Etaamb.openjustice.be
Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 25 septembre 1998

Arrêt n° 74/98 du 24 juin 1998 Numéros du rôle : 1136, 1203, 1252 et 1276 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle, à l'article 10 de la loi du 1 er juin 1849 sur La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, L(...)

source
cour d'arbitrage
numac
1998021372
pub.
25/09/1998
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

Arrêt n° 74/98 du 24 juin 1998 Numéros du rôle : 1136, 1203, 1252 et 1276 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle, à l'article 10 de la loi du 1er juin 1849 sur la révision des tarifs en matière criminelle et aux articles 962 et suivants du Code judiciaire, posées par le Tribunal correctionnel de Liège, par le Tribunal correctionnel de Charleroi et par le Tribunal correctionnel de Nivelles.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, L. François, P. Martens, J. Delruelle, G. De Baets, E. Cerexhe, H. Coremans, A. Arts, R. Henneuse et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles a) Par jugement du 26 juin 1997 en cause du ministère public contre A. Julin et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 29 juillet 1997, le Tribunal correctionnel de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « Les règles légales applicables à l'expertise en matière pénale, plus particulièrement les articles 43 et 44 du Code d'instruction criminelle et 10 de la loi du 1er juin 1849 sur la révision des tarifs en matière criminelle, interprétés en ce sens qu'ils n'obligeraient pas l'expert désigné par le Parquet dans le cours de l'information pénale, à respecter les règles de la contradiction prévues en matière civile, par les articles 962 et suivants du Code judiciaire ou à tout le moins un minimum de règles de la condiction [lire : contradiction], violent-elles les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ? » Cette affaire est inscrite sous le numéro 1136 du rôle de la Cour. b) Par jugement du 3 octobre 1997 en cause du ministère public et de C.Spedale-Scarlata contre P. Legros et Ping-Ying Chu, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 26 novembre 1997, le Tribunal correctionnel de Charleroi a posé la question préjudicielle suivante : « Les règles légales applicables à l'expertise en matière pénale, plus particulièrement les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, interprétés en ce sens qu'ils n'obligeraient pas l'expert désigné par le juge d'instruction ou l'office du procureur du Roi, dans le cadre de l'information judiciaire, à respecter les règles de la contradiction contenues dans les articles précités du Code judiciaire, violent-elles les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ? » Cette affaire est inscrite sous le numéro 1203 du rôle de la Cour. c) Par jugement du 10 décembre 1997 en cause du ministère public et de J.Coppin et autres contre G. Ledent et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 17 décembre 1997, le Tribunal correctionnel de Nivelles a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. Les règles légales applicables à l'expertise en matière pénale, plus particulièrement les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, s'ils sont interprétés en ce sens qu'ils n'obligeraient l'expert désigné en matière pénale, notamment par une juridiction d'instruction, à ne respecter aucune des règles de la contradiction, alors que les experts désignés en matière civile sont tenus, par application des articles 972, 973, spécialement alinéa 4, et 978 du Code judiciaire, de respecter les règles de la contradiction, et, le cas échéant, les articles 2, 972, 973, spécialement alinéa 4, et 978 du Code judiciaire, s'ils sont interprétés en ce sens que l'expertise ordonnée au stade de l'information ou de l'instruction préparatoire est exclue de leur champ d'application, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ? 2. Les articles 43, 44 (et 148) du Code d'instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, s'ils sont interprétés à la lumière de l'article 2 du Code judiciaire comme ne dispensant pas l'expert désigné par un juge d'instruction dans la phase de l'instruction, de respecter les règles de la contradiction contenues dans les articles précités du Code judiciaire dans la mesure où on en exclut les règles qui se réfèrent à l'accord de parties ou subordonnent certains effets à leur initiative, et où leur application est ainsi compatible avec les principes du droit répressif, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ? » Cette affaire est inscrite sous le numéro 1252 du rôle de la Cour.d) Par jugement du 19 décembre 1997 en cause du ministère public contre R.Thomas, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 15 janvier 1998, le Tribunal correctionnel de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « Les règles légales applicables à l'expertise en matière pénale, plus particulièrement les articles 43 et 44 du Code d'instruction criminelle et 10 de la loi du 1er juin 1849 sur la révision des tarifs en matière criminelle, interprétés en ce sens qu'ils n'obligeraient pas l'expert désigné par le Parquet dans le cours de l'information pénale ou de l'instruction judiciaire, à respecter les règles de la contradiction prévues en matière civile, par les articles 962 et suivants du Code judiciaire ou à tout le moins un minimum de règles de la contradiction, violent-elles les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ? » Cette affaire est inscrite sous le numéro 1276 du rôle de la Cour.

II. Les faits et les procédures antérieures Dans l'affaire portant le numéro 1136 du rôle Dans le cadre de poursuites du chef, notamment, de banqueroute, faux et usage de faux, le procureur du Roi de Liège a désigné un expert-comptable, ayant pour mission de réaliser une expertise comptable concernant une société privée à responsabilité limitée en faillite; les prévenus devant le juge du fond en étaient les gérants ou étaient chargés d'en établir les comptes de fin d'année.

Les prévenus soutiennent que, dans l'état actuel de la procédure, leurs droits de défense sont violés par le fait que les poursuites du chef des préventions retenues à leur charge sont fondées essentiellement sur une expertise comptable ordonnée par le parquet dans le cours de l'information, qui s'est déroulée en 1991 non contradictoirement. Ils invoquent le considérant B.7 de l'arrêt de la Cour n° 24/97 du 30 avril 1997 selon lequel : « la possibilité de contester ultérieurement un rapport d'expertise judiciaire n'assure pas nécessairement le respect des droits de défense ».

Le Tribunal considère que s'il semble évident que le caractère essentiellement inquisitoire et secret de la procédure dans la phase préparatoire du procès pénal exclut l'application de tout ou de la plus grande partie des articles 962 à 991 du Code judiciaire parce que ces dispositions laissent une part considérable à l'autonomie de la volonté des parties et au principe du dispositif, la question se pose néanmoins de savoir - suite à l'arrêt précité - si les dispositions légales applicables à l'expertise pénale, notamment aux expertises ordonnées par le parquet dans le cadre de l'information (voy. les articles 43 et 44 du Code d'instruction criminelle et l'article 10 de la loi du 1er juin 1849 sur la révision des tarifs en matière criminelle), ne doivent pas être interprétées de façon telle que l'expert soit contraint de respecter un minimum de règles de la contradiction (exemple : audition au début d'une expertise comptable des personnes qui ont tenu la comptabilité concernée ou qui ont été directement responsables de la tenue de cette comptabilité; communication en fin d'expertise à ces personnes d'un rapport préliminaire contenant les conclusions provisoires de l'expert avec demande d'observations, avant la rédaction des conclusions définitives), sous peine de violer les articles 10 et 11 de la Constitution et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il adresse à la Cour la question préjudicielle reproduite ci-dessus.

Dans l'affaire portant le numéro 1203 du rôle Dans le cadre de poursuites (du chef de coups et blessures volontaires) à l'occasion desquelles le procureur du Roi a ordonné une expertise, la prévenue a soulevé une question relative au caractère non contradictoire de l'expertise ordonnée dans la phase avant l'audience, dans cette phase préparatoire que sont l'information du parquet et l'instruction judiciaire.

Constatant que l'arrêt n° 24/97 de la Cour d'arbitrage se limitait au caractère non contradictoire de l'expertise lorsque c'est un juge pénal en sa qualité de juge du fond qui désigne un expert, le Tribunal a décidé d'adresser à la Cour la question préjudicielle dont le texte a été reproduit plus haut.

Dans l'affaire portant le numéro 1252 du rôle Dans le cadre de poursuites et d'une citation directe mises en oeuvre à la suite du décès d'une personne ayant subi, la veille de sa mort, une intervention chirurgicale - les actions étant engagées contre l'établissement de soins, le médecin et les infirmières concernés -, le juge d'instruction a désigné un collège d'experts ayant notamment pour mission de dire quelle est la cause de ce décès et si, au sens des articles 418 et 419 du Code pénal, un défaut de prévoyance ou de précaution se trouve à l'origine du décès et, si oui, de quel défaut de prévoyance ou de précaution il s'agit et d'en identifier le ou les auteurs.

Les prévenus concluent au renvoi des poursuites au motif que cette expertise s'est déroulée de part en part de manière non contradictoire, qu'elle serait irrégulière et devrait être écartée des débats de telle sorte que le Tribunal ne disposerait plus d'éléments de preuve.

Faisant valoir que l'interprétation des articles 43, 44 (et 148) du Code d'instruction criminelle, qui résulte de la jurisprudence traditionnelle, « engendre une discrimination entre le défendeur à l'action civile fondée sur une mort accidentelle et portée devant une juridiction civile, d'une part, et le prévenu, et le cas échéant, la personne qui en est civilement responsable ainsi que leur assureur contre lesquels, outre l'action publique dirigée contre le prévenu lui-même, cette même action civile est dirigée devant une juridiction répressive - d'instruction d'abord, de jugement ensuite - d'autre part », ils sollicitent, à titre subsidiaire, que la Cour soit interrogée sur la constitutionnalité de l'expertise ordonnée par le juge d'instruction. Le ministère public a requis qu'il soit fait droit à cette demande.

Les parties civiles invoquent notamment le caractère inquisitoire et, partant, unilatéral de la procédure dans la phase préparatoire du procès pénal et, à titre subsidiaire, font valoir que le principe du caractère non contradictoire de l'expertise ordonnée en matière répressive n'est inscrit dans aucune disposition légale ou décrétale, de telle sorte que la Cour d'arbitrage ne serait pas compétente pour statuer sur la question proposée par les prévenus et que la réponse à cette question ne serait nullement indispensable pour que le Tribunal puisse rendre son jugement.

Le Tribunal considère que l'appréciation du fondement des poursuites dont les prévenus font l'objet dépend nécessairement de la régularité de l'expertise et qu'aucune disposition légale n'impose expressis verbis, et sans contestation possible, que l'expertise ordonnée par le juge d'instruction ou le procureur du Roi préalablement à la phase de jugement soit menée de façon contradictoire, de telle sorte qu'il n'est pas acquis que l'expertise litigieuse en l'espèce soit nécessairement entachée d'irrégularité du fait de sa non-contradiction au point qu'elle doive d'emblée être écartée des débats.

Il observe encore que s'il n'existe aucune disposition légale autorisant expressément le juge d'instruction à recourir à une expertise, il n'en demeure pas moins que les articles 43 et 44 du Code d'instruction criminelle constituent la base légale d'une telle expertise, la Cour d'arbitrage ayant d'ailleurs estimé, certes à propos d'une expertise demandée par le juge du fond en matière pénale, que celle-ci trouvait sa base légale dans ces dispositions (arrêt n° 24/97).

Considérant avec les prévenus qu'il est permis de soutenir que les dispositions légales et principes de droit au sens de l'article 2 du Code judiciaire ne s'opposent pas nécessairement à l'introduction de la contradiction dans le cadre de telles expertises, à tout le moins, dans certains cas et sans doute avec certaines modalités eu égard au nécessaire équilibre à trouver entre les exigences des droits de défense et les particularités de l'instruction préparatoire et que, le juge a quo ne disposant pas d'un quelconque pouvoir pour apprécier lui-même la réalité de la discrimination qui forme l'objet de la question préjudicielle, l'appréciation du fondement des poursuites menées contre les prévenus dépendait de la régularité de l'expertise litigieuse, il a adressé à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.

Dans l'affaire portant le numéro 1276 du rôle Dans le cadre de poursuites du chef, notamment, de banqueroute, le procureur du Roi de Liège a désigné un expert-comptable, ayant pour mission de réaliser une expertise comptable concernant une société anonyme en faillite; le prévenu en était administrateur.

Le prévenu, qui n'a jamais été entendu par le juge d'instruction et qui conteste les préventions, s'est vu opposer le rapport de l'expert-comptable.

