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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 29 avril 1999

Arrêt n° 5/99 du 20 janvier 1999 Numéro du rôle : 1260 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 1 er de la loi du 6 février 1970 relative à la prescription des créances à charge ou au profit de l'Etat et des provinc La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 5/99 du 20 janvier 1999 Numéro du rôle : 1260 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 1er de la loi du 6 février 1970 relative à la prescription des créances à charge ou au profit de l'Etat et des provinces et l'article 34 de la loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité de l'Etat, posée par le Tribunal de première instance de Bruxelles.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens, J. Delruelle, E. Cerexhe, H. Coremans et A. Arts, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 12 décembre 1997 en cause de B. Gendebien et autres contre le Collège de la Commission communautaire commune et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 22 décembre 1997, le Tribunal de première instance de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « A L'article 1er de la loi du 6 février 1970 relative à la prescription des créances à charge ou au profit de l'Etat et des provinces et l'article 34 de la loi du 15 mars [lire : mai] 1846 sur la comptabilité de l'Etat, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée en ce que ces dispositions soumettent à la prescription quinquennale les créances d'indemnité à l'égard d'une province, nées à la suite d'une faute de celle-ci consistant en une inégalité de traitement entre travailleurs, alors que ces mêmes créances sont soumises à la prescription trentenaire lorsque le préjudice est imputable à un employeur privé ? » II. Les faits et la procédure antérieure Les demandeurs devant le Tribunal de première instance de Bruxelles exerçaient tous la fonction de psychologue au service de santé mentale de l'Institut médico-social du Brabant, institution qui dépendait de la province de Brabant avant sa scission.

Ils percevaient un traitement moindre que celui attribué aux psychologues dépendant d'un centre médico-social de la province de Brabant.

Par jugement du 21 novembre 1990, le Tribunal a dit pour droit que la différence entre les traitements des demandeurs et ceux des psychologues attachés aux centres psycho-médico-sociaux était non conforme à l'article 6 (actuellement l'article 10) de la Constitution et à l'article 71 de la loi du 14 février 1971, a condamné la province de Brabant, au titre de réparation en nature, à rémunérer les demandeurs de façon égale à celle des psychologues des centres psycho-médico-sociaux, a condamné la province à payer à chacun des demandeurs un franc de dommages et intérêts à titre provisionnel et a renvoyé la cause au rôle particulier pour le surplus.

Dans la présente affaire, les demandeurs fondent leur action sur l'article 1382 du Code civil. Ils postulent la condamnation des défendeurs, la Commission communautaire commune, la "Vlaamse Gemeenschapscommissie", la province du Brabant wallon, la "Provincie Vlaams Brabant", la Commission communautaire française et la Région de Bruxelles-Capitale, à leur payer des dommages et intérêts d'un montant équivalent à la différence entre le traitement qu'ils ont perçu et le traitement auquel ils avaient droit. Ils relèvent que le jugement du 21 novembre 1990 n'a pas statué définitivement sur cette demande de dommages et intérêts puisqu'il a uniquement alloué un franc provisionnel aux demandeurs. Ils précisent qu'ils ne réclament ni ne réclameront à l'avenir les arriérés de traitement en tant que tels.

Les défendeurs invoquent pour leur part la prescription des créances à charge de l'Etat et des provinces pour la période antérieure de cinq ans à la citation, soit pour la période antérieure au 9 février 1983.

Ils se fondent sur l'article 1er de la loi du 6 février 1970 relative à la prescription des créances à charge ou au profit de l'Etat et des provinces. Le Tribunal de première instance relève que cette disposition doit être interprétée comme s'appliquant à toutes les créances nées à charge de l'Etat, y compris les créances de réparation d'une faute délictuelle ou quasi délictuelle, compte tenu de la généralité des termes. Rappelant l'arrêt de la Cour du 15 mai 1996 (n° 32/96), il estime que la question de la compatibilité de l'article 1er de la loi du 6 février 1970 et de l'article 34 de la loi du 15 mai 1846 avec les articles 10 et 11 de la Constitution se pose. Il relève qu'en l'espèce, la situation des demandeurs est comparable à celle de personnes travaillant dans le secteur privé et intentant une action contre leur employeur afin de lui réclamer des dommages et intérêts d'un montant équivalent aux arriérés de rémunération perdus à la suite de la faute de leur employeur consistant en une illégalité de traitement. Une telle action se prescrirait par trente ans, même si l'employeur avait commis une infraction en payant un traitement illégal (arrêt n° 25/95 de la Cour d'arbitrage du 21 mars 1995). L'on peut s'interroger sur la proportionnalité en l'espèce de la prescription abrégée des créances contre l'Etat et les provinces avec le but poursuivi par le législateur qui est la protection de l'intérêt général et compte tenu du fait que la dette née de la responsabilité de la province de Brabant était une dette prévisible pour elle et aisément contrôlable. Le Tribunal décide dès lors de poser la question préjudicielle mentionnée ci-dessus.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 22 décembre 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 10 février 1998.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 12 février 1998.

