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Arrêt
publié le 17 novembre 2005

Extrait de l'arrêt n° 149/2005 du 28 septembre 2005 Numéro du rôle : 3171 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 2, 3 et 4 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 22 décembre 1994 relative au précompte La Cour d'arbitrage, composée du président A. Arts, du juge P. Martens, faisant fonction de prés(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 149/2005 du 28 septembre 2005 Numéro du rôle : 3171 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 2, 3 et 4 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 22 décembre 1994 relative au précompte immobilier, posées par le Tribunal de première instance de Bruxelles.

La Cour d'arbitrage, composée du président A. Arts, du juge P. Martens, faisant fonction de président, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Moerman et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 19 novembre 2004 en cause du Parlement flamand contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 29 novembre 2004, le Tribunal de première instance de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. Les articles 2 et 3 de l'ordonnance du 22 décembre 1994 relative au précompte immobilier violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils n'accordent qu'une immunisation partielle du précompte immobilier pour les biens immobiliers des communautés et régions à concurrence de 28 p.c. du revenu cadastral, alors que les biens immobiliers qui appartiennent à des Etats étrangers ou à des organisations de droit international public, ou qui sont affectés par une administration publique ou par un contribuable sans but lucratif à l'exploitation d'une maison de repos agréée pour personnes âgées bénéficient d'une immunisation totale du précompte immobilier ? 2. Les articles 2 et 4 de l'ordonnance du 22 décembre 1994 relative au précompte immobilier violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils ont pour effet que l'instauration d'une immunisation partielle du précompte immobilier n'a pas d'implications financières négatives pour la Région de Bruxelles-Capitale, alors que cette instauration a bel et bien des implications financières négatives pour les autres régions et communautés ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 253 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après dénommé C.I.R. 1992) exonère du précompte immobilier, sous condition de réciprocité, le revenu cadastral des biens immobiliers qu'un Etat étranger a affectés à l'installation de ses missions diplomatiques ou consulaires ou d'institutions culturelles ne se livrant pas à des opérations de caractère lucratif (article 253, 2°, du C.I.R. 1992) ainsi que le revenu cadastral des biens immobiliers qui ont le caractère de domaines nationaux, sont improductifs par eux-mêmes et sont affectés à un service public ou d'intérêt général (article 253, 3°, du C.I.R. 1992).

B.1.2. Cette disposition ayant pour effet de priver du revenu des centimes additionnels au précompte immobilier les communes sur le territoire desquelles se trouvent de tels biens, l'article 63 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions a prévu, en faveur de ces communes, l'inscription d'un « crédit spécial » annuel au budget du ministère de l'Intérieur. L'article 63, § 3, remplacé par la loi spéciale du 16 juillet 1993, prévoit aujourd'hui que ce crédit couvre « à 72 % au moins la non-perception des centimes additionnels communaux » et que le crédit correspondant à celui des communes de la Région de Bruxelles-Capitale est transféré à la Région.

B.1.3. L'article 63, § 2, de la loi spéciale précitée ne vise pas tous les biens immobiliers exonérés du précompte immobilier, mais uniquement ceux qui sont la propriété d'un Etat étranger ou d'une organisation de droit international public (article 63, § 2, alinéa 1er, 1° ), ainsi que ceux qui sont la propriété de l'autorité fédérale, d'un organisme fédéral d'intérêt public ou d'une entreprise fédérale publique autonome, s'ils sont affectés à un service public ou à un organisme d'intérêt public dont l'activité s'étend au Royaume, à une communauté, à une région ou à une province au moins (article 63, § 2, alinéa 1er, 2° ).Il exclut cependant : « 1° les bâtiments affectés aux services extérieurs des administrations, des organismes et des entreprises visés [à l'article 63, § 2, alinéa 1er, 2° ], à l'exception de ceux qui abritent les directions régionales, provinciales ou assimilées des départements ministériels, de La Poste, de Belgacom et de la Société nationale des chemins de fer belges; 2° les bâtiments affectés aux services du pouvoir judiciaire, à l'exception de la Cour de cassation, des cours d'appel, de la Cour militaire et des cours du travail;3° les hôpitaux;4° les bâtiments affectés aux centres des administrations compétentes pour les sports et les activités en plein air;5° les bâtiments affectés aux services compétents pour la formation professionnelle et l'emploi;6° les établissements d'enseignement, y compris les universités et les bâtiments administratifs relevant desdits établissements;7° les bâtiments affectés au culte;8° les gares ». Il en résulte que la perte subie par les communes n'est pas compensée par une intervention fédérale (le crédit spécial) en ce qui concerne les biens immobiliers que la loi spéciale exclut sous 1° à 8° et ceux qui relèvent des communautés et des régions. S'agissant de cette dernière catégorie, le Premier ministre a déclaré explicitement au cours des débats parlementaires sur la loi spéciale du 16 juillet 1993 que « les propriétés des Communautés et des Régions n'entraient pas en ligne de compte pour le calcul de la compensation. En effet, il serait illogique que l'autorité fédérale doive en supporter la charge » (Doc. parl., Sénat, 1992-1993, n° 558/42, p. 11).