Le Tribunal constate que celui-ci aurait pu trouver, dans un dialogue avec le prévenu, une réponse à certaines questions qu'il s'est posées et pour lesquelles il renvoie précisément aux explications que le prévenu pourrait être amené à fournir lui-même ultérieurement, que l'action publique ne semble pas devoir souffrir du caractère plus contradictoire qui serait donné à des investigations dans des matières aussi complexes et qu'il en résulterait par ailleurs un gain de temps appréciable et une plus grande clarté au moment où la cause est soumise à la juridiction de jugement. Se fondant sur un raisonnement analogue à celui suivi dans le jugement rendu dans l'affaire portant le numéro 1136 du rôle (ci-dessus), le Tribunal a adressé à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.

III. La procédure devant la Cour a) Dans l'affaire portant le numéro 1136 du rôle Par ordonnance du 29 juillet 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 12 septembre 1997.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 18 septembre 1997.

Des mémoires ont été introduits par : - J.-M. Defrère, demeurant à 4102 Ougrée-Seraing, rue Jouhaux 22, par lettre recommandée à la poste le 10 octobre 1997; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 23 octobre 1997; - A. Julin et Y. Schneider, demeurant ensemble à 4420 Saint-Nicolas, rue Pansy 270, par lettre recommandée à la poste le 27 octobre 1997.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 7 novembre 1997.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 28 novembre 1997; - J.-M. Defrère, par lettre recommandée à la poste le 8 décembre 1997.

Par ordonnance du 18 décembre 1997Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 18/12/1997 pub. 10/03/1998 numac 1998031009 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance modifiant l'ordonnance du 27 avril 1995 relative à la sauvegarde et à la protection de la nature fermer, la Cour a prorogé jusqu'au 29 juillet 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu. b) Dans les affaires portant les numéros 1203, 1252 et 1276 du rôle Par ordonnances du 26 novembre 1997, du 17 décembre 1997 et du 15 janvier 1998, le président en exercice a désigné les juges des sièges conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

Par ordonnance du 15 janvier 1998, la Cour a joint les affaires à l'affaire portant le numéro 1136 du rôle.

Par ordonnance du même jour, le président a abrégé le délai pour introduire un mémoire à trente jours.

Les décisions de renvoi ont été notifiées conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 16 janvier 1998; l'ordonnance de jonction ainsi que l'ordonnance abrégeant le délai à trente jours ont été notifiées par les mêmes lettres.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 28 janvier 1998 (2ème édition).

Des mémoires ont été introduits par : - Ping-Ying Chu, demeurant à 6001 Marcinelle, rue Albert Brachet 50, C. Mattaigne, demeurant à 1300 Wavre, rue Géry Everaerts 30, J. Delbrassine, demeurant à 1340 Ottignies, chaussée de la Croix 31, M. Splingard, demeurant à 1470 Genappe, avenue des Combattants 158, et l'a.s.b.l. Clinique Saint-Pierre, dont le siège social est établi à 1340 Ottignies, avenue Reine Fabiola 9, par lettre recommandée à la poste le 13 février 1998; - J. Coppin, demeurant à 1457 Walhain, rue du Poncha 3, M. Generet, demeurant à 5030 Gembloux, rue du Coquelet 22, et I. Bossuroy, demeurant à 5031 Grand-Leez, route de Meux 14, par lettre recommandée à la poste le 13 février 1998; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 16 février 1998; - R. Thomas, demeurant à 4460 Grâce-Hollogne, rue Haute Claire 57, par lettre recommandée à la poste le 17 février 1998; - G. Ledent, demeurant à 1435 Mont-Saint-Guibert, chemin du Roissart 5, par lettre recommandée à la poste le 17 février 1998.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 23 février 1998.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - Ping-Ying Chu et autres, par lettre recommandée à la poste le 19 mars 1998; - J. Coppin et autres, par lettre recommandée à la poste le 20 mars 1998; - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 23 mars 1998.

Par ordonnance du 29 avril 1998, la Cour a prorogé jusqu'au 26 novembre 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu. c) Dans les quatre affaires Par ordonnance du 15 janvier 1998, le président M.Melchior a soumis les affaires à la Cour réunie en séance plénière.

Par ordonnance du 29 avril 1998, la Cour a déclaré les affaires en état et fixé l'audience au 27 mai 1998 après avoir reformulé la question préjudicielle.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 30 avril 1998.

A l'audience publique du 27 mai 1998 : - ont comparu : . Me P. Cavenaille et Me F. Minne, avocats au barreau de Liège, pour J.-M. Defrère; . Me Y. Bisinella, avocat au barreau de Liège, pour A. Julien et Y. Schneider; . Me M. Mahieu et Me J.-F. Van Drooghenbroeck, avocats au barreau de Bruxelles, pour Ping-Ying Chu et autres; . Me N. Estienne loco Me O. Dalcq, avocats au barreau de Bruxelles, pour J. Coppin et autres; . Me P. De Smet loco Me J.-M. De Smet, avocats au barreau de Bruxelles, pour G. Ledent; . Me M. Nève et Me S. Berbuto, avocats au barreau de Liège, pour R. Thomas; . Me P. Traest, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs L. François et H. Coremans ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - les affaires ont été mises en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. Les dispositions en cause Les articles 43 et 44 du Code d'instruction criminelle disposent ce qui suit : «

Art. 43.Le procureur du Roi se fera accompagner, au besoin, d'une ou de deux personnes, présumées, par leur art ou profession, capables d'apprécier la nature et les circonstances du crime ou délit.

Art. 44.S'il s'agit d'une mort violente ou d'une mort dont la cause soit inconnue et suspecte, le procureur du Roi se fera assister d'un ou de deux médecins, qui feront leur rapport sur les causes de la mort et sur l'état du cadavre.

Les personnes appelées, dans le cas du présent article et de l'article précédent, prêteront serment dans les termes suivants : ' Je jure de remplir ma mission en honneur et conscience, avec exactitude et probité '.

Elles peuvent prêter ce serment soit verbalement, soit par l'apposition de la formule sur le rapport, soit par un écrit signé et daté. » L'article 10 de la loi du 1er juin 1849 sur la révision des tarifs en matière criminelle dispose : «

Art. 10.Les médecins, chirurgiens, officiers de santé, médecins-vétérinaires et experts qui, le pouvant dans les cas prévus par la loi ou le tarif en matière criminelle, auront refusé ou négligé de faire les visites, le service ou les travaux pour lesquels ils auront été légalement requis, seront punis d'une amende de cinquante à cinq cents francs.

En cas de récidive, le maximum de l'amende sera toujours prononcé. » V. En droit - A - Mémoire de J.-M. Defrère (affaire portant le numéro 1136 du rôle) A.1.1. Expert-comptable indépendant mandaté pour établir les comptes de bilans des années 1988 et 1989 d'une société faillie en 1990, J.-M. Defrère a été interrogé en octobre 1992 sur la base d'un rapport établi en juillet 1991 par un expert-comptable désigné par le procureur du Roi; il n'a été renvoyé devant le tribunal correctionnel qu'en 1995. Il n'a été interrogé ni par un membre du parquet, ni par le juge d'instruction et ne sera pas amené à pouvoir critiquer le rapport de l'expert-comptable avant le dépôt des conclusions devant le tribunal, c'est-à-dire largement après les faits; or, l'expertise n'a pris en aucun cas et à aucun moment en compte la motivation du prévenu, ni sa façon de voir l'entreprise, ni aucun des éléments qui, dans une expertise contradictoire, sont soumis à l'appréciation de l'expert et qui doivent permettre d'aboutir à un rapport dans lequel l'avis de chacun, ses nuances, ses appréciations objectives et subjectives et tout ce qui fait la qualité d'un rapport, se retrouvent.

A.1.2. La loi permet que l'instruction criminelle soit inquisitoire et secrète. Mais il est légitime que le rapport d'un expert commis par le parquet soit communiqué au prévenu afin que celui-ci puisse éclairer le juge d'instruction par ses propres observations sur le rapport d'expertise en présentant au besoin une expertise complémentaire contradictoire.

A défaut, la situation du prévenu est aggravée compte tenu de l'effacement de la mémoire par suite du temps écoulé, de la perte éventuelle d'éléments probants (les archives ne doivent pas être conservées indéfiniment) et du simple fait que les interrogatoires par la police judiciaire sont orientés dans la mesure où ils ont pour base un document inconnu du prévenu. Il s'ensuit que les droits de la défense du prévenu ont été violés dans le cours de l'information et de l'instruction, que son renvoi devant le tribunal correctionnel est la conséquence directe de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de s'expliquer face à un document (le rapport d'expertise) qui ne lui fut jamais communiqué et que, dès lors, la pratique habituelle des parquets, dans le cours de l'information pénale, d'ignorer totalement les droits du prévenu à une information loyale, notamment par la communication, conformément aux dispositions du Code judiciaire, des rapports d'expertise sollicités par le ministère public, constitue une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Mémoire de A. Julin et Y. Schneider (affaire portant le numéro 1136 du rôle) A.1.3. Un rapport d'expertise établi à la diligence de la partie publique doit être soustrait à l'application stricte de la procédure inquisitoire régie par le Code d'instruction criminelle, dès lors que ce rapport sert de base essentielle aux poursuites pénales et à la décision de mise du dossier à l'instruction et qu'il constitue ensuite le fil conducteur de l'instruction judiciaire. A défaut, il existe une différence de traitement entre, d'une part, des parties à un procès pénal qui ont la possibilité de se défendre dans le cadre d'une expertise ordonnée par le juge d'instruction et menée, sinon de manière absolument contradictoire, du moins dans le respect des principes dirigeant l'instruction judiciaire, et donc à charge et à décharge et, d'autre part, la situation des concluants qui ont dû se défendre dans le cadre de l'instruction sur les conclusions d'un rapport d'expertise dressé de manière absolument non contradictoire, qui ne repose sur aucun critère objectif et n'est pas raisonnablement justifié : diligentée dans le cadre d'une information pénale, une mission d'expertise peut servir de base aux poursuites répressives et de fil conducteur à l'instruction judiciaire. Dans ce cas, l'absence de caractère contradictoire de l'expertise aboutit à ce que la recherche de la preuve puisse se faire au prix d'une atteinte aux droits de la défense, puisque les parties devront présenter au juge d'instruction une défense consistant dans leurs observations et répliques aux contenu et conclusions d'un rapport dont elles n'ont pas connaissance.

A.1.4. Ce n'est que lors du renvoi de la cause devant le tribunal correctionnel que les parties ont pu se défendre sur le contenu du rapport, c'est-à-dire à un moment où les chances de pouvoir en contester utilement les conclusions étaient réduites. Dans ces circonstances, et sauf à considérer les rapports d'expertise dressés à la requête du parquet en cours d'information pénale comme un document par essence unilatéral et dès lors inopposable aux parties dans le cadre de l'instruction judiciaire, les concluants estiment que les dispositions légales applicables à l'expertise pénale, notamment aux expertises ordonnées par le parquet dans le cadre de l'information, ne doivent pas être interprétées de façon telle que l'expert soit dispensé de respecter un minimum de règles de la contradiction, sous peine de violer les articles 10 et 11 de la Constitution et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Mémoire de J. Coppin et autres (affaire portant le numéro 1252 du rôle) A.1.5. Le rapport d'expertise établi à la demande du juge d'instruction a conclu qu'il y a eu une succession d'erreurs qui, considérées individuellement, n'auraient pas eu nécessairement de conséquence grave mais qui, par leur enchaînement, ont conduit au décès à l'occasion duquel la plainte contre X du chef d'homicide involontaire a été déposée.