Des mémoires ont été introduits par : - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 19 mars 1998; - le Collège de la Commission communautaire commune, rue du Champ de Mars 25, 1050 Bruxelles, le Collège de la Commission communautaire flamande, avenue Louise 4, boîte 4, 1050 Bruxelles, la province du Brabant wallon, Hôtel de ville, 1300 Wavre, la province du Brabant flamand, Diestsesteenweg 52/54, 3010 Louvain, le Collège de la Commission communautaire française, avenue Louise 166, 1050 Bruxelles, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, rue Ducale 7-9, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 24 mars 1998; - G. Monnoye, demeurant à 1410 Waterloo, rue de l'Infante 181, B. Paulet, demeurant à 3000 Louvain, Van Monsstraat 27, H. Van Mulders, demeurant à 1150 Bruxelles, avenue des Eglantines 72, J. Mey, demeurant à 1190 Bruxelles, avenue des Sept Bonniers 179, M. Billen-Pohl, demeurant à 1060 Bruxelles, rue de la Victoire 81, M. Dekkers, demeurant à 1380 Lasne, rue d'Aquinot 11, M. Baruh, demeurant à 1180 Bruxelles, avenue Montjoie 182, boîte 3, Y. Smets, demeurant à 1180 Bruxelles, avenue de l'Echevinage 33, S. Hauman, demeurant à 1380 Lasne, chaussée de Charleroi 74, F.-R. Hauman, demeurant à 1180 Bruxelles, avenue Coghen 246, A. Hiel, demeurant à 9250 Waasmunster, Vlaszakstraat 14, L. Elsoucht, demeurant à 1502 Lembeek, Bergensesteenweg 570, G. Partous, demeurant à 1652 Alsemberg, Frans Depreefstraat 24, F. Graas, demeurant à 1330 Rixensart, rue du Réservoir 12, P. Bronchart, demeurant à 1180 Bruxelles, avenue Langeveld 110, C. Moortgat-Graulich, demeurant à 3221 Nieuwenrode, Meiselaan 77, et A. Tondeur, demeurant à 1170 Bruxelles, avenue du Geai 26, par lettre recommandée à la poste le 26 mars 1998.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 26 mai 1998.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - G. Monnoye et autres, par lettre recommandée à la poste le 23 juin 1998; - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 23 juin 1998.

Par ordonnances du 27 mai 1998 et du 26 novembre 1998, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 22 décembre 1998 et 22 juin 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 23 septembre 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 21 octobre 1998.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 24 septembre 1998.

A l'audience publique du 21 octobre 1998 : - ont comparu : . Me B. Gribomont loco Me R.O. Dalcq et Me D. Lagasse, avocats au barreau de Bruxelles, pour les parties demanderesses dans l'instance principale; . Me P. Nicodème, avocat au barreau de Bruxelles, loco Me J. Putzeys, avocat au barreau d'Anvers, et loco Me T. Vandeput, avocat au barreau de Bruxelles, pour les parties défenderesses dans l'instance principale; . B. Druart, auditeur général au ministère des Finances, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs J. Delruelle et A. Arts ont fait rapport; - les parties précitées ont été entendues; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Mémoire des demandeurs devant le Tribunal de première instance de Bruxelles A.1.1. La différence de traitement entre les travailleurs titulaires d'une créance résultant d'un préjudice imputable à leur employeur selon que ce dernier est une personne privée ou une personne morale de droit public ne peut se justifier.

