publié le 27 mars 2006
Extrait de l'arrêt n° 19/2006 du 1 er février 2006 Numéro du rôle : 3579 En cause : la question préjudicielle relative à la loi du 14 décembre 1972 « portant approbation de la Convention entre la Belgique et le Luxembourg en vue d La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, R.(...)
COUR D'ARBITRAGE
Extrait de l'arrêt n° 19/2006 du 1er février 2006 Numéro du rôle : 3579 En cause : la question préjudicielle relative à la loi du 14 décembre 1972 « portant approbation de la Convention entre la Belgique et le Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, et du Protocole final, signés à Luxembourg le 17 septembre 1970 », et à cette Convention et ce Protocole, posée par le Tribunal de première instance d'Arlon.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 9 février 2005 en cause de H. Gasch contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 17 février 2005, le Tribunal de première instance d'Arlon a posé la question préjudicielle suivante : « La loi du 14 décembre 1972 portant approbation de la Convention entre la Belgique et le Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, et du Protocole final, signés à Luxembourg le 17 septembre 1970 (Moniteur belge du 27 janvier 1973) et subséquemment la Convention entre la Belgique et le Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, et le Protocole final, signés à Luxembourg le 17 septembre 1970, violent-elles les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que le titulaire d'une profession libérale, résident belge, qui possède une base fixe au grand-duché de Luxembourg est taxé en Belgique sur les intérêts de ses créances professionnelles perçus au grand-duché de Luxembourg, alors qu'un entrepreneur, résident belge, qui possède une base fixe au grand-duché de Luxembourg n'est pas taxé en Belgique sur les intérêts de ses créances professionnelles perçus au grand-duché de Luxembourg ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle concerne la loi du 14 décembre 1972 portant approbation de la Convention entre la Belgique et le Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, et du Protocole final, signés à Luxembourg, le 17 septembre 1970.
B.1.2. Il ressort du jugement a quo que la Cour est interrogée au sujet de la compatibilité avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution de l'article 11, §§ 1er, 2 et 5, de la Convention précitée, approuvée par la loi du 14 décembre 1972, qui dispose : « § 1er. Les intérêts provenant d'un Etat contractant et attribués à un résident de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. § 2. Toutefois, ces intérêts peuvent être imposés dans l'Etat contractant d'où ils proviennent et selon la législation de cet Etat, mais l'impôt ainsi établi ne peut excéder 15 p.c. de leur montant. [...] § 5. Les dispositions des §§ 1er à 3 ne s'appliquent pas lorsque le bénéficiaire des intérêts, résident d'un Etat contractant, a dans l'autre Etat contractant d'où proviennent ceux-ci un établissement stable auquel se rattache effectivement la créance génératrice des intérêts. Dans ce cas, les dispositions de l'article 7 sont applicables; celles-ci ne font pas obstacle à la perception des impôts dus à la source sur ces intérêts, conformément à la législation de cet autre Etat contractant. [...] ».
L'exception au principe de la taxation des intérêts par l'Etat de résidence du bénéficiaire, prévue par le paragraphe 5 de l'article 11 précité, n'est applicable qu'aux intérêts perçus par les entreprises, et non à ceux qui sont perçus par les titulaires de professions libérales. En effet, cette disposition exige que le bénéficiaire dispose dans l'Etat de la source des intérêts d'un « établissement stable ». Cette notion est définie par l'article 5, § 1er, de la Convention comme désignant « une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. » En outre, l'article 11, § 5, renvoie à l'article 7 de la Convention, qui concerne les « bénéfices des entreprises », alors que les revenus provenant de l'exercice d'une profession libérale font l'objet de l'article 14 de la Convention, lequel n'est pas mentionné dans l'article 11, § 5.
B.2.1. La différence de traitement soumise à la Cour est celle qui est établie par l'article 11, § 5, précité, entre d'une part, les titulaires d'une profession libérale, résidant en Belgique et exerçant leur profession au Luxembourg où ils disposent d'une « base fixe » et, d'autre part, les entreprises, établies en Belgique et déployant leur activité au Luxembourg où elles disposent d'un « établissement stable ». Elle concerne les intérêts se rattachant à une créance professionnelle localisée au Luxembourg recueillis par les premiers, qui sont taxables en Belgique, Etat de résidence, alors que les intérêts se rattachant à une créance professionnelle localisée au Luxembourg recueillis par les secondes sont taxables au Luxembourg, Etat de la source. En outre, le Tribunal remarque que les intérêts recueillis par les titulaires d'une profession libérale peuvent faire également l'objet d'une taxation limitée dans l'Etat de la source.
B.2.2. Cette différence de traitement repose sur la qualité du contribuable, qui est un critère objectif : dans le premier cas, il s'agit du titulaire d'une profession libérale, dans le second, d'une entreprise. La Cour doit toutefois examiner si ce critère est pertinent au regard de l'objet et de l'objectif de la disposition examinée.
