publié le 01 décembre 1998
Arrêt n° 103/98 du 21 octobre 1998 Numéro du rôle : 1148 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 2, 1°, e), et 23 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer « la charte » de l'assuré social et l'article 71 de la loi du La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, (...)
Arrêt n° 103/98 du 21 octobre 1998 Numéro du rôle : 1148 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 2, 1°, e), et 23 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer « la charte » de l'assuré social et l'article 71 de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale, modifié par la loi du 12 janvier 1993, posée par le Tribunal du travail de Bruxelles.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, L. François, G. De Baets, R. Henneuse et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 7 août 1997 en cause de M. ben M'barek Boutgayout contre le C.P.A.S. de Bruxelles, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 22 août 1997, le Tribunal du travail de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 2, 1°, e), et 23 de la loi du 11 avril 1995 contenant la " Charte de l'assuré social ", ou l'article 71 de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer, modifié par la loi du 12 janvier 1993, tels qu'en vigueur au 1er janvier 1997, eu égard aux articles précités de la loi du 11 avril 1995 créent-ils une différence de traitement non justifiée par un critère objectif et raisonnable et violent-ils par là les articles 10 et 11 de la Constitution belge, coordonnée le 17 février 1994, en ce que le demandeur ou le bénéficiaire d'une aide sociale dispose d'un délai d'un mois pour introduire un recours devant le tribunal du travail contre une décision prise à son égard par un centre public d'aide sociale, alors que le demandeur ou le bénéficiaire du minimum de moyens d'existence dispose, depuis le 1er janvier 1997, d'un délai de trois mois pour le même recours ? » II. Les faits et la procédure antérieure En date du 27 janvier 1997, le centre public d'aide sociale de Bruxelles alloue à M. ben M'barek Boutgayout une aide sociale conditionnée à la recherche, par le précité, d'un emploi via Job Service; cette décision lui est notifiée le 25 février 1997.
M. ben M'barek Boutgayout introduit devant le juge a quo un recours contre la décision précitée. Le recours ayant été introduit en date du 14 mai 1997, est posée la question de sa recevabilité ratione temporis. Les dispositions citées dans la question préjudicielle prévoyant des délais différents de recours, selon le cas de un ou de trois mois, la Cour est interrogée sur la conformité desdites dispositions au principe d'égalité.
III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 22 août 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 2 octobre 1997.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 1er octobre 1997.
Des mémoires ont été introduits par : - le C.P.A.S. de Bruxelles, dont le siège est établi à 1000 Bruxelles, rue Haute 298A, par lettre recommandée à la poste le 14 novembre 1997; - M. ben M'barek Boutgayout, demeurant à 1000 Bruxelles, place F. Anneessens 15, par lettre recommandée à la poste le 26 novembre 1997.
Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 1er décembre 1997.
Par ordonnances du 22 janvier 1998 et du 30 juin 1998, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 22 août 1998 et 22 février 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.
Par ordonnance du 8 juillet 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 16 septembre 1998.
Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 10 juillet 1998.
A l'audience publique du 16 septembre 1998 : - ont comparu : . Me M. Aboudi, avocat au barreau de Bruxelles, pour M. ben M'barek Boutgayout; . Me A. Vercruysse loco Me S. Wahis, avocats au barreau de Bruxelles, pour le C.P.A.S. de Bruxelles; - les juges-rapporteurs R. Henneuse et M. Bossuyt ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
IV. En droit - A - Mémoire du C.P.A.S. de Bruxelles A.1. A titre principal, après un rappel des dispositions en cause, le C.P.A.S. de Bruxelles conteste que l'article 23 de la loi du 11 avril 1995, prévoyant un délai de recours de trois mois, soit applicable aux décisions prises par un centre public d'aide sociale. En effet, les centres publics d'aide sociale ne relèvent d'aucune des institutions considérées comme étant des institutions de sécurité sociale par l'article 2, 2°, de la loi précitée.
A l'appui de cette interprétation, le C.P.A.S. de Bruxelles tire argument du fait qu'un projet de loi a été déposé à la Chambre, lequel prévoit précisément de modifier le a) de l'article 2 précité pour en étendre le champ d'application, ayant ainsi pour effet d'inclure dans la nouvelle définition les centres publics d'aide sociale; le même projet, en son article 28, prévoit que, en matière de minimum de moyens d'existence, la modification n'entrera en vigueur que le 1er janvier 1999, les travaux préparatoires indiquant expressément que l'objectif de l'extension du champ d'application est de rendre la Charte de la sécurité sociale applicable indépendamment de l'administration qui fixe les droits de l'assuré.