Si elle se fonde sur une différence objective - l'Etat sert l'intérêt général; les particuliers agissent en considération de leur intérêt personnel - et si le législateur a pris des mesures en rapport avec le but poursuivi - clôturer les comptes de l'Etat dans un délai raisonnable -, il n'en demeure pas moins que la mesure est disproportionnée par rapport au but poursuivi et n'apparaît dès lors pas raisonnablement justifiée. Il s'agit en effet de créances nées d'une faute dont le travailleur n'a que rarement connaissance au moment où elle a été commise et ce, sans que la prise de connaissance tardive de cette faute puisse lui être imputée. Les arguments tirés de l'apparition tardive du dommage, à laquelle la prise de connaissance tardive de la faute et du dommage doit être assimilée, et de l'absence de négligence dans le chef du créancier, retenus par la Cour dans l'arrêt du 15 mai 1996, sont dès lors relevants en l'espèce.

En outre, la disproportion entre la mesure et le but poursuivi par le législateur apparaît de manière d'autant plus flagrante lorsque, comme en l'espèce, la dette née de la responsabilité de la province est une dette née à la suite d'une faute délictuelle ou quasi délictuelle de celle-ci consistant en une inégalité de traitement entre travailleurs.

Les dettes nées de la responsabilité sont en effet prévisibles et ne posent aucun problème de preuve particulier.

A.1.2. A titre subsidiaire, à supposer que la Cour estime ne pas pouvoir répondre affirmativement à la question préjudicielle posée, elle ne pourrait cependant pas décider que les travailleurs du secteur public se trouvent traités de la même manière que les travailleurs du secteur privé. Il est vrai que selon l'arrêt n° 13/97 du 18 mars 1997 de la Cour, une action civile fondée sur une infraction à l'article 42 de la loi du 12 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/04/1965 pub. 08/03/2007 numac 2007000126 source service public federal interieur Loi concernant la protection de la rémunération des travailleurs fermer devrait se prescrire par cinq ans à partir du jour où l'infraction a été commise et non par trente ans.

Toutefois, une différence de traitement entre les deux catégories de travailleurs subsiste lorsque l'infraction sur laquelle se fonde l'action civile peut être qualifiée d'infraction collective ou continuée. La prescription d'une telle action ne commence à courir qu'à partir du dernier fait punissable par application des articles 26 et 27 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale. Ceci ne pourrait s'appliquer qu'en cas d'infraction commise par les employeurs du secteur privé et non par des employeurs personnes morales de droit public, en raison de l'article 34 de la loi du 15 mai 1846 et de l'article 1er de la loi du 6 février 1970, qui prévoient uniformément un délai de cinq ans. Cette différence de traitement ne peut être justifiée raisonnablement. Il faut tenir compte à cet égard non seulement de l'arrêt n° 32/96 du 15 mai 1996 mais aussi de l'arrêt n° 13/97 du 18 mars 1997 où la Cour juge essentiel de protéger les travailleurs compte tenu de leur dépendance économique. Il faut relever à cet égard que la loi du 12 avril 1965Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/04/1965 pub. 08/03/2007 numac 2007000126 source service public federal interieur Loi concernant la protection de la rémunération des travailleurs fermer concernant la protection de la rémunération des travailleurs s'applique tant ratione personae que ratione materiae aussi bien au secteur privé qu'au secteur public, aux travailleurs sous contrat et aux agents statutaires.

Mémoire des parties défenderesses devant le Tribunal de première instance de Bruxelles A.2. La Cour doit suivre en l'espèce un raisonnement similaire à celui repris dans l'arrêt n° 75/97 du 17 décembre 1997. Il ne peut en effet être admis que la créance dont se prévalent les demandeurs n'a pu apparaître qu'après plusieurs années. Le dommage relatif à la différence entre le traitement perçu par les demandeurs et celui perçu par les psychologues des centres psycho-médico-sociaux apparaît en effet d'emblée des textes réglementaires et échelles barémiques applicables, d'autant qu'ils procèdent de statuts établis par la même institution, à savoir l'ancienne province de Brabant.

La prescription quinquennale s'avère proportionnée à l'objectif poursuivi par le législateur tel que la Cour l'a défini dans son arrêt n° 32/96 du 15 mai 1996. Le traitement des demandeurs étant à charge du budget de la province de Brabant puis du budget des administrations lui ayant succédé, il est normal que ces traitements fassent l'objet d'une prescription réduite qui est de dix ans s'il s'agit d'une demande d'arriérés de traitement ou de cinq ans s'il s'agit, comme en l'espèce, d'une demande de dommages et intérêts.

