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Arrêt
publié le 13 mars 2023

}Extrait de l'arrêt n° 120/2022 du 13 octobre 2022 Numéro du rôle : 7483 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 206, 1°, a), du Code bruxellois de l'aménagement du territoire, posées par le Conseil d'Etat. La Cour composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kher(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


}Extrait de l'arrêt n° 120/2022 du 13 octobre 2022 Numéro du rôle : 7483 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 206, 1°, a), du Code bruxellois de l'aménagement du territoire, posées par le Conseil d'Etat.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune et E. Bribosia, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite J.-P. Moerman, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt n° 249.084 du 27 novembre 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 15 décembre 2020, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : « En ce que l'article 206, 1°, a), du Code bruxellois de l'aménagement du territoire coordonné par l'arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 9 avril 2004 pourrait être interprété comme autorisant le classement de salles entières, comprenant une multitude d'objets non répertoriés en tant que tels, d'un musée qui est un établissement scientifique et culturel de l'Etat fédéral, et comme autorisant ainsi l'intervention dans la gestion de cet établissement, viole-t-il les règles établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat fédéral et de la Région de Bruxelles-Capitale et plus précisément les articles 127, § 1er, 1° et 135bis de la Constitution, les articles 4, 4°, et 6, § 1er, I, 7°, et 6bis, § 2, 4°, 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ? »; « En ce que l'article 206, 1°, a), du Code bruxellois de l'aménagement du territoire coordonné par l'arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 9 avril 2004 pourrait être interprété comme autorisant le classement d'un mode d'exposition muséale ou scénographie, ce qui constituerait un patrimoine culturel immatériel d'un musée, viole-t-il les règles établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat fédéral et de la Région de Bruxelles-Capitale et plus précisément les articles 127, § 1er, 1°, et 135bis de la Constitution, les articles 4, 4°, et 6, § 1er, I, 7°, et 6bis, § 2, 4°, 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et les articles 4 et 4bis, 3°, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises et ce, alors même que l'article 4bis, 3°, de cette loi spéciale du 12 janvier 1989 limite la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale au patrimoine biculturel immatériel d'intérêt régional ? ». (...) III. En droit (...) Quant à la première question préjudicielle B.1. Le Conseil d'Etat demande à la Cour si l'article 206, 1°, a), du Code bruxellois de l'aménagement du territoire (ci-après : le CoBAT), « interprété comme autorisant le classement de salles entières, comprenant une multitude d'objets non répertoriés en tant que tels, d'un musée qui est un établissement scientifique [...] de l'Etat fédéral, et comme autorisant ainsi l'intervention dans la gestion de cet établissement », est conforme aux règles de répartition des compétences et, plus particulièrement, aux articles 127, § 1er, 1°, et 135bis de la Constitution et aux articles 4, 4°, 6, § 1er, I, 7°, 6bis, § 2, 4°, et 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980).

Les actes attaqués devant le Conseil d'Etat portent sur le classement par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale de biens mobiliers conservés par un établissement scientifique fédéral. La Cour limite son examen à cette situation.

B.2. L'article 206, 1°, a), du CoBAT dispose : « Pour l'application du présent titre, il faut entendre par : 1° patrimoine immobilier : l'ensemble des biens immeubles qui présentent un intérêt historique, archéologique, artistique, esthétique, scientifique, social, technique, paysager, urbanistique ou folklorique, à savoir : a) au titre de monument : toute réalisation particulièrement remarquable, y compris les installations ou les éléments décoratifs faisant partie intégrante de cette réalisation ». Sur la base de cette disposition, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale peut classer des biens mobiliers en tant qu'ils font partie intégrante d'un monument.

B.3. En région bilingue de Bruxelles-Capitale, la matière relative au patrimoine culturel, à l'exception des monuments et des sites, est réglée par plusieurs législateurs.

La Communauté française et la Communauté flamande sont compétentes à l'égard du patrimoine culturel relevant des institutions qui, en raison de leurs activités, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l'une ou à l'autre communauté (article 127 de la Constitution et article 4, 4°, de la loi spéciale du 8 août 1980).

La Région de Bruxelles-Capitale est compétente à l'égard du patrimoine biculturel mobilier et immatériel, pour autant qu'il soit d'intérêt régional, comme la Cour l'a jugé par son arrêt n° 71/2021 du 20 mai 2021 (article 4bis, 3°, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux Institutions bruxelloises (ci-après : la loi spéciale du 12 janvier 1989), pris en application de l'article 135bis de la Constitution).

Le patrimoine culturel qui ne relève pas des compétences de la Communauté française, de la Communauté flamande ou de la Région de Bruxelles-Capitale ressortit à la compétence résiduelle de l'autorité fédérale. Cette dernière est ainsi compétente à l'égard du patrimoine biculturel ayant une envergure nationale ou internationale et, en particulier, à l'égard des biens mobiliers qui relèvent d'un établissement scientifique ou culturel fédéral.

B.4. La Région de Bruxelles-Capitale est compétente en matière de monuments et de sites (article 6, § 1er, I, 7°, de la loi spéciale du 8 août 1980, lu en combinaison avec l'article 4, alinéa 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989).

B.5. En ce qu'il qualifie de monuments « les installations ou les éléments décoratifs faisant partie intégrante » d'une réalisation particulièrement remarquable, l'article 206, 1°, a), du CoBAT règle, pour ce qui concerne la protection des biens mobiliers relevant d'un établissement scientifique fédéral, une matière qui ressortit à la compétence de l'autorité fédérale.

B.6. L'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, lu en combinaison avec l'article 4, alinéa 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989, permet néanmoins à la Région de Bruxelles-Capitale d'adopter des dispositions ordonnancielles dans une matière qui relève de la compétence de l'autorité fédérale, à condition que ces dispositions soient nécessaires à l'exercice des compétences de la Région, que cette matière se prête à un règlement différencié et que l'incidence de ces dispositions sur la matière fédérale ne soit que marginale.

