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Arrêt
publié le 01 mars 2024

Extrait de l'arrêt n° 57/2023 du 30 mars 2023 Numéro du rôle : 7790 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 27 et 42 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 12 décembre 2016 « portant la deuxième partie de la La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Gie(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 57/2023 du 30 mars 2023 Numéro du rôle : 7790 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 27 et 42 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 12 décembre 2016 « portant la deuxième partie de la réforme fiscale » (modification de l'article 257 du CIR 1992), posée par le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 18 mars 2022, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 20 avril 2022, le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 27 et 42 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 12 décembre 2016 portant la deuxième partie de la réforme fiscale violent-ils les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec son article 16 et avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'ils excluent toute possibilité de modération du précompte immobilier en cas d'improductivité ou d'inoccupation, indépendante de la volonté du contribuable, d'un bien immeuble à destination commerciale ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité des articles 27 et 42 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 12 décembre 2016 « portant la deuxième partie de la réforme fiscale » (ci-après : l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer) avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 16 de la Constitution et avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, « en ce qu'ils excluent toute possibilité de modération du précompte immobilier en cas d'improductivité ou d'inoccupation, indépendante de la volonté du contribuable, d'un bien immeuble à destination commerciale ».

B.2.1. L'article 27 de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer dispose : « Dans l'article 257 du [Code des impôts sur les revenus 1992], les mots ` 4° remise ou modération proportionnelle du précompte immobilier dans la mesure où le revenu cadastral imposable peut être réduit en vertu de l'article 15 ' sont abrogés. Le point-virgule qui précède ces termes est transformé en point ».

Cet article 27 constitue l'article unique de la section 4, intitulée « Abrogation de la remise ou modération proportionnelle du précompte immobilier pour inoccupation et improductivité », du chapitre V, intitulé « Modification du Code des impôts sur les revenus 1992 », de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer.

L'article 28 de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer dispose : « L'ordonnance du 23 juillet 1992 relative au précompte immobilier, modifiée par l'ordonnance du 13 avril 1995 et par l'ordonnance du 22 décembre 1995, est abrogée ».

Cet article 28 constitue l'article unique du chapitre VI, intitulé « Abrogation de l'ordonnance du 23 juillet 1992 relative au précompte immobilier », de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer.

L'article 42 de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer dispose : « La section 1ère du chapitre V est d'application à partir de l'exercice d'imposition 2018.

La section 2 du chapitre V entre en vigueur le jour de la publication de la présente ordonnance au Moniteur belge et au plus tard le 1er janvier 2017.

La section 3 du chapitre V est d'application à partir de l'exercice d'imposition 2017.

La section 4 du chapitre V est d'application à partir de l'exercice d'imposition 2017 ».

L'article 43 de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer dispose : « Le chapitre VI est d'application à partir de l'exercice d'imposition 2017 ».

B.2.2. L' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer s'inscrit dans le cadre d'« une importante réforme fiscale qui a pour objectif de rendre la fiscalité bruxelloise moins complexe, plus juste et plus favorable pour les Bruxellois et les entreprises bruxelloises. Il s'agit notamment d'effectuer un glissement de la fiscalité sur le travail vers la fiscalité foncière. L'entièreté de cette réforme se fait dans une neutralité budgétaire » (Doc. Parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2016-2017, n° A-429/1, p. 1).

Au sujet de l'article 27 de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer, l'exposé des motifs mentionne ce qui suit : « Cet article supprime la réduction du précompte immobilier pour inoccupation et improductivité (C.I.R., Article 257, 4° ). Pour rappel, depuis 1995, l'octroi de cette réduction était déjà conditionné à un certain nombre de conditions supplémentaires afin que ne soit concernée que l'inoccupation visant à faire des travaux pour rendre un immeuble insalubre mais améliorable habitable (voyez l'ordonnance du 23 juillet 1992 relative au précompte immobilier, telle que modifiée par l'ordonnance du 13 avril 1995). En raison d'un arrêt de la Cour constitutionnelle du 19 décembre 2002, (arrêt n° 187/2002), cette réduction fut cependant étendue aux habitations bien entretenues, inoccupées en raison de circonstances exceptionnelles indépendantes de la volonté du contribuable » (ibid., p. 18).