A.1.6. Contrairement à la procédure civile, la procédure pénale se partage en deux séries d'actes et de formalités (la phase d'information et d'instruction est préparatoire, la phase d'audience et de jugement est définitive; la première phase se borne à accueillir les éléments de la mise en accusation, tandis que la seconde phase a pour objet de débattre les preuves et de les apprécier) mais elle n'en reste pas moins indivisible : tous ses actes tendent à un même résultat, se lient les uns les autres pour former une même preuve, un même tout jusqu'au jugement. La procédure pénale est ainsi le trait d'union entre l'infraction et la peine. Les travaux préparatoires indiquent que le législateur a, à dessein, donné un caractère inquisitoire à l'instruction préparatoire et un caractère accusatoire à la procédure d'audience et de jugement de manière à ce que la justice soit d'abord éclairée par les recherches et ensuite par la discussion.

A.1.7. L'absence de contradiction obligatoire de l'expertise ordonnée par un juge d'instruction n'engendre aucune différence de traitement entre parties en cause dans une procédure civile et parties en cause dans une procédure pénale : l'instruction préalable étant une phase préparatoire destinée à rechercher et rassembler les éléments de preuve qui seront ultérieurement soumis au débat contradictoire et à l'intime conviction du juge du fond et n'ayant pas d'équivalent dans la procédure civile, où les parties recueillent et rassemblent chacune de leur côté les éléments de preuve propres à fonder leurs prétentions, aucune comparaison n'est possible entre la procédure pénale et la procédure civile à ce stade.

Il n'y a pas davantage de différence de traitement entre les parties qui sont en cause dans la procédure pénale elle-même puisque la règle de l'expertise non contradictoire au stade de l'instruction préparatoire vaut aussi bien pour l'inculpé que pour la partie civile et le ministère public.

A.1.8. A supposer qu'il y ait une différence de traitement, elle repose sur un critère objectif en raison de la nature de la mission confiée au juge d'instruction et des spécificités de l'instruction pénale préparatoire et elle est raisonnablement justifiée au regard de la finalité et du caractère propres de l'instruction pénale préparatoire. Il n'est en effet pas possible de concilier l'impératif de recherche des auteurs d'une infraction avec une expertise contradictoire puisque c'est précisément l'expertise qui doit permettre, le cas échéant, de trouver un suspect. La contradiction obligatoire dans l'application des dispositions en cause rendrait celles-ci impraticables dans un très grand nombre d'hypothèses. Elle aurait pour conséquence de dévoiler la stratégie et l'état d'avancement de l'enquête et d'introduire le débat au coeur de l'instruction, alors que le désir de sauvegarder les intérêts de l'inculpé doit être concilié avec la nécessité d'empêcher celui-ci de faire obstacle à la manifestation de la vérité par des manoeuvres dilatoires grâce à la connaissance qu'il aura du dossier.

L'on ne saurait soutenir que l'absence de contradiction entraîne en toute circonstance une atteinte aux droits de défense - c'est une question d'espèce qu'il appartient au juge du fond d'apprécier - sans mettre en cause, en réalité, le principe même du caractère inquisitoire et, partant, non contradictoire de la procédure d'instruction préparatoire. Il faudrait alors, dans la foulée, admettre en toute logique que les auditions des parties et des témoins faites dans le cadre de l'instruction préparatoire doivent être contradictoires à l'instar des auditions organisées dans le cadre de la procédure d'enquête dont il est question aux articles 915 et suivants du Code judiciaire. Il faudra tout autant admettre que toute descente sur les lieux requiert une convocation préalable des parties en cause comme le prévoit l'article 1008 du Code judiciaire. L'on peut certes admettre une certaine contradiction, à certains moments de l'expertise, dans certaines conditions et dans certaines circonstances. Mais c'est au législateur qu'il appartient de le préciser.

A.1.9. A supposer que la différence de traitement soit jugée inconstitutionnelle, encore faut-il constater que l'absence de contradiction trouve son origine dans une lacune de la législation puisque les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle sont muets quant à la possibilité pour le juge d'instruction de désigner un expert, et ne peuvent a fortiori servir de fondement au principe d'une expertise obligatoirement contradictoire au stade de l'instruction pénale préparatoire. Il en va d'autant plus ainsi qu'à ce stade, la procédure est, par principe, inquisitoire et, partant, non contradictoire.

Ainsi, si elle considère que la discrimination en cause est établie, la Cour devrait constater, à l'instar de ce qu'elle a décidé dans son arrêt n° 31/96, que cette discrimination trouve son origine dans une lacune de la législation et que seule une intervention du législateur est apte à remédier à cette situation, de sorte que la question préjudicielle appelle en toutes hypothèses une réponse négative.

A.1.10. Si la Cour répond à la question par l'affirmative, il y a lieu de s'interroger sur le sort des affaires en cours. Peut-il être reproché aux juges d'instruction et aux experts désignés par eux de s'être conformés, en l'absence de texte précis imposant le caractère contradictoire des expertises dès le stade de l'instruction préparatoire, tant à la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu'au caractère fondamentalement inquisitoire et, partant, secret et non contradictoire de l'instruction pénale préparatoire ? Ne conviendra-t-il pas, dans une telle hypothèse, de conclure (dans le souci de garantir le délai raisonnable dans lequel un procès doit être jugé et de maintenir un minimum de sécurité juridique et de confiance des citoyens dans le fonctionnement de la justice pénale) à l'absence de discrimination pour toutes les expertises mises en oeuvre avant la publication de l'arrêt à intervenir et qui n'ont pas revêtu un caractère contradictoire (application par analogie de l'article 8, alinéa 2, de la loi du 6 janvier 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/01/1989 pub. 18/02/2008 numac 2008000108 source service public federal interieur Loi spéciale sur la Cour d'arbitrage fermer) ? Mémoire de Ping-Ying Chu (affaire portant le numéro 1203 du rôle) et de C. Mattaigne et autres (affaire portant le numéro 1252 du rôle) A.1.11. Les rapports d'expertise établis à la demande du juge d'instruction (affaire portant le numéro 1252 du rôle) et à la demande du procureur du Roi (affaire portant le numéro 1203 du rôle) ont exercé une influence déterminante sur les poursuites. Les critiques dont ils font l'objet eussent gagné à s'exprimer en cours d'expertise; ainsi les experts ont-ils nuancé leurs opinions après avoir entendu les parties à l'audience (affaire portant le numéro 1252 du rôle).

A.1.12. L'on n'entend pas ici soutenir que le principe du contradictoire devrait être appliqué de manière absolue; il doit s'appliquer à l'expertise pénale (ordonnée au stade de l'instruction ou de l'information) de la même manière qu'il s'applique à l'expertise civile : dans les limites de la spécificité de l'action pénale, avec la même souplesse, les mêmes nuances et les mêmes dérogations.

Dans le régime de l'expertise civile, le juge, à peine de voir sa décision réformée, doit écarter des débats un rapport d'expertise établi non contradictoirement, tout en se gardant de tout excès de rigueur. L'absolue nécessité ou la recherche de l'effet de surprise justifient même qu'il soit dérogé au principe du contradictoire, à condition qu'il y soit revenu le plus rapidement possible.

Le Code d'instruction criminelle étant pour sa part muet sur la question, c'est selon la lecture que la jurisprudence effectuerait de l'article 2 du Code judiciaire, et particulièrement en fonction « des principes de droit dont l'application n'est pas compatible avec celle des dispositions dudit code » - en l'occurrence, ses articles 972 et suivants -dont cette jurisprudence révélerait l'existence, que l'expertise en matière pénale serait ou non contradictoire.

A.1.13. L'interprétation traditionnelle des dispositions en cause, selon laquelle l'expertise pénale n'est - en principe, indique la Cour de cassation elle-même - pas contradictoire et qui a été condamnée par l'arrêt n° 24/97 pour ce qui concerne l'expertise ordonnée par le juge du fond, n'est pas exempte d'incohérence, puisque l'on décide que l'article 966 du Code judiciaire est applicable à l'expertise pénale et que le juge du fond ne peut procéder à une visite des lieux qu'en présence des parties et en se constituant préalablement en audience publique.

A.1.14. L'absence de dispositions relatives au caractère contradictoire de l'expertise pénale aboutit à ce que la Cour prenne en compte l'interprétation qui est donnée des dispositions sur lesquelles elle est interrogée et puisse en donner une interprétation conciliante. Compte tenu des développements du mémoire, il est suggéré de reformuler comme suit la question préjudicielle : « a) Les articles 43, 44 (et pour autant que de besoin 148) du Code d'instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, s'ils sont interprétés à la lumière de l'article 2 du Code judiciaire comme ne dispensant pas l'expert, désigné par un juge d'instruction dans la phase de l'instruction ou par le Ministère public dans la phase d'information, de respecter, dans la mesure du possible et sans, ce faisant, porter préjudice aux besoins de l'enquête, les règles de la contradiction contenues dans les articles précités du Code judiciaire, ne violent[-ils] pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme [?] b) Les règles légales applicables à l'expertise en matière pénale, plus particulièrement les articles 43, 44 (et pour autant que de besoin 148) du Code d'instruction criminelle, et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, s'ils sont interprétés en ce sens qu'ils n'obligeraient jamais l'expert désigné en matière pénale, par le Ministère public ou par une juridiction d'instruction, à respecter la moindre contradiction dans l'accomplissement de sa mission, et en ce sens que la décision ordonnant l'expertise ne devrait, sur ce point, pas être spécifiquement motivée, ni ne serait, sur ce même point, susceptible d'aucune censure juridictionnelle ultérieure, violent[-ils] les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme [?] » L'interprétation conforme et conciliante des dispositions en cause A.1.15. La réflexion devant être menée au départ de l'article 2 du Code judiciaire, l'on observera d'abord qu'il n'existe pas de « dispositions légales non expressément abrogées » dont l'application ne serait pas compatible avec celle des articles 972 et suivants du même Code à l'expertise pénale ordonnée lors de l'information ou de l'instruction.

A.1.16. Quant aux « principes de droit » (à savoir des principes généraux du droit) dont l'application serait frappée de la même incompatibilité, ils ne sont pas précisés, dans la formulation de sa jurisprudence traditionnelle, par la Cour de cassation. La doctrine en avance deux, qu'elle critique immédiatement, et que l'on ne peut accepter : - la nature de l'organe judiciaire qui ordonne l'expertise : l'affirmation du procureur général Leclercq sur laquelle repose la jurisprudence de la Cour de cassation et selon laquelle « la procédure est déterminée par la nature de la juridiction et non par les intérêts en contestation » ne constitue pas un tel principe car si la nature de la juridiction compétente justifiait par elle-même l'inapplicabilité des dispositions du Code judiciaire, l'article 2 de ce Code serait totalement vidé de sa substance; cette disposition prévoit en effet précisément que les règles qui régissent la procédure mue devant les juridictions civiles sensu lato régissent en principe les procédures mues devant d'autres juridictions. Au contraire, la Cour de cassation, le Conseil d'Etat, la Cour d'arbitrage et les juridictions disciplinaires ont admis l'applicabilité de nombreuses dispositions du Code judiciaire aux procédures qui leur sont soumises. Cette dernière circonstance suffit à priver l'argument déduit de la nature des juridictions de toute sa pertinence, eu égard, en particulier, à l'arrêt n° 24/97 de la Cour qui, explicitement, a considéré que cet argument n'était pas un principe de droit au sens de l'article 2 du Code judiciaire; - la (prétendue) règle selon laquelle l'information et l'instruction préparatoires devraient se dérouler de manière absolument non contradictoire : cette règle n'est pas - ou plus - suffisamment précise, certaine, actuelle et reconnue pour être laissée au rang de principe de droit. Les éléments qui suivent le démontrent (A.1.17 à A.1.21).

A.1.17. Ainsi la doctrine ne la fait-elle pas figurer parmi les principes généraux gouvernant le droit criminel; la Cour de cassation ne s'est elle-même exprimée qu'une seule fois en termes de principes, dans un ancien arrêt de 1913.

La règle de la non-contradiction est en outre critiquée par la doctrine, à la fois sur le plan général et sur celui de l'expertise, que ce soit avant ou après l'arrêt n° 24/97. M. Franchimont observe à cet égard que la Commission pour le droit de la procédure pénale, dans le cadre de ses travaux non encore publiés, a pris position très clairement pour l'expertise contradictoire, tant au niveau de l'instruction que de la juridiction de jugement. Elle a d'autre part, dans l'un et l'autre cas, prévu des dispositions régissant les expertises en matière pénale.

