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Arrêt
publié le 09 octobre 2023

Extrait de l'arrêt n° 32/2023 du 2 mars 2023 Numéros du rôle : 7570, 7571 et 7636 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 4, alinéa 2, de la section 3 du livre III, titre V(...) La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Gie(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 32/2023 du 2 mars 2023 Numéros du rôle : 7570, 7571 et 7636 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 4, alinéa 2, de la section 3 (« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, de l'ancien Code civil et à l'article 52, alinéa 5, du décret de la Région wallonne du 2 mai 2019 « modifiant diverses législations en matière de bail à ferme », posées par le Juge de paix du canton de Fosses-la-Ville et par le Juge de paix du canton d'Andenne.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure a. Par jugements des 28 et 29 avril 2021, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour le 6 mai 2021, le Juge de paix du canton de Fosses-la-Ville et le Juge de paix du canton d'Andenne ont posé les questions préjudicielles suivantes : « 1.L'article 4, alinéa 2, de la section 3 'Des règles particulières aux baux à ferme' du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil, tel que modifié par l'article 5 du décret du Parlement wallon du 2 mai 2019 modifiant diverses législations en matière de bail à ferme, lu isolément ou en combinaison avec l'article 52, alinéa 5 du décret du Parlement wallon du 2 mai 2019 modifiant diverses législations en matière de bail à ferme, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution dans l'interprétation selon laquelle il permet à un bailleur, en présence d'un contrat de bail écrit, de mettre fin au bail de plein droit et immédiatement à l'expiration de trois prolongations, alors qu'une telle faculté n'est pas possible pour le bailleur, en présence d'un bail verbal, ledit bail verbal étant présumé avoir commencé une troisième période de neuf ans à la date d'entrée en vigueur du décret du Parlement wallon du 2 mai 2019 modifiant diverses législations en matière de bail à ferme ? »; « 2. Les articles 4, alinéa 2 [lire : L'article 4, alinéa 2], de la section 3 'Des règles particulières aux baux à ferme' du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil tel que modifié par l'article 5 du décret du Parlement wallon du 2 mai 2019 modifiant diverses législations en matière de bail à ferme et l'article 52, alinéa 5 du décret du Parlement wallon du 2 mai 2019 modifiant diverses législations en matière de bail à ferme violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 2 du Code civil et le principe général de la non-rétroactivité des lois et le principe général de droit de la sécurité juridique, dans l'interprétation selon laquelle le preneur d'un bail écrit est exposé à la fin de plein droit du bail laquelle est susceptible d'intervenir immédiatement et de plein droit dès l'entrée en vigueur du décret, soit à partir du 1er janvier 2020, et après une durée de trente-six ans correspondant à une première période et trois prolongations en manière telle que le preneur d'un bail écrit ne bénéficie d'aucun régime de transition et alors que le preneur d'un bail verbal dans une situation comparable en bénéficie en vertu d'une présomption, semble-t-il irréfragable par ailleurs, selon laquelle un bail verbal en cours est présumé avoir commencé une troisième période de neuf ans à la date d'entrée en vigueur du décret du Parlement wallon du 2 mai 2019 modifiant diverses législations en matière de bail à ferme en manière telle qu'un tel bail ne pourra pas prendre fin de plein droit avant le 31 décembre 2037 ? ». b. Par jugement du 15 septembre 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 20 septembre 2021, le Juge de paix du canton d'Andenne a posé les mêmes questions préjudicielles. Ces affaires, inscrites sous les numéros 7570, 7571 et 7636 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) B.1. La loi du 4 novembre 1969 « modifiant la législation sur le bail à ferme et sur le droit de préemption en faveur des preneurs de biens ruraux », dénommée la loi sur le bail à ferme, forme la section 3 (« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, de l'ancien Code civil.

B.2.1. Avant sa modification par l'article 5 du décret de la Région wallonne du 2 mai 2019 « modifiant diverses législations en matière de bail à ferme » (ci-après : le décret du 2 mai 2019), l'article 4 de la loi sur le bail à ferme disposait : « La durée d'un bail à ferme est fixée par les parties; elle ne peut être inférieure à neuf ans. Si une durée inférieure a été stipulée, elle est de plein droit portée à neuf ans.

