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Arrêt
publié le 02 mai 2023

Extrait de l'arrêt n° 63/2023 du 13 avril 2023 Numéro du rôle : 7800 En cause : le recours en annulation des articles 9 à 12 du décret de la Région wallonne du 3 février 2022 « relatif aux marchés du gaz et de l'électricité à la suite des ino La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J. Moe(...)

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02/05/2023
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Extrait de l'arrêt n° 63/2023 du 13 avril 2023 Numéro du rôle : 7800 En cause : le recours en annulation des articles 9 à 12 du décret de la Région wallonne du 3 février 2022 « relatif aux marchés du gaz et de l'électricité à la suite des inondations du mois de juillet 2021 », introduit par l'ASBL « Fédération Belge des Entreprises Electriques et Gazières ».

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 10 mai 2022 et parvenue au greffe le 11 mai 2022, l'ASBL « Fédération Belge des Entreprises Electriques et Gazières », assistée et représentée par Me J. Mosselmans, Me M. Vanderstraeten et Me S. Feyen, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 9 à 12 du décret de la Région wallonne du 3 février 2022 « relatif aux marchés du gaz et de l'électricité à la suite des inondations du mois de juillet 2021 » (publié au Moniteur belge du 16 février 2022). (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées B.1.1. A la suite des inondations survenues en juillet 2021, le législateur décrétal wallon a conféré une habilitation étendue au Gouvernement, qualifiée de pouvoirs spéciaux par le législateur décrétal lui-même, afin de garantir le droit à l'énergie des clients résidentiels concernés dans le cadre de crises futures.

B.1.2. Le chapitre V, intitulé « Dispositions modificatives - Pouvoirs spéciaux », du décret de la Région wallonne du 3 février 2022 « relatif aux marchés du gaz et de l'électricité à la suite des inondations du mois de juillet 2021 » (ci-après : le décret du 3 février 2022), dispose : «

Art. 9.Dans le décret électricité, il est inséré un chapitre XV intitulé ` Pouvoirs spéciaux '.

Art. 10.Dans le chapitre XV, inséré par l'article 9, il est inséré un article 67 rédigé comme suit : `

Art. 67.Lorsque le Gouvernement constate la survenance de circonstances de crise impactant la santé, la sécurité ou la situation financière des clients résidentiels ou d'une partie des clients résidentiels, il est habilité à déroger au présent décret afin de garantir le droit à l'énergie des clients résidentiels concernés, dans le respect des conditions cumulatives suivantes : 1° les dérogations ont une durée limitée et, dans tous les cas, ne dépassent pas la durée d'une année;2° les dérogations visent strictement le public impacté par les circonstances de crise constatées par le Gouvernement;3° les dérogations sont justifiées et proportionnées au regard des circonstances de crise constatées par le Gouvernement. Le projet d'arrêté est concerté avec la CWaPE, les gestionnaires de réseau de distribution, les fournisseurs, la Fédération des centres publics d'action sociale, l'Union des Villes et des Communes de Wallonie et des associations de représentation de consommateurs. La CWaPE remet un avis sur le projet d'arrêté.

Tout arrêté pris en exécution du présent article est censé ne jamais avoir produit d'effets s'il n'a pas été confirmé par un décret dans les six mois de sa date d'entrée en vigueur '.

Art. 11.Dans le décret gaz, il est inséré un chapitre XVI intitulé ` Pouvoirs spéciaux '.

Art. 12.Dans le chapitre XVI, inséré par l'article 11, il est inséré un article 76 rédigé comme suit : `

Art. 76.Lorsque le Gouvernement constate la survenance de circonstances de crise impactant la santé, la sécurité ou la situation financière des clients résidentiels ou d'une partie des clients résidentiels, il est habilité à déroger au présent décret afin de garantir le droit à l'énergie des clients résidentiels concernés, dans le respect des conditions cumulatives suivantes : 1° les dérogations ont une durée limitée et, dans tous les cas, ne dépassent pas la durée d'une année;2° les dérogations visent strictement le public impacté par les circonstances de crise constatées par le Gouvernement;3° les dérogations sont justifiées et proportionnées au regard des circonstances de crise constatées par le Gouvernement. Le projet d'arrêté est concerté avec la CWaPE, les gestionnaires de réseau de distribution, les fournisseurs, la Fédération des centres publics d'action sociale, l'Union des Villes et des Communes de Wallonie et des associations de représentation de consommateurs. La CWaPE remet un avis sur le projet d'arrêté.

Tout arrêté pris en exécution du présent article est censé ne jamais avoir produit d'effets s'il n'a pas été confirmé par un décret dans les six mois de sa date d'entrée en vigueur. ' ».

B.1.3. Les travaux préparatoires du décret du 3 février 2022 mentionnent : « Ces dispositions modifient les décrets gaz et électricité pour y insérer des pouvoirs spéciaux pour faire face aux crises futures et augmenter la résilience de la politique énergétique. Après plusieurs périodes de crises successives, il est aujourd'hui nécessaire de prendre des mesures pour anticiper et mieux gérer ces situations.

L'objectif est de donner une flexibilité au Gouvernement pour prendre les mesures en faveur des publics précarisés qui sont souvent les premiers touchés en situation de crise. En effet, ces pouvoirs spéciaux sont strictement limités aux mesures destinées à garantir le droit à l'énergie des clients résidentiels impactés. Il s'agit donc de prendre les mesures que le Gouvernement estime utile pour maintenir l'accès à l'énergie des publics visés.

Les circonstances de crise doivent impacter la santé, la sécurité ou la situation financière des clients résidentiels ou d'une partie de ceux-ci. Il appartient au Gouvernement de constater la survenance desdites circonstances.

