publié le 24 janvier 2024
Extrait de l'arrêt n° 69/2023 du 27 avril 2023 Numéros du rôle : 7761 et 7767 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 28 et 36 du décret de la Région wallonne du 2 février 2017 « relatif aux aides à l'emploi à destinat La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Gie(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 69/2023 du 27 avril 2023 Numéros du rôle : 7761 et 7767 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 28 et 36 du décret de la Région wallonne du 2 février 2017 « relatif aux aides à l'emploi à destination des groupes-cibles », posées par le Tribunal du travail de Liège, division de Liège.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par deux jugements, des 21 et 22 février 2022, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour le 23 février 2022 et le 3 mars 2022, le Tribunal du travail de Liège, division de Liège, a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 28 et 36 du décret du 2 février 2017 relatif aux aides à l'emploi à destination des groupes-cibles (M.B. 16 mars 2017) violent-ils l'article 23, alinéa 3, 2° de la Constitution, et/ou, les articles 10 et 11 de la Constitution, ces dispositions étant lues ou non en combinaison les unes avec les autres, et lues éventuellement en combinaison avec l'article 2.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, l'article 12.1 de la Charte sociale européenne et l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, en ce qu'ils suppriment, pour la Région wallonne, à partir du 1er juillet 2020, le complément de reprise du travail à durée indéterminée dont bénéficiaient les travailleurs visés à l'article 129bis de l'Arrêté royal du 25 novembre 1991 portant règlementation du chômage avant son abrogation par les dispositions visées par la présente question préjudicielle ? ».
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7761 et 7767 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) Quant aux dispositions en cause et à leur contexte B.1.1. Les questions préjudicielles portent sur le « complément de reprise du travail ». Il s'agit d'un complément aux revenus perçus comme salarié ou indépendant, qui a été introduit par le législateur fédéral en vue de remettre au travail les personnes âgées inactives.
Ce complément se présente sous la forme d'une prime forfaitaire mensuelle versée par l'Office national de l'emploi et les organismes de paiement.
B.1.2. Depuis la Sixième réforme de l'Etat, les régions sont compétentes en matière de politique de l'emploi axée sur les groupes-cibles (article 6, § 1er, IX, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles).
B.1.3. Le décret de la Région wallonne du 2 février 2017 « relatif aux aides à l'emploi à destination des groupes-cibles » (ci-après : le décret du 2 février 2017) s'inscrit dans la réforme des aides à l'emploi en faveur des groupes-cibles menée par la Région wallonne.
Cette réforme se traduit par l'instauration de trois types d'aide à l'embauche, à savoir, (1) l'allocation de travail pour les jeunes demandeurs d'emploi peu ou moyennement qualifiés lorsqu'ils débutent l'exécution d'un contrat de travail, (2) l'allocation de travail pour les demandeurs d'emploi de longue durée lorsqu'ils débutent l'exécution d'un contrat de travail et (3) une réduction des cotisations patronales pour favoriser l'embauche des travailleurs âgés.
Le décret du 2 février 2017 abroge de nombreuses aides à l'emploi fédérales et régionales dont le complément de reprise du travail (Doc. parl., Parlement wallon, 2016-2017, n° 698/1, pp. 2-4).
B.1.4.1. Plus précisément, l'article 28 du décret du 2 février 2017 abroge plusieurs dispositions de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 « portant réglementation du chômage » (ci-après : l'arrêté royal du 25 novembre 1991).
Les points 1° et 2° de cet article abrogent notamment les articles 129bis, 129ter et 129quater de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, qui régissent le complément de reprise du travail octroyé aux travailleurs âgés qui reprennent le travail en tant que salarié (article 129bis) ou en tant qu'indépendant (articles 129ter et 129quater).
B.1.4.2. Les questions préjudicielles portent uniquement sur le complément de reprise du travail octroyé aux travailleurs âgés qui reprennent le travail en tant que salarié (article 129bis de l'arrêté royal du 25 novembre 1991).