Ainsi la lecture de la motivation de l'arrêt n° 24/97 suggère-t-elle la condamnation de la thèse traditionnelle - ou du moins la rigidité de celle-ci -, en tant cette fois que cette thèse concerne l'expertise ordonnée avant la phase du jugement. Celle, en particulier, du B.7 de l'arrêt indique que ses développements revêtent la même dimension critique à l'encontre de la thèse traditionnelle, cette fois en tant que celle-ci est appliquée à l'expertise pénale ordonnée avant la phase de jugement.

Ainsi la loi néerlandaise et la loi française ont-elles donné, en principe, un caractère contradictoire à l'expertise pénale et bon nombre de systèmes juridiques (en Italie et dans les pays de Common Law) ne consacrent-ils pas (ou plus) la règle du déroulement secret et inquisitoire de l'information et de l'instruction, privant de toute pertinence l'argument de l'impraticabilité, au stade de l'information ou de l'instruction, de la contradiction de l'expertise.

A.1.18. Ainsi la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative à l'article 6 de la Convention interdit-elle de dénier à l'expertise pénale ordonnée par le parquet ou par le juge d'instruction tout caractère contradictoire.

Cette disposition était certes considérée, dans la jurisprudence de la Cour de cassation, comme ne concernant pas, en règle, l'exercice des droits de la défense devant les juridictions d'instruction ni l'exercice de ces mêmes droits durant la phase de l'information du parquet. Mais cette jurisprudence fut fustigée par la doctrine (qui considère que les mots « en règle » indiquent clairement que des exceptions sont concevables, les juridictions d'instruction étant, dans certains cas, appelées à statuer sur le bien-fondé d'une accusation), puis désavouée par la Cour européenne des droits de l'homme, dont la jurisprudence est manifestement incompatible avec la généralité et la rigidité de la jurisprudence précitée de la Cour de cassation.

La Cour de Strasbourg (arrêt du 30 mars 1989) a tout d'abord condamné la pratique - belge - de l'absence de communication du dossier à l'inculpé et à son avocat en cours d'instruction préparatoire, en cas de détention préventive. Cet arrêt a condamné les rares dispositions sur lesquelles aurait pu reposer le prétendu « principe inquisitoire », conçu de manière rigide et absolue, et la jurisprudence ultérieure de la même Cour, qui décide que l'article 6 peut jouer un rôle avant la saisine du juge du fond, s'écarte encore de la jurisprudence de la Cour de cassation.

La Cour européenne a encore décidé, le 18 mars 1997, que le caractère non contradictoire d'une expertise judiciaire n'était pas compatible avec l'article 6 de la Convention. Cet arrêt a certes été rendu en matière de responsabilité des pouvoirs publics (en droit français) mais les considérations qu'il énonce peuvent être, trait pour trait et mot pour mot, transposées à l'expertise pénale préalable à la phase de jugement.

Un principe général de droit ne peut aller à l'encontre de la loi écrite. Le législateur supranational, par le biais de l'article 6 de la Convention, a dérogé au prétendu principe inquisitoire, de sorte que celui-ci n'autorise pas, au sens de l'article 2 du Code judiciaire, que l'application de toutes les règles civiles de la contradiction soit exclue en matière d'expertise ordonnée par le parquet ou par le juge d'instruction. Ce principe ne résiste pas à l'évolution des situations politique et sociale et n'est plus suffisamment certain, accepté et précis pour pouvoir être sanctionné.

A.1.19. Ainsi encore, dans le droit positif belge où le prétendu principe inquisitoire ne repose pas sur un texte précis. Il n'est illustré que par l'article 73 du Code d'instruction criminelle, qui dispose que les témoins sont entendus hors de la présence de l'inculpé, et n'apparaît ni dans les dispositions relatives aux procureurs du Roi et à leurs substituts (articles 22 à 54 du même Code), ni dans celles - sauf l'article 73 précité - relatives aux juges d'instruction (articles 59 à 126). Les anciennes dispositions relatives à la détention préventive ont pu, peut-être, illustrer ce principe mais elles sont aujourd'hui abrogées, à la suite, précisément, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui condamnait l'absence de communication du dossier à l'inculpé et à son avocat.

A.1.20. En revanche, des développements législatifs récents annoncent l'émergence d'un principe prescrivant, sauf exceptions, le déroulement contradictoire de la phase préliminaire du procès pénal ainsi que de l'expertise ordonnée dans le cours de cette phase.

De manière générale, l'avant-projet de loi « relative à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction, remanié après consultations » établi en 1995 par la Commission Franchimont qui, certes, ne définit pas les caractéristiques de l'expertise pénale et ne supprime pas la règle du secret et de l'unilatéralité lorsque celle-ci demeure indispensable - consacre en des termes très généraux l'instauration de la contradiction aux stades de l'information et de l'instruction préparatoires (à propos de la consultation du dossier par l'inculpé non détenu et la partie civile).

La commission d'enquête parlementaire constituée dans le cadre de l'affaire « Dutroux-Nihoul et consorts » a également souhaité que l'expertise soit rendue plus contradictoire.

En ce qui concerne, en particulier, les expertises ordonnées dans la phase préliminaire du procès pénal, la première édition du rapport de la Commission Franchimont indique qu'il ressort d'une vaste enquête effectuée dans les milieux judiciaires qu'une majorité de magistrats et d'avocats sont favorables au déroulement contradictoire de l'expertise pénale, même au stade de l'information ou de l'instruction préparatoires.

Cette question devra être examinée dans la seconde phase des travaux de la Commission (elle a déjà débuté), qui ne sont pas encore publiés, mais le professeur Franchimont a déjà annoncé que la Commission a pris position très clairement pour l'expertise contradictoire, tant au niveau de l'instruction que de la juridiction de jugement et qu'elle a d'autre part, dans l'un et l'autre cas, prévu des dispositions régissant les expertises en matière pénale.

A.1.21. Enfin, la contradiction au coeur de l'expertise en matière répressive a été inscrite dans des dispositions particulières relatives à l'exploration corporelle (alinéas 2 et 3 insérés dans l'article 90bis du Code d'instruction criminelle par l'article 7 de la loi du 4 juillet 1989 modifiant la loi du 20 avril 1874 relative à la détention préventive; article 44bis du Code d'instruction criminelle inséré par l'article 1er de la loi du 15 avril 1958Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/04/1958 pub. 28/09/2011 numac 2011000596 source service public federal interieur Loi relative à la publicité en matière de soins dentaires. - Traduction allemande fermer et articles 5 et 9 de l'arrêté royal du 10 juin 1959 relatif au prélèvement sanguin en vue du dosage de l'alcool) et est ainsi apparue dans la phase préliminaire du procès pénal.

A.1.22. Il n'existe donc pas de « principe de droit » justifiant l'exclusion radicale de la contradiction en matière d'expertises ordonnées par le parquet ou le juge d'instruction.

A.1.23. Il résulte de ce qui précède que les articles 2, 962 et suivants du Code judiciaire commandent que les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle soient interprétés en ce sens que l'expertise pénale ordonnée dans la phase préliminaire du procès pénal doit, en principe, se dérouler de manière contradictoire. Seule cette interprétation se concilie avec le prescrit des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il ne s'agit pas d'imposer un déroulement totalement contradictoire, exception devant être faite pour les cas où, par une décision motivée de nature juridictionnelle (et donc susceptible de recours), il serait décidé que les besoins et les spécificités de l'enquête excluent la contradiction, en tout ou partie et pour un temps déterminé.

A.1.24. L'on doit considérer que le caractère non contradictoire de l'information et de l'instruction préparatoires constitue en réalité une règle relative, limitée aux seuls cas où elle se révèle nécessaire pour concourir aux objectifs de la répression. L'on peut ainsi concevoir que l'efficacité de l'instruction, et par exemple le souci d'éviter des collusions, puissent commander que l'audition de témoins se fasse de façon non contradictoire. Le postulat, sempiternellement répété, du caractère secret de l'information et de l'instruction préparatoires est donc relatif. En revanche, la contradiction doit, elle, être érigée en véritable principe.

A.1.25. Le droit à un procès équitable, de même que le principe général de droit (bien avéré celui-ci) consacrant le respect du droit de défense, impliquent que, si la preuve d'une accusation en matière pénale dépend de documents (médicaux, par exemple), ces documents soient produits et soumis à la critique du prévenu. Lorsque ces documents font l'objet d'une expertise (médicale, par exemple), le prévenu a en outre le droit, non seulement de prendre connaissance des pièces médicales consultées par l'expert, mais en outre de participer à l'expertise, afin de faire valoir son point de vue, à l'intention de l'expert, sur la manière dont lesdits documents doivent être lus et interprétés et, enfin, d'être présent lors des opérations d'expertise afin de pouvoir faire valoir son point de vue à l'intention de l'expert avant que celui-ci conclue.

Un revirement de la jurisprudence belge s'indique si l'on souhaite éviter la censure qui, tôt ou tard, viendra, eu égard à sa jurisprudence antérieure, de la Cour de Strasbourg.

L'interprétation non conciliante et discriminatoire des dispositions litigieuses A.1.26. L'interprétation non conciliante emporte plusieurs discriminations.

Procès pénal et procès civil (première discrimination) A.1.27. Les dispositions en cause engendrent une discrimination entre le défendeur à l'action civile fondée sur une mort accidentelle et portée devant une juridiction civile, d'une part, et le prévenu, et le cas échéant la personne qui en est civilement responsable, ainsi que leur assureur, contre lesquels, outre l'action publique dirigée contre le prévenu lui-même, cette même action civile est dirigée devant une juridiction répressive (d'instruction puis de jugement), d'autre part.

Les seconds sont en effet privés du droit de participer à la recherche et à la manifestation de la vérité judiciaire et disposent de moyens d'investigation plus faibles et moins efficaces que le premier, alors qu'ils sont exposés à des poursuites pénales et donc à un jugement de nature à porter atteinte à leur honneur et à leur liberté. Dans un cas comme dans l'autre, il n'existe évidemment aucune différence entre la valeur probante d'un rapport établi contradictoirement par l'expert désigné en matière civile et celle du rapport établi unilatéralement : l'un et l'autre ne lient nullement le juge et n'ont dès lors qu'une valeur d'avis mais l'opinion de l'expert exerce souvent une incidence déterminante sur l'opinion du juge.

La jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle « lorsqu'une expertise n'a pas été faite conformément à des règles qui ne sont pas prescrites à peine de nullité, il ne peut s'en déduire que la cause n'a pas été entendue équitablement, alors que les parties ont été en mesure, devant la juridiction appelée à statuer au fond, de contester le rapport d'expertise, non seulement quant aux irrégularités alléguées, mais quant aux constatations et aux conclusions de l'expert » est un tempérament qui ne suffit pas à faire disparaître la discrimination en cause car il est d'ordre purement théorique et formel.

En effet, d'une part, l'exercice, par le prévenu, de son droit de contester à l'audience un rapport d'expertise réalisé non contradictoirement peut, chaque fois que la contradiction ne peut être différée (disparition des données et pièces sur lesquelles est fondée l'expertise, autopsie), s'avérer impossible. D'autre part, le caractère théorique et formel de l'argumentation de la jurisprudence traditionnelle résulte de manière plus générale du fait que cette argumentation laisse subsister la discrimination que subissent le prévenu, le civilement responsable et leur assureur sur le plan de l'intime conviction du juge. En effet, même s'il leur est théoriquement loisible de critiquer le rapport de l'expert à l'audience, il reste que ce rapport aura précédé la formulation des critiques et sera soumis au juge dans sa seule version initiale, c'est-à-dire vierge de toute critique. Cette situation a été fustigée à la fois par la Cour européenne des droits de l'homme (arrêt du 18 mars 1997) et par l'arrêt n° 24/97.