A défaut de congé valable, le bail est prolongé de plein droit à son expiration, par périodes successives de neuf ans, même si la durée de la première occupation a excédé neuf ans ».

B.2.2. Depuis sa modification par l'article 5 du décret du 2 mai 2019, l'article 4 de la loi sur le bail à ferme dispose : « La durée d'un bail à ferme est fixée par les parties; elle ne peut être inférieure à neuf ans. Si une durée inférieure a été stipulée, elle est de plein droit portée à neuf ans.

A défaut de congé valable, le bail est prolongé de plein droit à son expiration par périodes successives de neuf ans mais dans la limite de trois prolongations, même si la durée de la première période a excédé neuf ans. Au terme de la troisième prolongation, le bail prend fin de plein droit.

Par dérogation à l'alinéa 2, au terme de la troisième prolongation, lorsque le preneur est laissé dans les lieux, le bail se poursuit d'année en année par tacite reconduction entre les mêmes parties au bail à ferme. Aucune cession ou cession privilégiée ne peut intervenir durant cette tacite reconduction. Par dérogation à l'article 43, le bail est résilié au jour du décès du preneur ou à une date ultérieure permettant le complet enlèvement de la récolte croissante par ses héritiers ou ayants droits ».

B.2.3. En vertu de l'article 4, alinéa 1er, de la loi sur le bail à ferme, non modifié par le décret du 2 mai 2019, les parties peuvent fixer librement la durée du bail à ferme sous réserve que celle-ci soit égale à neuf ans au moins.

A défaut de congé valable, l'article 4, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, tel qu'il était applicable avant sa modification par l'article 5 du décret du 2 mai 2019, prévoyait que le bail à ferme était prolongé de plein droit par périodes successives de neuf ans, quelle que soit la durée de la première période d'occupation. Le nombre de ces prolongations n'était pas limité.

L'article 4, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, tel qu'il a été modifié par l'article 5 du décret du 2 mai 2019, limite désormais à trois le nombre de prolongations possibles. Il en résulte que le bail à ferme auquel il n'a pas été mis fin par un congé valable peut en principe être prolongé pour une durée maximale de 27 ans, correspondant à trois prolongations d'une durée de neuf ans chacune, quelle que soit la durée de la première période d'occupation. Lorsque la première période d'occupation du bail à ferme correspond à la durée minimale légale de neuf ans visée à l'article 4, alinéa 1er, la durée totale du bail à ferme est donc en principe limitée à 36 ans (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, C.R.I., n° 16, p. 18). Les travaux préparatoires du décret du 2 mai 2019 mentionnent : « L'article 4 proposé traite de la durée des baux et de leur reconduction à défaut de congé valable.

Les baux à ferme d'une durée inférieure à neuf ans sont portés de plein droit à neuf ans.

Les baux sont prolongés par périodes successives de neuf ans. Le bail initial peut être reconduit au maximum trois fois après la première période, quelle que soit la durée de celle-ci » (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1318/1, p. 7).

L'article 4, alinéa 3, de la loi sur le bail à ferme, introduit par l'article 5 du décret du 2 mai 2019, prévoit que lorsque le preneur est laissé dans les lieux au terme de la troisième prolongation, le bail se poursuit d'année en année par tacite reconduction sans possibilité de céder le bail durant cette période. Les travaux préparatoires précisent : « Les baux ayant atteint le nombre maximal de reconductions sont à leur terme prolongés d'année en année. Cette disposition vise à confirmer qu'une fois la durée maximale atteinte, si le preneur est laissé dans le bien loué, il le sera avec un titre, des droits et obligations et non laissé à titre précaire sur la terre. Toutefois [...] cette prolongation d'année en année lui est personnelle. Il ne peut céder ou transmettre son bail » (ibid.).

