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Arrêt
publié le 22 mars 2024

Extrait de l'arrêt n° 127/2023 du 21 septembre 2023 Numéro du rôle : 7874 En cause : la question préjudicielle relative à l'article D.IV.13 du Code du développement territorial, posée par le Conseil d'Etat. La Cour constitutionnelle, co après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédu(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 127/2023 du 21 septembre 2023 Numéro du rôle : 7874 En cause : la question préjudicielle relative à l'article D.IV.13 du Code du développement territorial, posée par le Conseil d'Etat.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et D. Pieters, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 254.674 du 5 octobre 2022, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 octobre 2022, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article D.IV.13 du Code du développement territorial viole-t-il le principe de standstill inhérent au droit à la protection d'un environnement sain prévu à l'article 23, [alinéa 3,] 4°, de la Constitution en ce que cette disposition n'exige plus qu'une dérogation au plan de secteur, pour autoriser un projet soumis à permis d'urbanisme, ne puisse être octroyée qu'à titre exceptionnel, c'est-à-dire qu'elle soit indispensable à la réalisation du projet soumis à l'autorité, contrairement à ce que prévoyait l'article 114 du CWATUP ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'article D.IV.13 du Code wallon du développement territorial (ci-après : le CoDT), qui dispose : « Un permis ou un certificat d'urbanisme n° 2 peut être octroyé en dérogation au plan de secteur ou aux normes du guide régional d'urbanisme si les dérogations : 1° sont justifiées compte tenu des spécificités du projet au regard du lieu précis où celui-ci est envisagé;2° ne compromettent pas la mise en oeuvre cohérente du plan de secteur ou des normes du guide régional d'urbanisme dans le reste de son champ d'application;3° concernent un projet qui contribue à la protection, à la gestion ou à l'aménagement des paysages bâtis ou non bâtis ». B.2. Les travaux préparatoires de cette disposition indiquent : « Cette disposition fixe les conditions dans lesquelles les dérogations au plan de secteur et aux normes du guide régional peuvent être octroyées. En effet, si les hypothèses de dérogations peuvent varier que l'on soit un demandeur public ou privé, les conditions de dérogation sont identiques. Elles sont partiellement inspirées de la jurisprudence du Conseil d'Etat. Les dérogations autorisables en application de l'article D.IV.13 ne doivent pas l'être à titre exceptionnel. En outre, elles doivent être justifiées compte tenu des spécificités du projet ce qui n'implique pas qu'elles soient indispensables à la réalisation de celui-ci. La volonté est clairement d'assouplir la marge dont disposent actuellement les autorités pour s'écarter, dans les hypothèses visées à l'article D.IV.12, des prescriptions notamment des plans de secteur.

Enfin, tel que développé dans le commentaire de l'article D.II.17, la troisième condition s'inspire de notions développées dans la Convention européenne du paysage adoptée le 20 octobre 2000, à Florence afin de disposer de définitions adéquates pour les concepts liés au paysage. Il est renvoyé au commentaire de l'article D.II.17 » (Doc. parl., Parlement wallon, 2015-2016, n° 307/1, p. 44).

B.3. La Cour est interrogée sur la compatibilité de la disposition en cause avec l'article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution en ce qu'il n'est plus exigé que la dérogation au plan de secteur ne puisse être octroyée qu'à titre exceptionnel, contrairement à ce qui était prévu par l'article 114 du Code wallon de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et du patrimoine (ci-après : le CWATUP).

B.4.1. Avant son abrogation par le décret de la Région wallonne du 20 juillet 2016 « abrogeant le décret du 24 avril 2014 abrogeant les articles 1er à 128 et 129quater à 184 du Code wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme, du Patrimoine et de l'Energie, abrogeant les articles 1er à 128 et 129quater à 184 du Code wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme et du Patrimoine et formant le Code du Développement territorial » (ci-après : le décret du 20 juillet 2016), l'article 114 du CWATUP disposait : « Pour toute demande de permis qui implique l'application des dispositions de la présente section, une ou plusieurs dérogations peuvent être accordées, à titre exceptionnel, pour autant que la demande soit préalablement soumise aux mesures particulières de publicité déterminées par le Gouvernement ainsi qu'à la consultation visée à l'article 4, alinéa 1er, 3°.

Sur avis préalable du fonctionnaire délégué, le collège communal accorde toute dérogation qui porte exclusivement sur les prescriptions d'un règlement communal d'urbanisme, d'un plan communal d'aménagement ou d'un permis de lotir ainsi qu'aux prescriptions d'un permis d'urbanisation visées à l'article 88, § 3, 3°, sauf lorsque la demande porte sur des actes et travaux visés à l'article 127, § 1er.

Dans les autres cas, toute dérogation est accordée par le Gouvernement ou le fonctionnaire délégué ».

B.4.2. Le Conseil d'Etat a jugé que « le caractère exceptionnel de la dérogation visé à l'article 114 du CWATUP s'entend de la nécessité de l'accorder pour la réalisation optimale d'un projet bien spécifique en un lieu bien précis » (C.E., arrêt n° 250.823 du 8 juin 2021; voy. aussi C.E., arrêts n° 253.524 du 19 avril 2022, n° 250.334 du 15 avril 2021, n° 249.727 du 5 février 2021 et n° 248.907 du 13 novembre 2020).