B.1.5.1. L'article 129bis de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 disposait, avant son abrogation par l'article 28, 2°, en cause : « § 1er. En exécution de l'article 7, § 1er, alinéa 3, p, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, le complément de reprise du travail peut être accordé au travailleur qui reprend le travail comme travailleur salarié et qui : [...] 2° soit est chômeur complet par suite de circonstances indépendantes de sa volonté au sens de l'article 44 et satisfait aux conditions suivantes : a) avoir, au dernier jour du mois de la reprise du travail, atteint l'âge de 55 ans;b) ne pas être considéré comme travailleur ayant charge de famille au sens de l'article 110, § 1er, alinéa 1er, 5° ou 6° ;c) justifier de 20 ans de passé professionnel conformément à ce qui a été déterminé en vertu de l'article 119, 3° ;d) ne pas bénéficier d'un complément d'entreprise octroyé dans le cadre du régime de chômage avec complément d'entreprise ou d'une allocation complémentaire dans le cadre de l'arrêté royal du 19 septembre 1980 relatif au droit aux allocations de chômage et aux indemnités complémentaires des travailleurs frontaliers âgés licenciés ou mis en chômage complet;e) ne pas avoir, alors que toutes les conditions pour bénéficier du régime de chômage avec complément d'entreprise sont remplies, refusé ce régime ou renoncé au complément d'entreprise. Le complément de reprise du travail d'un montant de 150 EUR par mois-calendrier peut être accordé si le travailleur remplit simultanément les conditions suivantes : 1° le travailleur introduit une demande en vue de l'octroi du complément de reprise du travail et satisfait, au début du contrat de travail et au moment de la demande, à toutes les conditions d'admission et d'octroi pour pouvoir prétendre aux allocations;2° le travailleur est, au cours du mois pour lequel le complément est demandé, lié par un contrat de travail;3° le travailleur n'a, pour le mois concerné, perçu aucune allocation comme chômeur complet conformément à un régime d'indemnisation prévu à l'article 100 ou 103, ni d'allocation dans le cadre d'une interruption de carrière totale ou partielle ou dans le cadre du crédit-temps, ni d'allocation comme chômeur complet dans le cadre de l'assurance maladie-invalidité;4° le travailleur n'a pas demandé d'allocation de garantie de revenus pour la période considérée;5° le travailleur ne bénéficie d'aucun complément d'entreprise accordé dans le cadre du régime de chômage avec complément d'entreprise ou ne bénéficie pas d'indemnité complémentaire dans le cadre de l'arrêté royal du 19 septembre 1980 relatif au droit aux allocations de chômage et aux indemnités complémentaires des travailleurs frontaliers âgés licenciés ou mis en chômage complet;6° le travailleur n'a pas bénéficié antérieurement d'une allocation comme visée au 5°. [...] § 1erbis. En exécution de l'article 7, § 1er, alinéa 3, p, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, le complément de reprise du travail temporaire peut être accordé au travailleur qui reprend le travail comme travailleur salarié, qui, à ce moment, était chômeur complet par suite de circonstances indépendantes de sa volonté au sens de l'article 44, et qui satisfait aux conditions du § 1er, alinéa 1er, 2°, a), b), d) et e) et aux alinéas 2 à 4. Le complément de reprise du travail temporaire s'élève à 150 euros par mois-calendrier pendant les 12 premiers mois, à 100 euros pendant les 12 mois suivants et à 50 euros pour les 12 mois suivants.
Une nouvelle période de 36 mois est accordée, si une période d'au moins 24 mois calendrier est située entre le moment du nouvel engagement pour lequel le complément est demandé et le dernier mois pour lequel le complément a été payé. [...] § 3. Le droit au complément de reprise du travail est accordé pour une période de 12 mois renouvelable, pour autant que le travailleur reste en service auprès du même employeur. [...] ».
B.1.5.2. Avant son abrogation par l'article 28, 2°, en cause, du décret du 2 février 2017, le complément de reprise du travail était octroyé « à durée indéterminée » si le travailleur concerné remplissait toutes les conditions fixées par l'article 129bis, § 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991. En revanche, il était « temporaire » lorsque le travailleur remplissait toutes ces conditions sauf celle selon laquelle il doit justifier de vingt ans de passé professionnel.
