publié le 14 mai 2012
Circulaire AAF n° 3/2012, AGFisc n° 17/2012 et AGDP n° 4/2012 concernant la mesure anti-abus
4 MAI 2012. - Circulaire AAF n° 3/2012, AGFisc n° 17/2012 et AGDP n° 4/2012 concernant la mesure anti-abus
La circulaire reprise ci-après commente les modifications apportées par la loi-programme (I) du 29 mars 2012 à l'article 344 du Code des impôts sur les revenus 1992.
A tous les fonctionnaires des niveaux A, B et C Cette circulaire contient le commentaire des articles 167, 168 et 169 de la loi-programme (I) du 29 mars 2012 (Moniteur Belge du 6 avril 2012, Ed. 3) et est basée sur les travaux parlementaires (DOC 53-2081/001 et DOC 53 2081/016).
A. TEXTES DE LOI
Art. 167.L'article 344, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, remplacé par la loi du 28 juillet 1992 et modifié par la loi du 22 juillet 1993, est remplacé par ce qui suit : « § 1er. N'est pas opposable à l'administration, l'acte juridique ni l'ensemble d'actes juridiques réalisant une même opération lorsque l'administration démontre par présomptions ou par d'autres moyens de preuve visés à l'article 340 et à la lumière de circonstances objectives, qu'il y a abus fiscal.
Il y a abus fiscal lorsque le contribuable réalise, par l'acte juridique ou l'ensemble d'actes juridiques qu'il a posé, l'une des opérations suivantes : 1° une opération par laquelle il se place en violation des objectifs d'une disposition du présent Code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, en-dehors du champ d'application de cette disposition;ou 2° une opération par laquelle il prétend à un avantage fiscal prévu par une disposition du présent Code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, dont l'octroi serait contraire aux objectifs de cette disposition et dont le but essentiel est l'obtention de cet avantage. Il appartient au contribuable de prouver que le choix de cet acte juridique ou de cet ensemble d'actes juridiques se justifie par d'autres motifs que la volonté d'éviter les impôts sur les revenus.
Lorsque le contribuable ne fournit pas la preuve contraire, la base imposable et le calcul de l'impôt sont rétablis en manière telle que l'opération est soumise à un prélèvement conforme à l'objectif de la loi, comme si l'abus n'avait pas eu lieu. ».
Art. 168.Dans l'article 18 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, modifié par les lois du 30 mars 1994 et 24 décembre 2002, le paragraphe 2 est remplacé par ce qui suit : « § 2. N'est pas opposable à l'administration, l'acte juridique ni l'ensemble d'actes juridiques réalisant une même opération lorsque l'administration démontre par présomptions ou par d'autres moyens de preuve visés à l'article 185 et à la lumière de circonstances objectives, qu'il y a abus fiscal.
Il y a abus fiscal lorsque le redevable réalise, par l'acte juridique ou l'ensemble d'actes juridiques qu'il a posé, l'une des opérations suivantes : 1° une opération par laquelle il se place, en violation des objectifs d'une disposition du présent Code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, en-dehors du champ d'application de cette disposition;ou 2° une opération par laquelle il prétend à un avantage fiscal prévu par une disposition du présent Code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, dont l'octroi serait contraire aux objectifs de cette disposition et dont le but essentiel est l'obtention de cet avantage. Il appartient au redevable de prouver que le choix de cet acte juridique ou de cet ensemble d'actes juridiques se justifie par d'autres motifs que la volonté d'éviter les droits d'enregistrement.
Lorsque le redevable ne fournit pas la preuve contraire, l'opération est soumise à un prélèvement conforme à l'objectif de la loi, comme si l'abus n'avait pas eu lieu. ».
Art. 169.- L'article 167 est applicable à partir de l'exercice d'imposition 2013, ainsi qu'aux actes ou ensembles d'actes juridiques posés au cours d'une période imposable clôturée au plus tôt à la date de publication de la présente loi au Moniteur belge et se rattachant à l'exercice d'imposition 2012. Toute modification apportée à partir du 28 novembre 2011 à la date de clôture des comptes annuels reste sans incidence pour l'application des dispositions visées à l'article 167.
L'article 168 est applicable aux actes ou ensembles d'actes juridiques réalisant une seule opération qui sont accomplis à dater du premier jour du deuxième mois qui suit celui de la publication de cette loi au Moniteur belge.