B.7. Par son arrêt n° 25/2010 du 17 mars 2010, la Cour a jugé qu'en vue d'exercer utilement sa compétence en matière de monuments et de sites, une région peut, en vertu de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 « estimer nécessaire que soient également protégés, outre les biens immobiliers, les biens culturels qui en font partie intégrante, y compris l'équipement complémentaire et les éléments décoratifs », dès lors que ces objets « sont, de par leur nature, tellement attachés à un monument, dont ils contribuent à déterminer la valeur socio-culturelle, artistique ou historique, qu'ils doivent être protégés en même temps que le monument ».

La Région de Bruxelles-Capitale est dès lors compétente pour régler la protection des biens mobiliers faisant partie intégrante d'un monument.

B.8. Dès lors qu'elle se fonde sur l'exercice de compétences implicites, la compétence du législateur ordonnanciel de protéger les biens mobiliers associés à un bien immobilier doit se limiter aux seuls biens qui font partie intégrante de ce bien immobilier et cette notion doit faire l'objet d'une interprétation stricte.

Le Conseil d'Etat a jugé en la matière : « Pour qu'un objet puisse être considéré comme faisant ' partie intégrante ' d'une réalisation architecturale, il faut qu'existe un lien entre celle-ci et celui-là; [...] ce lien n'est défini ni par le législateur régional ni par la Convention de Grenade, [...] de laquelle est issue la disposition concernée; [...] pour déterminer la nature de ce lien, il y a lieu d'avoir égard aux objectifs de la législation sur la conservation du patrimoine immobilier, lesquels sont révélés par les motifs qui, selon l'article 206, 1°, a, du CoBAT, justifient le classement, à savoir l'intérêt historique, archéologique, artistique, esthétique, social, technique ou folklorique; [...] il en résulte que ce lien peut être notamment de nature historique, esthétique et artistique; [...] certains objets sont, de par leur nature, tellement attachés à un monument, dont ils contribuent à déterminer la valeur socioculturelle, artistique ou historique, que, pour être pleine et entière, la protection du bâtiment comme monument doit s'étendre à ces objets, indépendamment de la valeur intrinsèque qu'ils pourraient avoir de manière isolée par rapport à l'ensemble dans lequel ils s'insèrent; [...] s'avèrent indifférentes à cet égard leur qualification en droit civil et l'identité de leurs propriétaires, ces considérations étant dépourvues de pertinence pour délimiter la partie de l'ensemble qui mérite la protection au titre de monument historique » (CE, arrêt n° 210.958 du 2 février 2011).

Il ressort de ce même arrêt que, pour être considérés comme faisant « partie intégrante » d'une réalisation architecturale, les objets doivent présenter un lien indissociable avec l'immeuble qui les abrite et ils doivent être protégés in situ avec celui-ci, leur déplacement étant de nature à porter atteinte à l'intégrité de la réalisation remarquable à protéger. Par contre, il n'est pas exigé « que ces objets revêtent en outre la qualité d'immeuble par nature ou par destination » (Cass., 13 juin 2013, C.12.0091.F).

B.9. Il appartient au Conseil d'Etat de vérifier si les biens mobiliers classés par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale font effectivement partie intégrante du bâtiment qui les abrite et, si tel est le cas, de vérifier, dans le cadre de la loyauté fédérale, si ce classement ne rend pas impossible ou exagérément difficile l'exercice par l'autorité fédérale de sa compétence en matière de gestion des établissements scientifiques fédéraux.

B.10. La première question préjudicielle n'appelle dès lors pas de réponse.

Quant à la seconde question préjudicielle B.11. Le Conseil d'Etat demande à la Cour si l'article 206, 1°, a), du CoBAT, interprété « comme autorisant le classement d'un mode d'exposition muséale ou scénographie, ce qui constituerait un patrimoine culturel immatériel d'un musée », est conforme aux règles de répartition des compétences et, plus particulièrement, aux articles 127, § 1er, 1°, et 135bis de la Constitution, aux articles 4, 4°, 6, § 1er, I, 7°, 6bis, § 2, 4°, et 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, et aux articles 4 et 4bis, 3°, de la loi spéciale du 12 janvier 1989, « et ce, alors même que l'article 4bis, 3°, de cette loi spéciale du 12 janvier 1989 limite la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale au patrimoine biculturel immatériel d'intérêt régional ».

B.12. Il ressort de l'arrêt de renvoi que les arrêtés attaqués devant le Conseil d'Etat procèdent, sur la base de l'article 206, 1°, a), du CoBAT, au classement par extension comme monument d'éléments qui sont des objets et du mobilier « faisant intrinsèquement partie du décor scénographique des salles historique et technique situées dans les galeries courbes du Musée royal de l'Armée et d'Histoire militaire ».

Il s'ensuit que le classement litigieux porte non pas sur un mode d'exposition muséale ou une scénographie, mais sur des biens corporels qualifiés d'« installations ou éléments décoratifs faisant partie intégrante de la réalisation architecturale dont ils constituent le décor scénographique ».

B.13. La seconde question préjudicielle, qui interroge la Cour sur la conformité aux règles répartitrices de compétences de la disposition en cause en ce qu'elle autoriserait le classement d'un « mode d'exposition muséale ou scénographie », ne saurait dès lors présenter d'utilité pour la solution du litige pendant devant la juridiction a quo.

La seconde question préjudicielle n'appelle pas de réponse.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les questions préjudicielles n'appellent pas de réponse.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 13 octobre 2022.

Le greffier, Le président, F. Meersschaut P. Nihoul

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