Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 17 mars 2023

Extrait de l'arrêt n° 141/2022 du 27 octobre 2022 Numéro du rôle : 7846 En cause : la demande de suspension des articles 3 et 6 du décret de la Communauté française du 23 juin 2022 « modifiant le décret du 18 janvier 2018 portant le Code de La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Gi(...)

source
cour constitutionnelle
numac
2023201189
pub.
17/03/2023
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 141/2022 du 27 octobre 2022 Numéro du rôle : 7846 En cause : la demande de suspension des articles 3 et 6 du décret de la Communauté française du 23 juin 2022 « modifiant le décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse » (insertion des articles 37/1 et 52/1 dans le décret du 18 janvier 2018), introduite par l'Ordre des barreaux francophones et germanophone.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune et E. Bribosia, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la demande et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 5 août 2022 et parvenue au greffe le 8 août 2022, l'Ordre des barreaux francophones et germanophone, assisté et représenté par Me J. Fierens, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit une demande de suspension des articles 3 et 6 du décret de la Communauté française du 23 juin 2022 « modifiant le décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse » (insertion des articles 37/1 et 52/1 dans le décret du 18 janvier 2018), publié au Moniteur belge du 19 juillet 2022.

Par la même requête, la partie requérante demande également l'annulation des mêmes dispositions décrétales. (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte B.1. La partie requérante demande l'annulation et la suspension des articles 3 et 6 du décret de la Communauté française du 23 juin 2022 « modifiant le décret du 18 janvier 2018 portant le Code de la prévention, de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse » (ci-après : le décret du 23 juin 2022).

B.2. Le décret du 23 juin 2022 a un objet double : - d'une part, il introduit un service de garde des conseillers de l'aide à la jeunesse et des directeurs de la protection de la jeunesse (articles 1er et 5 du décret du 23 juin 2022), - d'autre part, il procure un fondement légal aux décisions du ministère public visant à faire héberger un enfant en dehors de son milieu de vie, en cas de nécessité urgente, lorsque l'intégrité physique et psychique de l'enfant est exposée directement et actuellement à un péril grave, et en dehors des heures d'ouverture des services de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse, ou si le conseiller de l'aide à la jeunesse ou le directeur de la protection de la jeunesse ne sont pas joignables durant ces heures (articles 3 et 6, attaqués, du décret du 23 juin 2022).

B.3.1. L'article 3, attaqué, du décret du 23 juin 2022 insère, dans le décret de la Communauté française du 18 janvier 2018 « portant le code de la prévention, de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse » (ci-après : le Code de la jeunesse), un article 37/1 qui dispose : « § 1er. En cas de nécessité urgente, lorsque l'intégrité physique ou psychique d'un enfant est exposée directement et actuellement à un péril grave et en dehors des heures d'ouverture des services de l'aide à la jeunesse ou si le conseiller n'est pas joignable durant celles-ci, le ministère public peut prendre la mesure visée à l'article 51, alinéa 1er, 2°. La mesure prend fin au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant le moment où la mesure a été prise. § 2. Le tribunal de la jeunesse connaît des contestations relatives à la mesure visée au paragraphe 1er prise par le Ministère public et portées devant lui par les personnes visées à l'article 36, alinéa 1er ».

B.3.2. L'article 6, attaqué, du décret du 23 juin 2022 insère, dans le Code de la jeunesse, un article 52/1 qui dispose : « § 1er. En cas de nécessité urgente, lorsque l'intégrité physique ou psychique de l'enfant est exposée directement et actuellement à un péril grave et en dehors des heures d'ouverture des services de protection de la jeunesse ou si le directeur n'est pas joignable durant celles-ci, le Ministère public peut prendre la mesure visée à l'article 51, alinéa 1er, 2°. La mesure prend fin au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant le moment où la mesure a été prise. § 2. Le tribunal de la jeunesse connaît des contestations relatives à la mesure visée [au] paragraphe 1er prise par le ministère public et portées devant lui par les personnes visées à l'article 54, alinéa 1er ».