B. ENTREE EN VIGUEUR B.1. IMPOTS SUR LES REVENUS L'article 169, alinéa premier, de la loi-programme (I) du 29 mars 2012 prévoit que la nouvelle disposition anti-abus en matière d'impôts sur les revenus est d'application à partir de l'exercice d'imposition 2013.
Par conséquent si l'acte juridique ou le dernier acte juridique qui fait partie d'un ensemble d'actes juridiques réalisant une même opération, a été posé dans le courant de l'année 2011, l'article 344, § 1er, nouveau du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 92), ne trouve pas à s'appliquer.
Si par contre, l'acte juridique ou le dernier acte juridique qui fait partie d'un ensemble d'actes juridiques réalisant une même opération a été posé ou est posé dans le courant de l'année 2012, l'article 344, § 1er, nouveau, CIR 92 peut s'appliquer.
En ce qui concerne les personnes morales, il convient de faire observer que la nouvelle disposition anti-abus pourra, sous certaines conditions, déjà s'appliquer à partir de l'exercice d'imposition 2012, notamment à l'égard des actes juridiques ou de l'ensemble d'actes juridiques qui ont été posés au cours d'une période imposable qui se clôture au plus tôt le 6 avril 2012 et qui sont liés à l'exercice d'imposition 2012.
Prenons par exemple une société qui tient sa comptabilité du 1er juillet au 30 juin. L'exercice comptable qui se clôture le 30 juin 2012, est lié à l'exercice d'imposition 2012. Cela signifie que si un acte juridique ou l'ensemble d'actes juridiques réalisant une même opération a été posé ou est posé pendant l'exercice comptable courant du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012, la nouvelle disposition anti-abus est déjà d'application pour cet acte juridique ou cette opération (DOC 53 2081/016, p. 70-71).
Il est aussi stipulé que toute modification apportée à partir du 28 novembre 2011 à la date de clôture des comptes annuels reste sans incidence pour l'application de la nouvelle réglementation.
B.2. DROITS D'ENREGISTREMENT ET DE SUCCESSION En droits d'enregistrement et en droits de succession, la nouvelle disposition « est applicable aux actes ou ensembles d'actes juridiques réalisant une seule opération qui sont accomplis à dater du premier jour du deuxième mois qui suit celui de la publication de cette loi au Moniteur belge » (article 169 de la loi-programme (I) du 29 mars 2012), à savoir aux actes ou ensembles d'actes posés à partir du 1er juin 2012.
C. DISCUSSION C.1. IMPOTS SUR LES REVENUS C.1.1. Introduction Il existe aujourd'hui un certain consensus sur le fait que l'article 344, § 1er, ancien du CIR 92 ne pouvait être appliqué de manière efficiente par l'administration. Afin de pouvoir appliquer l'article 344, § 1er, ancien du CIR 92, l'administration devait prouver que le contribuable avait opté pour une qualification juridique avec l'intention d'éviter l'imposition. Etant donné la preuve contraire que le contribuable devait fournir et qui consistait à démontrer l'existence de besoins légitimes de caractère financier ou économique, il apparaissait que d'autres motifs non-fiscaux devaient sous-tendre la qualification juridique. Si le contribuable n'était pas en mesure de fournir la preuve contraire, l'administration pouvait procéder à la requalification; mais cette nouvelle qualification devait avoir, selon la Cour de Cassation, des effets juridiques non fiscaux similaires à ceux de(s) (l') acte(s) juridique(s) originel(s) (Cass. 4 novembre 2005, F.J.F., n° 2006/21; Cass. 22 novembre 2007, F.J.F., N° 2008/140;
Cass. 11 décembre 2008, T.R.V., 2009, 311). De plus, seule la qualification de l'acte juridique n'était pas opposable à l'administration, et non l'acte juridique lui-même. Par conséquent, la requalification ne pouvait concerner les éléments essentiels de l'acte juridique (tels que les parties, l'objet, le moment et le prix), mais uniquement les effets juridiques annexes et non-pertinents des actes juridiques posés par les parties.