B.3.1. L'exposé des motifs du projet de loi portant approbation de la Convention précise que « comme toutes les conventions similaires conclues récemment par la Belgique, la nouvelle Convention belgo-luxembourgeoise s'inspire largement de la convention-type publiée en 1963 par l'O.C.D.E. », tout en soulignant que les rédacteurs de la Convention se sont « cependant écartés de la convention-type lorsque la chose a été rendue nécessaire par les particularités des législations fiscales des deux pays » (Doc. parl., Chambre, 1970-1971, n° 972/1, p. 1).
Le contrôle de la Cour impliquant l'examen du contenu des dispositions précitées de la Convention, la Cour doit tenir compte de ce qu'il ne s'agit pas d'un acte de souveraineté unilatéral mais d'une norme conventionnelle par laquelle la Belgique a pris un engagement de droit international à l'égard d'un autre Etat.
B.3.2. De même que les autres conventions préventives de la double imposition, la Convention belgo-luxembourgeoise du 17 septembre 1970 a pour objectif premier de supprimer la double imposition internationale ou d'en atténuer les effets, ce qui implique que les Etats contractants renoncent, partiellement ou totalement, à exercer le droit que leur confère leur législation d'imposer un certain nombre de revenus. La Convention règle donc la répartition du pouvoir d'imposition entre l'Etat de résidence du contribuable et l'Etat de la source des revenus, et ne crée pas de nouvelles obligations fiscales par rapport à leurs droits internes.
B.4. La taxation exclusive des intérêts recueillis par une entreprise disposant d'un établissement stable dans l'Etat de la source constitue une exception au principe de la taxation de tous les intérêts par l'Etat de résidence du contribuable.
En donnant son assentiment à cette convention, le législateur a pu raisonnablement tenir compte de ce que les titulaires de professions libérales et les entreprises, même celles qui sont exploitées par une personne physique, sont soumis à des obligations comptables et à des réglementations fiscales partiellement différentes, pour limiter le bénéfice de l'exception en cause aux seules entreprises. Les obligations auxquelles ces dernières sont soumises, notamment en vertu de la loi du 17 juillet 1975Documents pertinents retrouvés type loi prom. 17/07/1975 pub. 30/06/2010 numac 2010000387 source service public federal interieur Loi relative à la comptabilité des entreprises fermer relative à la comptabilité des entreprises, sont en effet plus exigeantes, en ce qui concerne la tenue de leur comptabilité, que celles qui sont imposées aux titulaires de professions libérales. L'on ne saurait dès lors affirmer que le critère retenu est dépourvu de pertinence par rapport à l'objectif fiscal poursuivi par les parties contractantes.
B.5. Sans doute les règles d'imposition sont-elles différentes en Belgique et au Luxembourg, de sorte que la disposition en cause a pour effet qu'une catégorie de contribuables est imposée plus lourdement que l'autre catégorie. Toutefois, dès lors que la différence de traitement repose sur un critère objectif et pertinent, les parties contractantes pouvaient prévoir des règles différentes de désignation de l'Etat taxateur pour les intérêts recueillis par les deux catégories de contribuables. Le principe d'égalité n'exige en effet pas que, dans chacune des conventions qu'elle négocie avec les Etats voisins pour éviter les phénomènes de double imposition, la Belgique se préoccupe d'assurer cas par cas aux contribuables le régime qui leur serait à tout moment le plus favorable.
B.6. Par ailleurs, la mesure n'entraîne pas de conséquences disproportionnées, car, même lorsque l'Etat de la source prélève également un impôt sur les intérêts, comme l'article 11, § 2, de la Convention l'y autorise, il ne peut le faire qu'à hauteur de 15 p.c. du montant des intérêts imposés. En outre, la quotité d'impôt étranger prévue par la législation belge est imputée, le cas échéant, dans les conditions et au taux prévus par cette législation, sur l'impôt des personnes physiques afférent aux intérêts (article 23, § 2, 2°, de la Convention).
B.7. Enfin, s'il est exact que la convention modèle établie par l'O.C.D.E. a été, depuis la signature de la Convention belgo-luxembourgeoise, modifiée de façon à assimiler les titulaires de professions libérales aux entreprises pour l'application des règles concernant la taxation des intérêts se rattachant à une créance relative à l'exercice de la profession par l'intermédiaire d'un établissement fixe dans un autre Etat que l'Etat de résidence, cette circonstance n'implique pas que la règle antérieure en vigueur notamment dans la disposition en cause serait incompatible ou serait devenue incompatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination. Il en va de même de la circonstance que l'Etat belge a adopté, dans des conventions similaires conclues plus récemment avec d'autres Etats, une réglementation ne comportant pas la même différence de traitement. Dès lors que, pour les motifs indiqués en B.4, les dispositions en cause ne violent pas le principe d'égalité et de non-discrimination en ce qu'elles traitent différemment les titulaires de professions libérales et les entreprises, cette conclusion n'est pas remise en cause par le fait que le législateur, usant de son pouvoir d'appréciation, adopte une position différente lorsqu'il donne son assentiment à des conventions avec d'autres Etats.
B.8. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : La loi du 14 décembre 1972 « portant approbation de la Convention entre la Belgique et le Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, et du Protocole final, signés à Luxembourg le 17 septembre 1970 », ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 1er février 2006.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, M. Melchior.