B.3.1. L'article 257 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992) détermine les cas dans lesquels une modération du précompte immobilier peut être octroyée.

Avant son abrogation partielle par l'article 27 de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer, cet article 257 disposait : « Sur la demande de l'intéressé, il est accordé : 1° une réduction d'un quart du précompte immobilier afférent à l'habitation entièrement occupée par le contribuable lorsque le revenu cadastral de l'ensemble de ses biens immobiliers sis en Belgique ne dépasse pas 745 EUR. Cette réduction est portée à 50 pct pour une période de 5 ans prenant cours la première année pour laquelle le précompte immobilier est dû, pour autant qu'il s'agisse d'une habitation que le contribuable a fait construire ou achetée à l'état neuf, sans avoir bénéficié d'une prime à la construction ou à l'achat prévue par la législation sur la matière; 2° une réduction du précompte immobilier afférent à l'habitation occupée par un grand invalide de la guerre admis au bénéfice de la loi du 13 mai 1929 ou de l'article 13 des lois sur les pensions de réparation coordonnées le 5 octobre 1948, ou par une personne handicapée au sens de l'article 135, alinéa 1er, 1°. Cette réduction est égale à 20 pct pour un grand invalide et à 10 p.c. pour une personne handicapée; 3° une réduction du précompte immobilier afférent à l'immeuble occupé par le chef d'une famille comptant au moins deux enfants en vie ou une personne handicapée au sens de l'article 135, alinéa 1er. Cette réduction est égale à 10 pct pour chaque enfant à charge non handicapé et à 20 pct pour chaque personne à charge handicapée, y compris le conjoint.

Un enfant militaire, résistant, prisonnier politique ou victime civile de la guerre, décédé ou disparu pendant les campagnes 1914-1918 ou 1940-1945, est compté comme s'il était encore en vie; 4° remise ou modération proportionnelle du précompte immobilier dans la mesure où le revenu cadastral imposable peut être réduit en vertu de l'article 15 ». B.3.2. L'article 15 du CIR 1992, auquel il était fait référence dans l'article 257, 4° , précité, du même Code, porte sur la réduction du revenu cadastral. Cette disposition, dans sa version applicable dans le litige au fond, dispose : « § 1er. Le revenu cadastral est réduit dans une mesure proportionnelle à la durée et à l'importance de l'improductivité, de l'absence de jouissance de revenus ou de la perte de ceux-ci : 1° dans le cas où un immeuble bâti, non meublé, est resté totalement inoccupé et improductif de revenus pendant au moins 90 jours dans le courant de l'année; 2° dans le cas où la totalité du matériel et de l'outillage, ou une partie de ceux-ci, représentant au moins 25 p.c. de leur revenu cadastral, est restée inactive pendant au moins 90 jours dans le courant de l'année; 3° dans le cas où la totalité soit d'un immeuble, soit du matériel et de l'outillage, ou une partie de ceux-ci représentant au moins 25 p.c. de leur revenu cadastral respectif, est détruite. § 2. Les conditions de réduction doivent s'apprécier par parcelle cadastrale ou par partie de parcelle cadastrale lorsqu'une telle partie forme, soit un logement séparé, soit un département ou une division de production ou d'activité susceptibles de fonctionner ou d'être considérés séparément, soit une entité dissociable des autres biens ou parties formant la parcelle et susceptible d'être cadastrée séparément ».