C'est pourquoi, jusqu'à présent, il était généralement admis qu'il était pratiquement impossible d'arriver dans le cas d'une requalification à des effets juridiques similaires lorsque l'opération avait été réalisée en un seul acte. En effet, il peut rarement être donné plusieurs qualifications à un seul acte. En outre, l'article 344, § 1er, ancien du CIR 92 ne pouvait pas être d'application si les effets juridiques de l'acte juridique requalifié par l'administration étaient différents de ceux de l'acte juridique posé par le contribuable. Dans les cas où cette disposition pouvait déjà trouver à s'appliquer, c'était pour redéfinir un ensemble d'actes distincts ou successifs qui avaient été scindés de manière artificielle, en une seule opération que les parties avaient en réalité mise sur pied (DOC 53 2081/001, p. 109-110).
La commission d'enquête parlementaire mise en place pour investiguer les gros dossiers de fraude fiscale était arrivée à la même conclusion et avait d'ailleurs, dans son rapport final approuvé le 14 mai 2009 (DOC 52 0034/004, p. 241-242), convenu que « La législation contient actuellement une série de dispositions anti-abus spécifiques et partielles dont l'application n'est pas toujours aisée. Pour empêcher que des cas d'abus manifestes ne soient considérés comme un choix en faveur de la voie la moins imposée, il convient de durcir ces règles anti-abus et d'introduire une mesure générale instaurant l'abus de droit en matière fiscale. A cet égard, l'article 344 du CIR 92 devrait être retravaillé. « (nous soulignons). En conséquence, la commission a, dans cette matière, recommandé d'évaluer, au regard de la législation européenne, le besoin de renforcer notre dispositif anti-abus et d'introduire une mesure générale anti-abus dans la législation reconnaissant l'abus de droit en matière fiscale, sans que cette mesure ne crée d'insécurité juridique.
C.1.2. Discussion générale de l'article 344, § 1er, nouveau, CIR 92 La nouvelle rédaction de l'article 344, § 1er, CIR 92 est inspirée de la proposition de texte que M. De Broe, professeur de droit fiscal à la KUL (Louvain), a formulé il y a deux ans (L. De Broe dans « Fraudebestrijding en charter van de belastingplichtige : noodzakelijk een paradox? », T.F.R., 2010, n° 379-380, p. 332 et s.).
La nouvelle disposition anti-abus a pour objectif de résoudre les problèmes d'application susmentionnés du texte de l'article 344, § 1er, ancien du CIR 92. La nouvelle disposition s'inscrit néanmoins dans la logique de l'article 344, § 1er, ancien du CIR 92. Elle reste un moyen de preuve que l'administration peut appliquer dans des cas individuels et dont l'application conduit à l'inopposabilité à l'administration.
Par ailleurs, il s'agit toujours d'un système de preuve et de preuve contraire : la charge de la preuve de l'existence d'un abus fiscal repose sur l'administration et le contribuable peut fournir la preuve contraire que d'autres considérations que l'évitement des impôts sur les revenus justifie sa forme juridique.
Certains éléments sont modifiés de manière telle que la mesure puisse être efficacement appliquée. Il s'agit notamment de : 1. l'objet de l'inopposabilité;2. l'introduction d'une définition de « l'abus fiscal »;3. la clarification du partage de la charge de la preuve entre l'administration et le contribuable;4. la révision de la situation fiscale du contribuable. C.1.2.1. L'objet de l'inopposabilité Le premier alinéa du nouvel article 344, § 1er, CIR 92 décrit l'objet de l'inopposabilité. Désormais l'inopposabilité concerne un acte juridique ou un ensemble d'actes juridiques réalisant une même opération. Dans certains cas, le contribuable ne pourra plus tirer aucun droit, sur le plan fiscal, des actes juridiques posés (voir également C.1.2.4, dernier alinéa, deuxième point). Un exemple d'acte juridique est la vente ou la location d'un bien immobilier ou la constitution d'un usufruit. L'inopposabilité ne concerne donc plus la qualification juridique de l'acte comme c'était le cas auparavant. Il n'ya donc plus lieu de requalifier comme c'était le cas auparavant (voir également C.1.2.4.).
La notion d'« ensemble d'actes juridiques réalisant une même opération » vise également la décomposition artificielle d'une opération en actes successifs s'étalant sur une période plus longue que l'année d'imposition. Les actes juridiques en question ne doivent donc pas nécessairement être établis au cours du même exercice d'imposition.