B.2.4. Les modifications introduites dans l'article 4 de la loi sur le bail à ferme par l'article 5 du décret du 2 mai 2019 sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020, conformément à l'article 55, alinéa 1er, de ce décret.

B.2.5. L'article 52, alinéas 4 à 6, du décret du 2 mai 2019 contient des mesures transitoires : « Les baux conclus avant l'entrée en vigueur du présent décret sur base de l'article 3 de la section 3 (` Des règles particulières aux baux à ferme ') du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil, sont considérés comme valablement conclus jusqu'à ce qu'un nouveau bail intervienne ou une modification entrainant un renouvellement tel que prévu aux articles 35, 43 et 48bis de la loi de la même section.

A défaut d'un bail écrit intervenu au terme du délai de cinq ans à dater de la date d'entrée en vigueur du présent décret, les baux oraux en cours au jour de l'entrée en vigueur du présent décret sont considérés comme des baux commençant une troisième période de neuf ans de bail à la date de l'entrée vigueur du présent décret.

En dérogation à l'alinéa 5, à défaut d'un bail écrit au terme du délai de cinq ans, s'il est apporté la preuve qu'un bail oral ou une cession simple a été conclu il y a moins de dix-huit ans à la date d'entrée en vigueur du présent décret, le bail se poursuit pour une période permettant son exécution pour une durée maximale de trente-six ans ».

L'article 52, alinéa 4, prévoit que les baux conclus avant le 1er janvier 2020 sur la base de l'article 3 de la loi sur le bail à ferme, tel qu'il était applicable avant sa modification par l'article 4 du décret du 2 mai 2019, sont réputés « valablement conclus » jusqu'à l'intervention d'un nouveau bail ou d'une modification entraînant un renouvellement du bail conformément aux articles 35 (cession privilégiée), 43 (transmission privilégiée au décès du preneur) et 48bis (cession du droit de préemption à un tiers) de la loi sur le bail à ferme.

L'article 52, alinéa 5, du décret du 2 mai 2019 prévoit qu'à défaut d'un bail écrit conclu au terme d'un délai de cinq ans à dater de l'entrée en vigueur de ce décret, à savoir avant le 1er janvier 2025, les baux oraux en cours le 1er janvier 2020 sont réputés avoir commencé à cette dernière date, « une troisième période de neuf ans de bail », c'est-à-dire une deuxième prolongation de neuf ans au sens du nouvel article 4, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1318/1, p. 20; nos 1317/3 et 1318/7, p. 22). L'article 52, alinéa 6, du décret du 2 mai 2019 prévoit que, par dérogation à la disposition qui précède, s'il est prouvé qu'un bail oral a été conclu ou qu'une cession simple s'est produite « il y a moins de dix-huit ans à la date d'entrée en vigueur du présent décret », soit après le 1er janvier 2002, le bail concerné peut se poursuivre « pour une période permettant son exécution pour une durée maximale de trente-six ans ».

Les travaux préparatoires mentionnent : « [...] l'année charnière est la 18e année. Si au moment de l'entrée en vigueur du présent décret, la location dure depuis plus de 18 ans, elle dure encore 18 ans. Si l'occupation est inférieure à 18 ans, le bail se poursuit pour 36 ans » (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, nos 1317/3 et 1318/7, p. 22).

B.2.6. Il résulte d'une lecture combinée de l'article 4 de la loi sur le bail à ferme, tel qu'il a été modifié par l'article 5 du décret du 2 mai 2019, et de l'article 52, alinéas 5 et 6, de ce décret que les baux oraux en cours au 1er janvier 2020 qui ne sont pas mis par écrit avant le 1er janvier 2025 prennent fin de plein droit, en principe, dix-huit ans après la date d'entrée en vigueur du décret, soit le 31 décembre 2037 (article 52, alinéa 5), sauf s'il peut être prouvé que le bail oral a été conclu ou qu'une cession simple de celui-ci s'est produite après le 1er janvier 2002. Dans ce cas, le bail oral peut se poursuivre au-delà du 31 décembre 2037 jusqu'à la date qui permet d'exécuter le bail pendant une durée maximale de 36 ans (article 52, alinéa 6).