B.4. En Région de Bruxelles-Capitale, avant l'entrée en vigueur de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer, la remise ou la modération du précompte immobilier en cas d'inoccupation ou d'improductivité était régie par l'ordonnance du 23 juillet 1992 « relative au précompte immobilier » (ci-après : l'ordonnance du 23 juillet 1992). L'article 2bis de cette ordonnance prévoyait, par dérogation à l'article 257, 4°, précité, du CIR 1992, des conditions supplémentaires pour obtenir une telle remise ou modération : « Par dérogation à l'article 257, 4° du Code des Impôts sur les Revenus 1992, une remise ou modération proportionnelle du précompte immobilier sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale n'est accordée qu'aux conditions suivantes : 1° qu'il s'agisse d'un bien immobilier bâti, non meublé, resté totalement inoccupé et improductif de revenus pendant au moins nonante jours dans le courant de l'année;2° que l'immeuble visé au 1° soit ou bien déclaré insalubre mais améliorable au sens de l'article 6 de l'arrêté de l'Exécutif de la Région de Bruxelles-Capitale du 29 mars 1990 relatif à l'octroi de primes pour la rénovation d'habitations au bénéfice des personnes physiques ou bien soit déclaré insalubre mais améliorable par le conseil communal en vertu de l'article 119 de la nouvelle loi communale ou par le bourgmestre en vertu des articles 133 et 135 de cette même loi;3° que cet immeuble après travaux, réponde aux normes animales [lire : minimales] d'habitabilité prévues à l'article 6 de ce même arrêté;4° que le contribuable visé à l'article 251 du même code justifie d'une occupation ininterrompue de neuf années. Les interruptions de nonante jours au maximum sont considérées comme des occupations ininterrompues; 5° que le contribuable remette au Directeur régional de l'Administration des Contributions Directes compétent pour le lieu où est situé l'immeuble déclaré insalubre mais améliorable, une attestation délivrée par l'administration du logement de la Région de Bruxelles-Capitale ou par l'administration communale selon le cas ». Du fait de ces conditions supplémentaires, certaines catégories de propriétaires qui pouvaient auparavant prétendre, en vertu de l'article 257, 4° , du CIR 1992, à la remise ou à la modération du précompte immobilier parce que leur immeuble avait été inoccupé pendant au moins 90 jours dans l'année en ont été exclues. Il s'agissait notamment des titulaires d'un droit réel sur des habitations salubres, des titulaires d'un droit réel sur des habitations insalubres qui ne les rénovaient pas, et des titulaires d'un droit réel sur des immeubles non affectés à l'habitation mais à d'autres usages, comme en l'espèce les biens immeubles à usage commercial.

B.5.1. L'article 27, en cause, de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer a abrogé l'article 257, 4°, du CIR 1992. Il résulte de cette abrogation, qui, en vertu de l'article 42 en cause, produit ses effets à partir de l'exercice d'imposition 2017, que toute possibilité d'obtenir une remise ou une modération du précompte immobilier en cas d'inoccupation ou d'improductivité est désormais exclue en Région de Bruxelles-Capitale.

Partant, ainsi qu'il ressort également de la décision de renvoi, la question préjudicielle doit être interprétée en ce sens qu'elle porte sur la constitutionnalité de l'article 257 du CIR 1992, tel qu'il a été modifié par l'article 27 de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer, en ce que cette disposition ne prévoit pas la moindre possibilité d'obtenir une remise ou une modération du précompte immobilier en cas d'inoccupation ou d'improductivité d'un bien immeuble à usage commercial. La Cour limite son examen aux biens immeubles affectés à un tel usage.

Pour le surplus, il ne ressort ni de la question préjudicielle ni de la décision de renvoi que la juridiction a quo entend remettre en cause le moment de l'entrée en vigueur de l'article 27 de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer, lequel moment est fixé par l'article 42 de la même ordonnance auquel la question préjudicielle renvoie. Par conséquent, la Cour ne doit pas examiner la constitutionnalité de cette dernière disposition.

B.5.2. Contrairement à ce que fait valoir la Région de Bruxelles-Capitale, la circonstance que l'article 2bis de l'ordonnance du 23 juillet 1992 excluait déjà les biens immeubles à usage commercial de la possibilité d'obtenir une remise ou une modération du précompte immobilier en cas d'inoccupation ou d'improductivité ne permet pas de conclure que la question préjudicielle est irrecevable.