Il en résulte que, dans l'état actuel de la législation, les décisions des centres publics d'aide sociale en matière de minimum de moyens d'existence restent régies par l'article 10 de la loi du 7 août 1974Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/08/1974 pub. 28/10/1998 numac 1998000076 source ministere de l'interieur Loi instituant le droit à un minimum de moyens d'existence - Traduction allemande fermer, lequel prévoit un délai de recours d'un mois à dater de la notification de la décision. Dès lors, le délai de recours est le même - un mois - en matière de minimex comme en matière d'aide sociale, de telle sorte qu'il n'y a aucune différence de traitement.
A.2. A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour considérerait que l'article 23 de la loi du 11 avril 1995 et le délai de recours de trois mois qu'il prévoit sont applicables aux décisions des centres publics d'aide sociale en matière de minimex, le C.P.A.S. de Bruxelles examine la question de savoir si les matières du minimex et de l'aide sociale sont suffisamment comparables pour que la différence de traitement existante sur le plan des délais de recours soit discriminatoire.
Le droit au minimex, selon une doctrine constante, est assimilé aux droits aux autres prestations de sécurité sociale; cette assimilation résulte de ce que ce droit est soumis à des conditions d'octroi et présente un caractère forfaitaire, le tout étant déterminé par une législation particulière.
A l'inverse, dans le cas de l'aide sociale, aucune prestation à caractère forfaitaire n'est allouée en fonction de l'une ou l'autre condition à remplir par le bénéficiaire; il s'agit, au cas par cas, de venir en aide à une personne, que ce soit par une aide financière ou toute autre guidance. Il s'ensuit que la matière de l'aide sociale ne peut être considérée comme faisant partie de la sécurité sociale.
La différence de traitement en matière de délais de recours concerne dès lors deux matières distinctes et non comparables et n'est donc pas discriminatoire.
Mémoire de M. ben M'barek Boutgayout A.3. A titre principal, M. ben M'barek Boutgayout souligne que la loi du 11 avril 1995 contenant la Charte de l'assuré social a pour but premier de lutter contre la précarité et la pauvreté. Selon la doctrine récente, cette Charte s'applique non seulement à la sécurité sociale des travailleurs salariés et des travailleurs indépendants, mais aussi à l'aide sociale.
Le législateur, en définissant en son article 2 le concept de sécurité sociale, a voulu donner une interprétation la plus large possible de la notion. En raison de la ratio legis précitée de la loi, il y a lieu de considérer qu'elle s'applique, non seulement en matière de minimex - seule à être expressément visée - mais plus généralement à l'ensemble de l'aide sociale; à défaut de quoi, seraient exclues du bénéfice de cette législation un grand nombre de personnes qui ont encore plus besoin d'être protégées par le législateur.
A.4. A titre subsidiaire, à supposer que la Cour considère que la loi du 11 avril 1995 n'est pas applicable aux bénéficiaires de l'aide sociale, il y a lieu d'en déduire que cette législation est discriminatoire au regard des articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.
En ne s'appliquant pas à l'aide sociale, la loi du 11 avril 1995 introduit « une discrimination fondée sur l'origine nationale, en ce qu'elle permet à ses nationaux d'introduire un recours contre toute décision des centres publics d'aide sociale dans un délai de trois mois à dater de la notification de la décision, alors que l'étranger ne bénéficierait que d'un délai d'un mois »; il est relevé que « cette différence de traitement quant à l'accès à la Justice en fonction de l'origine nationale est contraire au prescrit de la [Convention européenne des droits de l'homme] ainsi que de la Constitution dont la Cour d'arbitrage assure le respect ». - B - B.1.1. La loi du 11 avril 1995 institue la Charte de l'assuré social.
Le chapitre Ier détermine le champ d'application de la loi et définit diverses notions. Le chapitre II précise les obligations des institutions de sécurité sociale et le chapitre III règle la procédure d'octroi des prestations sociales.
La question préjudicielle porte sur l'article 2, 1°, e), et sur l'article 23 de cette loi, lesquels disposent : «
Art. 2.Pour l'exécution et l'application de la présente loi et de ses mesures d'exécution, on entend par : 1° " sécurité sociale " : e) l'ensemble des branches du régime d'aide sociale constitué par les allocations aux handicapés, le droit à un minimum de moyens d'existence, les prestations familiales garanties et le revenu garanti aux personnes âgées.
Art. 23.Sans préjudice des dispositions plus favorables prévues dans des législations particulières, les recours contre les décisions prises par les institutions de sécurité sociale compétentes en matière d'octroi, de paiement ou de récupération de prestations doivent, à peine de déchéance, être introduits dans les trois mois de leur notification ou de la prise de connaissance de la décision par l'intéressé.
Tout recours en reconnaissance d'un droit à l'encontre d'une institution de sécurité sociale doit également, à peine de déchéance, être introduit dans un délai de trois mois à dater de la constatation de la carence de l'institution. » B.1.2. La question préjudicielle vise également l'article 71 de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale, lequel dispose : « Toute personne peut former un recours auprès du tribunal du travail contre une décision en matière d'aide individuelle prise à son égard par le conseil du centre public d'aide sociale ou l'un des organes auxquels le conseil a délégué des attributions.