B.1.4. L'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 22 décembre 1994 relative au précompte immobilier « a pour objet de supprimer en faveur de la Région de Bruxelles-Capitale, l'immunisation du précompte immobilier à un certain pourcentage pour certaines propriétés publiques pour lesquelles la loi de financement ne prévoit pas une compensation » (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1993-1994, n° A-313/1, p. 1).

L'article 2 de l'ordonnance précitée instaure un régime en vertu duquel les régions, les communautés et leurs institutions d'intérêt public ne sont immunisées du précompte immobilier qu'à concurrence de 28 p.c. Par conséquent, elles deviennent en partie redevables du précompte immobilier ainsi que des centimes additionnels calculés sur cette base. En outre, une même limitation de l'immunisation du précompte immobilier est instaurée pour les immeubles, propriétés de l'autorité fédérale, pour lesquels la loi de financement n'a pas prévu de compensation (ibid., p. 2), de manière à « [obtenir] en matière de précompte immobilier de ces Autorités différentes, un effort identique à celui prévu à l'article 63 de la loi de financement pour certains bâtiments [de l'autorité fédérale] » (ibid., p. 3). Ainsi, en limitant à 28 p.c. l'exonération prévue par l'article 253 du C.I.R. 1992, l'article 2 impose les immeubles en cause à concurrence de 72 p.c. du revenu cadastral.

L'article 4 de l'ordonnance susdite prévoit que les revenus supplémentaires ainsi réalisés par les communes sous forme de centimes additionnels sur le précompte immobilier, dû pour les biens de l'autorité fédérale, des régions et des communautés, seront déduits des moyens octroyés à ces communes dans le cadre du Fonds des communes.

B.1.5. L'article 3 de l'ordonnance précitée prévoit, par dérogation à l'article 253 du C.I.R. 1992, l'exonération du précompte immobilier en faveur de propriétés d'Etats étrangers ou d'institutions de droit public international situées sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale (article 3, 1° ).

Le membre de phrase « par dérogation au même article 253 du Code des impôts sur les revenus 1992 » de cette disposition a été ajouté sur proposition du Conseil d'Etat, pour des raisons légistiques.

Il ne saurait donc se comprendre en ce sens que l'exonération s'applique à tous les biens immobiliers d'Etats étrangers ou d'organisations de droit public international, sans qu'il doive être satisfait aux conditions de l'article 231, 1°, du C.I.R. 1992, comme le soutiennent le Parlement flamand et le Gouvernement flamand.

L'exonération visée à l'article 3, 1°, de l'ordonnance du 22 décembre 1994 correspond donc en réalité à l'exonération visée à l'article 253, 2°, du C.I.R. 1992, ce qui signifie que sont seulement exonérés, sous condition de réciprocité, les revenus des biens immobiliers qu'un Etat étranger a utilisés aux fins de la mission diplomatique ou consulaire, y compris la résidence du chef de la mission diplomatique ou du chef de poste consulaire de carrière.

