septembre 2009 Numéro du rôle : 4569 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 22, § 1er, cinquième tiret, du décret de la Communauté française du 17 juillet 1987 sur l'audiovisuel, tel qu'il a été modifié par l'article 32, alinéa 1er, du décret du 4 janvier 1999, posées par le Conseil d'Etat.
La Cour constitutionnelle, composée du juge M. Melchior, faisant fonction de président, du président M. Bossuyt, et des juges R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen et J.-P. Snappe, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le juge M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt n° 188.252 du 27 novembre 2008 en cause de la SC intercommunale « Association Liégeoise d'Electricité » contre le Conseil supérieur de l'audiovisuel de la Communauté française, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 4 décembre 2008, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'article 22, § 1er, 5ème tiret, du décret de la Communauté française du 17 juillet 1987 sur l'audiovisuel, modifié par le décret du 4 janvier 1999, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il impose aux télédistributeurs de transmettre deux chaînes de télévision de la communauté flamande, alors qu'il n'impose pas la même obligation pour les autres chaînes privées belges, lesquelles doivent obtenir du Gouvernement de la Communauté française l'autorisation d'émettre, toujours révocable ? »;2. « Le même article viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l'article 86 du Traité instituant la Communauté européenne (version consolidée) en ce qu'il impose aux télédistributeurs de transmettre des programmes de la télévision communautaire flamande alors qu'il n'impose pas la même obligation pour les programmes des chaînes publiques et privées étrangères ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 22, § 1er, cinquième tiret, du décret de la Communauté française du 17 juillet 1987 sur l'audiovisuel, modifié par le décret du 4 janvier 1999, dispose : « Le distributeur qui est autorisé à exploiter un réseau de télédistribution doit transmettre au moment de leur diffusion et dans leur intégralité : [...] - deux programmes de télévision du service public de radiodiffusion de la Communauté flamande ».
B.2. Le Conseil d'Etat interroge la Cour sur le point de savoir si l'obligation, imposée par la disposition précitée, de transmettre certains programmes, couramment dénommée « must carry », viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 86 du Traité CE, en ce qu'elle impose aux télédistributeurs deux chaînes de télévision de la Communauté flamande, alors qu'elle n'impose les mêmes conditions ni pour la retransmission des chaînes privées belges, lesquelles doivent obtenir du Gouvernement de la Communauté française l'autorisation d'émettre, toujours révocable, ni pour les retransmissions des programmes des chaînes publiques et privées étrangères.
B.3.1. Il n'est pas contesté - et le Gouvernement de la Communauté française ne conteste pas - que l'article 22, § 1er, cinquième tiret, précité du décret de la Communauté française du 17 juillet 1987 traite différemment les deux chaînes de service public de la Communauté flamande sous l'angle des obligations de retransmission de leurs émissions par les distributeurs. Ces derniers, en effet, sont tenus de retransmettre les émissions des deux chaînes de la VRT alors que les autres chaînes privées établies en Communauté française ou les chaînes publiques ou privées étrangères qui désirent diffuser leurs émissions en Communauté française doivent obtenir du Gouvernement de la Communauté française une autorisation qui est toujours révocable.
B.3.2. Les travaux préparatoires de la disposition en cause montrent que l'obligation de must carry résulte d'un accord implicite entre la Communauté française et la Communauté flamande, cette dernière ayant prévu une obligation de must carry similaire en faveur des chaînes de service public de la Communauté française à l'article 107, § 1er, 4°, des décrets relatifs à la radiodiffusion et à la télévision, coordonnés le 25 janvier 1995 (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 1997-1998, n° 268/1, p. 11).
B.3.3. L'obligation ainsi faite aux distributeurs de diffuser tant les émissions des chaînes de service public de la Communauté française sur le territoire de la Communauté flamande que les émissions des chaînes de service public de la Communauté flamande sur le territoire de la Communauté française permet aux francophones ou aux néerlandophones qui se trouvent sur le territoire de l'autre communauté d'accéder de manière aisée aux chaînes de télévision publiques de leur communauté.
Elle s'inscrit aussi dans un ensemble de mesures favorisant une meilleure connaissance de ces deux communautés par l'apprentissage de leurs cultures réciproques.
Quant à la différence de traitement qui est faite entre les chaînes publiques et les chaînes privées, celle-ci se justifie par la mission spécifique d'intérêt général des chaînes de télévision publiques, entre autres par la nécessité d'assurer une information minimale qui soit accessible à toutes les composantes de la société et qui ne soit pas dictée par des considérations d'ordre lucratif visant uniquement les groupes cibles présentant de l'intérêt du point de vue commercial.