Il ne peut donc être question d'une quelconque discrimination par rapport aux employés du secteur privé qui se voient également imposer des prescriptions réduites qui furent jugées conformes aux articles 10 et 11 de la Constitution par l'arrêt de la Cour n° 13/97 du 18 mars 1997.

Mémoire du Conseil des ministres A.3.1. On peut présumer de la lecture des arrêts nos 32/96 et 75/97 déjà cités que si la matière était la responsabilité de l'Etat suite à une faute de celui-ci consistant en une inégalité de traitement entre travailleurs, la Cour ne pourrait que conclure à la comparabilité des situations Etat-employeur et employeur privé. A fortiori en serait-il de même pour la province, qui n'a en charge qu'un intérêt provincial.

Il résulte également de ces arrêts que la Cour a sans aucun doute possible admis le principe de la légalité d'une prescription plus courte que la prescription de droit commun au regard des articles 10 et 11 de la Constitution.

Le tribunal qui pose la question préjudicielle reconnaît explicitement que le texte sur lequel il interroge la Cour s'applique aux actions fondées sur l'article 1382 du Code civil. La Cour ne se considère pas compétente pour décider si ce juge se trompe quant à cette applicabilité.

Dans l'arrêt n° 32/96 déjà cité, la Cour n'a pas examiné le sort à réserver à toutes les demandes d'indemnisation du préjudice fondées sur les articles 1382 et 1383 du Code civil mais uniquement de celui causé à des propriétés privées par des travaux exécutés par l'Etat. La solution retenue ne peut donc être généralisée.

En conclusion, la prescription quinquennale peut être considérée comme raisonnablement justifiée. Le critère retenu par la Cour dans l'arrêt n° 32/96 était la manifestation rapide ou non du dommage et donc l'absence de négligence du créancier.En l'espèce, le dommage, tel qu'il est invoqué, est apparu dès l'origine et la réclamation tardive s'explique par la négligence des intéressés.

Le raisonnement qui était applicable à l'Etat doit aussi être appliqué aux provinces. L'objectif visé par le législateur est exactement le même : opérer au plus vite et mieux la comptabilité de l'Etat et des provinces (extrait d'une déclaration du ministre des Finances en séance du 11 mars 1846). En 1970, le législateur a voulu maintenir un même régime juridique.

A.3.2. A titre subsidiaire, en toute hypothèse, la fixation d'un délai de prescription réduit pourrait s'avérer raisonnablement justifiée au regard des articles 10 et 11 de la Constitution s'il ne prenait cours qu'à compter de la manifestation du dommage, comme c'est le cas dans différents pays. Une telle interprétation concilierait les intérêts en jeu, à savoir les impératifs budgétaires auxquels l'Etat est tenu, d'une part, et l'équité dont doit bénéficier un créancier non négligent, d'autre part. Un examen du droit comparé en matière de prescription d'actions non contractuelles permet d'aboutir à la conclusion qu'une durée de prescription réduite à cinq ans est tout à fait acceptable, notamment au regard de l'équité.

La seule question est bien entendu de savoir si la coexistence d'un tel délai avec celui prévu par l'article 2262 du Code civil est, en matière de responsabilité extra-contractuelle, susceptible d'entraîner une violation des articles 10 et 11 de la Constitution parce qu'elle serait disproportionnée par rapport au but poursuivi par le législateur.

A cette question, le Conseil des ministres estime qu'il convient de répondre que la fixation d'un tel délai n'apparaît pas disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi, dans la mesure où il ne prend cours qu'à compter de la manifestation du dommage. En conséquence, le Conseil soutient que les dispositions litigieuses s'appliquent à l'action en responsabilité extra-contractuelle contre l'Etat pour autant qu'il soit admis que la prise de cours du délai ne débute qu'au moment de l'apparition du dommage. La Cour considérerait ainsi les divers intérêts en jeu, les impératifs budgétaires auxquels l'Etat est tenu et la nécessaire équité dont pourrait se prévaloir un créancier non négligent, parce que non averti du dommage.

L'interprétation qui est proposée, à titre subsidiaire, pour ce qui a trait à l'action en responsabilité extra-contractuelle, permettrait de considérer qu'une telle créance de dommages et intérêts ne pourrait être produite qu'au moment où le dommage apparaît et qu'ainsi la victime disposerait d'un délai de cinq années à compter de ce moment.