B.3. L'article 4 de la loi sur le bail à ferme, tel qu'il a été modifié par l'article 5 du décret du 2 mai 2019, et l'article 52, alinéas 5 et 6, de ce décret constituent des éléments importants d'un accord sur la réforme de la loi sur le bail à ferme obtenu au terme de quatre années de négociations avec des associations de propriétaires, des associations professionnelles agricoles et des associations de défense de l'environnement (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, nos 1317/3 et 1318/7, pp. 15, 16 et 21). Le législateur décrétal a voulu, par cette réforme, corriger le déséquilibre qui existait entre, d'une part, les droits des preneurs et, d'autre part, ceux des bailleurs (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, nos 1317/3 et 1318/7, pp. 3 et 8), en redonnant confiance aux propriétaires dans le fait d'engager leurs terres dans un bail à ferme, en garantissant l'exploitation économique par les agriculteurs actifs et en préservant également l'avenir des jeunes agriculteurs (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, C.R.I., n° 16, pp. 17 et 19-20).

Cet accord prévoit notamment la limitation de la durée du bail à ferme classique à 36 ans maximum, mettant ainsi fin à un obstacle important découlant de la législation existante et de la jurisprudence, à savoir le caractère quasiment perpétuel du bail à ferme classique, de sorte que les propriétaires et leurs familles peuvent à nouveau disposer librement de leurs terres à l'expiration d'une certaine période (ibid.).

B.4. Les questions préjudicielles invitent à comparer la situation des preneurs et bailleurs d'un bail à ferme écrit en cours au jour de l'entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019, soit le 1er janvier 2020, et celle des preneurs et bailleurs d'un bail à ferme oral en cours à cette date, en ce que seuls ces derniers sont soumis à la mesure transitoire visée à l'article 52, alinéa 5, du décret.

B.5.1. Les questions préjudicielles sont fondées sur la prémisse selon laquelle l'article 4, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, tel qu'il a été modifié par l'article 5 du décret du 2 mai 2019, est une disposition impérative d'application immédiate aux baux écrits conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de ce décret.

B.5.2. Il appartient en règle à la juridiction a quo d'interpréter les dispositions qu'elle applique, sous réserve d'une lecture manifestement erronée des dispositions en cause.

B.5.3. En vertu des principes généraux du droit transitoire en matière de conventions, l'ancienne loi demeure applicable aux conventions conclues avant la date d'entrée en vigueur de la nouvelle loi, à moins que la nouvelle loi ne soit d'ordre public ou impérative ou ne prévoie expressément qu'elle s'applique aux conventions en cours (Cass., 4 février 2021, C.20.0399.F, ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20210204.1F.2; Cass., 24 juin 2019, C.15.0328.F, ECLI:BE:CASS:2019:ARR.20190624.2).

B.5.4. La législation sur le bail à ferme vise essentiellement à réaliser un juste équilibre entre les intérêts des bailleurs et ceux des preneurs.

La volonté d'offrir une plus grande sécurité d'entreprise aux preneurs, en garantissant la stabilité de leurs investissements sur le bien faisant l'objet du bail à ferme, constitue l'objectif général initial de la législation sur le bail à ferme.

La volonté de prendre davantage en compte l'évolution de l'agriculture et l'intérêt des propriétaires à retrouver la libre disposition de leur terre sont des nouveaux objectifs de la législation sur le bail à ferme applicable en Région wallonne (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1318/1, pp. 3-4; nos 1317/3 et 1318/7, p. 6).

B.5.5. En ce qu'il limite à trois le nombre des prolongations du bail à ferme ordinaire, l'article 4, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, tel qu'il a été modifié par l'article 5 du décret du 2 mai 2019, protège les intérêts des bailleurs. Il ressort des termes de cette disposition et de la volonté du législateur décrétal de restaurer la confiance des propriétaires dans le bail à ferme en mettant notamment fin au caractère quasiment perpétuel de celui-ci (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, C.R.I.C., n° 34, pp. 6 et 9;

Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1318/1, p. 3; nos 1317/3 et 1318/7, pp. 4-6, 8 et 22; C.R.I., n° 16, pp. 9, 17 et 20) que cet aspect de cette disposition est impératif en faveur du bailleur.