B.3.3.1. La « mesure visée à l'article 51, alinéa 1er, 2° » du Code de la jeunesse, à laquelle renvoient les articles 37/1 et 52/1 du Code, insérés par les dispositions attaquées, vise la décision, « dans des situations exceptionnelles, que l'enfant sera hébergé temporairement hors de son milieu de vie en vue de son éducation ou de son traitement ».

B.3.3.2. Un recours contre cette mesure peut être introduit devant le tribunal de la jeunesse par les « personnes visées à l'article 36, alinéa 1er » et par les « personnes visées à l'article 54, alinéa 1er » du Code de la jeunesse. Il s'agit (1) des personnes exerçant l'autorité parentale à l'égard de l'enfant, (2) des personnes qui hébergent l'enfant en droit ou en fait, (3) des personnes bénéficiant du droit d'entretenir avec l'enfant des relations personnelles, (4) de l'enfant âgé d'au moins quatorze ans, (5) de l'enfant âgé d'au moins douze ans assisté par un avocat, désigné d'office, le cas échéant à la demande du conseiller, et (6) de l'enfant âgé de moins de douze ans ou son tuteur ad hoc si les personnes exerçant l'autorité parentale à l'égard de l'enfant, les personnes qui hébergent l'enfant en droit ou en fait ou les personnes bénéficiant du droit d'entretenir avec l'enfant des relations personnelles s'abstiennent de saisir le tribunal.

B.3.4. Les travaux préparatoires mentionnent : « Un nouvel article 37/1 est inséré en vue de légaliser la mesure prétorienne. Une pratique récurrente du ministère public en matière d'aide à la jeunesse est de prendre, dans certaines circonstances, une mesure d'hébergement hors du milieu de vie pour une période de très courte durée, lorsque l'enfant est supposé être exposé directement et actuellement à un péril grave, et ce dans l'attente de l'intervention du conseiller.

Cette pratique est très fréquente dans certains arrondissements judiciaires, en soirée, les jours fériés et les week-ends, le conseiller reprenant généralement la gestion de la situation dès le premier jour ouvrable suivant. Elle permet d'éviter le passage devant le tribunal de la jeunesse dans certaines situations et de rester gérées dans le cadre de l'aide volontaire » (Doc. Parl., Parlement de la Communauté française, 2021-2022, n° 397/1, p. 8).

B.4.1. Les articles 1er et 5 du décret du 23 juin 2022 instaurent un service de garde des conseillers de l'aide à la jeunesse et des directeurs de la protection de la jeunesse.

B.4.2. Le conseiller de l'aide à la jeunesse est une autorité administrative placée sous l'autorité hiérarchique du fonctionnaire dirigeant de l'administration compétente de la Communauté française.

Il ou elle dirige le service de l'aide à la jeunesse et doit exercer ses compétences en matière d'aide individuelle en toute indépendance.

Il y a un conseiller dans chaque division du tribunal de première instance ou dans chaque arrondissement qui n'est pas composé de divisions (articles 2, 5°, 8°, 12° et 17°, 16 et 17 du Code de la jeunesse).

Le directeur de la protection de la jeunesse est une autorité administrative placée sous l'autorité hiérarchique du fonctionnaire dirigeant de l'administration compétente de la Communauté française.

Il y a un directeur dans chaque division du tribunal de première instance ou dans chaque arrondissement judiciaire qui n'est pas composé de divisions, pour diriger le service de la protection de la jeunesse. Il ou elle exerce ses compétences en matière de protection individuelle en toute indépendance (articles 2, 5°, 10°, 12° et 17°, 18 et 19 du Code de la jeunesse).

B.4.3.1. Le service de garde est coordonné par zone et est organisé selon les modalités fixées par le Gouvernement.