Cela est du reste confirmé par les travaux préparatoires de l'ordonnance du 22 décembre 1994, puisque, interrogé sur le point de savoir si toutes les propriétés d'Etats étrangers ou d'organisations internationales sont exemptées quelle que soit leur affectation, le ministre compétent a répondu « que seules les propriétés affectées à des fins publiques sont exonérées. Pour celles-ci, la Région perçoit une compensation à raison de 72 % à travers la mainmorte. Les autres sont imposées à 100 % » (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1994-1995, n° A-312/2, p. 4; ibid., 1993-1994, n° A-313/1, p. 3).

L'article 3 de l'ordonnance du 22 décembre 1994 prévoit la même exonération en faveur des maisons de repos agréées pour personnes âgées qui sont situées dans la Région de Bruxelles-Capitale (article 3, 2°), de sorte que ces établissements sont soumis au même régime que celui existant dans les autres régions (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1994-1995, n° A-312/2, p. 4).

B.2. La première question préjudicielle porte sur la différence de traitement qui existe, en matière d'exonération du précompte immobilier, entre les communautés et les régions propriétaires de biens immobiliers situés dans la Région de Bruxelles-Capitale, d'une part, et les Etats étrangers ou les organisations de droit international public propriétaires de biens immobiliers situés dans cette même Région ainsi que les administrations publiques ou les contribuables qui affectent, sans poursuivre un but de lucre, des biens immobiliers situés dans la Région de Bruxelles-Capitale à l'exploitation d'une maison de repos agréée pour personnes âgées, d'autre part. Alors qu'à la première catégorie est accordée seulement une exonération du précompte immobilier jusqu'à concurrence de 28 p.c. du revenu cadastral du bien immobilier en cause, la seconde catégorie est totalement exonérée. Par conséquent, la première catégorie est soumise, pour 72 p.c. du revenu cadastral, au précompte immobilier ainsi qu'aux centimes additionnels communaux et aux centimes additionnels de l'Agglomération bruxelloise calculés sur ces 72 p.c.

Etant donné que la première question préjudicielle ne porte pas sur les biens immobiliers visés à l'article 2, 2°, de l'ordonnance du 22 décembre 1994, elle doit être limitée aux biens immobiliers visés à l'article 2, 1°, de cette même ordonnance.

B.3. Il appartient au législateur régional bruxellois - qui est compétent en l'espèce, ainsi que la Cour l'a constaté dans son arrêt n° 12/96 du 5 mars 1996 - de désigner les contribuables qui doivent bénéficier de l'exonération du précompte immobilier et d'établir dans quelle mesure ils doivent bénéficier de cette exonération.Il n'appartient pas à la Cour de statuer sur l'opportunité ou le caractère souhaitable de cette exonération. Toutefois, lorsque le législateur traite différemment deux catégories suffisamment comparables de biens immobiliers - en l'espèce, les biens immobiliers appartenant aux communautés et aux régions, qui sont situés dans la Région de Bruxelles-Capitale, ont le caractère de domaines nationaux, sont improductifs par eux-mêmes et sont affectés à un service public ou d'intérêt général, d'une part, et les biens immeubles qui sont la propriété d'Etats étrangers et d'institutions internationales, utilisés à des fins de missions diplomatiques ou consulaires ou pour un service d'utilité publique et les biens immeubles affectés, sans but de lucre, à l'exploitation d'une maison de repos agréée pour personnes âgées, d'autre part - en accordant à cette dernière catégorie une exonération totale du précompte immobilier et en octroyant à la première catégorie une exonération seulement partielle, la Cour doit, lors du contrôle au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, apprécier s'il existe pour cette différence de traitement une justification qui ne soit pas manifestement déraisonnable.