En effet, l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer a abrogé, à compter de l'exercice d'imposition 2017, l'article 2bis de l'ordonnance du 23 juillet 1992, qui dérogeait aux conditions de l'article 257, 4°, du CIR 1992, et a prévu à la place, par l'abrogation de l'article 257, 4°, du CIR 1992 également, une impossibilité généralisée d'obtenir une remise ou une modération du précompte immobilier en cas d'inoccupation ou d'improductivité. Depuis l'exercice d'imposition 2017, l'exclusion des biens immeubles à usage commercial ne résulte donc plus de l'article 2bis de l'ordonnance du 23 juillet 1992, mais de l'article 257 du CIR 1992, tel qu'il a été modifié par l'article 27 de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer. Ce n'est pas parce qu'une catégorie donnée de contribuables, en l'espèce les titulaires d'un droit réel sur un bien immeuble à usage commercial, a déjà été exclue d'un avantage fiscal sous une ancienne réglementation que la Cour ne pourrait pas statuer sur une question préjudicielle portant sur la nouvelle réglementation, qui exclut également cette catégorie de contribuables dudit avantage.

B.6. Le contrôle de normes législatives au regard des articles 10, 11 et 172 de la Constitution qui est confié à la Cour exige qu'une catégorie de personnes déterminée prétendument discriminée fasse l'objet d'une comparaison pertinente avec une autre catégorie. En l'espèce, la juridiction a quo ne précise pas avec quelle autre catégorie de personnes elle souhaite comparer les personnes redevables du précompte immobilier sur un bien immeuble à usage commercial.

Toutefois, lorsque, pour répondre à une question préjudicielle, la Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité d'une disposition législative avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec des droits fondamentaux, la question porte sur la constitutionnalité d'une différence de traitement entre, d'une part, les personnes qui sont victimes d'une violation de ces droits fondamentaux et, d'autre part, les personnes qui jouissent de ces droits, et ces deux catégories de personnes doivent dès lors être comparées.

La Cour doit donc examiner si l'article 257, du CIR 1992, tel qu'il a été modifié par l'article 27 de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer, limite de manière discriminatoire le droit au respect des biens.

B.7.1. L'article 16 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».

L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.

Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».

B.7.2. L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ayant une portée analogue à celle de l'article 16 de la Constitution, les garanties qu'il contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans cette disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle des dispositions en cause.

B.7.3. L'article 1er du Premier Protocole additionnel offre une protection non seulement contre une expropriation ou une privation de propriété (premier alinéa, deuxième phrase) mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase). Un impôt ou une autre contribution constituent, en principe, une ingérence dans le droit au respect des biens.

En outre, aux termes de l'article 1er du Premier Protocole additionnel, la protection du droit de propriété « ne [porte] pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».

L'ingérence dans le droit au respect des biens n'est compatible avec ce droit que si elle est raisonnablement proportionnée au but poursuivi, c'est-à-dire si elle ne rompt pas le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et celles de la protection de ce droit. Même si le législateur fiscal dispose d'une large marge d'appréciation, un impôt viole dès lors ce droit s'il fait peser sur le contribuable une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à sa situation financière (CEDH, 31 janvier 2006, Dukmedjian c. France, ECLI:CE:ECHR:2006:0131JUD006049500, §§ 52-58;décision, 15 décembre 2009, Tardieu de Maleissye e.a. c. France, ECLI:CE:ECHR:2009:1215DEC005185407; 16 mars 2010, Di Belmonte c.

Italie, ECLI:CE:ECHR:2010:0316JUD007263801, §§ 38-40).

B.8. Il appartient au législateur ordonnanciel d'établir la remise ou la modération de l'impôt. Il dispose en la matière d'une large marge d'appréciation. En effet, les mesures fiscales constituent un élément essentiel de la politique socio-économique. Elles assurent non seulement une part substantielle des recettes qui doivent permettre la réalisation de cette politique, mais elles permettent également au législateur ordonnanciel d'orienter certains comportements et d'adopter des mesures correctrices afin de donner corps à la politique sociale et économique.

Les choix sociaux qui doivent être réalisés lors de la collecte et de l'affectation des ressources relèvent de la compétence du législateur ordonnanciel. La Cour ne peut sanctionner de tels choix politiques ainsi que les motifs qui les fondent que s'ils reposent sur une erreur manifeste ou s'ils sont déraisonnables.