B.5.6. L'interprétation des juridictions a quo selon laquelle l'article 4, tel qu'il a été modifié par l'article 5 du décret du 2 mai 2019, est d'application immédiate aux baux écrits en cours eu égard à son caractère impératif, n'est dès lors pas manifestement erronée.

B.6.1. Par la seconde question préjudicielle, la Cour est interrogée sur la compatibilité de l'article 4, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, tel qu'il a été modifié par l'article 5 du décret du 2 mai 2019, et de l'article 52, alinéa 5, du même décret, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 2 du Code civil, avec le principe de la non-rétroactivité des lois et avec le principe de la sécurité juridique, dans l'interprétation selon laquelle le preneur d'un bail écrit en cours au jour de l'entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019, à savoir le 1er janvier 2020, peut se voir notifier, à partir de cette date, la fin de plein droit du bail dès que celui-ci a atteint une durée de 36 ans, alors que le preneur d'un bail oral « dans une situation comparable » bénéficie d'une présomption selon laquelle ce bail entame « une troisième période de neuf ans » à partir de cette date, de sorte qu'il ne peut pas se voir notifier la fin de plein droit de celui-ci avant le 31 décembre 2037.

B.6.2. Le législateur décrétal n'a pas précisé l'effet de l'article 4, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, tel qu'il a été modifié par l'article 5 du décret du 2 mai 2019, sur les baux écrits qui étaient déjà en cours au 1er janvier 2020.

C'est en premier lieu au législateur compétent qu'il appartient de déterminer l'effet dans le temps de nouvelles dispositions législatives. S'il n'a pas explicité cet effet dans le temps, l'application de la loi dans le temps est régie par les principes généraux du droit transitoire.

Les baux écrits en cause dans les litiges au fond ont entamé une première période d'occupation de neuf ans en 1983 (affaire n° 7570), en 1978 (affaire n° 7571) et en 1977 (affaire n° 7636), soit des baux écrits qui, à la date du 1er janvier 2020, ont été exécutés pendant 37 à 43 ans.

B.6.3. Il ressort de cette constatation et de ce qui est dit en B.2.3 et B.2.5 que la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec le principe de la non-rétroactivité des lois et avec le principe de la sécurité juridique, de l'article 4, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, tel qu'il a été modifié par l'article 5 du décret du 2 mai 2019, et de l'article 52, alinéa 5, du même décret, dans l'interprétation selon laquelle ces dispositions introduisent une différence de traitement entre deux catégories de preneurs d'un bail à ferme en cours à la date du 1er janvier 2020 dont la première période d'occupation est égale à neuf ans et qui a été exécuté pendant au moins 36 ans à cette date : d'une part, ceux qui ont conclu un bail à ferme écrit et, d'autre part, ceux qui ont conclu un bail à ferme oral. Alors que la première catégorie de preneurs peut se voir notifier la fin de plein droit du bail à partir du 1er janvier 2020, la seconde catégorie bénéficie, à partir de cette date, d'un délai de dix-huit ans expirant le 31 décembre 2037 avant d'être susceptible de se voir notifier la fin de plein droit du bail.

B.7. Si le législateur décrétal estime qu'un changement de politique s'impose, il peut décider de lui donner un effet immédiat et, en principe, il n'est pas tenu de prévoir un régime transitoire. Les articles 10 et 11 de la Constitution ne sont violés que si l'absence d'une mesure transitoire entraîne une différence de traitement qui n'est pas susceptible de justification raisonnable ou s'il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime. Ce principe est étroitement lié au principe de la sécurité juridique, qui interdit au législateur de porter atteinte sans justification objective et raisonnable à l'intérêt que possèdent les sujets de droit d'être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.