Lorsque les actes sont ainsi répartis sur plusieurs années, l'administration pourra tout de même appliquer l'article 344, § 1er, CIR 92, à condition de démontrer l'unicité d'intention entre les opérations. Pour cela, les actes successifs doivent constituer une suivie d'actes conçus dès le départ comme une chaîne indivisible. En ce sens, la nouvelle notion a la même portée que la notion d'« actes distincts qui constituent une seule et même opération » (DOC 53 2081/001, p. 113).
C.1.2.2. L'introduction d'une notion d'« abus fiscal » L'inopposabilité peut être invoquée par l'administration fiscale lorsqu'il est question d'abus fiscal.
L'alinéa 2 du nouvel article 344, § 1er, CIR 92 donne une définition de l'abus fiscal : « Il y a abus fiscal lorsque le contribuable réalise, par l'acte juridique ou l'ensemble d'actes juridiques qu'il a posé, l'une des opérations suivantes : 1. une opération par laquelle il se place en violation des objectifs d'une disposition du présent Code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, en-dehors du champ d'application de cette disposition;ou 2. une opération par laquelle il prétend à un avantage fiscal prévu par une disposition du présent Code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, dont l'octroi serait contraire aux objectifs de cette disposition et dont le but essentiel est l'obtention de cet avantage. ».
L'abus fiscal est composé d'un élément objectif et subjectif.
L'élément objectif implique que le contribuable choisit un acte juridique ou un ensemble d'actes juridiques qui lui permettent de se placer dans une situation qui est contraire aux objectifs d'une disposition du Code des impôts sur les revenus 1992 ou des arrêtés pris pour son exécution. Les termes « une disposition du Code des impôts sur les revenus 1992 ou des arrêtés pris pour son exécution » doivent être interprétés de manière large : cela signifie toutes les dispositions de la législation fiscale, en ce compris les dispositions particulières (DOC 53 2081/016, p. 39). De tels actes peuvent se présenter sous deux formes : 1. par le choix de la forme, le contribuable se place en dehors du champ d'application d'une disposition visant à augmenter l'impôt : le choix d'une forme juridique pour se placer dans une situation qui ne répond pas aux conditions légales à remplir pour être imposable, mais qui est très proche de la situation imposable alors que ce choix n'est dicté que par le souci de réaliser une économie d'impôt.La volonté du législateur serait transgressée si la loi fiscale n'était pas appliquée à l'acte juridique posé. 2. par le choix de la forme, le contribuable se place dans le cadre d'une disposition visant à réduire l'impôt : le choix d'une forme juridique qui vise à se soumettre à une norme procurant un avantage fiscal, alors que ce choix n'est dicté que par le souci de réaliser une économie d'impôt.La revendication de cet avantage est contraire à l'objectif poursuivi par la loi (DOC 53 2081/001, p. 111).
L'élément subjectif implique que le contribuable choisit cet acte juridique ou cet ensemble d'actes juridiques avec comme but essentiel l'obtention de l'avantage fiscal.
Ces deux formes d'abus fiscal supposent chaque fois une incompatibilité avec les objectifs de la disposition fiscale concernée, c'est-à -dire que le but et la portée de la disposition concernée doivent être déjoués, comme si un acte juridique déterminé n'était pas imposé, ou comme si un acte juridique conduisait à la jouissance d'un avantage fiscal déterminé.
Dans l'arrêt de la Cour d'appel d'Anvers du 23 avril 1999, la Cour fait une application structurée des règles d'interprétation généralement admises dans les affaires fiscales. La Cour d'appel confirme que l'interprétation de la législation fiscale se fait généralement en deux phases : 1. dans la première on doit rechercher la signification du texte.2. ensuite, si le texte n'est pas clair, on doit le cas échéant interpréter les mots et les notions utilisées, à la lumière de l'intention du législateur. En cas d'interprétation textuelle (première phase), on peut rechercher la signification des mots et des notions utilisés en fonction du contexte dans lequel ils sont mentionnés. Ce contexte peut être la loi elle-même dans laquelle ils se présentent, ou une partie de celle-ci, néanmoins une interprétation en fonction de la législation en général est également possible. L'interprétation textuelle doit être stricte, c.-à -d. rigoureuse et pas plus étroite ni plus large que la signification que les notions ont normalement (Cass., 10 novembre 1997, F.J.F., n° 97/282). Lorsqu'une interprétation textuelle permet de comprendre le texte, on ne peut passer à la deuxième phase.