B.9. Le précompte immobilier est calculé sur une base forfaitaire, plus précisément sous la forme d'un pourcentage du revenu cadastral du bien immobilier (article 255 du CIR 1992). Eu égard à son large pouvoir d'appréciation pour modifier les remises ou modérations du précompte immobilier et à l'objectif essentiellement fiscal de ce précompte, le législateur ordonnanciel a en principe raisonnablement pu considérer que cet impôt doit rester dû, même si, en raison d'une inoccupation ou d'une improductivité, indépendante ou non de la volonté du contribuable, le bien immeuble n'a pas produit de revenus effectifs. Une telle mesure s'inscrit dans le cadre d'une réforme fiscale visant à « un glissement de la fiscalité sur le travail vers la fiscalité foncière » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2016-2017, n° A-429/1, p. 1).

B.10. Par son arrêt n° 187/2002 du 19 décembre 2002 (ECLI:BE:GHCC:2002:ARR.187), la Cour a déjà jugé que, telle qu'elle découlait de l'article 2bis, précité, de l'ordonnance du 23 juillet 1992, l'exclusion des immeubles affectés à des fins autres que le logement de la remise ou de la modération du précompte immobilier en cas d'inoccupation ou d'improductivité pouvait être considérée comme raisonnablement justifiée au regard du principe d'égalité et de non-discrimination, et que, partant, elle ne produisait pas des effets disproportionnés pour les contribuables. La Cour a notamment relevé que « [le] législateur régional a considéré cette remise ou modération proportionnelle pour les immeubles qui sont restés inoccupés pendant au moins 90 jours dans le courant de l'année comme l'un des facteurs qui ont contribué à la spéculation immobilière sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale ` avec ses effets néfastes pour les habitants tels que l'augmentation des loyers, la taudisation et l'abandon d'habitat ' (Doc., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1993-1994, A-319/1, p. 1) ».

Il découle également de cet arrêt que l'exclusion de la possibilité d'obtenir une remise ou une modération du précompte immobilier en cas d'inoccupation ou d'improductivité d'un bien immobilier à usage commercial ne constitue pas une ingérence disproportionnée dans le droit au respect des biens. La circonstance que, contrairement au régime en cause, le régime prévu à l'article 2bis de l'ordonnance du 23 juillet 1992 permettait encore la remise ou la modération pour certains biens immeubles destinés au logement ne conduit pas à une autre conclusion.

B.11. Par ailleurs, en ce que la partie demanderesse devant la juridiction a quo souhaite obtenir une modération du précompte immobilier parce que, pendant une certaine période, elle n'a pu recevoir, en raison de la pandémie de COVID-19, que beaucoup moins, voire pas du tout, de clients dans l'hôtel qu'elle exploite, il y a lieu de souligner que tant au niveau fédéral qu'au niveau de la Région de Bruxelles-Capitale, différentes mesures ont été prises pour atténuer les effets de cette pandémie sur les entreprises, y compris dans le secteur horeca. Une exonération générale de la taxe régionale sur les établissements d'hébergement touristique a ainsi été accordée entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2022 (voy. les ordonnances du 29 octobre 2020, du 15 juillet 2021 et du 12 mai 2022 « portant des mesures relatives à la taxe sur les établissements d'hébergement touristique prises en raison de la crise sanitaire du COVID-19 », ainsi que les arrêtés de pouvoirs spéciaux nos 2020/005 et 2020/051 du 16 avril 2020 et du 7 janvier 2021, confirmés par les ordonnances du 4 décembre 2020 et du 15 juillet 2021).

B.12. L'article 257 du CIR 1992, tel qu'il a été modifié par l'article 27 de l' ordonnance du 12 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 12/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016031878 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant la deuxième partie de la réforme fiscale fermer, est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 16 de la Constitution et avec l'article 1er du Premier Protocole à la Convention européenne des droits de l'homme.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 257 du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu'il a été modifié par l'article 27 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 12 décembre 2016 « portant la deuxième partie de la réforme fiscale », ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 16 de la Constitution et avec l'article 1er du Premier Protocole à la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 30 mars 2023.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux L. Lavrysen

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