Le législateur décrétal doit toutefois, lorsqu'il instaure un nouveau régime légal, examiner au cas par cas si des mesures transitoires sont nécessaires, compte tenu de l'impact des nouvelles règles et des attentes légitimes des justiciables concernés. Lorsqu'un régime légal est assorti de mesures transitoires à l'égard d'une certaine catégorie de justiciables, alors que tel n'est pas le cas pour une autre catégorie comparable, cette différence de traitement doit être raisonnablement justifiée.

B.8.1. Comme il est dit en B.2.3, par le nouvel article 4, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, le législateur décrétal a voulu limiter la durée de principe du bail à ferme à 36 ans.

Par cette réforme, il a voulu, comme il est dit en B.3, donner aux propriétaires de terres louées et à leurs familles la perspective qu'ils pourraient disposer librement de leurs terres à l'issue de cette période maximale.

Par ailleurs, il ressort du décret du 2 mai 2019 et de ses travaux préparatoires que législateur décrétal a voulu favoriser le recours à l'écrit. En effet, il a posé le principe du bail écrit et enregistré (article 3 de la loi sur le bail à ferme, tel qu'il a été modifié par l'article 4 du décret du 2 mai 2019; Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, nos 1317/3 et 1318/7, pp. 3-4). Il a introduit la possibilité pour la partie la plus diligente d'agir par voie judiciaire pour obtenir un écrit (ibid.). Il a également encouragé la mise par écrit des baux oraux en cours (article 52, alinéas 4 et 5, du décret du 2 mai 2019 ; Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1318/1, p. 20).

En l'absence d'un écrit établi dans les cinq ans de l'entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019, le législateur décrétal a garanti, d'une part, une durée d'occupation de principe de 36 ans aux preneurs de baux oraux en cours qui peuvent prouver qu'un bail oral ou qu'une cession simple est intervenu moins de dix-huit ans avant le 1er janvier 2020 et, d'autre part, une durée d'occupation de principe de dix-huit ans à partir du 1er janvier 2020 aux preneurs de baux oraux en cours pour lesquels une telle preuve n'est pas apportée.

B.8.2. La différence de traitement visée en B.6.3 repose sur un critère objectif, à savoir le caractère oral ou écrit du bail.

B.8.3. En ce qui concerne les mesures transitoires applicables aux baux en cours, le ministre a déclaré lors des auditions préalables à l'adoption de l'avant-projet de décret : « Les parlementaires auront eu la confirmation pendant ces deux séances d'auditions qu'il y a au moins quatre difficultés majeures, deux l'étant bien plus que les autres. L'une d'elles n'a pas été évoquée cet après-midi, mais elle a été sous-jacente dans toute une série de questions et surtout de réponses : c'est la question des mesures transitoires.

C'est clair que la volonté est d'arriver avec un projet de décret, de revoir la loi sur le bail à ferme et donc il y a toute une série de nouvelles dispositions qui devront s'appliquer tout de suite et il y en a d'autres à définir : que fait-on des baux en cours ? A partir de quand applique-t-on telle ou telle mesure, et cetera ? On n'en a pas parlé expressément, mais vous aurez vu, notamment dans une série de réponses des juristes qui sont là, que ce sera une des questions difficiles et délicates à régler, mais il faudra la régler » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, C.R.I.C., n° 34, p. 30).

Dans un avis préliminaire du 14 août 2018 sur la réforme envisagée, la Plate-forme Foncier Agricole a observé : « Selon l'Article 47 du décret (mesures transitoires concernant l'Article 3 - passage à l'écrit), le devenir des baux existants déjà écrits, qui ne font pas l'objet d'une modification écrite dans le délai de 5 ans à dater de l'entrée en vigueur du décret n'est pas clair. Il ne nous semble pas adéquat qu'ils recommencent pour une première période de bail car cela n'est pas l'objectif de la mesure.

