publié le 13 mars 2023
Extrait de l'arrêt n° 132/2022 du 20 octobre 2022 Numéro du rôle : 7689 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 2bis, § 6, de la loi du 24 février 1921 « concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, st La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges T. Giet,(...)
Extrait de l'arrêt n° 132/2022 du 20 octobre 2022 Numéro du rôle : 7689 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 2bis, § 6, de la loi du 24 février 1921Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/02/1921 pub. 17/12/2004 numac 2004000617 source service public federal interieur Loi concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques. - Traduction allemande fermer « concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques et des substances pouvant servir à la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes », posée par le Tribunal de première instance d'Anvers, division d'Anvers.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges T. Giet, J. Moerman, E. Bribosia et W. Verrijdt, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite J.-P. Moerman, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 26 novembre 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 6 décembre 2021, le Tribunal de première instance d'Anvers, division d'Anvers, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 2bis, § 6, de la loi du 24 février 1921Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/02/1921 pub. 17/12/2004 numac 2004000617 source service public federal interieur Loi concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques. - Traduction allemande fermer concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques et des substances pouvant servir à la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que la peine prévue pour ces comportements répréhensibles conformément à l'article 2bis, §§ 1er à 5, de la loi précitée est plus lourde que celle qui est prévue en cas de tentative de commettre les infractions visées à l'article 2bis, §§ 1er à 5, de la loi précitée (en application des articles 52, 80 et 81 du Code pénal), alors que les deux comportements précèdent l'infraction consommée consistant à importer, exporter, transporter, fabriquer, produire, détenir, vendre ou offrir en vente, fournir, délivrer ou acquérir des produits, ou à cultiver des plants de cannabis, des plants de coca et des plants de l'espèce Papaver somniferum L. (article 6 de l'arrêté royal du 6 septembre 2017) et que, dans la chaîne des comportements (répréhensibles ou non) susceptibles d'aboutir à l'infraction consommée précitée, eu égard à la nature des actes accomplis par l'auteur, la tentative peut en outre être considérée comme plus proche du résultat final visé que l'infraction autonome consistant à accomplir des actes préparatoires ? ». (...) II. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'article 2bis, § 6, de la loi du 24 février 1921Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/02/1921 pub. 17/12/2004 numac 2004000617 source service public federal interieur Loi concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques. - Traduction allemande fermer « concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques et des substances pouvant servir à la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes » (ci-après : la loi du 24 février 1921Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/02/1921 pub. 17/12/2004 numac 2004000617 source service public federal interieur Loi concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques. - Traduction allemande fermer). Aux termes de cette disposition, les actes préparatoires posés en vue de la fabrication, de la vente, de la livraison ou de la fourniture illicite d'une substance visée à l'article 2bis, § 1er, ou en vue de la culture des plantes dont peuvent être extraites ces substances sont punis des mêmes peines que les peines fixées à l'article 2bis, §§ 1er à 5.
B.2.1. L'article 2bis de la loi du 24 février 1921Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/02/1921 pub. 17/12/2004 numac 2004000617 source service public federal interieur Loi concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques. - Traduction allemande fermer, dans sa version applicable au litige au fond, dispose : « § 1. Les infractions aux dispositions qui, dans les arrêtés royaux pris en exécution de la présente loi, concernent les substances soporifiques, stupéfiantes et les autres substances psychotropes susceptibles d'engendrer une dépendance et dont la liste est arrêtée par le Roi ainsi que la culture des plantes dont peuvent être extraites ces substances, seront punies en fonction des distinctions visées à l'alinéa 2 et des catégories établies par le Roi par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, d'un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d'une amende de mille à cent mille EUR. Le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, établir des distinctions entre les substances énumérées dans la liste visée à l'alinéa 1er. § 2. Les infractions visées au § 1 seront punies de la réclusion de cinq ans à dix ans : a) si elles ont été commises à l'égard d'un mineur âgé de 16 ans accomplis;b) si l'usage des substances spécifiées au § 1, qui a été fait à la suite des infractions, a causé à autrui, soit une maladie paraissant incurable, soit une incapacité de travail personnel de plus de quatre mois, soit la perte de l'usage absolu d'un organe, soit une mutilation grave. § 3. Les infractions visées au § 1 seront punies de la réclusion de dix à quinze ans : a) si elles ont été commises à l'égard d'un enfant âgé de plus de 12 ans accomplis et de moins de 16 ans accomplis;b) si elles constituent des actes de participation à l'activité principale ou accessoire d'une association;c) si l'usage qui a été fait des substances spécifiées au § 1 à la suite des infractions, a causé la mort. § 4. Les infractions visées au § 1 seront punies de la réclusion de quinze à vingt ans : a) si elles ont été commises à l'égard d'un enfant âgé de moins de 12 ans accomplis;b) si elles constituent des actes de participation en qualité de dirigeant à l'activité principale ou accessoire d'une association; § 5. Dans les cas prévus aux §§ 2, 3, 4 et 6, une amende de 1 000 à 100 000 EUR pourra, en outre, être prononcée. § 6. Sont punis des peines prévues au présent article, et selon les distinctions qui y sont faites, ceux qui, à titre onéreux ou gratuit, posent des actes préparatoires en vue de la fabrication, la vente, la livraison ou la fourniture illicite d'une substance visée au § 1er, ou en vue de la culture des plantes dont peuvent être extraites ces substances ».