Traditionnellement, ceci s'exprime dans l'adage 'ce qui est clair ne s'interprète pas' ('interpretatio in claris cessat'; Cass., 11 décembre 1962, Bull. Contr., 1963, n° 395; Cass., 15 janvier 1963, Bull. Contr., 1963, n° 397, Anvers, 14 décembre 1978, R.W., 1979-80, p. 1644 et Bruxelles, 6 janvier 1997, F.J.F., 1997/132.) (à ce propos voir aussi A. Tiberghien, Handboek voor fiscaal recht 1999, n° 51 et A. Tiberghien, Inleiding tot het Belgisch fiscaal recht, 1986, n° 62, voir encore dans le même sens Anvers, 3 avril 1995, F.J.F., 1995/378;
Trib. Mons 19 mai 2005, F.J.F., 2006, partie 3, p. 242). En plus, il convient de remarquer que les impôts sont des prélèvements imposés par l'Etat selon certaines règles de droit, en vue de rassembler les moyens financiers nécessaires pour réaliser des dépenses dans l'intérêt général. Les dispositions fiscales fixent ces règles de droit : elles doivent déterminer, à cet effet, quels revenus sont imposables ou exonérés d'impôt ou non imposables, quels coûts ou dépenses sont déductibles et quels avantages fiscaux sont octroyés (DOC 53, 2081/016, p. 69). Par conséquent, les objectifs d'une disposition fiscale sont clairs et contenus dans la disposition elle-même.
Ce n'est que lorsque l'interprétation textuelle n'apporte aucun résultat qu'on peut passer à la deuxième phase de l'interprétation, durant laquelle l'intention du législateur sera examinée. Cette intention doit être recherchée dans les travaux préparatoires de la loi elle-même et exceptionnellement dans des travaux préparatoires de lois antérieures ou similaires (voir à ce propos Cass., 29 mai 1987, F.J.F., n° 87/219).
L'incompatibilité avec les objectifs de la législation fiscale doit être comprise à la lumière du concept de « construction purement artificielle ». Il y a une « construction purement artificielle » lorsque l'opération ne poursuit pas les objectifs économiques que sous-tend la législation fiscale ou est sans rapport avec la réalité économique ou ne se déroule pas dans les conditions commerciales ou financières du marché (DOC 53, 2081/001, p. 114). Une construction artificielle est par conséquent créée dans le but d'obtenir un avantage fiscal ou d'éviter l'impôt dû (en ce qui concerne les constructions artificielles et l'obtention d'un avantage fiscal ou l'évitement de l'impôt dû dans le cadre de paiements à des paradis fiscaux, voir Circ. AAF n° 13/2010 et nr. Ci. RH. 421/607.890 (AGFisc 64/2010) du 30/11/2010). Cet « élément subjectif » ne doit toutefois pas être constaté par l'administration fiscale pour prouver l'existence d'un abus fiscal. A cet égard, le texte proposé suit la même logique que celle de l'article 344, § 1er, ancien, CIR 92. Ceci a également été confirmé dans les documents parlementaires de la loi du 22 juillet 1993 portant des dispositions fiscales et financières par laquelle l'article 344, § 1er, ancien, CIR 92 a été introduit, (Doc.
Parl., Chambre, n° 1992-1993, 1072/8, p. 100) : « (...) Au cours des discussions au Sénat, des amendements ont été déposés afin de reporter sur l'Administration la preuve de l'unicité de l'intention du contribuable, c'est-à -dire la seule recherche par le contribuable d'un objectif fiscal (voir le rapport de M. Didden, Doc.
Sénat n° 762/2, p. 41, 44 et suivantes). Cette demande n'a pu être rencontrée parce que, dans la construction du texte de l'article 344, § 1er, avec preuve et contrepreuve, il aurait incombé à l'Administration d'établir un élément subjectif que seul le contribuable peut connaître. ».
Sans préjudice de l'application de la théorie de la simulation, une filiale ou sous-filiale « boîte aux lettres » ou une filiale ou sous-filiale « écran » peut, par exemple, constituer une construction purement artificielle (CJUE, C-341/04, 2 mai 2006, Eurofood IFSC, points 34 et 35 et DOC 53 2081/016, p. 38).