B.4.1. Le Conseil d'Etat interroge encore la Cour sur la compatibilité de la disposition précitée avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 86 du Traité CE. B.4.2. Dans un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE, 13 décembre 2007, C-250/06, United Pan-Europe Communications Belgium SA e.a. ), ayant pour objet une demande de décision préjudicielle introduite par le Conseil d'Etat, relative à la compatibilité de l'article 13 de la loi du 30 mars 1995 concernant les réseaux de distribution d'émissions de radiodiffusion et l'exercice d'activités de radiodiffusion dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, il a été jugé : « 14. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à l'article 86, paragraphe 1, CE, les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du traité, notamment à celles prévues aux articles 12 CE et 81 CE à 89 CE. 15. Il résulte des termes clairs de l'article 86, paragraphe 1, CE que celui-ci n'a pas de portée autonome, en ce sens qu'il doit être lu en combinaison avec les autres règles pertinentes du traité (arrêt du 19 avril 2007, Asemfo, C-295/05, Rec.p. I-2999, point 40). 16. Il découle de la décision de renvoi que la disposition pertinente visée par le Conseil d'Etat est l'article 82 CE, selon lequel il est interdit, pour une ou plusieurs entreprises, d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.17. Selon une jurisprudence constante de la Cour, le simple fait de créer une position dominante par l'octroi de droits spéciaux ou exclusifs au sens de l'article 86, paragraphe 1, CE n'est pas, en tant que tel, incompatible avec l'article 82 CE.Un Etat membre n'enfreint les interdictions édictées par ces deux dispositions que lorsque l'entreprise en cause est amenée, par le simple exercice des droits spéciaux ou exclusifs qui lui ont été conférés, à exploiter sa position dominante de façon abusive ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est amenée à commettre de tels abus (arrêts du 23 mai 2000, Sydhavnens Sten & Grus, C-209/98, Rec. p. I-3743, point 66; du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C-475/99, Rec. p. I-8089, point 39, et du 30 mars 2006, Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti, C-451/03, Rec. p.
I-2941, point 23). 18. Par conséquent, dans l'affaire au principal, la question se pose de savoir si la réglementation en cause, à savoir la loi de 1995 ainsi que les arrêtés du 17 janvier 2001 et du 24 janvier 2002, a eu pour effet non seulement d'octroyer aux organismes privés de radiodiffusion désignés par ceux-ci des droits spéciaux ou exclusifs au sens de l'article 86, paragraphe 1, CE, mais également de conduire à un abus de position dominante au sens de l'article 82 CE ». B.4.3. L'article 82 du Traité CE interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être défavorablement affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. Bien qu'il vise les comportements des entreprises et non les mesures législatives, administratives et autres prises par les Etats membres, l'article 82 a cependant pour effet que les Etats membres ne peuvent pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence (CJCE, 16 novembre 1977, INNO, 13/77, Rec. 1977, pp. 2144-2145, points 31 et 32; 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41/90, Rec. 1991, I-2017, point 26; 18 juin 1991, ERT, C-260/89, Rec. 1991, I-2960, point 35; 19 mai 1993, Corbeau, C-320/91, Rec. 1993, I-2567, points 10 et 11).
En vertu de l'article 86, paragraphe 2, du Traité CE, les entreprises chargées de la gestion d'un service d'intérêt économique général demeurent soumises aux règles de la concurrence, tant qu'il n'est pas démontré que lesdites interdictions sont incompatibles avec l'exercice de leur mission particulière (CJCE, 30 avril 1974, Sacchi, 155/73, Rec. 1974, p. 430, points 14 et 15; 3 octobre 1985, CBEM/CLT et IPB, 311/94, Rec. 1985, p. 3275, point 17; 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41/90, Rec. 1991, I-2017, point 24; 18 juin 1991, ERT, C-260/89, Rec. 1991, I-2957-2961, points 10 et 33).
Rien dans le Traité ne s'oppose à ce que les Etats membres, pour des motifs d'intérêt général de nature non économique, soustraient les émissions de radiodiffusion et de télévision, y compris les émissions par câble, au jeu de la concurrence, en conférant un droit exclusif à un ou plusieurs établissements. Plus précisément, des entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général peuvent échapper à l'application des règles du Traité sur la concurrence, dans la mesure où des restrictions à la concurrence - voire une exclusion de toute concurrence - de la part d'autres opérateurs économiques sont nécessaires pour assurer l'accomplissement de la mission particulière qui leur a été impartie (CJCE, 19 mai 1993, Corbeau, C-320/91, Rec. 1993, I-2533, point 14; 27 avril 1994, Almelo, Rec. 1994, C-393/92, I-1520, point 46).