B.1.6. L'article 129bis, précité, trouve son fondement légal dans l'article 7, § 1er, alinéa 3, p), de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 « concernant la sécurité sociale des travailleurs », qui dispose : « § 1er. [...] Dans les conditions que le Roi détermine, l'Office national de l'emploi a pour mission de : [...] p) à l'aide des organismes crées en vertu du point i), aux conditions et modalités fixées par le Roi, à charge de l'assurance chômage, assurer le paiement de la prime de reprise du travail pour certaines catégories de chômeurs qui reprennent le travail, y compris les chômeurs qui lancent une activité professionnelle en tant qu'indépendant pour échapper au chômage, en vue de promouvoir leur intégration sur le marché de l'emploi. Cette prime est considérée pour l'application de la législation fiscale comme une allocation de chômage. Pour l'application de cet article et de ses arrêtés d'exécution, elle est considérée comme une allocation de chômage, sauf si le Roi y déroge. La période couverte par cette prime de reprise du travail n'est pas considérée pour l'assurance soins de santé et indemnités et pour le calcul de la pension de retraite comme une période pendant laquelle une allocation de chômage a été payée. [...] ».
B.1.7. L'article 36, en cause, du décret du 2 février 2017 instaure un régime transitoire permettant aux bénéficiaires d'un complément de reprise du travail octroyé à durée indéterminée de continuer à percevoir ce complément de revenus jusqu'au 30 juin 2020 au maximum, et aux bénéficiaires d'un complément de reprise du travail temporaire de continuer à le percevoir jusqu'à son terme.
Il dispose : « Les articles 129bis à 129quater de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage continuent à s'appliquer aux engagements, recrutements statutaires ou établissements comme indépendant qui prennent cours avant l'entrée en vigueur du présent décret, aux engagements, recrutements statutaires ou établissements comme indépendant ayant fait l'objet d'une demande d'octroi ou de renouvellement d'un complément de reprise du travail avant l'entrée en vigueur du présent décret et aux engagements, recrutements statutaires ou établissements comme indépendant ayant fait l'objet d'une demande de renouvellement introduite après l'entrée en vigueur du présent décret.
Les compléments de reprise du travail pour les engagements, recrutements statutaires et établissements visés à l'alinéa précédent sont octroyés jusqu'à leur terme pour les compléments temporaires et au maximum jusqu'au 30 juin 2020 pour les compléments à durée indéterminée ».
B.2.1. Les travaux préparatoires du décret du 2 février 2017 mentionnent : « Dans la lignée des engagements adoptés dans la déclaration de politique régionale, le Gouvernement a mené, à l'initiative de sa Ministre de l'emploi, un profond chantier de réflexion en vue de réformer la politique des aides à l'emploi. Ce chantier a impliqué l'intervention de multiples acteurs, le Groupe des partenaires sociaux wallons y étant bien entendu étroitement associé. Par ailleurs, des contacts importants ont été entrepris avec le Bureau fédéral du plan, le FOREm, l'ONEM, l'ONSS, le SPF Emploi, Travail et concertation sociale, l'IWEPS et le Conseil Central de l'Economie.
Cet important travail de réflexion a permis d'aboutir au présent projet de décret, lequel vise à concentrer les moyens nécessaires pour placer le demandeur d'emploi au coeur du débat politique wallon. [...].
Suite au transfert de compétences opéré en vertu de la sixième réforme de l'Etat, la Région wallonne est devenue compétente afin d'organiser sa propre politique d'aides à l'emploi au travers des ` groupes-cibles ', ce qui lui permet de redéfinir la réglementation applicable à cette matière, son financement, sa mise en oeuvre et son contrôle. La Wallonie a donc reçu de par ce transfert une opportunité inédite d'activer des budgets nouveaux pour inciter les entreprises à engager les travailleurs issus de ces groupes-cibles. [...].
Fruit d'une longue concertation avec les partenaires sociaux, le projet de décret qui vous est soumis entend simplifier le cadre législatif existant en ce qui concerne la politique des aides à l'emploi afin de le rendre plus efficace pour les acteurs du monde du travail.
Le système actuel des aides à l'emploi est complexe et manque de lisibilité pour les utilisateurs ce qui porte préjudice tant aux travailleurs occupés ou non qu'aux employeurs et aux différents acteurs présents sur le terrain. En effet, coexistent et se cumulent à l'heure actuelle des subventions, de nombreux mécanismes de réduction des cotisations sociales (groupes-cibles), des activations d'allocations de chômage (ACTIVA, SINE, PTP) ainsi que des octrois de primes et de compléments.