Il en est de même lorsqu'un des organes du centre a laissé s'écouler, sans prendre de décision, un délai d'un mois à compter de la réception de la demande.
Le recours doit être introduit dans le mois soit de la date de dépôt à la poste du pli recommandé notifiant la décision, soit de la date de l'accusé de réception de la décision, soit de la date d'expiration du délai prévu à l'alinéa précédent.
Le recours n'est pas suspensif.
B.1.3. Il ressort des termes de la question préjudicielle comme du litige soumis au juge a quo que la question se limite à la différence de délai de recours contre les décisions des centres publics d'aide sociale, selon que celles-ci ont pour objet l'octroi du minimum de moyens d'existence ou une aide individuelle.
Il s'ensuit que la Cour n'examinera la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution que des articles 23, alinéa 1er, et 71, alinéa 3, précités, et dans la seule mesure où ils prévoient un délai différent de recours, respectivement de trois mois et de un mois.
B.2. En rangeant le minimum de moyens d'existence dans la sécurité sociale, au sens de la loi en cause, le législateur reconnaît la qualité d'institution publique de sécurité sociale visée à l'article 2, 2°, a), de la loi du 11 avril 1995 aux centres publics d'aide sociale, en tant que ceux-ci sont compétents en matière de minimum de moyens d'existence.
B.3. Il y a lieu de comparer la situation des personnes qui introduisent un recours contre une décision d'un centre public d'aide sociale suivant que celle-ci a trait au minimum de moyens d'existence ou à l'aide individuelle.
B.4. Bien que tant le minimum de moyens d'existence que l'aide sociale soient gérés par les centres publics d'aide sociale, il n'en demeure pas moins qu'il existe entre les deux régimes des différences objectives susceptibles de justifier une différence dans les règles de procédure en matière de recours.
Conformément à la loi du 7 août 1974Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/08/1974 pub. 28/10/1998 numac 1998000076 source ministere de l'interieur Loi instituant le droit à un minimum de moyens d'existence - Traduction allemande fermer instituant le droit à un minimum de moyens d'existence, ce minimum est accordé à celui qui ne dispose pas de ressources suffisantes et qui n'est pas en mesure de se les procurer soit par ses efforts personnels, soit par d'autres moyens.
Son but est de garantir un minimum décent de moyens d'existence à toute personne qui n'est pas à même de pourvoir à son entretien, ni par son travail ni par d'autres allocations ni par ses propres revenus de quelque nature, ou pour laquelle ces revenus sont insuffisants. Le minimum de moyens d'existence est un montant fixe; il diffère en fonction de la situation familiale de l'intéressé. Lorsqu'il est octroyé, il est tenu compte des autres moyens d'existence de l'ayant droit et de son conjoint. Il est accordé par le centre public d'aide sociale; la moitié au moins de ce montant est remboursée au centre par le ministère de la Santé publique.
Par contre, l'aide individuelle accordée conformément à l'article 57 de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale peut être n'importe quelle aide en espèces ou en nature, aussi bien palliative que curative ou préventive. La loi ne précise pas en quoi consiste cette aide ni à quelles conditions elle est accordée si ce n'est en ce que celle-ci devra « permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine » (article 1er, alinéa 1er). Elle peut être octroyée en vue de compléter le minimum de moyens d'existence mais également à celui qui n'y a pas droit.
Eu égard à cette différence de fonction des deux régimes, et notamment à la nécessité qui en découle d'adapter l'aide individuelle à une situation concrète susceptible d'évoluer rapidement, la différence existant en matière de délai de recours - trois mois en ce qui concerne le minimum de moyens d'existence, un mois pour l'aide individuelle - n'est pas discriminatoire.
Par ces motifs, la Cour, dit pour droit : Les articles 2, 1°, e), et 23 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer « la charte » de l'assuré social, et l'article 71 de la loi du 8 juillet 1976Documents pertinents retrouvés type loi prom. 08/07/1976 pub. 18/04/2016 numac 2016000231 source service public federal interieur Loi organique des centres publics d'action sociale. - Coordination officieuse en langue allemande de la version applicable aux habitants de la région de langue allemande fermer organique des centres publics d'aide sociale, modifié par la loi du 11 avril 1995, tels qu'ils étaient en vigueur au 1er janvier 1997, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que le demandeur ou le bénéficiaire d'une aide individuelle dispose d'un délai d'un mois pour introduire un recours devant le tribunal du travail contre une décision prise à son égard par un centre public d'aide sociale, alors que le demandeur ou le bénéficiaire du minimum de moyens d'existence dispose d'un délai de trois mois.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 21 octobre 1998.
Le greffier, L. Potoms.
Le président, M. Melchior.