publié le 04 juin 2008
Extrait de l'arrêt n° 52/2008 du 13 mars 2008 Numéro du rôle : 4176 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 44 de la loi du 29 juin 1976 « modifiant certaines dispositions de la loi communale, du Code rural, de la législat La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges P. Ma(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 52/2008 du 13 mars 2008 Numéro du rôle : 4176 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 44 de la loi du 29 juin 1976 « modifiant certaines dispositions de la loi communale, du Code rural, de la législation sur le régime de pensions du personnel communal et assimilé et réglant certaines conséquences des fusions, annexions et rectifications des limites des communes réalisées par la loi du 30 décembre 1975 » et à l'arrêté royal du 3 octobre 1975 « réglant certaines modalités et conséquences des fusions de communes et modifications de limites réalisées par l'arrêté royal du 17 septembre 1975 », ratifié par la loi du 30 décembre 1975, posée par le Tribunal de première instance d'Arlon.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Melchior et M. Bossuyt, et des juges P. Martens, R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 15 mars 2007 en cause de la ville d'Arlon et autres contre la commune de Habay-la-Neuve et autres et en cause de la commune de Léglise et la ville d'Arlon contre la Région wallonne et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 21 mars 2007, le Tribunal de première instance d'Arlon a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 44 de la loi du 29 juin 1976 [modifiant certaines dispositions de la loi communale, du Code rural, de la législation sur le régime de pensions du personnel communal et assimilé et réglant certaines conséquences des fusions, annexions et rectifications des limites des communes réalisées par la loi du 30 décembre 1975], ainsi que l'arrêté royal du 3 octobre 1975 ratifié par la loi du 30 décembre 1975 interprétés comme ayant pour effet que le transfert d'une partie de territoire, et notamment une ancienne section de commune, ne donne pas lieu au transfert, au profit de la commune ' absorbante ', des droits de propriété et de propriété indivise acquis antérieurement par cette section de commune, ne viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution alors que l'article 93 de la loi du 14 février 1961 d'expansion économique, de progrès social et de redressement financier tel que interprété par la loi du 24 mars 1972 interprétative de l'article 93 de la loi du 14 février 1961 d'expansion économique, de progrès social et de redressement financier prévoit que le transfert de cette même partie de territoire - ancienne section de commune -, donnait lieu au transfert, au profit de la commune ' absorbante ', des droits de propriété et de propriété indivise acquis antérieurement par cette partie de territoire - section de commune ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 44 de la loi du 29 juin 1976 « modifiant certaines dispositions de la loi communale, du Code rural, de la législation sur le régime de pensions du personnel communal et assimilé et réglant certaines conséquences des fusions, annexions et rectifications des limites des communes réalisées par la loi du 30 décembre 1975 », ainsi que de l'arrêté royal du 3 octobre 1975 « réglant certaines modalités et conséquences des fusions de communes et modifications de limites réalisées par l'arrêté royal du 17 septembre 1975 », interprétés comme ayant pour effet que le transfert d'une partie de territoire, et notamment une ancienne section de commune, ne donne pas lieu au transfert, au profit de la commune « absorbante », des droits de propriété et de propriété indivise acquis antérieurement par cette section de commune.
Le juge a quo compare les dispositions précitées à l'article 93 de la loi du 14 février 1961 d'expansion économique, de progrès social et de redressement financier, interprété par la loi du 24 mars 1972 interprétative de l'article 93 de la loi du 14 février 1961 d'expansion économique, de progrès social et de redressement financier, qui prévoit que le transfert d'une partie de territoire représentant une ancienne section de commune donne lieu au transfert, au profit de la commune absorbante, des droits de propriété et de propriété indivise acquis antérieurement par cette partie de territoire-section de commune.
B.2. L'article 44 de la loi du 29 juin 1976 précitée dispose : « § 1er. Par dérogation à l'article 152 de la loi communale, le rattachement d'une fraction du territoire d'une commune à une autre commune ne donne pas lieu à partage de patrimoine. § 2. Les biens immeubles, tant du domaine public que du domaine privé, situés sur le territoire rattaché et appartenant à la commune dont ce territoire faisait précédemment partie, sont transférés de plein droit et sans indemnité à la commune sur le territoire de laquelle ils sont désormais situés. Ce transfert de propriété emporte celui des droits et obligations attachés aux biens transférés. § 3. Lorsqu'un bien immeuble, qu'il soit ou non situé sur le territoire rattaché, est indispensable à l'exploitation d'un service public dont l'activité s'étend à l'ensemble ou à une partie de la commune démembrée, les communes intéressées s'entendent sur l'utilisation commune de ce bien. [...] ».