La mission du conseiller de l'aide à la jeunesse et du directeur de la protection de la jeunesse, pendant la garde, consiste à informer le ministère public sur l'opportunité de procéder en urgence à l'éloignement du milieu de vie de l'enfant concerné, - lorsque le ministère public envisage de faire application des articles 37 ou 37/1 du Code de la jeunesse, dans le cadre de l'aide à la jeunesse (article 35, § 5, du Code de la jeunesse, tel qu'il a été complété par l'article 1er du décret du 23 juin 2022); ou - lorsque le ministère public envisage de faire application des articles 52 et 52/1 du même Code, dans le cadre de la protection de la jeunesse (article 53, § 6, du Code de la jeunesse, tel qu'il a été inséré par l'article 5 du décret du 23 juin 2022).

B.4.3.2. Les articles 37 et 52 du Code de la jeunesse, auxquels il est renvoyé, concernent la saisine, par le ministère public, du tribunal de la jeunesse, lequel peut décider, en cas de nécessité urgente, que l'enfant sera hébergé temporairement en dehors de son milieu de vie pour une durée qui ne peut dépasser 30 jours, lorsque l'intégrité physique ou psychique de l'enfant est exposée directement et actuellement à un péril grave et à défaut d'accord des personnes visées à l'article 23 du Code de la jeunesse, c'est-à-dire de l'enfant âgé d'au moins quatorze ans, de l'enfant âgé d'au moins douze ans, assisté par un avocat, désigné d'office, le cas échéant, à la demande du conseiller, et des personnes qui exercent l'autorité parentale à l'égard de l'enfant.

B.4.3.3. Les articles 37/1 et 52/1 du Code de la jeunesse, auxquels il est renvoyé, tels qu'ils ont été insérés dans le Code de la jeunesse par les dispositions attaquées, concernent la possibilité pour le ministère public de décider que l'enfant en danger sera temporairement hébergé en dehors de son milieu de vie en cas de nécessité urgente et en dehors des heures d'ouverture des services de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse ou lorsqu'il est impossible de joindre le conseiller ou le directeur pendant ces heures d'ouverture.

B.4.4. A propos du service de garde, les travaux préparatoires mentionnent : « Un projet pilote de garde des conseillers de l'aide à la jeunesse et des directeurs de la protection de la jeunesse a été expérimenté dans les arrondissements judiciaires de Liège et Luxembourg, du 4 octobre 2019 au 31 mai 2020. Le dispositif pratiqué alors est décrit dans la circulaire du 1er août 2019 portant sur l'expérimentation d'un système de garde des conseillers de l'aide à la jeunesse et des directeurs de la protection de la jeunesse mise à jour le 23 septembre 2019.

Ce projet pilote a confirmé l'opportunité d'étendre un système de garde à l'ensemble des arrondissements judiciaires, chacun pouvant en reconnaître la plus-value, aussi bien dans les rangs des mandants de l'aide et de la protection de la jeunesse, que dans ceux du ministère public. En effet, ce projet a permis de renforcer les relais entre les conseillers et directeurs et les membres du parquet, tout en favorisant la reconnaissance des compétences réciproques. De même, dans certains cas, le système mis en place a permis d'anticiper les situations d'urgence, les différents mandants avertissant le conseiller ou le directeur de garde des dossiers présentant un risque accru de dégradation au cours du week-end. Une telle anticipation permet au mandant de garde de disposer des éléments utiles lorsque la situation d'urgence se présente.

Le projet pilote a révélé la nécessité d'approfondir l'articulation de l'action des mandants communautaires avec le ministère public. En effet, celui-ci étant le premier intervenant face à une situation de crise et de danger, la mesure prétorienne est apparue comme un élément essentiel du dispositif de garde. [...] [...] pour les périodes plus longues de week-end ou les jours fériés durant lesquels le mandant communautaire est actuellement injoignable, il est apparu judicieux que le ministère public puisse s'appuyer sur l'expertise psycho-sociale et les compétences particulières reconnues aux conseillers de l'aide à la jeunesse et aux directeurs de la protection de la jeunesse. Aussi, le système de garde tel qu'il est pensé prévoit une collaboration étroite entre le ministère public et les mandants de l'aide et de la protection de la jeunesse afin que la meilleure solution puisse être trouvée face à l'urgence. [...] Le système de garde tel que pensé est ainsi à la recherche d'un équilibre : tout en consolidant le principe de déjudiciarisation consacré par le décret du 18 janvier 2018 durant les périodes de fermeture des services de la Communauté française, il garantit au ministère public une aide substantielle à la prise de décision par le biais d'une transmission d'informations, d'éléments d'appréciation et de pistes d'orientations. Par ailleurs, le projet pilote de garde a montré que le système permet d'éviter des saisines du juge de la jeunesse ce qui permet une réduction du nombre de procédures à suivre par le ministère public à moyen ou plus long terme » (Doc. Parl., Parlement de la Communauté française, 2021-2022, n° 397/1, pp. 3-5).