A.1.28. L'interprétation des dispositions en cause par la jurisprudence traditionnelle aboutit à une seconde discrimination, qui résulte d'une comparaison des coûts. Le coût d'une contre-expertise que le prévenu doit supporter pour tenter de rétablir la contradiction, à supposer que la nature de l'expertise le permette - quod non en l'espèce -, est systématiquement plus élevé que le coût de la participation à une expertise judiciaire, contradictoire ab initio.

L'arrêt rendu par la Cour le 21 mars 1995 a censuré, en matière de prescription, une discrimination qui, comme en l'espèce, existait entre les parties à l'action civile née d'une infraction et les parties à l'action civile fondée sur une faute non constitutive d'infraction, et qui en outre, toujours comme en l'espèce, présentait un caractère paradoxal. Cette discrimination dénoncée par la Cour au profit des victimes de faits qualifiés d'infractions doit, mutatis mutandis et par identité de motifs, être dénoncée, cette fois en matière d'expertise et au profit des auteurs des mêmes faits. On observera d'ailleurs que cette discrimination est susceptible de se produire au détriment du demandeur à l'action civile portée devant la juridiction répressive, dans l'hypothèse où un rapport d'expertise non contradictoire exclurait la relation causale entre la faute et le décès de la victime, et qu'elle a été censurée par la Cour dans son arrêt n° 24/97, pour l'expertise ordonnée en phase de jugement.

Expertise pénale en phase préliminaire et expertise pénale en phase de jugement (deuxième discrimination) A.1.29. Le prévenu qui fait l'objet de poursuites pénales reposant sur un dossier ne comportant pas d'expertise judiciaire, mais dans lequel la juridiction de jugement ordonne une expertise préalable au jugement sur l'action publique, bénéficie de la contradiction (arrêt n° 24/97), alors que le même prévenu, par hypothèse poursuivi pour des faits identiques, mais confronté à une expertise portant sur ces mêmes faits et ordonnée dans la phase préliminaire du procès pénal, ne bénéficierait pas de ce même caractère contradictoire et ce, sans exception ni recours juridictionnel.

Cette discrimination, liée à une circonstance fortuite, n'est pas justifiable. A supposer qu'il soit objecté que, dans la phase préliminaire, l'identité des parties concernées (futur prévenu, future partie civile) peut ne pas être connue, ou qu'en phase d'instruction, le secret s'imposerait comme condition d'efficacité de cette instruction, l'on répliquera que ces hypothèses peuvent certes être envisagées, mais uniquement comme des exceptions à ce qui est ou devrait être la règle, à savoir la contradiction des expertises. L'on pourrait ainsi concevoir qu'en désignant un expert dans la phase préparatoire, le procureur du Roi ou le juge d'instruction décident, en le motivant, que la contradiction est soit impossible soit nuisible à la bonne marche de l'instruction.

Partie publique et partie privée au procès pénal (troisième discrimination) A.1.30. Partie à l'instance répressive au même titre que le prévenu ou la partie civile, le ministère public est favorisé d'une manière qui ne peut être justifiée au regard de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme puisqu'il décide seul d'ordonner l'expertise; il choisit seul l'identité du ou des experts; il apprécie et libelle unilatéralement la mission d'expertise; il prend connaissance, étape après étape, des actes accomplis par l'expert; il peut, seul, inviter l'expert à répondre à des questions complémentaires (que lui seul peut poser et formuler).

Partie à l'expertise régie par le droit commun de la procédure pénale et partie à l'expertise régie par le droit spécial de la procédure pénale (quatrième discrimination) A.1.31. Les dispositions rappelées sous A.1.21 s'écartent systématiquement de l'interprétation donnée par la jurisprudence traditionnelle. Aucun motif ne justifie cette différence de traitement; de plus, l'existence même du principe du contradictoire démontre que celui-ci est, de la volonté du législateur, pratiquement applicable, ce qui démontre l'inanité de la thèse contraire. Or, les difficultés pratiques sont, par exemple, les mêmes lorsqu'il s'agit d'infractions d'ordre sexuel donnant lieu à une exploration corporelle : les difficultés d'identification de l'auteur peuvent être les mêmes, le risque d'une interférence préjudiciable au résultat de l'expertise peut être le même, etc.

A.1.32. Ces quatre comparaisons montrent que l'absence d'exception ou de recours juridictionnel rend la règle discriminatoire et l'enseignement de l'arrêt rendu par la Cour le 18 juillet 1997 (n° 54/97, concernant l'accès de la victime au dossier répressif) devrait inspirer la réponse aux présentes questions préjudicielles. L'arrêt, qui porte comme celles-ci sur des règles qui, dans la matière qu'elles régissent, sont traditionnellement regardées comme étant des illustrations du caractère prétendument unilatéral et secret de l'instruction préparatoire, condamne lesdites règles, non pour leur principe, mais pour leur rigidité ainsi que pour l'absence de contrôle juridictionnel sur ses applications.

A.1.33. La contradiction que les exposantes entendent voir consacrer dans le déroulement de l'expertise ordonnée dans la phase préliminaire du procès pénal ne devrait pas nécessairement être absolue. Un système souple et nuancé paraît s'imposer, soit de lege lata, si l'on privilégie l'interprétation conciliante des dispositions litigieuses, soit de lege ferenda si l'on retient l'interprétation dite traditionnelle de ces dispositions.

Les exemples du droit comparé montrent que le déroulement contradictoire de l'expertise pénale n'est nullement impraticable; ils devraient inspirer le droit belge pour qu'il y soit considéré qu'en principe, l'expertise pénale ordonnée en phase préliminaire se déroule de manière contradictoire (ce qui imposerait en particulier au magistrat du ministère public ou au juge d'instruction qui l'a ordonnée d'inviter, comme en matière civile, l'expert à convoquer et entendre les parties dès le début de sa mission, à recueillir leurs dires et réquisitions, et ensuite à leur communiquer ses constatations et de recueillir leurs observations avant de libeller ses conclusions) et que ce ne serait qu'en raison de circonstances exceptionnelles (par exemple, lorsque la stratégie de l'enquête serait menacée par la contradiction, lorsque l'urgence le justifie, lorsque l'enquête n'a pas encore permis d'identifier avec suffisamment de certitude les personnes qui pourraient être concernées) que ledit magistrat pourrait s'écarter du principe, aux termes d'une décision motivée, susceptible, dans tous les cas, de faire l'objet d'une censure juridictionnelle a posteriori.

Tout comme le juge civil, le juge pénal devrait évidemment, par définition, agir avec souplesse dans la mise en oeuvre de la sanction s'attachant au non-respect de la contradiction dans le déroulement de l'expertise ordonnée en cours d'information ou d'instruction.

Mémoire de G. Ledent (affaire portant le numéro 1252 du rôle) A.1.34. La faute d'omission, pour laquelle des poursuites ont été engagées, n'est pas de celles qui peuvent se rencontrer au quotidien, mais relève d'un art, en l'occurrence de l'art de guérir; le principe général de la contradiction de l'expertise doit dès lors être respecté et ce, d'autant plus que l'appréciation de cette faute d'omission se fait de la même manière, que l'action soit menée devant une juridiction répressive ou devant une juridiction civile.

Mémoire de R. Thomas (affaire portant le numéro 1276 du rôle) A.1.35. La reformulation et la rectification éventuelles des questions préjudicielles sont laissées à la sagesse de la Cour.

A.1.36. Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative à l'article 6.1 de la Convention - qui s'applique dès avant la saisine du juge du fond (arrêt du 24 novembre 1993) - que chaque partie doit en principe avoir la faculté non seulement de faire connaître les éléments qui sont nécessaires au succès de ses prétentions, mais aussi de prendre connaissance et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge en vue d'influencer sa décision et que le respect du caractère contradictoire d'une procédure implique, lorsque le tribunal ordonne une expertise, la possibilité pour les parties de contester devant l'expert les éléments pris en compte par celui-ci pour l'accomplissement de sa mission (arrêt du 18 mars 1997).Dans ces conditions, et dans la foulée de son arrêt n° 24/97, la Cour ne peut que répondre affirmativement à la question préjudicielle.

Mémoires du Conseil des ministres (affaire portant le numéro 1136 du rôle et affaires portant les numéros 1203, 1252 et 1276 du rôle) A.2.1. Même sans dispositions légales relatives à l'information, il est admis que le procureur du Roi ou ses auxiliaires puissent prendre des renseignements au sujet des faits dénoncés ou portés à leur connaissance (afin d'en préciser la nature, de déterminer la direction à donner à l'action publique ou de permettre de saisir la juridiction répressive par voie de citation directe) ou requérir un expert qui sera alors conseiller technique du ministère public et qui ne devra pas prêter serment. Quant au juge d'instruction, c'est de l'article 43 du Code d'instruction criminelle qu'il a été déduit qu'il pouvait désigner un expert.

A.2.2. Ces expertises - ou avis techniques - ne sont pas soumises aux règles de la contradiction, le Code d'instruction criminelle ne les imposant pas à l'expert désigné par le procureur du Roi. L'article 2 du Code judiciaire ne les rend pas davantage applicables, étant donné que la procédure civile ne connaît pas de phase préliminaire telle que l'information dans la procédure pénale. Enfin, l'arrêt n° 24/97 de la Cour est limité à l'expertise ordonnée par le juge pénal en sa qualité de juge du fond.

Enfin, la Cour de cassation décide que l'absence de caractère contradictoire d'une expertise pénale n'implique pas que la cause n'a pas été entendue équitablement et, dans un arrêt du 18 mars 1997, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que le respect du contradictoire vise l'instance devant un « tribunal » et qu'il ne peut être déduit de l'article 6.1 de la Convention un principe général et abstrait selon lequel, lorsqu'un expert a été désigné par un tribunal, les parties doivent avoir dans tous les cas la faculté d'assister aux entretiens conduits par le premier ou de recevoir communication des pièces qu'il a prises en compte, l'essentiel étant que les parties puissent participer de manière adéquate à la procédure devant le « tribunal ».

A.2.3. Il n'existe pas de différence de traitement entre l'expertise unilatérale de la procédure pénale, tel l'avis technique demandé par le procureur du Roi ou par le juge d'instruction, et celle de la procédure civile. En effet, l'équivalent en droit civil de l'avis technique demandé unilatéralement par le procureur du Roi dans le cours de l'information ou de l'instruction est l'expertise privée, laquelle, en général, n'est pas demandée pour faire preuve mais pour l'information de celui qui la demande; cet avis n'est, en principe, pas opposable à ceux qui n'y furent pas parties mais, comme toute expertise (contradictoire ou unilatérale), il a sa valeur intrinsèque propre que le juge ou les parties peuvent apprécier. La Cour de cassation a admis que l'expertise unilatérale peut valoir à titre de présomption, en raison des circonstances dans lesquelles elle a été établie. Il en va de même de l'avis technique, demandé par le procureur du Roi ou par le juge d'instruction, qui n'est qu'une expertise unilatérale.

A.2.4. En ordre subsidiaire, il y a lieu d'examiner la différence de traitement entre l'avis demandé par le ministère public ou par le juge d'instruction, d'une part, et l'expertise ordonnée par un juge civil ou pénal agissant en qualité de juge du fond, d'autre part. Cette différence repose sur un critère objectif car il existe une différence fondamentale entre la phase préparatoire du procès pénal - qu'il s'agisse d'une information ou d'une instruction répressive - et la phase du procès pénal devant les juridictions de fond. Tant l'information que l'instruction se déroulent avant qu'une juridiction de fond doive se prononcer sur la culpabilité des inculpés.

A.2.5. Cette différence de traitement est raisonnablement justifiée, car il est unanimement admis que la phase préparatoire du procès pénal est de type inquisitorial : elle se caractérise notamment par la règle du secret de l'enquête, tant vis-à-vis de l'inculpé que de la partie civile et de tout tiers en général, qui est établie dans un but d'intérêt général.