C.1.2.3. Une clarification du partage de la charge de la preuve entre l'administration et le contribuable En application de l'alinéa 1er du nouvel article 344, § 1er, CIR 92, l'administration doit d'abord fournir la preuve que le choix de la forme juridique répond à la définition d'abus fiscal. Comme déjà exposé ci-avant, l'administration doit uniquement prouver l'élément objectif de l'abus. L'administration n'est donc pas tenue de démontrer que le choix de la forme est uniquement dicté par des motivations fiscales. Cela équivaudrait à une charge de la preuve impossible pour l'administration.
La preuve objective de l'abus fiscal doit être apportée sur base d'un ensemble de circonstances objectives et de tous les moyens de preuve prévus à l'article 340, CIR 92, peuvent être utilisés pour ce faire.
Il s'agit de tous les moyens de preuve du droit commun, à l'exception du serment (DOC 53 2081/016, p. 38). Le moyen de preuve par excellence sera, selon toute vraisemblance, l'usage des présomptions. Cela suppose qu'à partir de faits qu'elle considère comme juridiquement satisfaisants, l'administration établira le fait ignoré dont elle doit apporter la preuve, à savoir la réalisation d'une opération dont le but est l'évitement des impôts sur les revenus.
Lorsque l'administration a rapporté la preuve qui lui incombe, il revient au contribuable d'apporter la preuve que ses actes juridiques sont justifiés par des motifs autres que l'évitement des impôts sur les revenus. Si le contribuable ne le fait pas, il résulte de la répartition de la charge de la preuve que les actes juridiques posés par le contribuable ont été déclarés uniquement pour des motifs fiscaux.
Le champ d'application de l'article 344, § 1er, CIR 92 nouveau s'étend aux situations où les motifs « non-fiscaux » sont tellement négligeables que l'opération semble impossible s'il n'est pas tenu compte des motifs fiscaux. Concrètement, les trois situations suivantes sont visées : 1. les actes juridiques par lesquels le contribuable vise un pur avantage fiscal;2. les actes juridiques dans lesquels les motifs non fiscaux ne sont en rien spécifiques à l'opération concernée mais au contraire si généraux qu'ils sont nécessairement présents lors de chaque opération du même type;3. les actes juridiques où les motifs non fiscaux sont certes spécifiques pour l'opération concernée, mais ont un intérêt tellement limité qu'une personne raisonnable ne réaliserait pas l'opération pour ces motifs « non fiscaux » : dans ce cas-là , on peut partir du principe que l'invocation du motif (non fiscal) n'est pas le réel motif de l'opération (DOC 53 2081/001, p.114-115).
L'objectif est d'éviter que ce moyen de preuve ne devienne totalement inefficace dès que le contribuable justifierait son acte juridique par n'importe quel improbable motif non fiscal. Cela s'inscrit également dans l'évolution jurisprudentielle européenne des règles anti-abus. En matière de taxe sur la valeur ajoutée, il peut aussi être question d'abus de droit lorsque la recherche d'un avantage fiscal illégitime constitue le but essentiel de l'opération, malgré la présence éventuelle d'autres buts économiques (CJUE, C-425/06, 21 février 2008, Part Service, points 40 à 45). Dans le cadre de la directive sur les fusions, la Cour de Justice a jugé que si l'on admettait de manière systématique que l'économie des coûts structurels résultant de la réduction des frais administratifs et de gestion constitue un motif économique valable, sans tenir compte des autres objectifs de l'opération envisagée, et plus particulièrement des avantages fiscaux, la règle anti-abus énoncée dans la directive serait privée de toute sa finalité (CJUE, C-126/10, 10 novembre 2011, Foggia, point 49).
C.1.2.4. Une révision de la situation fiscale du contribuable L'alinéa 4 détermine que, lorsque l'administration a réussi dans sa charge de la preuve et que le contribuable n'a pas apporté une preuve contraire valable, l'administration revoit la situation fiscale du contribuable et la rend conforme à l'objectif et à l'esprit de la disposition légale que le contribuable a contournée ou le cas échéant ignorée par sa spécification (DOC 53 2081/001, p. 115). Ceci implique que la base imposable et le calcul de l'impôt sont rétablis en manière telle que l'opération est soumise à un prélèvement conformément à l'objectif de la disposition contournée ou ignorée, comme si l'abus n'avait pas eu lieu.