C'est dès lors dans un souci de simplification et de transparence que le Gouvernement, après concertation avec le GPS-W, présente au Parlement wallon ce projet de réorganisation globale de la politique des aides à l'emploi en Wallonie. Cette réforme entreprend un profond remaniement des dispositions actuellement en vigueur en ce qui concerne les réductions de cotisations patronales, l'octroi des primes et des subventions ainsi que la mise en oeuvre du plan ACTIVA. Les concepts de jeunes travailleurs, travailleurs âgés, le niveau de qualification, la durée de l'inoccupation sont harmonisés au sein de trois axes nouveaux d'aides, afin de simplifier la lecture, l'analyse, l'évaluation et, si nécessaire, une évolution ultérieure des aides à l'emploi. Cette harmonisation s'inscrit, par ailleurs, dans la démarche de simplification administrative qui sous-tend cette réforme.
Résolument élaboré dans un souci de lisibilité, le projet laisse le soin à l'exécutif de fixer les modalités de sa mise en oeuvre.
Concrètement, le projet propose trois régimes d'aides à l'embauche transversales, ciblées sur les caractéristiques des travailleurs, s'appliquant à quasiment tous les secteurs. Ces aides visent 2 groupes-cibles en fonction de l'âge : les demandeurs d'emploi de moins de 25 ans peu ou moyennement qualifiés, qui bénéficient de mesures d'activation, et les travailleurs de plus de 55 ans, qui bénéficient de réductions de cotisations sociales. Une troisième aide, sous forme d'activation des allocations, vise les demandeurs d'emploi de longue durée (à savoir plus d'un an d'inoccupation), et ce quel que soit leur âge.
Le Gouvernement a donc, en accord avec le GPS-W, opté pour un système d'activation d'allocations de travail pour les jeunes demandeurs d'emploi, les demandeurs d'emploi de longue durée. Il a, par contre, maintenu un système de réductions de cotisations sociales pour faciliter le maintien au travail des travailleurs âgés. [...] Les trois nouveaux régimes instaurés par le présent projet viennent en remplacement d'une série d'aides anciennes, fédérales ou régionales, pour lesquelles le projet fixe des régimes d'extinction. [...] Cela concerne également les primes [...] ` complément de reprise du travail ' [...].
Pour augmenter le taux d'emploi, il apparaît en effet nécessaire de favoriser le maintien des travailleurs âgés au sein du marché du travail ainsi que de promouvoir les possibilités de recrutement des demandeurs d'emploi âgés. [...] L'incitation financière consistant en une réduction des cotisations patronales représente une mesure importante afin de rallier l'objectif d'accroissement du taux d'emploi pour ce groupe cible. [...] Par ailleurs, le décret abroge les diverses aides existantes qui sont remplacées par les trois nouveaux régimes instaurés par le projet de décret. Ces abrogations sont accompagnées d'une importante série de mesures transitoires, ayant pour objectif d'assurer la sécurité juridique des régimes en cours, en permettant notamment aux bénéficiaires des aides anciennes de continuer à bénéficier de celles-ci pendant une durée certaine, voire jusqu'à leur terme » (Doc. parl., Parlement wallon, 2016-2017, n° 698/1, pp. 3, 4 et 5).
B.2.2. En commission, la ministre compétente a déclaré : « Le Gouvernement a confié, en mars 2015, un mandat au Groupe des partenaires sociaux wallons, le GPS-W, pour proposer des pistes de réorganisation des aides à l'emploi répondant aux balises fixées dans la Déclaration de politique régionale et, surtout, aux préoccupations et attentes des demandeurs d'emploi, des travailleurs et des employeurs wallons.