B.4.4. Pour ce qui est de la compatibilité de l'article 13 de la loi du 30 mars 1995 précitée avec l'article 49 du Traité CE, la Cour de justice des Communautés européennes, dans le même arrêt précité, a considéré, après avoir constaté que la réglementation nationale en cause constituait une restriction à la libre prestation des services : « 39. Selon la jurisprudence de la Cour, une telle restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité peut être justifiée dès lors qu'elle répond à des raisons impérieuses d'intérêt général, pour autant qu'elle est propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre (voir, notamment, arrêts du 5 juin 1997, SETTG, C-398/95, Rec. p. I-3091, point 21; du 28 octobre 1999, ARD, C-6/98, Rec. p.
I-7599, points 50 et 51, ainsi que Cipolla e.a., précité, point 61). 40. En ce qui concerne, en premier lieu, l'objectif poursuivi par la réglementation nationale en cause au principal, le gouvernement belge soutient que celle-ci a pour but de préserver le caractère pluraliste et culturel de l'offre des programmes sur les réseaux de télédistribution et de garantir l'accès de tous les téléspectateurs au pluralisme et à la diversité des programmes, en particulier en assurant aux citoyens belges de la région bilingue de Bruxelles-Capitale qu'ils ne seront pas privés de l'accès à l'information locale et nationale ou à leur culture.Cette réglementation viserait ainsi à harmoniser le paysage audiovisuel en Belgique. 41. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, une politique culturelle peut constituer une raison impérieuse d'intérêt général justifiant une restriction à la libre prestation des services.En effet, le maintien du pluralisme qu'entend garantir cette politique est lié à la liberté d'expression, telle qu'elle est protégée par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, cette liberté figurant parmi les droits fondamentaux garantis par l'ordre juridique communautaire (voir arrêts du 25 juillet 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda, C-288/89, Rec. p. I-4007, point 23;
Commission/Pays-Bas, précité, point 30; du 3 février 1993, Veronica Omroep Organisatie, C-148/91, Rec. p. I-487, point 10, et TV10, précité, point 19). 42. Partant, il convient d'admettre que la réglementation nationale en cause au principal poursuit un but d'intérêt général, dès lors qu'elle vise à préserver le caractère pluraliste de l'offre des programmes de télévision dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale et qu'elle s'insère ainsi dans une politique culturelle qui a pour but de sauvegarder, dans le secteur de l'audiovisuel, la liberté d'expression des différentes composantes, notamment sociales, culturelles, linguistiques, religieuses et philosophiques, existant dans cette région.43. En ce qui concerne, en deuxième lieu, la question de savoir si ladite réglementation est propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi, il y a lieu d'admettre, ainsi que M.l'avocat général l'a relevé à juste titre au point 13 de ses conclusions, que, compte tenu du caractère bilingue de la région de Bruxelles-Capitale, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal constitue un moyen approprié pour atteindre l'objectif culturel visé, dès lors que, notamment, elle est de nature à permettre, dans cette région, aux téléspectateurs dont la langue est le néerlandais d'avoir accès, sur le réseau des câblodistributeurs assurant la télédistribution sur le territoire de celle-ci, aux programmes de télévision ayant un lien culturel et linguistique avec la Communauté flamande et aux téléspectateurs dont la langue est le français d'avoir un accès similaire aux programmes de télévision ayant un lien culturel et linguistique avec la Communauté française. Une telle réglementation assure dès lors aux téléspectateurs de ladite région qu'ils ne seront pas privés de l'accès, dans leur propre langue, aux informations locales et nationales ainsi qu'aux programmes représentatifs de leur culture ».
La disposition en cause répond aux exigences énoncées par cet arrêt.
B.5. Il résulte de ce qui précède que les deux questions préjudicielles appellent une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 22, § 1er, cinquième tiret, du décret de la Communauté française du 17 juillet 1987 sur l'audiovisuel, tel qu'il a été modifié par l'article 32, alinéa 1er, du décret du 4 janvier 1999, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 86 du Traité CE. Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 17 septembre 2009.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président f.f., M. Melchior.