Mémoire en réponse des demandeurs devant le Tribunal de première instance de Bruxelles A.4.1. Il ne peut être déduit du seul écoulement d'un certain délai entre le moment où la faute - une illégalité de traitement entre travailleurs quant à la rémunération - a été commise et le moment où le travailleur réclame la réparation du préjudice subi, que le travailleur s'est montré négligent. Les réclamations tardives s'expliquent par le fait que le travailleur a rarement connaissance de l'inégalité de traitement au moment où elle est commise et ce sans que cette prise de connaissance tardive puisse lui être imputée. La Cour doit d'ailleurs répondre à la question posée de manière abstraite et n'a pas à tenir compte des éléments propres à l'espèce.

Il faut en plus tenir compte du fait que l'écoulement d'un certain délai entre la prise de connaissance et la demande d'indemnisation s'explique en partie par le fait qu'un travailleur du secteur public doit avoir recours à la voie hiérarchique pour dénoncer l'inégalité.

Donner une réponse négative à la question préjudicielle aurait pour effet d'encourager les travailleurs du secteur public à ne pas respecter ce principe qui constitue un principe fondamental, nécessaire au bon fonctionnement de la fonction publique. Mettant en péril ce principe fondamental, la mesure contenue dans l'article 1er de la loi du 6 février 1970 est disproportionnée par rapport au but poursuivi par le législateur.

A.4.2. A titre subsidiaire, l'interprétation conciliante proposée par le Conseil des ministres ne permettrait pas de concilier les intérêts en jeu. Même s'il fallait considérer que le délai quinquennal de prescription ne prend cours qu'à compter de la manifestation du dommage, à laquelle la prise de connaissance du dommage et de la faute doit être assimilée, l'équité dont doit pouvoir bénéficier un créancier non négligent ne serait pas assurée, sauf à sacrifier le principe fondamental du respect de la hiérarchie déjà évoquée.

A.4.3. Les demandeurs tiennent pour reproduite ici l'argumentation défendue à titre subsidiaire dans leur premier mémoire.

Mémoire en réponse du Conseil des ministres A.5.1. Les demandeurs devant le Tribunal ont commis une faute, une négligence en ne faisant pas en temps utile la comparaison des statuts, alors qu'ils pouvaient le faire puisque les règlements statutaires provinciaux sont publiés au Mémorial administratif de la province. La jurisprudence de l'arrêt du 15 mai 1996 n'est donc pas applicable en l'espèce.

Par ailleurs, le but de la prescription abrégée n'est pas de faciliter le contrôle des dépenses publiques par le Parlement, mais bien de permettre de clôturer les comptes de l'Etat et des provinces dans un délai raisonnable. C'est une prescription d'ordre public et nécessaire à la tenue d'une bonne comptabilité. On ne peut en outre induire de l'arrêt précité que le fait que le dommage résulte d'une faute et sa conséquence (les dettes de réparation qui en résultent sont prévisibles) constituent des éléments rendant plus flagrante une éventuelle disproportion entre la mesure législative et le but poursuivi.

A.5.2. La thèse défendue par les demandeurs à titre subsidiaire doit aussi être rejetée pour plusieurs raisons.

Tout d'abord elle sort des termes de la question préjudicielle et n'est dès lors pas recevable.

Si par extraordinaire, la Cour décidait de l'examiner, il faudrait encore ajouter quatre considérations.

La Cour ne peut examiner une question préjudicielle qui ne lui a pas été soumise. Or, au fond, le juge n'a jamais qualifié la faute reprochée à la province de Brabant de délit, encore moins de délits successifs et il n'aurait pas été compétent pour statuer sur la qualification d'un fait comme infraction.

L'infraction pénale continue suppose l'intention délictueuse. Or, la province de Brabant n'a jamais eu une telle intention. Un des éléments constitutifs de l'infraction pénale manque tant au moment où la province a adopté les règlements discriminatoires que quand elle les a appliqués.

La loi sur le contrat de travail n'est pas susceptible de s'appliquer aux fonctionnaires de la province dont la situation est statutaire.

Enfin, l'infraction pénale, si infraction il y avait eu, a cessé en 1990, soit depuis plus de cinq ans. Aucune action civile n'a été intentée contre la province de Brabant pour le délit continu reproché.