B.2.2. Les articles 51 à 53 du Code pénal disposent : «
Art. 51.Il y a tentative punissable lorsque la résolution de commettre un crime ou un délit a été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d'exécution de ce crime ou de ce délit, et qui n'ont été suspendus ou n'ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l'auteur.
Art. 52.La tentative de crime est punie de la peine immédiatement inférieure à celle du crime même, conformément aux articles 80 et 81.
Les tentatives de crimes punissables de la réclusion à perpétuité ou de la détention à perpétuité seront cependant punies respectivement de la réclusion de vingt ans à trente ans ou de la détention de vingt ans à trente ans.
Art. 53.La loi détermine dans quels cas et de quelles peines sont punies les tentatives de délits ».
B.3. En ce que, d'une part, aux termes de l'article 2bis, § 6, de la loi du 24 février 1921Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/02/1921 pub. 17/12/2004 numac 2004000617 source service public federal interieur Loi concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques. - Traduction allemande fermer, les actes préparatoires sont punis de la même manière que les infractions à la législation sur les stupéfiants qu'ils visent à préparer, et en ce que, d'autre part, l'article 52 du Code pénal dispose que les tentatives de crime sont punies de la peine immédiatement inférieure à celle du crime même, conformément aux articles 80 et 81 du Code pénal, l'acte préparatoire d'un des crimes définis à l'article 2bis, §§ 2 à 5, est puni plus sévèrement que la tentative de commettre un tel crime.
Il peut être déduit de la motivation de la décision de renvoi que la Cour est interrogée sur la compatibilité de cette règle avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.4. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.5. Le caractère répréhensible de certains faits, le constat de ceux-ci en tant qu'infraction, la gravité de cette infraction et la sévérité avec laquelle elle peut être punie relèvent du pouvoir d'appréciation du législateur.
La Cour empiéterait sur le domaine réservé au législateur si, en s'interrogeant sur la justification des différences entre des sanctions, elle procédait chaque fois à une mise en balance fondée sur un jugement de valeur quant au caractère répréhensible des faits en cause par rapport à d'autres faits punissables commis et ne limitait pas son examen aux cas dans lesquels le choix du législateur est à ce point incohérent qu'il aboutit à une différence de traitement manifestement déraisonnable ou à une sanction manifestement disproportionnée.
B.6. L'article 2bis, § 6, de la loi du 24 février 1921Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/02/1921 pub. 17/12/2004 numac 2004000617 source service public federal interieur Loi concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques. - Traduction allemande fermer a été inséré par l'article 3 de la loi du 7 février 2014 « modifiant la loi du 24 février 1921Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/02/1921 pub. 17/12/2004 numac 2004000617 source service public federal interieur Loi concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques. - Traduction allemande fermer concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques et des substances pouvant servir à la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes ». Il ressort des travaux préparatoires que le législateur, en incriminant les actes préparatoires des infractions à la législation sur les stupéfiants énumérées à l'article 2bis, §§ 1er à 5, a voulu réagir à une nouvelle évolution dans le cadre du trafic de drogues, qui appelait une lutte plus efficace contre les producteurs de stupéfiants : « La production de drogues illicites se professionnalise sans cesse.
L'implication grandissante de réseaux criminels très bien organisés n'y est pas étrangère. La professionnalisation de la production de drogues se fait fortement ressentir dans le secteur des drogues synthétiques, dont la fabrication de substances psychoactives telles que visées dans l'article 2,2° de cet avant-projet fait partie, et dans le secteur de la culture professionnelle du cannabis. Cette professionnalisation se manifeste, pour les deux secteurs, dans le matériel et les techniques utilisés. l'utilisation de matériel et de techniques dans la production. Concernant ces derniers, il s'agit d'actes et de méthodes qui sont utilisés pour accroître la qualité et la quantité du processus de production ou de culture et pour masquer, de façon maximale, au monde extérieur la production en vue de réduire les chances de découvrir ces activités illégales. Il s'agit, entre autres, de masquer le bruit et les odeurs dégagés par les espaces de production via l'utilisation d'un revêtement et d'autre matériel, entre autres, de hottes aspirantes, de toute sorte de matériel de détection censé avertir de la présence de visiteurs indésirables, d'installation de ' booby traps ', d'utilisation de véhicules et de remorques spécifiquement transformés mais aussi de mise à disposition d'espaces comme des garages, hangars et autres entrepôts, le partage ou l'utilisation d'habitations entières et des appartements, et l'installation de matériel et/ou de techniques qui permettent de détourner l'alimentation régulière en électricité.