Le secret de l'information et de l'instruction, ne pouvant être considéré comme un but en soi, est justifié par la nécessité de protéger la présomption d'innocence et la réputation de l'inculpé et des tiers, d'une part, et celle d'assurer l'efficacité dans la recherche de la vérité en évitant de renseigner les coupables sur la marche de l'instruction, d'autre part. Il y a lieu de souligner que les inculpés et les tiers ne sont pas soumis au prescrit de l'article 458 du Code pénal, qui protège le secret professionnel, et ainsi, plus spécialement, le secret de l'instruction.

Le principe de la non-contradiction a été introduit pour les mêmes motifs que le secret de l'enquête puisqu'il en est le corollaire.

Il ressort du projet Franchimont, déjà approuvé par le Gouvernement et par la Chambre des représentants, qu'il ne faut pas mettre en cause les principes du secret et de la non-contradiction de l'information, mais les codifier afin d'améliorer la sécurité juridique et d'assurer un bon déroulement de la phase préparatoire du procès pénal.

A.2.6. Un avis technique qui est demandé par le ministère public ou par le juge d'instruction et auquel aucune disposition n'impose le principe de la contradiction n'est d'aucune façon obligatoire pour le juge pénal agissant en qualité de juge du fond. Ainsi, l'article 986 du Code judiciaire concernant les expertises ordonnées par le juge du fond en matière civile reconnaît que les juges ne sont pas obligés de suivre l'avis des experts si cet avis est contraire à leur opinion. A fortiori, ce principe s'applique aux expertises non contradictoires effectuées à la demande d'une des parties dans une phase préliminaire au procès, telle que l'expertise ordonnée par le procureur du Roi dans le cours de l'information pénale ou par le juge d'instruction lors de l'instruction judiciaire.

De plus, les principes de libre appréciation de la preuve et de l'appréciation souveraine d'une expertise, qui sont la règle en droit pénal, s'appliquent a fortiori à l'avis technique demandé par le procureur du Roi dans le cours de l'information pénale.

A.2.7. Il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés, à savoir la non-contradiction d'un avis technique ordonné par le procureur du Roi ou par le juge d'instruction et le principe de la libre appréciation de la preuve par le juge du fond, et les buts visés, à savoir les principes du secret et de la non-contradiction de l'information afin de garantir tant l'efficacité de la recherche de la vérité que la présomption d'innocence.

Le projet de loi relatif à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction, issu du rapport de la Commission Franchimont, ne prévoit pas l'introduction de l'information contradictoire. Attribuer le caractère contradictoire à l'information ou l'instruction criminelle serait cependant une réforme profonde et radicale qui ne pourrait être imposée, à défaut d'une violation de la Constitution, que par le législateur.

Mémoire en réponse de J.-M. Defrère (affaire portant le numéro 1136 du rôle) A.3.1. Garanti par l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, le droit au procès équitable, en ce compris le respect des droits de la défense, le principe de l'égalité des armes et le principe du contradictoire, doit être respecté au cours de la phase préparatoire au jugement en matière pénale, quelle que soit la nature de cette phase préliminaire.

A de multiples reprises, la Commission européenne des droits de l'homme s'est prononcée sans équivoque pour l'applicabilité de l'article 6 dès avant la saisine du juge du fond et la Cour européenne elle-même a jugé qu'un certain nombre de garanties prévues aux articles 6.1 et 6.3 sont applicables au stade préalable au renvoi en jugement : ainsi en fut-il du droit de toute personne d'être informée le plus rapidement possible de la nature et de la cause de l'accusation portée contre elle, du droit de l'accusé de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge et à décharge, et d'avoir l'assistance, au besoin gratuite, d'un avocat.

Dans son arrêt Imbroscia c/ Suisse du 24 novembre 1993 (série A, n° 275), la Cour observe que certes l'article 6 de la Convention a pour finalité principale, au pénal, d'assurer un procès équitable devant un « tribunal » compétent pour décider du « bien-fondé de l'accusation », mais qu'il n'en résulte pourtant pas que cette disposition soit étrangère aux phases qui se déroulent avant la procédure de jugement et que « les exigences de l'article 6, notamment dans son paragraphe 3, peuvent aussi jouer un rôle avant la saisine du juge du fond si et dans la mesure où leur inobservation risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès.... Il échet de prendre en compte l'ensemble des procédures internes dans l'affaire considérée ».

La Cour de cassation s'est elle-même rangée à cette jurisprudence dans des arrêts des 15 janvier 1991 et 6 mai 1993 en décidant que si le droit à un procès équitable a été violé au cours de l'instruction préparatoire, il appartient au juge d'apprécier, « dans la mesure où l'exercice de ces droits est conciliable avec les règles de l'instruction prévues par la loi », si cette violation aurait rendu impossible un procès équitable devant les juridictions de jugement.

A.3.2. Le Tribunal de Marche-en-Famenne puis la Cour d'appel de Liège ont appliqué cette jurisprudence à l'expertise pénale ordonnée au stade de l'instruction en estimant que celle-ci, fondée essentiellement sur celle-là, avait rendu impossible un procès équitable.

La Cour européenne des droits de l'homme a encore décidé, certes à propos d'une procédure relative à des intérêts civils, que l'article 6 de la Convention était violé lorsque les parties plaignantes n'avaient pas eu la possibilité de commenter efficacement l'élément de preuve essentiel alors que, eu égard au domaine technique échappant à la connaissance des juges et faisant l'objet de l'expertise (celle-ci étant effectuée en dehors de toute contradiction), la question à laquelle l'expert devait répondre se confondait avec celle que devait trancher le tribunal (Cour eur.D.H., 18 mars 1997, J.T. 1997).

A.3.3. L'arrêt n° 24/97 de la Cour d'arbitrage ne porte pas sur la phase préliminaire au procès pénal. Mais la jurisprudence considérant que les garanties du procès équitable (en ce compris la contradiction dans une expertise) s'appliquent aussi à cette phase, la différence de traitement - résultant désormais du caractère absolument non contradictoire de l'expertise diligentée au cours de la phase préparatoire au jugement pénal, par opposition au caractère contradictoire des expertises ordonnées par le juge pénal en sa qualité de juge du fond - ne peut être raisonnablement justifiée par la seule circonstance que l'on ne se trouve pas devant une juridiction appelée à juger du bien-fondé d'une accusation pénale.

A.3.4. Il convient, comme la Cour l'a fait dans l'arrêt n° 24/97, d'examiner s'il n'existe pas des dispositions législatives ou des principes de droit qui excluraient tout caractère contradictoire de l'expertise diligentée au cours de la phase préparatoire.

Les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle ne prescrivent certes pas le respect du principe du contradictoire; ils ne l'interdisent pas non plus. Quant aux principes généraux du droit répressif, il s'agit du secret de l'instruction et de son corollaire, la non-contradiction elle-même.

Le secret de l'instruction n'est pas une fin en soi : il est fondé, d'une part, sur le respect de la présomption d'innocence, qui ne peut cependant lui servir de justification s'il va à l'encontre des garanties octroyées par la Convention européenne des droits de l'homme : il doit perdre son caractère absolu lorsque l'accusation, entendue en son sens autonome et matériel, prend forme à l'égard de la personne; d'autre part, sur la nécessaire efficacité dans la recherche de la vérité; or, le caractère secret et unilatéral de l'instruction prive l'enquête des observations de l'inculpé qui pourraient orienter celle-ci sur le chemin de la vérité.

Il faut d'ailleurs observer que le souci d'éviter la déperdition ou l'altération des éléments de preuve ne peut justifier le caractère non contradictoire de l'expertise puisque d'autres mesures, telles la saisie de documents voire, dans des cas extrêmes, la détention préventive, peuvent être prises, mesures qui permettent de viser ce but sans porter atteinte aux droits de la personne concernée.

A.3.5. L'on ne peut ainsi nier les effets induits de l'absence de caractère contradictoire de l'expertise pénale sur le plan des droits de la défense. L'argumentation selon laquelle le travail mené sur réquisition du ministère public serait un simple avis technique, assimilable à une expertise privée unilatérale, ne peut à cet égard être suivie car ce raisonnement perd manifestement de vue que cet « avis », par essence technique, répondra bien souvent aux questions que le juge sera amené à trancher ultérieurement, soit au cours de l'instruction, soit au stade de la procédure, et constituera dès lors un élément de preuve essentiel.

C'est donc l'efficacité dans la recherche de la vérité qui ne sera pas servie; le juge du fond devra en effet écarter des débats toute preuve qui a été obtenue de manière illégale ou déloyale, en violation des droits de la personne et des droits de la défense et déclarer irrecevables les poursuites pénales dès lors que la violation constatée a vicié de manière irrémédiable la procédure et rendu impossible un procès équitable.

L'applicabilité des exigences de l'article 6.1 de la Convention dès la phase préliminaire au jugement - et partant leur contrôle par les juridictions d'instruction - est d'autant plus souhaitable qu'elle protégerait ainsi l'action publique du risque majeur de se voir par la suite mise à néant : les irrégularités ou nullités affectant les éléments de preuve pourraient en effet être soulevées à un moment où il sera peut-être possible de suppléer aux conséquences de l'irrégularité. Le souci de respecter les droits de la défense et d'assurer une efficacité accrue à l'expertise ont amené nombre de législations étrangères à introduire des éléments de contradiction dans le déroulement de l'expertise pénale.

L'absence totale de contradiction dans le déroulement de l'expertise ordonnée au stade de l'information ou de l'instruction, ou à tout le moins le défaut de communication aux parties concernées des résultats de l'expertise, porte atteinte aux droits de la défense et à un procès équitable qui leur sont garantis à ce stade de la procédure, dans une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs poursuivis.

Mémoire en réponse de Ping-Ying Chu (affaire portant le numéro 1203 du rôle) et de C. Mattaigne et autres (affaire portant le numéro 1252 du rôle) A.3.6. L'argument du Conseil des ministres selon lequel les procédures civile et pénale sont à ce point différentes que l'idée même d'une tentative d'application des règles de l'expertise civile à l'expertise pénale, au départ de l'article 2 du Code judiciaire doit être rejetée ne peut être suivi, car il est évident qu'indépendamment de la réponse que l'on y apporte in fine, toute question relative à la transposition d'une règle de la procédure civile (en l'espèce les dispositions régissant le déroulement contradictoire de l'expertise) en matière pénale doit être menée au départ de l'article 2 du Code judiciaire.

A.3.7. Le Conseil des ministres et les parties Coppin et autres paraissent ignorer, dans une large mesure, l'évolution que l'on constate quant à la question de savoir si l'expertise pénale doit ou non être contradictoire; elle est pourtant telle qu'il n'est plus possible d'admettre que la prétendue règle de l'absence de contradiction est suffisamment certaine et acceptée pour être élevée au rang de principe général de droit permettant d'exclure l'application de l'article 2 du Code judiciaire. Les professeurs Franchimont et Traest appellent également à une plus grande contradiction, ce qui annonce la solution qui sera donnée par la Commission pour la réforme de la procédure pénale, dont les travaux - dans leur deuxième phase - n'ont pas encore fait l'objet d'une publication.

En effet, comme l'indique le Conseil des ministres, c'est bien sous réserve des « exceptions prévues par la loi » que les articles 28quinquies, § 1er, et 57, § 1er, du projet déjà voté au Sénat et à la Chambre prescrivent respectivement que « l'information est secrète » et que « l'instruction est secrète ».

A l'évidence, les futures dispositions, annoncées par M. Franchimont comme instaurant la contradiction au sein de l'expertise pénale, devront être regardées comme des « exceptions » au secret de l'information et de l'instruction.

A.3.8. Contrairement à ce qu'affirment les parties Coppin et autres, selon lesquelles la règle de l'expertise non contradictoire au stade de l'instruction préparatoire vaut aussi bien pour l'inculpé que pour la partie civile et le ministère public, il existe une différence de traitement entre les parties qui sont en cause dans la procédure pénale elle-même puisque le ministère public est favorisé par rapport au prévenu et à la partie civile : il décide seul d'ordonner l'expertise; il choisit seul l'identité du ou des experts; il apprécie et libelle unilatéralement la mission d'expertise; il prend connaissance, étape par étape, des actes accomplis par l'expert; il peut, seul, inviter l'expert à répondre à des questions complémentaires (que lui seul peut poser et formuler).

