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Arrêt
publié le 20 mars 2023

Extrait de l'arrêt n° 139/2022 du 27 octobre 2022 Numéro du rôle : 7821 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 2 de l'arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 2 du 18 mars 2020 « relatif à la suspension tempor La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Gi(...)

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20/03/2023
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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 139/2022 du 27 octobre 2022 Numéro du rôle : 7821 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 2 de l'arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 2 du 18 mars 2020 « relatif à la suspension temporaire des délais de rigueur et de recours fixés dans l'ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 », confirmé par l'article 2 du décret du 3 décembre 2020 « portant confirmation des arrêtés du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux pris dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée au COVID-19 », posée par le tribunal correctionnel de Namur, division de Namur.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters et E. Bribosia, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 13 juin 2022, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 28 juin 2022, le tribunal correctionnel de Namur, division de Namur, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 2 de l'Arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 2 du 18 mars 2020 relatif à la suspension temporaire des délais de rigueur et de recours fixés dans l'ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, confirmé par le décret du 3 décembre 2020 portant confirmation des arrêtés du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux pris dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée au COVID-19, interprété comme ne s'appliquant pas aux délais de recours juridictionnels contre des actes administratifs, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention Européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales en ce qu'il prévoit la suspension des délais de recours administratifs devant des autorités administratives mais exclut la suspension des délais de recours juridictionnels ? ». Le 13 juillet 2022, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs E. Bribosia et D. Pieters ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l'examen de l'affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire. (...) III. En droit (...) B.1. L'article 1er de l'arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 2 du 18 mars 2020 « relatif à la suspension temporaire des délais de rigueur et de recours fixés dans l'ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 » (ci-après : l'arrêté du 18 mars 2020) dispose : « Les délais de rigueur et de recours fixés par les décrets et règlements de la Région wallonne ou pris en vertu de ceux-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, sont suspendus à partir du 18 mars 2020 pour une durée de 30 jours prorogeable deux fois pour une même durée par un arrêté par lequel le gouvernement en justifie la nécessité au regard de l'évolution des conditions sanitaires ».

B.2. Le décret de la Région wallonne du 17 mars 2020 « octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement wallon dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 » (ci-après : le décret du 17 mars 2020) octroie au Gouvernement wallon les « pouvoirs spéciaux » lui permettant de « réagir à la pandémie Covid-19 », de « prendre toutes les mesures utiles pour prévenir et traiter toute situation qui pose problème dans le cadre strict de la pandémie [de] Covid-19 et de ses conséquences et qui doit être réglée en urgence sous peine de péril grave » (article 1er, § 1er), ainsi que, « en cas d'ajournement du Parlement wallon dû à la pandémie de Covid-19, aux seules fins d'assurer la continuité du service public malgré la pandémie de Covid-19 et dans la mesure où l'urgence de son action est motivée », de « prendre toutes les mesures utiles dans les matières qui relèvent de la compétence de la Région wallonne » (article 2, § 1er, alinéa 1er).

Les arrêtés adoptés en vertu de ces deux dispositions « peuvent abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions décrétales en vigueur, même dans les matières qui sont expressément réservées au décret par la Constitution » (articles 1er, § 2, alinéa 1er, et 2, § 2, alinéa 1er).

B.3. L'arrêté du 18 mars 2020 a été pris en vertu de l'habilitation contenue dans le décret du 17 mars 2020, sur la base de la considération selon laquelle la pandémie de Covid-19 « est de nature à affecter le bon fonctionnement des différents services publics et également à priver les citoyens de la possibilité de faire utilement et effectivement valoir leurs droits dans le cadre des procédures et recours administratifs ».

B.4. La juridiction a quo pose à la Cour la question de savoir si la limitation du champ d'application de l'article 1er de l'arrêté du 18 mars 2020 aux délais applicables aux procédures administratives et aux recours introduits devant les autorités administratives est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.5. En d'autres termes, la question préjudicielle repose sur la prémisse selon laquelle les « recours » visés par la disposition en cause n'incluent pas les recours dirigés contre les décisions administratives devant les juridictions judiciaires.