La professionnalisation de la production de drogues illicites a conduit à l'apparition d'une industrie spécifique qui se concentre sur des actes préparatoires et facilitants. A cet égard, le rôle que les ' growshops ' jouent dans la culture du cannabis, dans la livraison de substances de base et du matériel pour la création de labos destinés à la production de drogues illicites, dans la mise à disposition de locations et d'espaces qui sont indiqués pour la production de drogues illicites peut être pointé.
Dans certains cas, ces services et ces marchandises sont fournis par des organisations criminelles mais des sociétés légales et des particuliers peuvent également jouer un rôle dans la fourniture de ces services et de ces marchandises. De cette manière, le processus de production devient plus professionnel, plus grand et reçoit toujours plus d'impulsions innovantes. Ces actes préparatoires sont essentiels pour la réalisation de la production illicite des drogues susmentionnées. L'incrimination d'actes préparatoires est donc également essentielle afin de lutter contre la production illicite de drogues. [...] Il arrive que des espaces soient découverts avec du matériel destiné à la production de drogues illicites ou dans lesquels se trouvent des traces de production ou de culture antérieures, qui se trouvent dans un état avancé de préparation pour la production de drogues illicites sans toutefois que des boutures ou des plantes de cannabis ou des matières primaires pour la fabrication de drogues synthétiques ne soient découvertes.
Il arrive qu'il n'y ait encore aucun début d'exécution et par conséquent aucun des éléments constitutifs d'une tentative pénalement punissable n'est présent. Même le matériel qui est découvert dans ce cas ne peut être confisqué malgré qu'il existe peu de doutes sur les intentions criminelles » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3112/001, pp. 9-10).
Le rapport précise à cet égard que l'incrimination des actes préparatoires tend à « lutter contre tous les maillons de la narco-criminalité organisée » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3112/002, p. 4).
Interrogé au sujet de la formulation large de la disposition, le ministre a précisé, à propos de cette nouvelle incrimination, qu'elle s'insère « dans la loi précitée de 1921, qui est une loi pénale », de sorte que « son application suppose l'existence d'une intention délictueuse » (ibid., p. 9).
B.7. Eu égard au constat de l'émergence d'une industrie criminelle distincte, qui se spécialise de manière professionnelle dans la préparation et dans la facilitation d'infractions à la législation sur les stupéfiants, sans que les intéressés eux-mêmes participent toujours à l'exécution de ces infractions, le législateur a pu raisonnablement considérer qu'il est nécessaire que les actes préparatoires soient punis aussi sévèrement que les infractions à la législation sur les stupéfiants que ces actes visent à préparer et à faciliter, même s'il n'y a pas encore eu de début d'exécution de ces infractions. Dans ce contexte, il n'est pas manifestement déraisonnable d'incriminer de la sorte les actes préparatoires intentionnellement accomplis en vue de la commission d'infractions à la législation sur les stupéfiants. Compte tenu des considérations précitées, il n'est donc pas non plus manifestement déraisonnable que les actes préparatoires soient punis plus sévèrement que la tentative de commettre une infraction spécifique à la législation sur les stupéfiants. La considération, contenue dans la question préjudicielle, selon laquelle la tentative doit, d'un point de vue chronologique, être plus proche du résultat final visé ne change rien à cette conclusion.
Enfin, il ne ressort ni de la décision de renvoi ni des mémoires des parties qu'il serait dit que les peines applicables aux actes préparatoires seraient manifestement disproportionnées.
B.8. L'article 2bis, § 6, de la loi du 24 février 1921Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/02/1921 pub. 17/12/2004 numac 2004000617 source service public federal interieur Loi concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques. - Traduction allemande fermer est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que la peine prévue à l'article 2bis, §§ 1er à 5, de cette loi en ce qui concerne les actes préparatoires est plus lourde que celle qui est prévue en cas de tentative de commettre les infractions visées à l'article 2bis, §§ 1er à 5, de cette loi.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 2bis, § 6, de la loi du 24 février 1921Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/02/1921 pub. 17/12/2004 numac 2004000617 source service public federal interieur Loi concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques. - Traduction allemande fermer « concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques et des substances pouvant servir à la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes » ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 20 octobre 2022.
Le greffier, Le président, F. Meersschaut L. Lavrysen