L'article 15 de l'arrêté royal du 3 octobre 1975 réglant certaines modalités et conséquences des fusions de communes et modifications de limites réalisées par l'arrêté royal du 17 septembre 1975 (Moniteur belge , 15 octobre 1975), ratifié par l'article 1er, 2°, de la loi du 30 décembre 1975 « portant : 1° ratification d'arrêtés royaux pris en exécution de la loi du 23 juillet 1971 concernant la fusion de communes et la modification de leurs limites; 2° suppression des fédérations périphériques créées par la loi du 26 juillet 1971 organisant les agglomérations et les fédérations de communes » (Moniteur belge , 23 janvier 1976), dispose : « Les nouvelles communes créées par l'arrêté royal du 17 septembre 1975 succèdent à tous les biens, droits, charges et obligations des anciennes communes dont elles se composent ».
L'article 93 de la loi du 14 février 1961 dispose : « Les sections de communes sont supprimées. [...] ».
Cette disposition a été interprétée par l'article 1er de la loi du 24 mars 1972, qui dispose : « L'article 93 de la loi du 14 février 1961 d'expansion économique, de progrès social et de redressement financier est interprété en ce sens qu'il a eu pour effet de transférer aux communes les droits de propriété qui appartenaient à leurs sections ».
B.3.1. Dans leurs mémoire et mémoire en réponse, la ville d'Arlon, la commune de Léglise ainsi que plusieurs de leurs habitants contestent l'interprétation donnée par le juge a quo aux dispositions en cause, en particulier quant aux effets que celles-ci ont pu produire sur les droits des habitants des communes concernées par ces dispositions.
A l'estime des parties demanderesses devant le juge a quo, le droit d'usage est « une servitude réelle établie en faveur d'une ou de plusieurs ou de l'universalité des habitants d'une communauté qui se perpétue indéfiniment pour les membres, quels qu'ils soient, de la communauté qui se succèdent dans l'occupation des fonds dominants ».
Les communes concernées par ce droit d'usage ne seraient titulaires du droit que dans l'unique mesure où elles représentent les usagers lorsque ce droit est mis en question, sans que ce droit fasse partie de leur patrimoine.
Les conventions conclues le 12 septembre 1952 entre l'Etat belge et lesdites communes n'auraient donc eu pour effet que de remplacer les droits d'usage par un droit de propriété collective au profit des usagers et non pas un droit de propriété indivis au profit des communes signataires. La loi domaniale du 26 juillet 1952, qui, en son article 7, habilitait le Gouvernement à conclure avec les communes concernées les conventions précitées, ne pouvait constituer, à l'estime des parties requérantes devant le juge a quo, qu'un acte de pure tutelle ne pouvant pas porter atteinte aux droits subjectifs des usagers.
Se fondant sur cette interprétation, les parties requérantes devant le juge a quo concluent que la suppression des sections de commune opérée par l'article 93 de la loi du 14 février 1961 n'a eu aucune incidence sur les droits civils reconnus aux habitants par les conventions du 12 septembre 1952.
De même, l'article 44 de la loi du 29 juin 1976 n'aurait eu aucune conséquence sur le maintien des droits de propriété collective au profit des usagers rattachés aux territoires concernés et des habitants qui en sont les bénéficiaires.
B.3.2. Contrairement à ce que les parties intervenantes soutiennent, le juge a quo considère que la loi domaniale du 26 juillet 1952 est non pas un acte de pure tutelle, mais une loi matérielle qui a octroyé des droits aux communes et sections de commune qui ont pu bénéficier du nouveau régime élaboré, lequel impliquait clairement la suppression des droits d'usage. Les communes et sections de commune sont donc devenues titulaires de droits de copropriété sur la forêt d'Anlier.
D'après le juge a quo également, les communes qui ont absorbé les sections de commune disposant d'un droit de copropriété sur la forêt d'Anlier, sont elles-mêmes devenues titulaires de ce droit, du fait de la suppression de ces sections par la loi du 14 février 1961.