Dans le cadre de la discussion sur le Pacte pour l'emploi et la formation, Mme la Ministre a mis en place un comité de pilotage réunissant les partenaires sociaux et des représentants du Gouvernement. Ce comité a soutenu et alimenté le travail du GPS-W en procédant, notamment, à l'audition d'une série d'experts fédéraux, régionaux et académiques. Tous ont permis d'évaluer les aides à l'emploi existantes. Ont ainsi été entendus : l'ONEM, l'ONSS, le Service public fédéral Emploi, le Bureau fédéral du Plan, le Conseil central de l'Economie, l'IWEPS, le FOREm et deux professeurs d'université réputés pour leurs recherches et travaux en la matière, M. Vanderlinden de l'UCL et M. Tojerow de l'ULB. Ce travail a abouti à une proposition des partenaires sociaux sur un plan global de réforme des aides qui a ensuite été complété et validé conjointement par le Gouvernement wallon et le GPS-W le 31 janvier 2016. [...] En parallèle, même si le chômage n'a cessé de diminuer en Wallonie ces derniers mois, le paysage des aides à l'emploi s'avère toujours beaucoup trop complexe : plus de 40 systèmes d'aides recensées, des chevauchements, des mesures différentes répondant à des critères différents pour un même public.
L'objectif principal de la réforme visée est donc d'apporter plus de lisibilité et, dès lors, plus d'efficacité dans les systèmes d'aides à l'emploi. Cette lisibilité passe par la réduction du nombre de dispositifs, nombre qui faisait que de nombreux employeurs ne sont pas informés que des aides sont disponibles ou, tout simplement, renoncent à y faire appel devant la complexité de leur mise en oeuvre. [...] La réforme des aides propose de concentrer l'aide perçue sur un seul mécanisme : d'une part, l'activation pour le contrat d'insertion, l'aide à destination des jeunes peu ou moyennement qualifiés et l'aide à destination des demandeurs d'emploi de longue durée et, d'autre part, une réduction de cotisations sociales pour les travailleurs âgés » (Doc. parl., Parlement wallon, 2016-2017, nos 697/4, 698/10 et 699/2, pp. 3-4).
Quant aux questions préjudicielles B.3. Il ressort des questions préjudicielles et des décisions de renvoi que seuls sont en cause l'article 28, 2°, du décret du 2 février 2017, en ce qu'il abroge l'article 129bis de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, et l'article 36 du décret du 2 février 2017, en ce qu'il limite l'octroi du complément de reprise du travail à durée indéterminée au 30 juin 2020 au maximum.
B.4.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité de ces dispositions en cause avec l'article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, qui garantit notamment le droit à la sécurité sociale.
B.4.2. Les questions préjudicielles invitent également la Cour à examiner les dispositions en cause au regard de l'article 12.1 de la « Charte sociale européenne ».
B.4.3. L'article 12.1 de la Charte sociale européenne révisée, faite à Strasbourg, le 3 mai 1996 - qui, comme l'article 12.1 de la Charte sociale européenne, faite à Turin, le 18 octobre 1961, est intitulé « Droit à la sécurité sociale » - dispose : « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la sécurité sociale, les Parties s'engagent : 1. à établir ou à maintenir un régime de sécurité sociale ». L'article B.2. de la partie III de la Charte sociale révisée - qui est entrée en vigueur à l'égard de la Belgique le 1er mai 2004 - dispose que « l'acceptation des obligations de toute disposition de la présente Charte aura pour effet que, à partir de la date d'entrée en vigueur de ces obligations à l'égard de la Partie concernée, la disposition correspondante de la Charte sociale européenne [...] cessera de s'appliquer à la Partie concernée au cas où cette Partie serait liée par le premier des deux instruments précités ou par les deux instruments ».
Or, la Belgique a accepté les obligations découlant de l'article 12 de la Charte sociale européenne révisée qui a quasiment le même contenu que l'article 12 de la Charte sociale européenne, de sorte que cette dernière disposition ne s'applique plus à la Belgique.
B.4.4. L'article 12.1 de la Charte sociale européenne révisée, à le supposer visé par la question préjudicielle, reconnaît le droit à la sécurité sociale de manière partiellement analogue à l'article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, de sorte que la Cour en tient compte dans son examen.
B.4.5. Enfin, les questions préjudicielles n'indiquent pas en quoi les dispositions en cause pourraient porter atteinte aux articles 10 et 11 de la Constitution, à l'article 2, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et à l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.
Lorsqu'en outre, comme c'est le cas en l'espèce, cela ne peut pas davantage se déduire des décisions de renvoi, la Cour ne dispose pas des éléments nécessaires pour statuer.