En commission, la ministre a précisé : « Le modèle de garde instaure des permanences téléphoniques des mandants communautaires les weekends et les jours fériés ainsi que les vendredis en soirée. Les mandants peuvent être contactés par les Procureurs. Plus que de simples moments d'échanges, il s'agit véritablement d'organiser la suite de la prise en charge de la situation concernée.

Ce modèle permet à l'aide négociée de jouer pleinement son rôle et offrir aux bénéficiaires les compétences des mandants, rompus au travail avec les jeunes en danger. La mise en place d'une reprise rapide par les mandants, garantit aussi que les jeunes et les familles bénéficient d'une prise en charge immédiate.

L'instauration de ce modèle de gardes est une étape essentielle dans la mise en oeuvre d'un système de gardes plus complet qui devrait, idéalement, viser l'organisation d'un modèle présentiel de mandants accompagnés de membres des sections sociales et administratives.

Toutefois, un tel modèle nécessite des moyens budgétaires et humains conséquents » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2021-2022, n° 397/2, pp. 4-5).

B.5.1. Par la mise en place du système de garde des conseillers à l'aide à la jeunesse et des directeurs de la protection de la jeunesse, combinée à la légalisation de la pratique en vertu de laquelle un enfant en danger est, en cas d'extrême urgence, placé par le ministère public pour une durée très limitée, le législateur décrétal cherche à garantir le principe de déjudiciarisation de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse, en dehors des heures d'ouverture des services administratifs compétents ou en cas d'inaccessibilité de ces services (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2021-2022, n° 397/1, pp. 1, 3, 5 et 6).

Le principe de déjudiciarisation, qui guide l'action de la Communauté française dans sa politique de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse, se trouve inscrit à l'article 1er, 7°, du Code de la jeunesse, qui dispose que « l'aide et la protection s'inscrivent dans une optique de déjudiciarisation et de subsidiarité de l'aide contrainte par rapport à l'aide volontaire ». Ce principe a vocation à s'articuler avec celui, exprimé à l'article 1er, 9°, du même Code, selon lequel « toute mesure de protection à l'égard d'un enfant en danger [...] est mise en oeuvre par la Communauté française dans le cadre d'une décision judiciaire ».

B.5.2. Par ailleurs, par le décret du 23 juin 2022, le législateur décrétal a cherché à « réduire les inégalités existantes entre des situations de faits similaires » et à garantir ainsi que les principes d'égalité de traitement et de « non-judiciarisation des jeunes » soient respectés (ibid., pp. 5-6). Concrètement, le législateur décrétal souhaite que tous les enfants en danger soient traités dans le respect du principe de déjudiciarisation, et ce, que la situation de danger se présente à un moment où les services administratifs compétents sont ouverts, fermés ou injoignables.

B.5.3. En commission, la ministre a précisé : « Le décret du 18 janvier 2018 portant le code de la prévention, de l'aide et de la protection de la jeunesse renforce ces principes et principalement la primauté de la prévention et le principe de déjudiciarisation.

Cependant, les instances en charge de la déjudiciarisation, que sont les Conseillers de l'aide à la jeunesse et les Directeurs de la protection de la jeunesse, travaillent selon des horaires administratifs, c'est-à-dire du lundi au vendredi, en journée.