A.3.9. La seule autre différence de traitement envisagée par le Conseil des ministres et les parties Coppin et autres étant celle existant entre parties au procès pénal et parties au procès civil, il y a lieu de répondre aux arguments qu'ils font valoir, sans qu'il soit besoin de revenir sur les éléments exposés dans le mémoire à propos des autres différences de traitement.

A.3.10. La situation des parties à l'instance civile et des parties à l'instance pénale est éminemment comparable puisqu'il s'agit d'éclairer le magistrat sur une faute, sur un préjudice et sur le lien de causalité entre l'une et l'autre et ce, par le biais de l'avis d'un expert qui ne lie pas le magistrat mais qui, suivant la pratique, présente une incidence importante.

Il existe par ailleurs bel et bien dans la procédure civile un équivalent à l'instruction préparatoire du procès pénal : en effet, dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler la « mise en état de la cause », les parties, à l'instar du ministère public en matière pénale, récoltent effectivement les preuves qu'elles entendent avancer à l'appui de leurs thèses. Ensuite, la juridiction saisie ordonne, s'il y a lieu, une mesure d'instruction (par exemple une expertise) aux fins de se faire éclairer sur le fond du litige. A l'issue de ces deux premières étapes, que l'on peut regrouper au sein de la phase d'instruction du litige, le juge statue au fond dans le cadre d'un débat contradictoire. Ce cheminement est très comparable au déroulement (en deux phases) du procès pénal.

Une partie à l'instance civile peut certes produire, unilatéralement, une expertise. Mais l'autre peut invoquer la violation des droits de défense pour la faire écarter par le juge. Cette possibilité n'est pas offerte aux parties au procès pénal.

A.3.11. L'expertise civile dite « privée » et l'expertise ordonnée dans la phase préliminaire du procès pénal sont certes l'une et l'autre unilatérales. Mais, contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, l'expertise pénale n'est pas destinée qu'à l'information du juge d'instruction ou du ministère public : elle est destinée à révéler la vérité de telle sorte que, dans cette mesure, l'avis de l'expert fera preuve à l'égard du prévenu et sera dès lors « opposable » aux parties.

La différence fondamentale entre parties à l'instance civile et parties à l'instance pénale est accentuée, d'une part, par la position privilégiée qu'occupent ainsi le parquet et le juge d'instruction (laquelle rend les considérations qu'ils déduisent du rapport d'expertise infiniment plus crédibles que les considérations que les parties à l'instance civile prétendent déduire de l'avis qu'elles ont fait établir unilatéralement par leur propre expert), d'autre part, par la circonstance que les parties qui, dans le cadre d'une instance civile, se sont fait remettre un rapport d'expertise « privée » disposent toujours, par ailleurs, de la faculté de demander une expertise pleinement contradictoire ou, selon le cas, d'y participer.

Rien de tel n'existe dans l'instance pénale, même si le juge du fond désigne ultérieurement un expert : en effet, les choix, les tris, les destructions, les constats, décidés unilatéralement par l'expert désigné par le parquet ou par le juge d'instruction, orientent de manière irrémédiable les démarches que pourrait accomplir contradictoirement l'expert ultérieurement désigné par le juge du fond.

A.3.12. L'absence totale de contradiction est un moyen hors de toute proportion avec le but poursuivi. Cette disproportion et les conséquences discriminatoires qu'elle engendre résultent essentiellement du caractère général, abstrait et absolu de l'interprétation traditionnelle des règles litigieuses, de même que de l'absence totale de recours juridictionnel contre les décisions qui, en vertu de cette interprétation, dispensent implicitement l'expert qu'elles désignent d'observer les règles de la contradiction.

La recherche, à laquelle le Conseil des ministres ainsi que les parties Coppin et autres prétendent s'être livrés, d'un rapport de proportionnalité entre la fin et les moyens, de même que les considérations par lesquelles ces parties soutiennent que les exposantes raisonnent de lege ferenda s'avèrent faussées dès l'origine, par cela qu'elles comparent un régime dans lequel l'absence de contradiction est absolue avec un régime où cette contradiction serait absolue. Or, l'expertise pénale ne doit pas, on l'a dit, basculer d'un extrême à l'autre.

A.3.13. Les parties Coppin et autres cherchent à tort un argument dans l'arrêt n° 31/96. Cet arrêt considère que la discrimination invoquée en l'espèce procédait exclusivement de l'absence de toute norme législative applicable à la situation considérée (discrimination par omission). Or, en l'espèce, la discrimination dénoncée par les exposantes résulte non pas de l'absence de toute norme législative, mais de l'interprétation donnée traditionnellement à des normes législatives existantes, lesquelles sont, au demeurant, visées dans les questions préjudicielles soumises à la Cour.

A.3.14. Cette technique de la discrimination par omission a été confirmée par l'arrêt n° 36/96 et a évolué dans l'arrêt n° 77/96.

En effet, si les deux premiers arrêts peuvent être lus comme une invitation faite au législateur à réparer la discrimination qui résulte d'une lacune de la loi, ce dernier arrêt - qui constate l'inconstitutionnalité d'une situation, et non d'une disposition ou d'une absence de disposition - laisse au juge a quo la liberté d'apprécier si l'inconstitutionnalité frappe directement les dispositions sur lesquelles portait la question préjudicielle, ou d'apprécier plus restrictivement si cette inconstitutionnalité sanctionne l'inaction du législateur, ce qui l'empêche, dans cette seconde interprétation, d'induire la moindre conséquence sur le fond de l'affaire. A supposer dès lors que la Cour estime devoir en faire application en l'espèce, cette technique de la « discrimination par omission » devrait être appliquée dans le dernier état de son évolution (arrêt n° 77/96). Mais en l'espèce, il n'y a pas lieu d'appliquer ladite technique (qui n'a d'ailleurs pas été appliquée dans l'arrêt n° 24/97) dans la mesure où les discriminations invoquées ne procèdent pas d'une quelconque carence du législateur, mais bien de l'interprétation dont font traditionnellement l'objet des dispositions existantes.

A.3.15. Les parties Coppin et autres invitent la Cour, en ordre subsidiaire, à « limiter les effets de l'arrêt à intervenir aux expertises ordonnées dans le cadre de l'instruction pénale préparatoire postérieurement à sa publication au Moniteur belge » et paraissent l'inviter à dire pour droit que son arrêt ne s'appliquera pas, en particulier, au litige auquel elles sont parties devant la sixième chambre du Tribunal correctionnel de Nivelles. L'article 28 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage exclut en effet radicalement que la Cour, après avoir par hypothèse répondu aux questions préjudicielles qui lui sont posées, décide que son arrêt ne s'imposera pas aux juridictions qui les lui ont posées.

Sans doute la Cour pourrait-elle décider, sur la base d'une évolution de sa jurisprudence relative à l'article 8, alinéa 2, de sa loi organique, que son arrêt serait, exceptionnellement, sans application à certaines situations juridiques accomplies avant son prononcé.

Ce qui doit être exceptionnel lorsque la Cour censure une norme inconstitutionnelle, par la voie d'un arrêt préjudiciel, doit l'être davantage, voire totalement exclu, lorsque la Cour consacre la constitutionnalité d'une norme aux termes d'une interprétation conciliante. Dans ce cas, le constat de constitutionnalité doit normalement produire ses effets à l'égard de la norme elle-même, et donc, ratione temporis, depuis son entrée en vigueur. En décider autrement reviendrait à priver injustement les citoyens du bénéfice du jugement de constitutionnalité résultant d'un arrêt préjudiciel.

Sans doute l'arrêt est-il susceptible de provoquer un trouble dans l'ordonnancement juridique, là où les juges auraient consacré l'interprétation contestable des dispositions en cause. Mais il serait profondément injuste de priver les parties civiles ou les prévenus de la faculté d'invoquer dans la phase d'instruction - et pour elles la première fois - l'irrégularité de rapports d'expertise contradictoires.

En décider autrement reviendrait à imposer à des juges de choisir, entre les deux interprétations possibles des règles litigieuses, l'interprétation inconstitutionnelle censurée par la Cour plutôt que l'interprétation conciliante consacrée par elle et, par suite, de considérer que la Cour ne peut se substituer à eux pour leur imposer de choisir, pour de prétendues raisons de sécurité juridique, une interprétation que la Cour aurait elle-même censurée.

Une chose est, dans certains cas exceptionnels, de décider qu'un jugement d'inconstitutionnalité, impliquant la censure d'une règle de droit matériel, ne s'appliquera pas à certaines situations, et que celles-ci demeureront régies par la norme censurée, telle qu'elle était applicable à l'époque où ces situations se sont accomplies. Une autre chose serait assurément de décider qu'un jugement de constitutionnalité (résultant d'une interprétation conciliante) ne s'appliquerait pas au passé, et de décider en conséquence que l'application de la norme, assortie de l'interprétation qui la rendrait inconstitutionnelle, s'imposerait aux juges.

Il y a lieu, enfin, de tenir compte de ce que l'innovation résultant de l'arrêt attendu serait relative puisque le mouvement législatif, doctrinal et jurisprudentiel tendant à la consécration du principe du contradictoire en matière pénale n'est pas neuf.

Mémoire en réponse de J. Coppin et autres (affaire portant le numéro 1252 du rôle) A.3.16. Il est souscrit à l'argumentation principale du Conseil des ministres : la différence de traitement est inexistante puisque l'action devant le juge civil est précédée par une instruction « privée », unilatérale du demandeur et qu'il en va de même lors de l'instruction pénale, à cette différence près que la recherche et la répression des infractions intéressent la société dans son ensemble.

Dans les deux cas, c'est au juge du fond qu'il appartiendra d'apprécier la valeur probante des rapports d'expertise.

A.3.17. Contrairement à ce que soutiennent les parties Mattaigne et autres, il existe bien une disposition légale non expressément abrogée (l'article 458 du Code pénal qui, en interdisant à l'expert désigné par un juge d'instruction de violer le caractère secret de l'instruction, s'oppose à ce que ce type d'expertise ait obligatoirement un caractère contradictoire) au sens de l'article 2 du Code judiciaire, qui permet d'exclure toute application aux expertises ordonnées dans la phase préliminaire du procès pénal des règles du Code judiciaire régissant la contradiction dans le déroulement de l'expertise ordonnée en matière civile.

De même, le principe en vertu duquel l'instruction préparatoire est secrète et unilatérale constitue un principe de droit au sens de l'article 2 du Code judiciaire qui fait échec à l'application des articles 972, 973 et 978 de ce même Code aux expertises ordonnées par un juge d'instruction. Les travaux préparatoires de l'article 2 du Code judiciaire montrent que le législateur n'a pas entendu mettre en cause le caractère fondamentalement inquisitoire de la phase préparatoire du procès pénal, ce caractère étant assurément un principe directeur qui gouverne l'action publique.

Il importe peu que le principe en vertu duquel l'instruction pénale préparatoire est secrète et non contradictoire soit classé parmi les « principes généraux du droit belge » (qui ne s'identifient pas, dans le sens où les entend la théorie générale du droit, aux « principes généraux de droit », lesquels ont une portée plus large et désignent toutes les règles de droit qui ne sont pas consacrées directement par un texte, régissent une catégorie d'actes ou de faits et ont un contenu suffisamment précis pour évacuer la règle concurrente et supplétive de droit judiciaire). Ce qui compte, c'est de reconnaître qu'il y a là une règle de droit non consacrée directement par un texte et dont l'application n'est pas compatible avec certaines dispositions du Code judiciaire, ce qui est manifestement le cas.

Au demeurant, le principe selon lequel l'instruction préparatoire est secrète et inquisitoriale constitue un principe général du droit de la procédure pénale.