B.5. Par conséquent, la Cour examine la compatibilité des dispositions en cause avec l'article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 12.1 de la Charte sociale européenne révisée, en ce qu'elles suppriment, pour la Région wallonne, le complément de reprise du travail octroyé sans limite dans le temps aux travailleurs âgés qui ont repris le travail en tant que salarié.
B.6.1. L'article 23 de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. A cette fin, les différents législateurs garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels et ils déterminent les conditions de leur exercice. L'article 23 de la Constitution ne précise pas ce qu'impliquent ces droits dont seul le principe est exprimé, chaque législateur étant chargé de les garantir, conformément à l'alinéa 2 de cet article, en tenant compte des obligations correspondantes.
B.6.2. L'article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement, sans justification raisonnable, le degré de protection offert par la législation applicable.
B.6.3. En matière socio-économique, le législateur compétent dispose d'un large pouvoir d'appréciation en vue de déterminer les mesures à adopter pour tendre vers les objectifs qu'il s'est fixés.
B.6.4. L'obligation de standstill ne peut toutefois s'entendre comme imposant à chaque législateur, dans le cadre de ses compétences, de ne pas toucher aux modalités de la sécurité sociale prévues par la loi.
Elle leur interdit d'adopter des mesures qui marqueraient, sans justification raisonnable, un recul significatif du droit garanti par l'article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, mais elle ne les prive pas du pouvoir d'apprécier la manière dont ce droit est le plus adéquatement assuré.
B.7.1. Le Gouvernement wallon soutient que la réduction du degré de protection en matière de sécurité sociale en cause n'est pas significative car elle serait compensée, d'une part, par la « réduction groupe-cible » pour travailleurs âgés, visée à l'article 339 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002, tel qu'il a été remplacé par l'article 15 du décret du 2 février 2017, et, d'autre part, par l'« allocation du travail » visée à l'article 4 du décret du 2 février 2017 octroyée aux demandeurs d'emploi de longue durée (article 1, 7°, du décret du 2 février 2017).
B.7.2 Sans qu'il soit nécessaire de vérifier si les dispositions en cause entraînent un recul significatif du degré de protection du droit à la sécurité sociale, il suffit de constater que les dispositions en cause sont raisonnablement justifiées par des motifs d'intérêt général.
B.8. Comme il ressort des travaux préparatoires cités en B.2, en adoptant le décret du 2 février 2017, le législateur décrétal a cherché, d'une part, à simplifier la législation en matière d'aides à l'emploi en faveur des groupes-cibles et, d'autre part, à rendre ces aides plus efficaces.
B.9. La suppression du complément de reprise du travail conduit à une réduction du nombre d'aides à l'emploi dont bénéficient les groupes-cibles, tout en s'inscrivant dans une réforme plus globale dans laquelle l'ensemble du système des aides à l'emploi des groupes-cibles est remanié.
De ce fait, cette mesure permet de rendre plus « lisible » un système d'aides à l'emploi des groupes-cibles jugé trop complexe et de rendre les mesures d'aides à l'emploi plus efficaces, c'est-à -dire plus faciles à mettre en oeuvre par les acteurs du marché de l'emploi, ce qui est de nature à favoriser l'embauche des travailleurs des groupes-cibles.
B.10. Il ressort des travaux préparatoires, cités en B.2, que le décret du 2 février 2017 s'inscrit dans une réforme globale à la suite du transfert aux régions de la compétence en matière de politique de l'emploi axée sur des groupes-cibles et qu'il est le résultat d'un « profond chantier de réflexion » ayant impliqué « l'intervention de multiples acteurs » et d'une « longue concertation sociale » sur la réorganisation des aides à l'emploi en Région wallonne, ce dont la Cour tient compte dans son examen.
B.11. Le législateur décrétal a suffisamment atténué les effets de la suppression du complément de reprise du travail par un régime transitoire qui permet aux bénéficiaires du complément de reprise du travail de continuer à le percevoir pendant trois ans au maximum après l'entrée en vigueur du décret du 2 février 2017.
B.12. Les dispositions en cause sont compatibles avec l'article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 12.1 de la Charte sociale européenne révisée.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 28, 2°, et 36 du décret de la Région wallonne du 2 février 2017 « relatif aux aides à l'emploi à destination des groupes-cibles » ne violent pas l'article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 12.1 de la Charte sociale européenne révisée.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 27 avril 2023.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, P. Nihoul