Il faut souligner que : . L'administration ne doit rien substituer à l' (aux) acte(s) juridique(s) qui lui est (sont) inopposable(s) à des fins de taxation (DOC 53 2081/016, p. 37). . Lorsqu'un acte juridique est rendu inopposable par l'administration, l'inopposabilité vaut soit par rapport aux deux parties à la convention soit à l'égard d'une seule partie. La question doit être analysée au cas par cas (DOC 53 2081/016, p. 38). . Les effets juridiques pour les parties à l'opération ne changent pas, de telle sorte que les obligations ou droits éventuellement nés subsistent (DOC 53 2081/016, p. 38). Les effets de l'application de la nouvelle disposition anti-abus qui s'étendent éventuellement sur plusieurs années, sont ainsi limitées aux effets fiscaux.
C.2. Points d'attention particuliers C.2.1. Décisions anticipées Lors de la discussion concernant le projet de loi, il a été prêté beaucoup d'attention à l'impact possible que la nouvelle disposition anti-abus de droit pourrait avoir sur la sécurité juridique des contribuables.
Il est évident que le maintien de la procédure actuelle de décisions anticipées en matière fiscale (ruling) garantit, si nécessaire, la sécurité juridique au contribuable, étant entendu que l'arrêté royal du 17 janvier 2003 pris en exécution de l'article 22, alinéa 2, de la loi du 24 décembre 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/12/2002 pub. 31/12/2002 numac 2002003520 source ministere des finances Loi modifiant le régime des sociétés en matière d'impôts sur les revenus et instituant un système de décision anticipée en matière fiscale fermer modifiant le régime des sociétés en matière d'impôts sur les revenus et instituant un système de décision anticipée en matière fiscale (Moniteur belge du 31 janvier 2003, Ed. 3), dispose, en son article 1er, 3°, qu'il n'est pas autorisé de donner une décision anticipée en ce qui concerne : « 3° la déclaration, les investigations et le contrôle, l'utilisation des moyens de preuve, la procédure de taxation, les voies de recours, les droits et privilèges du Trésor, la base minimale d'imposition, les délais, la prescription, le secret professionnel, l'entrée en vigueur et les responsabilités et obligations de certains officiers et fonctionnaires publics, d'autres personnes ou de certaines institutions ».
En soi, le service des décisions anticipées en matière fiscale (SDA) ne peut donc pas se prononcer sur le fait de savoir si l'administration appliquera ou non la mesure anti-abus (DOC 53 2081/001, p 112). En soi, la mesure anti-abus de droit est une règle de procédure qui ne peut s'appliquer qu'après la réalisation des opérations visées.
Certes, ce service pourra prendre une décision relative au choix de l'acte juridique ou l'ensemble d'actes juridiques qui lui est présenté par le contribuable. Le service pourra donc se prononcer sur le fait de savoir si le choix du ou des acte(s) juridique(s), ou l'ensemble d'actes juridiques projetés et réalisant une même opération, est justifié par d'autres motifs que l'évitement des impôts. L'accord de ce service sur le choix du contribuable d'un acte ou d'un ensemble d'actes implique que celui-ci ne peut pas être remis en question dans le cadre de la présente disposition, pour autant que toutes les opérations aient été réalisées telles qu'elles sont reprises dans l'accord préalable (DOC 53 2081/001, p. 112).
Il est rappelé que les décisions anticipées prises par le SDA ne lient pas le SPF Finances, 1° lorsque les conditions auxquelles la décision anticipée est subordonnée ne sont pas remplies;2° lorsqu'il apparaît que la situation et les opérations décrites par le demandeur l'ont été de manière incomplète ou inexacte, ou lorsque des éléments essentiels des opérations n'ont pas été réalisés de la manière présentée par le demandeur;3° en cas de modification des dispositions des traités, du droit communautaire ou du droit interne qui sont applicables à la situation ou à l'opération visée par la décision anticipée;4° lorsqu'il s'avère que la décision anticipée n'est pas conforme aux dispositions des traités, du droit communautaire ou du droit interne. En outre, la décision anticipée ne lie plus le Service public fédéral Finances lorsque les effets essentiels de la situation ou des opérations sont modifiés par un ou plusieurs éléments connexes ou ultérieurs qui sont directement ou indirectement imputables au demandeur (article 23, alinéas 2 et 3, de la loi du 24 décembre 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/12/2002 pub. 31/12/2002 numac 2002003520 source ministere des finances Loi modifiant le régime des sociétés en matière d'impôts sur les revenus et instituant un système de décision anticipée en matière fiscale fermer modifiant le régime des sociétés en matière d'impôts sur les revenus et instituant un système de décision anticipée en matière fiscale).