B.4. En ce qui concerne les biens immobiliers qui appartiennent à un Etat étranger ou à une organisation de droit international public, l'exonération totale du précompte immobilier accordée aux biens immeubles situés dans la Région de Bruxelles-Capitale s'inscrit dans la coutume - qui existait déjà avant l'entrée en vigueur du Code des impôts sur les revenus 1964 - d'accorder, sous réserve de réciprocité, l'exonération de l'impôt foncier et de l'impôt national de crise qui y était lié aux biens immobiliers appartenant aux Etats étrangers et utilisés par leurs agents diplomatiques. Cette exonération trouve en outre son fondement dans plusieurs conventions internationales (notamment : Convention de Vienne sur les relations diplomatiques;

Convention de Vienne sur les relations consulaires; Protocole du 8 avril 1965 sur les privilèges et immunités des Communautés européennes). On ne saurait par conséquent considérer que le législateur régional bruxellois a pris une mesure manifestement déraisonnable.

B.5. S'agissant des biens immobiliers qu'une administration publique ou un contribuable affecte, sans poursuivre un but de lucre, à l'exploitation d'une maison de repos agréée pour personnes âgées, le législateur régional bruxellois a voulu mettre fin au débat sur la question de savoir si une maison de repos pour personnes âgées constituait un « hospice » au sens de l'article 12 alors en vigueur du C.I.R. 1992 et pouvait ainsi prétendre à l'exonération du précompte immobilier (article 253, alinéa 1er, 1°, du C.I.R. 1992) (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1993-1994, n° A-313/1, pp. 3-4). L'exonération totale visée à l'article 3, 2°, ne peut donc pas être considérée comme manifestement déraisonnable.

B.6. Les débats parlementaires relatifs à l'article 117 de la loi spéciale du 16 juillet 1993 (Doc. parl., Sénat, 1992-1993, n° 558/42, en particulier pp. 16 à 19 et l'annexe 3 « Données chiffrées concernant la mainmorte ») ainsi que l'article 63 originaire de la loi spéciale du 16 janvier 1989 (Doc. parl., Chambre, 1988-1989, n° 635/18, p. 604, et le rapport concernant le budget de la Région bruxelloise pour 1985, Doc. parl., Chambre, 1984-1985, n° 4-XXV/2, pp. 50-52) font apparaître que le problème de la « mainmorte », c'est-à-dire le problème de la compensation de la non-perception du précompte immobilier, touche principalement la Région de Bruxelles-Capitale. Il peut dès lors difficilement être reproché au législateur régional bruxellois de chercher une solution, dans le cadre de ses compétences, lorsqu'une partie du crédit spécial, celle qui concerne les biens immobiliers des communautés et des régions, est supprimée. Pour déterminer la hauteur de l'exonération, le législateur régional bruxellois s'est du reste inspiré du pourcentage utilisé à l'article 63 de la loi spéciale de financement du 16 janvier 1989.

Le fait que les biens immobiliers appartenant aux communautés et aux régions ou aux personnes de droit public qui relèvent de celles-ci soient soumis au précompte immobilier à concurrence de 72 p.c. du revenu cadastral, et par conséquent aux centimes additionnels à ce précompte, ne peut dès lors pas être considéré comme disproportionné.

B.7. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.

B.8. La deuxième question préjudicielle demande à la Cour si les articles 2 et 4 de l'ordonnance du 22 décembre 1994 relative au précompte immobilier violent les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils ont pour effet que l'instauration d'une immunisation partielle du précompte immobilier n'a pas d'implications financières négatives pour la Région de Bruxelles-Capitale, alors que cette instauration a bel et bien des implications financières négatives pour les autres régions et communautés.

B.9. Les dispositions litigieuses n'établissent aucune distinction entre la Région de Bruxelles-Capitale et les autres régions et communautés. Toutes sont en effet soumises dans la même mesure au précompte immobilier - et aux centimes additionnels communaux à ce précompte - en ce qui concerne leurs biens immobiliers situés sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.

Le constat que les dispositions litigieuses n'ont pas de conséquences financières pour la Région de Bruxelles-Capitale mais bien pour les autres régions et communautés découle logiquement du fait que la Région de Bruxelles-Capitale est non seulement le redevable, comme les autres régions et communautés, mais aussi, en l'espèce, l'autorité taxatrice.

B.10. La deuxième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 2, 1°, 3 et 4 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 22 décembre 1994 relative au précompte immobilier ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 28 septembre 2005.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, A. Arts.

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