Selon la juridiction a quo, cette interprétation de la disposition en cause ressort du préambule de l'arrêté du 18 mars 2020, qui mentionne : « Considérant [que] les mesures, actuelles et à venir, prises pour limiter la propagation du virus dans la population sont de nature à ralentir toute forme d'activité sur le territoire de la Région wallonne, à affecter le bon fonctionnement des différents services publics, voire à paralyser certains services;

Que [la propagation du virus] est de nature à affecter le bon fonctionnement des différents services publics et également à priver les citoyens de la possibilité de faire utilement et effectivement valoir leurs droits dans le cadre des procédures et recours administratifs;

Considérant qu'il convient, afin de garantir la continuité du service public, de garantir le principe d'égalité et de préserver la sécurité juridique, de prendre des mesures qui visent à ce qu'aucun citoyen ne soit entravé ni dans l'exercice de ses droits ni dans l'accomplissement de ses obligations du fait des impacts de la crise sanitaire sur le fonctionnement quotidien des Services publics ou du fait qu'il n'ait pas été lui-même dans une situation qui lui permette d'exercer ceux-ci;

Considérant qu'il convient également de veiller à ce que les services publics soient en mesure de traiter effectivement [les] procédures administratives et les recours relevant de leur responsabilité, tout en évitant que des décisions ne soient prises par défaut dans le cas d'une impossibilité de traitement dans les délais requis ».

B.6. Toutefois, l'article 1er de l'arrêté du 18 mars 2020 se réfère aux « délais de rigueur et de recours fixés par les décrets et règlements de la Région wallonne » sans limiter davantage son champ d'application. Dès lors que le délai de recours en cause est réglé par l'article D.164 du Code de l'environnement, tel qu'il est applicable dans le recours pendant devant la juridiction a quo, et qu'il constitue donc un délai de recours fixé par un décret de la Région wallonne, il relève de l'application du régime de suspension de l'article 1er de l'arrêté du 18 mars 2020. Le texte de cette disposition étant clair, il n'y a pas lieu de considérer que seuls les recours introduits devant les autorités administratives seraient suspendus par cette disposition.

B.7. La circonstance que l'article D.164, alinéa 5, du Code de l'environnement dispose que le Code d'instruction criminelle s'applique à la procédure de recours dirigée contre les décisions du fonctionnaire sanctionnateur ne conduit pas à une autre conclusion, étant donné que le délai de recours en cause n'est pas fixé par le Code d'instruction criminelle, mais par l'article D.164, alinéa 1er, du Code de l'environnement.

B.8. De surcroît, le préambule précité ne permet pas d'estimer que, contrairement à ce que mentionne la disposition en cause, le Gouvernement wallon aurait exclu du champ d'application de cette dernière certains « délais de recours » qui sont « fixés par les décrets et règlements de la Région wallonne ou pris en vertu de ceux-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 », à savoir les délais dont sont assortis les recours dirigés contre des décisions administratives qui sont introduits devant les juridictions judiciaires.

L'objectif du Gouvernement wallon, exprimé dans les considérants précités, est « de garantir le principe d'égalité et de préserver la sécurité juridique, de prendre des mesures qui visent à ce qu'aucun citoyen ne soit entravé ni dans l'exercice de ses droits [...] du fait qu'il n'ait pas été lui-même dans une situation qui lui permette d'exercer ceux-ci ».

L'interprétation selon laquelle le Gouvernement wallon aurait souhaité exclure du champ d'application de l'arrêté du 18 mars 2020 les délais d'introduction des recours, fixés par les décrets et règlements de la Région wallonne, dirigés contre les décisions administratives qui sont introduits devant les juridictions judiciaires, alors qu'y sont inclus les délais, fixés par les décrets et règlements de la Région wallonne, de la procédure administrative et les délais de recours administratif auprès d'une autorité administrative, entre manifestement en contradiction avec cet objectif.

B.9. Il ressort de ce qui précède que le délai de trente jours visé à l'article D.164, alinéa 1er, du livre Ier du Code de l'environnement a été suspendu par l'article 1er de l'arrêté du 18 mars 2020.

Il s'ensuit que la différence de traitement visée dans la question préjudicielle n'existe pas.

B.10. La question préjudicielle n'appelle pas de réponse.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : La question préjudicielle n'appelle pas de réponse.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 27 octobre 2022.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, P. Nihoul

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