C.2.2. Egalement dans la sphère privée A propos de l'article 344, § 1er, nouveau, CIR 92, l'exposé des motifs précise que « tant les opérations effectuées dans le cadre de la gestion du patrimoine privé que celles effectuées dans la sphère économique » sont visées (DOC 53 2081/001, p. 113).
C.2.3. Dispositions anti-abus spécifiques La disposition générale anti-abus contenue dans l'article 344, § 1er, CIR 92 est appliquée lorsque la méthode d'interprétation ordinaire, les dispositions techniques du Code, les dispositions spéciales relatives anti-évitement de l'impôt et la théorie de la simulation ne sont d'aucun secours (DOC 53 2081/001, p. 112-113). L'administration peut donc appliquer l'article 344, § 1er, nouveau, CIR 92 lorsque les autres moyens spécifiques n'auront pu l'aider suffisamment et qu'elle considère avoir des raisons suffisantes pour recourir à cette disposition générale (DOC 53 2081/016, p. 70 et 79).
C.2.4. Incidence sur le plan de la procédure Il est question de fraude fiscale lorsqu'un contribuable qui se trouve dans les conditions où un impôt particulier est dû, se soustrait délibérément (élément intentionnel), à tout ou une partie du paiement de l'impôt légalement dû et commet ainsi une infraction à la loi fiscale (élément matériel) (Bruno Peeters, « De dunne lijn tussen belastingontwijking en belastingonduiking », dans M. Maus et Rozie M. (éditeurs), Actuele problemen van het fiscaal strafrecht, Intersentia, 2011, p. 66).
Un contribuable qui enfreint l'article 344, § 1er, CIR 92 (aussi bien l'ancienne que la nouvelle disposition), ne se rend pas coupable de fraude fiscale : bien qu'il y ait l'intention de payer peu ou pas du tout l'impôt, il n'y a aucune infraction à la législation fiscale.
C'est pourquoi il a fallu conclure que le délai d'imposition au cours duquel doivent être réalisés les redressements sur la base de l'art. 344, § 1er, CIR 92, est le délai de 3 ans visé à l'art. 354, al. 1er, CIR 92.
Par ailleurs, il n'est pas non plus question d'une infraction à l'article 344, § 1er, CIR 92 étant donné que cet article est un moyen de preuve qui appartient à l'administration. A défaut d'infraction à une disposition légale quelconque, il n'est en effet pas possible de faire usage du délai supplémentaire de 4 ans visé à l'article 354, al. 2, CIR 92. Cela signifie cependant aussi que, à défaut d'une infraction à la loi, il n'existe pas d'obligation de dénoncer les faits constatés auprès du Parquet en application de l'article 29 du Code d'instruction criminelle. La dénonciation visée par cet article ne doit en effet être effectué que par tout fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit.
Des accroissements d'impôt peuvent être appliqués sur les suppléments établis en vertu de l'article 344, § 1er, CIR 92 et ce, conformément aux échelles en vigueur figurant à la rubrique B des articles 225 et 226, AR/CIR 92 (voir aussi le commentaire de l'article 444, CIR 92) et en tenant compte des données de chaque dossier fiscal.
C.3. Droits d'enregistrement et de succession C.3.1. Champ d'application - Actes posés dans la sphère privée La même modification est apportée au Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe (article 18, § 2., C. enreg.).
Sur les notions d'abus fiscal, le régime de la preuve et l'objet et les effets de l'inopposabilité, il est renvoyé au commentaire donné ci-dessus.
La nouvelle disposition s'applique aussi aux actes posés dans la sphère privée (v. supra, C.2.2.) et elle « est par conséquent aussi d'application en matière de droits de succession : l'article 106, alinéa 2, du Code des droits de succession prévoit que le paragraphe 2 de l'article 18 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe est applicable mutatis mutandis » (DOC 53 2081/001, p. 116).
La circulaire n° 11 du 20 novembre 1996 de l'Administration de la T.V.A., de l'enregistrement et des domaines est donc abrogée.
C.3.2. Entrée en vigueur Quant à l'entrée en vigueur en matière de droits d'enregistrement et de droits de succession, v. sous B.2., supra.
Le Ministre des Finances, S. VANACKERE