A.3.18. L'interprétation « traditionnelle » de la Cour de cassation n'est, au stade de la procédure préparatoire du procès pénal, ni rigide, ni absolue : elle n'exclut pas toute forme de contradiction de l'expertise ordonnée à ce stade.

En proposant que l'expertise se déroule de manière contradictoire sauf dans les cas où, par une décision motivée de nature juridictionnelle (et donc susceptible de recours), il serait décidé que les besoins et les spécificités de l'enquête excluent la contradiction, en tout ou en partie et pour un temps déterminé, les parties Mattaigne et autres semblent perdre de vue qu'obliger le parquet ou le juge d'instruction à motiver une dérogation au principe qu'elles suggèrent revient en réalité à demander au parquet ou au juge d'instruction de révéler à l'inculpé des motifs que le bon déroulement et l'efficacité de l'enquête répressive commandent précisément de garder secrets.

Mémoire en réponse du Conseil des ministres (affaire portant le numéro 1136 du rôle) A.4.1. Contrairement à celle qui fait l'objet de l'arrêt n° 24/97, la question préjudicielle posée ici porte sur le caractère contradictoire de l'expertise ordonnée, non par le juge pénal en sa qualité de juge du fond mais par le procureur du Roi dans le cours de l'information pénale. La différence de traitement entre phase préparatoire et procès pénal sensu stricto repose sur un critère objectif (A.2.4) et il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés (à savoir la non-contradiction d'un avis technique ordonné par le procureur du Roi et le principe de la libre appréciation de la preuve par le juge du fond) et les buts visés (à savoir les principes du secret et de la non-contradiction de l'information) afin de garantir tant l'efficacité de la recherche de la vérité que la présomption d'innocence.

A.4.2. Les droits de défense n'ont pas été violés, l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne s'appliquant pas au stade de l'information et l'avis technique demandé par le procureur du Roi devant être considéré comme une expertise unilatérale. De plus, le juge du fond apprécie souverainement l'autorité d'un rapport d'expertise et aucune disposition législative n'empêche l'inculpé de demander au juge d'instruction ou au juge du fond une expertise complémentaire.

A.4.3. Répondre affirmativement à la question posée impliquerait que les perquisitions, les auditions des témoins, les descentes sur les lieux et tous les autres actes d'information et d'instruction devraient dorénavant être contradictoires. Une telle réforme aurait des implications profondes et radicales pour les principes en cause, tels que la protection de la présomption d'innocence et l'efficacité dans la recherche de la vérité. Elle ne pourrait dès lors s'imposer, à défaut d'une violation de la Constitution, qu'après une réponse législative.

Par ailleurs, le projet de loi relatif à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction, issu du rapport de la Commission Franchimont, ne prévoit pas l'introduction de l'information contradictoire.

Mémoire en réponse du Conseil des ministres (affaires portant les numéros 1203, 1252 et 1276 du rôle) A.4.4. Le principe du contradictoire ne trouve pas à s'appliquer à l'expertise ordonnée dans la phase préparatoire du procès pénal (information et instruction), car celle-ci ne peut pas être qualifiée de « procédure » au sens de l'article 2 du Code judiciaire, faute de pouvoir être considérée comme une contestation des droits et obligations à caractère civil ou du bien-fondé d'une accusation en matière pénale.

A.4.5. A titre subsidiaire, l'article 458 du Code pénal et le principe général du secret de l'information et de l'instruction (qui sera consacré par les articles 28quinquies, § 1er, et 57, § 1er, du Code d'instruction criminelle lorsque le projet Franchimont aura été adopté) constituent les dispositions légales et les principes de droit, visés à l'article 2 du Code judiciaire, qui s'opposent à l'application du principe du contradictoire à l'expertise en question.

Les parties adverses critiquent certes la qualification de principe général du secret de l'instruction et de l'information mais pas celle des principes de l'efficacité dans la recherche de la vérité et de la protection de la présomption d'innocence.

A.4.6. L'argument tiré de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme par les parties Ping-Ying Chu, Mattaigne et autres et Thomas manque en fait puisque la Cour de cassation, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne, accepte qu'en cas de violation du droit à un procès équitable au cours de l'instruction préparatoire, dans la mesure où l'exercice de ce droit est conciliable avec les règles de l'instruction prévues par la loi, le juge apprécie si cette violation aurait rendu impossible un procès équitable devant les juridictions du fond. Rien n'empêche par ailleurs que l'expert communique une partie de son rapport aux parties afin d'obtenir d'elles certains renseignements.

A.4.7. Si, comme l'indiquent les parties Ping-Ying Chu et Mattaigne et autres, le manque de contradiction de l'expertise dans la phase préparatoire du procès pénal cause des problèmes de nature pratique, l'introduction du principe de la contradiction de cette expertise en causerait encore davantage, puisqu'elle aboutirait à dévoiler la stratégie et l'état d'avancement de l'enquête. Admettra-t-on que l'expertise ordonnée avant qu'il y ait un suspect soit inopposable à la personne qui serait inculpée à la suite de cette expertise ? Si le principe du contradictoire doit s'imposer à l'expertise, ne doit-il pas s'imposer aussi aux autres aspects de l'enquête ? Les problèmes pratiques évoqués par les parties adverses peuvent être limités si l'expert fait une distinction entre les constatations matérielles et son interprétation, s'il contacte les parties pour leur demander des informations, s'il est entendu à l'audience ou si une contre-expertise est demandée.

A.4.8. La discrimination (critiquée par les parties Ping-Ying Chu et Mattaigne et autres) entre le défendeur dans une action civile introduite devant une juridiction civile et le prévenu qui serait également défendeur dans une action introduite à son encontre devant une juridiction pénale est inexistante puisque l'arrêt n° 24/97 de la Cour a mis fin à la discrimination en cause.

A.4.9. La différence de traitement entre la partie publique, qui décide seule d'ordonner l'expertise et en détermine les modalités, et le prévenu, qui ne jouit pas de la contradiction concernant cette expertise au stade de l'enquête, est justifiée par la différence fondamentale entre le ministère public et l'inculpé, dont la Cour a déjà eu maintes fois à connaître. Les principes du droit à un procès équitable et de l'égalité des armes n'ont pas une portée telle qu'ils interdiraient toute différence de traitement entre ces parties.

A.4.10. La différence de traitement entre l'expertise commune et les expertises spéciales (exploration corporelle et expertise sanguine) repose sur une différence objective et est raisonnablement justifiée compte tenu du but et des effets de la mesure. Ces expertises spéciales concernent l'intégrité physique de la personne en cause, de sorte qu'il n'est pas possible de les réaliser sans la coopération de l'intéressé ou sans qu'il en ait connaissance. La nature même de ces expertises implique la contradiction, laquelle se limite à l'intéressé et ne s'étend pas à d'autres personnes, suspects ou parties civiles.

A.4.11. A titre subsidiaire, il y a lieu d'insister sur les caractéristiques de l'avis technique demandé par le ministère public qui, à la différence de l'expertise ordonnée par le juge d'instruction, n'est pas une expertise proprement dite, n'est soumis à aucune formalité, ne requiert aucune prestation de serment, peut se dérouler en présence du ministère public et est établi à la demande d'une partie au procès pénal - le ministère public - alors que le juge d'instruction est indépendant et impartial; ces différences justifient la distinction entre l'avis technique demandé par le premier et l'expertise ordonnée par le second. Si la Cour estimait que la contradiction doit s'imposer dans la phase préliminaire du procès pénal, elle devrait en limiter le principe à l'expertise ordonnée par le juge d'instruction. - B - B.1. Par ordonnance du 29 avril 1998, la Cour a reformulé les questions dans les termes suivants : « Les articles 43 et 44 du Code d'instruction criminelle, l'article 10 de la loi du 1er juin 1849 sur la révision des tarifs en matière criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, interprétés en ce sens qu'ils n'obligeraient pas l'expert désigné par le ministère public ou le juge d'instruction dans le cours de l'information pénale et de l'instruction à respecter les règles de la contradiction contenues dans les articles précités du Code judiciaire, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ? » B.2.1. L'expertise n'est traitée par le Code d'instruction criminelle qu'en ce qui concerne les attributions du procureur du Roi en cas de flagrant crime (articles 43 et 44) et celles du juge au tribunal de police (article 148). Quant à l'article 10 de la loi du 1er juin 1849 sur la révision des tarifs en matière criminelle, il ne concerne pas le caractère contradictoire ou non de l'expertise.

B.2.2. La jurisprudence a longtemps considéré que les articles 962 à 991 du Code judiciaire relatifs à l'expertise, dispositions dont certaines exigent qu'elle se déroule d'une manière contradictoire, ne doivent pas obligatoirement être appliqués aux expertises ordonnées en matière pénale.

Toutefois, en vertu de l'article 2 du Code judiciaire, les règles de la contradiction contenues dans les articles 962 et suivants du même Code s'appliquent à l'expertise ordonnée par un juge pénal agissant en qualité de juge du fond, dans la mesure où leur application est compatible avec les principes du droit répressif.

B.3. Les différences de traitement à propos desquelles la Cour est interrogée sont celles qui apparaissent entre parties à un procès au cours duquel une expertise est produite, suivant que cette expertise a été ordonnée par le juge du fond, civil ou pénal, d'une part, ou par le ministère public ou le juge dans le cours de l'information ou de l'instruction, d'autre part : ces deux derniers cas sont les seuls pour lesquels le déroulement de l'expertise ne revêt pas obligatoirement un caractère contradictoire.

B.4. Le fait que l'expertise est obligatoirement contradictoire lorsque le juge du fond - civil ou pénal - l'a ordonnée et non lorsqu'elle est ordonnée au stade de l'information ou de l'instruction implique une différence de traitement en relation avec un critère objectif : la phase, préparatoire ou non, du procès au cours de laquelle l'expertise a lieu.

B.5. Le caractère contradictoire de l'expertise ordonnée par le juge du fond est cohérent avec l'attribution de ce même caractère à l'ensemble de la procédure à suivre dès que ce juge est saisi. En revanche, lorsque l'expertise est ordonnée par le ministère public dans le cours de l'information ou par le juge d'instruction dans le cours de l'instruction, il faut tenir compte de ce que le législateur a voulu que la procédure pénale soit encore inquisitoire à ces stades afin, d'une part, compte tenu de la présomption d'innocence, d'éviter de jeter inutilement le discrédit sur les personnes, d'autre part, dans un souci d'efficacité, d'être en mesure d'agir vite, sans alerter les coupables.

Ces objectifs sont de telle nature que le législateur a pu les regarder comme primordiaux, ce qui n'empêche pas qu'il puisse, sans violer le principe d'égalité, tempérer cette option et déterminer dans quels cas et à quelles conditions une expertise doit être contradictoire, même au stade de l'information ou de l'instruction.

B.6. La Cour constate que le système actuel ne porte pas en soi atteinte aux règles du procès équitable. D'une part, les textes soumis à son contrôle doivent s'interpréter comme n'interdisant pas que l'expertise soit rendue contradictoire lorsque le magistrat qui l'ordonne au stade de l'information ou de l'instruction estime qu'en l'espèce la contradiction ne porte pas atteinte aux objectifs mentionnés en B.5. D'autre part, aucun texte ne lie l'appréciation du juge du fond aux constatations ou aux conclusions d'une expertise, et cette appréciation peut tenir compte du caractère contradictoire ou non de celle-ci.

B.7. Il résulte des considérations qui précèdent qu'il y a lieu de répondre par la négative à la question.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : En ce qu'ils n'obligent pas l'expert désigné par le parquet dans le cours de l'information pénale ou par le juge dans le cours de l'instruction à respecter les règles de la contradiction contenues dans les articles 962 et suivants du Code judiciaire, les articles 43 et 44 du Code d'instruction criminelle, l'article 10 de la loi du 1er juin 1849 sur la révision des tarifs en matière criminelle et les articles précités du Code judiciaire ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 24 juin 1998.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, M. Melchior.

^