Cette situation crée des inégalités de traitement puisque les bénéficiaires de l'aide, jeunes et familles, voient leur situation traitée exclusivement en dehors de ces périodes par les instances judiciaires alors que les Conseillers et les Directeurs ne sont pas accessibles.

En effet, les situations qui, par leur gravité et leur urgence, ne permettent pas d'attendre l'ouverture des SAJ et des SPJ, étaient et sont encore actuellement gérées par les différents Parquets et tribunaux de la jeunesse.

La question de la mise en place d'un système de garde des mandants communautaires est centrale depuis de nombreuses années car le vide d'intervention des mandants communautaires durant les weekends et les jours fériés crée des inégalités dans la prise en charge des jeunes et des familles. [...] Enfin, la légalisation et l'organisation des décisions d'éloignement du milieu familial prises par les Procureurs, appelées les mesures prétoriennes, permet de combler un vide juridique concernant des mesures qui sont déjà actuellement prises par ceux-ci.

L'échange entre le procureur et le mandant alors que la question de l'éloignement d'un enfant de son milieu familial se pose et la garantie que le mandant communautaire reprenne la situation dès le premier jour ouvrable qui suit la mesure prise par le Procureur renforcent l'égalité de traitement en faveur des jeunes et des familles tout en renforçant également le principe de déjudiciarisation » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2021-2022, n° 397/2, p. 5).

Quant à l'intérêt à agir B.6. La demande de suspension étant subordonnée au recours en annulation, la recevabilité de celui-ci doit être vérifiée dès l'examen de la demande de suspension.

B.7.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée; il s'ensuit que l'action populaire n'est pas admissible.

B.7.2. L'article 495 du Code judiciaire, alinéas 1er et 2, dispose : « L'Ordre des Barreaux francophones et germanophone et l'Orde van Vlaamse balies ont, [chacun] en ce qui concerne les barreaux qui en font partie, pour mission de veiller à l'honneur, aux droits et aux intérêts professionnels communs de leurs membres et sont compétentes en ce qui concerne l'aide juridique, le stage, la formation professionnelle des avocats-stagiaires et la formation de tous les avocats appartenant aux barreaux qui en font partie. [Ils] prennent les initiatives et les mesures utiles en matière de formation, de règles disciplinaires et de loyauté professionnelle, ainsi que pour la défense des intérêts de l'avocat et du justiciable ».

B.7.3. Les Ordres des barreaux sont des groupements professionnels de droit public qui ont été institués par la loi et qui regroupent obligatoirement tous ceux qui exercent la profession d'avocat.

Les Ordres des barreaux ne peuvent agir en justice, sauf dans les cas où ils défendent leur intérêt personnel, que dans le cadre de la mission que le législateur leur a confiée. Ainsi donc, ils peuvent en premier lieu agir en justice lorsqu'ils défendent les intérêts professionnels de leurs membres ou lorsque l'exercice de la profession d'avocat est en cause. Selon l'article 495, alinéa 2, du Code judiciaire, les Ordres peuvent également prendre des initiatives et des mesures « utiles [...] pour la défense des intérêts de l'avocat et du justiciable ».

B.7.4. Il ressort de l'article 495 du Code judiciaire, lu en combinaison avec les articles 2 et 87 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, que les Ordres des barreaux ne peuvent agir devant la Cour comme partie requérante ou comme partie intervenante pour défendre l'intérêt collectif des justiciables qu'en ce qu'une telle action est liée à la mission et au rôle de l'avocat en ce qui concerne la défense des intérêts du justiciable.

Des mesures qui n'ont aucune incidence sur le droit d'accès au juge, sur l'administration de la justice ou sur l'assistance que les avocats peuvent offrir à leurs clients, que ce soit lors d'un recours administratif, lors d'une conciliation amiable ou lors d'un litige soumis aux juridictions judiciaires ou administratives, ne relèvent dès lors pas de l'article 495 du Code judiciaire, lu en combinaison avec les articles 2 et 87 de la loi spéciale du 6 janvier 1989.