Si les baux sont déjà écrits, la date est certaine et ne nécessite pas une mesure. Il subsisterait uniquement le passage au nouveau régime du décret entré en vigueur. Il importe donc de clarifier ce point » (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1318/1, p. 142).

Dans son avis sur l'avant-projet de décret, la section de législation du Conseil d'Etat a invité le législateur à clarifier le régime juridique applicable aux baux en cours : « L'articulation entre les alinéas 4, 5 et 6 [de l'article 50 de l'avant-projet de décret devenu l'article 52 du décret du 2 mai 2019] et leur portée exacte apparaissent très difficilement.

En commençant par les mots ` A défaut d'un écrit ' - il conviendrait d'écrire ` A défaut d'un bail écrit ' -, l'alinéa 5 - et en conséquence l'alinéa 6, qui se présente comme dérogeant à l'alinéa 5 sur le même objet - paraît envisager l'hypothèse où le bail initial était oral.

Si ces alinéas 5 et 6 ne concernent bien que le cas où le bail d'origine était oral, il conviendrait alors non seulement de l'exprimer ainsi dans le dispositif mais aussi, semble-t-il, d'indiquer que ces alinéas 5 et 6, qui attachent des effets juridiques à l'absence d'un bail écrit pendant le délai de cinq ans suivant la date d'entrée en vigueur du décret en projet, dérogent à l'alinéa 4, effets juridiques qui sont différents de ceux qu'envisage cet alinéa 4, lequel considère comme en principe ` valablement conclus ' ` [l]es baux conclus avant l'entrée en vigueur du [...] décret [en projet] sur la base de l'article 3 [de la loi sur le bail à ferme] '. Une autre formule, qui serait même plus claire, consisterait à préciser au sein de cet alinéa 4 qu'il ne vise que les baux ` écrits ' ainsi conclus; ceci paraît toutefois contredit par le commentaire de la disposition.

Si les alinéas 5 et 6 concernent l'ensemble des baux conclus avant l'entrée en vigueur du décret en projet, en ce compris les baux écrits, non seulement l'articulation de ces alinéas avec l'alinéa 4 devient difficile à cerner mais en outre l'application de l'alinéa 5 pourrait conduire à des effets pratiques dont il n'est pas certain que l'auteur de l'avant-projet aurait aperçu toute la mesure. Ainsi, par exemple, si un bail initial, qui a été écrit, a été conclu trente-cinq ans avant l'entrée en vigueur du décret et que n'intervient pas de bail écrit au terme du délai de cinq ans suivant la date d'entrée en vigueur du décret en projet, ce bail serait prolongé comme si s'entamait ainsi ` une troisième période de bail à la date de l'entrée en vigueur du [...] décret ', ce qui conduirait à l'instauration de baux plus longs que ceux prévus actuellement par la loi.

Cet effet existerait également en présence d'un bail initial de nature orale mais paraît conduire à des effets moins inattendus, eu égard précisément à la particularité de pareil bail quant à son existence et son régime, ainsi que de son caractère juridiquement exceptionnel selon l'article 3 actuel de la loi sur le bail à ferme.

Quant à l'alinéa 4, lorsqu'il énonce que les baux anciens y mentionnés doivent être ` considérés comme valablement conclus [...] ', la question se pose de savoir si sa portée se limite à la question de la preuve attachée à ces baux et donc si c'est le régime juridique déduit de l'entrée en vigueur du décret en projet qui leur sera applicable ou, au contraire, si cette disposition doit être lue comme visant non seulement la règle ancienne de preuve mais aussi le régime ancien, préalable à l'entrée en vigueur du décret en projet, qui leur serait applicable. Cette question se pose également en ce qui concerne les alinéas 5 et 6.

L'ensemble de ces importantes questions sera éclairci dans le texte et expliqué dans le commentaire de la disposition en fonction de l'intention de l'auteur de l'avant-projet.

Le dispositif transitoire gagnerait à être complet sur l'ensemble des aspects du régime juridique applicable aux baux conclus avant l'entrée en vigueur du décret en projet, et ce même s'il s'agit de confirmer des principes découlant du droit commun qui sont relatifs aux effets futurs des situations nées sous l'empire des législations anciennes » (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1318/1, p. 53).