B.5.1. L'article 23 de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. A cette fin, les différents législateurs garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels et ils déterminent les conditions de leur exercice. L'article 23 de la Constitution ne précise pas ce qu'impliquent ces droits dont seul le principe est exprimé, chaque législateur étant chargé de les garantir, conformément à l'alinéa 2 de cet article, en tenant compte des obligations correspondantes.

B.5.2. Toute mesure en matière d'urbanisme et d'aménagement du territoire n'a pas ipso facto une incidence sur le droit à un environnement sain, au sens de l'article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution. En l'espèce, il peut toutefois être admis que la disposition en cause, qui règle les conditions de la dérogation au plan de secteur du bien et qui est, de la sorte, susceptible d'avoir des conséquences importantes pour les riverains et pour l'espace public, a une portée qui entre au moins partiellement dans le champ d'application de l'article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution.

B.5.3. L'article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, qui garantit le droit à la protection d'un environnement sain, contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement, sans justification raisonnable, le degré de protection offert par la législation applicable.

B.5.4. L'obligation de standstill ne peut toutefois s'entendre comme interdisant au législateur décrétal, dans le cadre de ses compétences, d'apporter des modifications au système des plans d'aménagement du territoire et des permis d'urbanisme. Elle lui interdit de prendre des mesures qui marqueraient, sans justification raisonnable, un recul significatif du droit garanti par l'article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, mais elle ne le prive pas du pouvoir d'apprécier la manière dont ce droit est le plus adéquatement assuré.

B.6. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.2 que le législateur décrétal a souhaité, par la disposition en cause, assouplir la marge de manoeuvre des autorités compétentes à l'occasion de l'octroi d'une dérogation au plan de secteur.

De la sorte, la disposition en cause s'inscrit dans le cadre des objectifs généraux poursuivis par le législateur décrétal à l'occasion de l'adoption du décret du 20 juillet 2016, à savoir assurer une meilleure efficacité du droit de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire ainsi qu'accélérer les procédures pour permettre de concrétiser plus rapidement les projets sur le terrain (Doc. parl., Parlement wallon, 2015-2016, n° 307/1, p. 14).

B.7. Les conditions prévues à l'article D.IV.13 du CoDT sont formulées en tant que conditions cumulatives. En outre, le Conseil d'Etat a jugé que « s'il ressort [des travaux préparatoires] la volonté du législateur d'assouplir les conditions d'octroi de la dérogation, il n'en demeure pas moins que le mécanisme dérogatoire reste, par nature, l'exception à la règle de principe, laquelle doit nécessairement s'appréhender de manière restrictive » (C.E., arrêt n° 253.939 du 8 juin 2022; voy. aussi C.E., arrêt n° 250.872 du 11 juin 2021).

B.8. En tant qu'il règle les conditions de la dérogation, l'article D.IV.13 du CoDT est d'interprétation restrictive et son application doit être dûment motivée, et ce, quand bien même le législateur décrétal n'a pas expressément prévu que c'est seulement à titre exceptionnel que la dérogation peut être consentie (en ce sens, voy.

C. const., arrêts n° 94/2016 du 16 juin 2016, ECLI:BE:GHCC:2016:ARR.094, B.8.5, alinéa 2, et n° 87/2007 du 20 juin 2007, ECLI:BE:GHCC:2007:ARR.087, B.9.3, alinéa 2, in fine).

B.9. Il ressort de ce qui précède que l'article D.IV.13 du CoDT ne dispense pas l'autorité de motiver spécialement, en application de la loi du 29 juillet 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/07/1991 pub. 18/12/2007 numac 2007001008 source service public federal interieur Loi relative à la motivation formelle des actes administratifs. - Traduction allemande fermer « relative à la motivation formelle des actes administratifs », la nécessité de ne pas appliquer la règle applicable en principe dans un cas où le CoDT permet la dérogation.

Le contrôle exercé par le Conseil d'Etat dans le cadre de l'article D.IV.13 du CoDT porte notamment sur cette condition de motivation du permis dérogatoire : « Concernant la nécessité de déroger au plan de secteur, il y a lieu de vérifier si, à travers les motifs donnés à cet égard, l'administration a montré que la dérogation n'était pas accordée par facilité mais après avoir examiné la possibilité d'appliquer la règle dans son principe et après avoir conclu qu'en raison d'impératifs techniques ou juridiques, elle était nécessaire pour la réalisation optimale du projet. La motivation sur cet aspect peut être succincte, pour autant qu'elle ne soit pas vague et passe-partout » (C.E., arrêt n° 249.884 du 23 février 2021).

B.10. Compte tenu de l'interprétation restrictive précitée et de l'obligation de motivation, le recul du degré de protection existant du droit à un environnement sain n'est pas significatif.

B.11. L'article D.IV.13 du CoDT est compatible avec l'article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article D.IV.13 du Code du développement territorial ne viole pas l'article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 septembre 2023.

Le greffier, N. Dupont Le président, P. Nihoul

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