B.3.3. Quant à l'article 44 de la loi du 29 juin 1976 en cause, le juge a quo l'interprète comme ayant permis aux communes qui ont acquis de sections un droit de copropriété indivise sur la forêt d'Anlier, de rester titulaires de ce droit après la fusion, malgré le transfert desdites sections vers une autre commune. Le juge a quo considère qu'ainsi interprété, l'article 44 précité créerait un différence de traitement entre communes du fait que la loi du 14 février 1961 a fait en sorte qu'une commune qui absorbait une section de commune recevait avec cette section les droits indivis dont elle disposait dans la forêt d'Anlier en exécution de la convention de 1952, tandis que les lois de 1975 et 1976 ont eu pour conséquence qu'une autre commune qui se voyait rattacher le territoire d'une ancienne section de commune ne recevrait pas les droits indivis dont cette section disposait dans la forêt d'Anlier en exécution de la convention de 1952.
B.3.4. C'est en règle au juge a quo qu'il appartient d'interpréter les normes qui sont applicables au litige qui lui est soumis.
La Cour examinera, en conséquence, l'article 44 de la loi du 29 juin 1976 dans l'interprétation que lui donne le juge a quo.
B.4.1.1. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 14 février 1961 que le législateur a eu « pour but de réorganiser les communes sur le plan territorial, afin d'éliminer les petites communes non-viables qui constituent une plaie dans notre organisation administrative actuelle, et de réaliser des regroupements rendus obligatoires par des circonstances de fait ou de nécessité économique » (Doc. parl., Chambre, 1959-1960, n° 649/1, p. 42).
Pour atteindre ce but général, le législateur a supprimé les sections de commune. Il a estimé que le maintien de ces sections s'opposait à l'esprit de solidarité qui doit régner entre les habitants d'une commune et créerait des situations « inextricables et même absurdes » en cas de fusion des communes à sections (ibid., p. 44). Le législateur a donc voulu, par cette mesure, supprimer des discriminations entre les habitants (Doc. parl., Chambre, 1959-1960, n° 649/29, p.54, et Doc. parl., Sénat, 1960-1961, n° 108, p. 18).
B.4.1.2. Il ressort des travaux préparatoires de la loi interprétative du 24 mars 1972 que le législateur a voulu préciser la portée et les effets de la suppression des sections de commune. Il a distingué, à cette fin, le problème du droit de propriété et du droit de jouissance, d'une part, et le problème des droits d'usage, d'autre part. Le législateur a confirmé son souci d'éviter les discriminations entre les habitants d'une commune. Il a rappelé que l'effet de la suppression des sections de commune a été de transférer à la commune le droit de propriété et le droit de jouissance sur les biens communaux de la section de commune. Il s'est opposé dès lors à une renaissance de ces sections sous forme de sociétés coopératives (Doc. parl., Chambre, 1968-1969, n° 468/3, p. 10) et a entendu raisonner en termes de droit public : « la loi peut donc supprimer la section et régler la dévolution des biens de l'organisme supprimé comme il lui convient » (ibid., p. 14).
B.4.2. Les motifs qui ont guidé l'adoption de l'article 44 de la loi du 29 juin 1976 sont exposés comme suit dans les travaux préparatoires : « Le Ministre a répondu qu'il aurait été bien plus facile d'appliquer l'article 152 de la loi communale. Dans l'intérêt des communes, et afin d'éviter d'interminables discussions, une solution radicale, telle qu'elle est proposée à l'article 43 [devenu l'article 44] semble préférable, d'autant plus qu'il s'agit d'une opération globale.
En fait, l'article 152 est plutôt destiné à régler les transferts entre deux communes. [...] En fait, il ne s'agit pas d'expropriations, mais d'une nouvelle redistribution en vertu de la loi.
Il a ensuite été donné connaissance à la commission d'un avis détaillé présenté au Ministre par certains juristes consultés par lui au sujet de la constitutionnalité de l'article 43 : ' [...] L'existence des communes n'est constitutionnellement garantie que d'une façon générale; c'est le législateur qui dispose aussi bien de l'existence individuelle de chaque commune que de l'étendue de son territoire (art. 3).
Lorsque le législateur fait usage de son pouvoir constitutionnel de démembrer une commune et de régler le partage des biens, publics et privés, que ce démembrement nécessite, la notion d'expropriation reste complètement étrangère à cette opération.
En effet, il ne s'agit là aucunement d'une privation de propriété pour cause d'utilité publique dans le sens de l'article 11 de la Constitution.