B.8.1. Les dispositions attaquées procurent un fondement légal à la pratique du ministère public consistant à faire héberger temporairement un enfant en dehors de son milieu de vie, en cas de nécessité urgente et de danger grave et actuel pour l'enfant, à un moment où les services de l'aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse sont fermés ou injoignables. Elles prévoient également un recours judiciaire contre ces mesures de placement de l'enfant.

B.8.2. En ce que les dispositions attaquées ont une incidence sur le droit d'accès au juge, notamment au tribunal de la jeunesse, sur l'administration de la justice et sur l'assistance que les avocats peuvent fournir à leurs clients, en l'occurrence aux enfants qui font l'objet de la mesure de placement ou à toute autre personne concernée par la mesure de placement, notamment dans le cadre du recours institué par les dispositions attaquées, l'Ordre des barreaux francophones et germanophone justifie d'un intérêt à demander l'annulation des dispositions attaquées.

Quant à la demande de suspension B.9. Aux termes de l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, deux conditions de fond doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée : - des moyens sérieux doivent être invoqués; - l'exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.

Les deux conditions étant cumulatives, la constatation que l'une de ces deux conditions n'est pas remplie entraîne le rejet de la demande de suspension.

Quant au risque de préjudice grave et difficilement réparable B.10.1. Une suspension par la Cour doit permettre d'éviter qu'un préjudice grave résulte pour la partie requérante de l'application immédiate de la norme attaquée, préjudice qui ne pourrait être réparé ou qui pourrait difficilement être réparé en cas d'annulation éventuelle.

B.10.2. Il ressort de l'article 22 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 que, pour satisfaire à la deuxième condition de l'article 20, 1°, de cette loi, la personne qui forme une demande de suspension doit exposer, dans sa requête, des faits concrets et précis qui prouvent à suffisance que l'application immédiate des dispositions dont elle demande l'annulation risque de leur causer un préjudice grave difficilement réparable.

Cette personne doit notamment faire la démonstration de l'existence du risque de préjudice, de sa gravité, de son caractère difficilement réparable et de son lien avec l'application des dispositions attaquées.

B.11. D'une part, la partie requérante fait valoir que l'application immédiate des dispositions attaquées, dont l'entrée en vigueur est fixée au 1er octobre 2022, aura pour conséquence de placer dans une position procédurale faible les personnes concernées par une mesure d'hébergement d'un enfant prise sur la base des dispositions attaquées, principalement l'enfant et ses proches. En effet, ces personnes ne seraient pas entendues avant la prise d'une telle mesure.

Par ailleurs, si elles souhaitent contester la mesure par la suite, il leur reviendrait de démontrer que les circonstances de fait ne rendaient pas nécessaire le placement de l'enfant. Il y aurait là un renversement de la charge de la preuve.

D'autre part, la partie requérante fait valoir que l'éloignement d'un enfant de son milieu de vie par décision du ministère public nécessite souvent l'intervention de la police, ce qui peut revêtir un caractère traumatisant pour l'enfant et ses proches.

B.12.1. Une personne morale qui défend des principes ou qui protège un intérêt collectif ne peut être confondue avec les personnes physiques affectées dans leur situation personnelle auxquelles ces principes ou cet intérêt sont relatifs.

Les personnes physiques étant seules susceptibles de subir les préjudices invoqués par la partie requérante à l'appui de la demande de suspension, le préjudice qui pourrait être causé à la partie requérante elle-même n'excède pas celui, purement moral, que causerait l'adoption de dispositions législatives contraires aux principes qu'elle a pour objet de défendre. Ce préjudice n'est pas difficilement réparable, puisqu'il disparaîtrait en cas d'annulation des dispositions attaquées.

B.12.2. Dès lors qu'une des conditions pour que la Cour puisse conclure à une suspension n'est pas remplie, il y a lieu de rejeter la demande de suspension.

Par ces motifs, la Cour rejette la demande de suspension.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 27 octobre 2022.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, P. Nihoul

^