L'action publique elle-même est prescrite. La thèse n'aurait ainsi même plus d'intérêt dans le cadre d'un litige puisque toute prescription qui résulterait du raisonnement suivi est acquise. - B - B.1. Le juge a quo considère que lorsque l'administration provinciale applique de manière incorrecte une règle en matière de rémunération, elle commet une faute au sens de l'article 1382 du Code civil et il pose la question de savoir s=il est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution que l'action intentée par le fonctionnaire provincial contre la province en vue de récupérer la rémunération qui lui revient soit prescrite par cinq ans, alors que la même action intentée contre un employeur particulier est prescrite par trente ans.

B.2. Aux termes de l'article 15 de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande fermer relative aux contrats de travail, les actions naissant du contrat sont prescrites un an après la cessation de celui-ci ou cinq ans après le fait qui a donné naissance à l'action, sans que ce dernier délai puisse excéder un an après la cessation du contrat.

La distinction sur laquelle le juge a quo estime pouvoir fonder sa question paraît donc inexistante.

Il n'appartient toutefois pas à la Cour de substituer son interprétation des normes applicables à celle du juge a quo. La Cour examinera si la disposition litigieuse, dans l'interprétation donnée, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.3. Il se déduit des faits qui sont à l'origine du litige que la Cour est interrogée sur la prescription quinquennale en ce qu'elle s'applique à des demandes d'indemnisation fondées sur l'article 1382 du Code civil, avec la particularité que la faute sur laquelle repose la demande d'indemnisation consiste en une inégalité de traitement entre travailleurs.

La Cour doit donc se prononcer sur la constitutionnalité des normes litigieuses en ce qu'elles s'appliquent à cette catégorie d'actions en indemnisation et en ce que le délai de prescription serait de cinq ans pour un dommage causé par la province et de trente ans pour un dommage causé par des employeurs privés.

B.4. En soumettant à la prescription quinquennale les actions dirigées contre l'Etat ou la province, le législateur a pris une mesure en rapport avec le but poursuivi qui est de permettre de clôturer les comptes de l'Etat ou de la province dans un délai raisonnable. Il a en effet considéré qu'une telle mesure était indispensable, parce qu'il faut que l'Etat ou la province puisse, à une époque déterminée, arrêter ses comptes : c'est une prescription d'ordre public et nécessaire au point de vue d'une bonne comptabilité (Pasin. 1846, p. 287).

B.5. Dans son arrêt n° 32/96, la Cour a considéré, en ce qui concerne l'application de la prescription quinquennale aux réclamations introduites par les personnes dont les immeubles ont été endommagés par des travaux exécutés par l'Etat, que cette mesure n'apparaissait pas raisonnablement justifiée : « A il s'agit en effet de créances nées d'un préjudice qui peut n'apparaître que plusieurs années après que les travaux ont été exécutés. Les réclamations tardives s'expliquent, le plus souvent, non par la négligence du créancier mais par l'apparition tardive du dommage » (considérant B.17 de l'arrêt n° 32/96 du 15 mai 1996).

Ce raisonnement ne peut être appliqué à des créances ayant pour objet de réparer un préjudice qui, comme en l'espèce, est causé par la décision, qualifiée de fautive, de rémunérer inégalement des travailleurs. L'hypothèse examinée concerne des actions qui résultent d'une relation de travail existant entre la province et des membres de son personnel dont les droits et obligations sont fixés préalablement dans un ensemble de règles statutaires ayant fait l'objet d'une publicité et dont chacun est censé connaître la portée.

En soumettant de telles actions à la prescription quinquennale, le législateur a pris une mesure qui n'est pas disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi. La question appelle dès lors une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 34 de la loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité de l'Etat et l'article 1er de la loi du 6 février 1970 relative à la prescription des créances à charge ou au profit de l'Etat et des provinces ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que ces dispositions soumettent à la prescription quinquennale les créances d'indemnité à l'égard d'une province, nées à la suite d'une faute de celle-ci consistant en une inégalité de traitement entre travailleurs, alors que de telles créances seraient soumises à la prescription trentenaire lorsque le préjudice est imputable à un employeur privé.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 20 janvier 1999.

Président, M. Melchior.

Le greffier, L. Potoms.

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