Le fait que le législateur puisse faire disparaître une commune entière avec tous ses biens, sans être constitutionnellement tenu à accorder une indemnisation quelconque, est la preuve la plus convaincante de cette thèse.
Le législateur agit dans tous ces cas en vertu de son pouvoir constitutionnel souverain de déterminer les divisions territoriales du pays. [...] C'est toujours la même thèse, mais étayée de façon un peu différente, qu'on retrouve dans les considérations suivantes qui ont été accueillies par trois commissaires nommés dans un cas d'espèce en vertu de l'article 151 de la loi communale : ' La commune amputée ne peut tenir le raisonnement du particulier de qui un pouvoir public exproprie la maison où il est en train de réaliser une fortune. Ce particulier a, en effet, le droit de se plaindre que l'acte du pouvoir le prive d'avantages tout à fait légitimes, lui enlève son activité économique parfaitement légale, l'arrête dans son progrès vers le bien-être. Mais une commune ? Existe-t-elle pour réaliser une fortune, pour faire commerce, pour gagner des millions ? En aucune façon. Elle existe pour les habitants dans un intérêt général, dont le seul juge est le pouvoir législatif. [...] '.
Nous sommes en droit de conclure que le législateur, en édictant les articles 151 et 152 de la loi communale, s'est basé sur l'article 3 de la Constitution et non sur l'article 11. Il est complètement libre de s'écarter des règles arrêtées auxdits article 151 et 152.
Ce faisant, il n'est tenu que par les exigences de l'intérêt général, d'une part, et celles de l'équité, d'autre part. Il lui revient de mettre ces exigences en balance. [...] Cette argumentation vaut aussi pour la propriété des biens privés, dont la nature n'est pas foncièrement différente de celle de la propriété des biens publics, ' parce que tous les biens de toutes les personnes publiques sont, directement ou indirectement, affectés aux services publics ou à l'utilité publique ' (A. Buttgenbach, Manuel de droit administratif, p. 357).
C'est donc en réalité le législateur qui dispose souverainement de l'affectation de tous ces biens » (Doc. parl., Chambre, 1975-1976, n° 782/15, pp. 71 à 74).
B.5. Pour vérifier le respect du principe d'égalité et de non-discrimination, il n'est pas pertinent de comparer entre elles deux législations qui étaient applicables à des moments différents. Il relève du pouvoir d'appréciation du législateur de poursuivre un objectif différent de celui qu'il poursuivait antérieurement et d'adopter des dispositions de nature à le réaliser. La seule circonstance que le législateur ait pris une mesure différente de celle qu'il avait adoptée antérieurement n'établit en soi aucune discrimination.
Ainsi le législateur a pu légitimement considérer qu'en application de l'article 7 de la Constitution, dans le cadre de l'opération généralisée de fusion des communes qu'il entendait poursuivre et compte tenu de l'ampleur d'une telle opération, il convenait de déroger aux règles traditionnelles de dévolution du patrimoine communal et d'attacher à cette opération de fusion, des effets particuliers.
La distinction relevée par le juge a quo dans sa question, qui résulte de l'application de l'article 44 de la loi du 29 juin 1976, ainsi que de l'arrêté royal du 3 octobre 1975, tels qu'il les a interprétés, n'est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
Le propre d'une nouvelle législation est d'établir une distinction entre les personnes relevant du champ d'application de l'ancienne législation (loi de 1961) et les personnes relevant de la législation ultérieure (loi de 1976).
B.6. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 44 de la loi du 29 juin 1976 « modifiant certaines dispositions de la loi communale, du Code rural, de la législation sur le régime de pensions du personnel communal et assimilé et réglant certaines conséquences des fusions, annexions et rectifications des limites des communes réalisées par la loi du 30 décembre 1975 », ainsi que l'article 15 de l'arrêté royal du 3 octobre 1975 « réglant certaines modalités et conséquences des fusions de communes et modifications de limites réalisées par l'arrêté royal du 17 septembre 1975 », ratifié par la loi du 30 décembre 1975, interprétés comme ayant pour effet que le transfert d'une partie de territoire, et notamment une ancienne section de commune, ne donne pas lieu au transfert, au profit de la commune « absorbante », des droits de propriété et de propriété indivise acquis antérieurement par cette section de commune, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 13 mars 2008.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, M. Melchior.