A la suite de cet avis, la formulation de l'article 50, alinéas 4 à 6, de l'avant-projet de décret, devenu l'article 52, alinéas 4 à 6, du projet de décret, a été très légèrement adaptée (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1318/1, pp. 35 et 84). Le commentaire de cette disposition est resté inchangé (ibid., pp. 20-21 et 70).

Interrogé sur la prise en compte des remarques de la section de législation du Conseil d'Etat, le ministre a répondu : « Toutes les vérifications demandées par le Conseil d'Etat ont été réalisées » (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, nos 1317/3 et 1318/7, p. 11).

Interrogé plus spécifiquement sur l'application aux baux en cours de la limitation de la durée de principe du bail à ferme à 36 ans, le ministre a répondu : « [Un député] demande si la durée de 36 ans est consacrée, c'est-à-dire trois reconductions tacites après la première période de neuf ans, et si le dispositif s'appliquera à tous les baux futurs et donc pas à ceux en cours.

M. le Ministre confirme l'existence du bail à ferme de 9 ans, reconductible à trois reprises, à côté de la création de nouveaux baux.

Une disposition transitoire est consacrée aux baux en cours. Elle a fait partie de l'accord intervenu en décembre 2018 » (ibid.) Le ministre a également indiqué que la disposition transitoire relative aux baux en cours constitue un aspect délicat de la réforme qui a amené in extremis toutes les parties prenantes à accepter celle-ci (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, C.R.I.C., n° 99, p. 23).

B.8.4. Il ressort des travaux préparatoires précités que le législateur décrétal était conscient de la nécessité d'adopter des mesures transitoires applicables aux baux en cours mais qu'il ne l'a fait que pour les baux oraux en cours, sans donner les raisons pour lesquelles les baux écrits en cours ne bénéficiaient d'aucune mesure transitoire.

B.8.5. L'absence de mesure transitoire pour les baux écrits en cours porte une atteinte disproportionnée aux attentes légitimes des preneurs de baux écrits en cours depuis au moins 36 ans au 1er janvier 2020 pour lesquels la limitation de la durée de principe du bail à ferme à 36 ans est une règle nouvelle qui modifie substantiellement l'équilibre initial du contrat, tout comme pour les preneurs de baux oraux en cours. La circonstance que les baux écrits ont date certaine est, à cet égard, indifférente.

B.8.6. La différence de traitement visée en B.6.3 n'est dès lors pas raisonnablement justifiée.

B.9. Cette inconstitutionnalité ne découle toutefois pas des dispositions en cause, mais de l'absence d'un régime transitoire pour les baux à ferme écrits en cours. Il appartient au législateur décrétal de prévoir pour cette catégorie de baux un régime transitoire pour le 31 décembre 2023 au plus tard.

Dans l'intervalle, il appartient aux juridictions a quo d'appliquer l'article 52, alinéa 5, du décret du 2 mai 2019 aux baux à ferme écrits en cours.

B.10. L'examen de la première question préjudicielle ne saurait aboutir à un constat d'inconstitutionnalité plus étendu.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : 1. L'article 4 de la section 3 (« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, de l'ancien Code civil, tel qu'il a été modifié par l'article 5 du décret de la Région wallonne du 2 mai 2019 « modifiant diverses législations en matière de bail à ferme », dans l'interprétation selon laquelle cet article 4 s'applique aux baux écrits en cours au 1er janvier 2020, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la non-rétroactivité des lois et avec le principe de la sécurité juridique.2. L'absence d'un régime transitoire pour les baux à ferme écrits en cours viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la sécurité juridique.3. Il appartient au législateur décrétal de remédier à cette lacune pour le 31 décembre 2023 au plus tard.Dans l'intervalle, il y a lieu d'appliquer l'article 52, alinéa 5, du même décret du 2 mai 2019 aux baux à ferme écrits en cours.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 2 mars 2023.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, P. Nihoul

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