Les dérogations doivent remplir les conditions cumulatives suivantes : - permettre de garantir le droit à l'énergie des clients résidentiels; - avoir une durée limitée de maximum 1 an; - viser strictement le public impacté par lesdites circonstances; - être justifiées et proportionnées au regard des circonstances.

Lorsque le Gouvernement fait usage de ces pouvoirs spéciaux, le dispositif est obligatoirement concerté avec la Commission wallonne pour l'Energie (CWaPE), les GRD, les fournisseurs, la Fédération des CPAS, l'Union des Villes et des Communes de Wallonie et des associations de représentation de consommateurs. La CWaPE remet également un avis sur le projet d'arrêté.

Une ratification parlementaire doit intervenir dans les six mois sous peine de nullité » (Doc. parl., Parlement wallon, 2021-2022, n° 797/1, p. 5). En commission, le ministre de l'Energie a souligné que « le recours au mécanisme des pouvoirs spéciaux [...] vise à permettre l'adoption de mesures exceptionnelles en situation d'urgence » (Doc. parl., Parlement wallon, 2021-2022, n° 797/4, p. 5).

Quant au moyen unique B.2. L'ASBL « Fédération Belge des Entreprises Electriques et Gazières » (ci-après : la FEBEG) prend un moyen unique de la violation, par les articles 9 à 12 du décret du 3 février 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 105 de la Constitution et avec l'article 78 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), ainsi que de l'article 23 de la Constitution.

La FEBEG critique l'octroi au Gouvernement wallon de l'habilitation lui permettant de modifier, de compléter et d'abroger des dispositions législatives dans des matières réservées au législateur sans que des circonstances de crise soient présentes et sans aucune urgence (première branche). Elle fait grief aux dispositions attaquées de permettre au Gouvernement de constater lui-même ces circonstances de crise (deuxième branche). La FEBEG critique ensuite le fait que l'habilitation soit valable pour une durée indéterminée et qu'elle permette au Gouvernement de déterminer la durée des mesures de pouvoirs spéciaux, cette durée pouvant aller jusqu'à un an (troisième branche). Elle critique enfin la possibilité pour le Gouvernement de déroger à l'intégralité du décret de la Région wallonne du 12 avril 2001 « relatif à l'organisation du marché régional de l'électricité » (ci-après : le décret « électricité ») et du décret de la Région wallonne du 19 décembre 2002 « relatif à l'organisation du marché régional du gaz » (ci-après : le décret « gaz ») (quatrième branche).

La Cour examine les quatre branches du moyen ensemble, en ce qu'elles font grief au législateur décrétal d'avoir conféré une habilitation excessive au Gouvernement wallon.

B.3.1. L'article 23 de la Constitution dispose : « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.

A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.

Ces droits comprennent notamment : [...] 3° le droit à un logement décent; [...] ».

B.3.2. L'article 23, alinéas 2 et 3, 3°, de la Constitution oblige le législateur compétent à garantir le droit à un logement décent et à déterminer les conditions d'exercice de ce droit.

Cette disposition constitutionnelle n'interdit cependant pas à ce législateur d'accorder des délégations au pouvoir exécutif, pour autant qu'elles portent sur l'exécution de mesures dont le législateur a déterminé l'objet.

Cette disposition constitutionnelle n'impose pas au législateur de régler tous les éléments essentiels du droit à un logement décent et ne lui interdit pas d'habiliter le pouvoir exécutif à régler ceux-ci.

B.4.1. L'article 78 de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose : « Le Gouvernement n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois et décrets portés en vertu de celle-ci ».

B.4.2. Lorsqu'une disposition constitutionnelle spécifique, tel l'article 23 de la Constitution, offre la garantie que, dans une matière donnée, l'objet des mesures à adopter sera déterminé par une assemblée délibérante démocratiquement élue, elle englobe la garantie offerte par l'article 78 de la loi spéciale du 8 août 1980.

B.4.3. L'article 105 de la Constitution est étranger à la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif au niveau des entités fédérées. Dès lors, la Cour n'en tient pas compte dans son examen.

B.5. En ce qu'elles habilitent le Gouvernement wallon, lorsqu'il constate la survenance de circonstances de crise impactant la santé, la sécurité ou la situation financière des clients résidentiels ou d'une partie des clients résidentiels, à déroger au décret « électricité » et au décret « gaz » afin de garantir le droit à l'énergie des clients résidentiels concernés, dans le respect de plusieurs conditions cumulatives, les dispositions attaquées règlent une matière qui relève du droit à un logement décent visé à l'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution.

La Cour doit donc examiner si les habilitations accordées au Gouvernement wallon, indépendamment de leur qualification comme « pouvoirs spéciaux », sont compatibles avec le principe de légalité contenu dans l'article 23 de la Constitution.

B.6. Les dispositions attaquées habilitent le Gouvernement, lorsqu'il constate la survenance de circonstances de crise impactant la santé, la sécurité ou la situation financière des clients résidentiels ou d'une partie des clients résidentiels, à déroger aux décrets « électricité » et « gaz » afin de garantir le droit à l'énergie des clients résidentiels concernés.

La mise en oeuvre de cette habilitation est soumise au respect de trois conditions cumulatives : (1) les dérogations ont une durée limitée et, dans tous les cas, ne dépassent pas la durée d'une année; (2) les dérogations visent strictement le public impacté par les circonstances de crise constatées par le Gouvernement;(3) les dérogations sont justifiées et proportionnées au regard des circonstances de crise constatées par le Gouvernement.

Dans le cadre de l'élaboration des arrêtés, le Gouvernement a l'obligation de se concerter avec la Commission wallonne pour l'énergie (CWaPE), les gestionnaires de réseau de distribution, les fournisseurs, la Fédération des centres publics d'action sociale, l'Union des Villes et des Communes de Wallonie et des associations de représentation de consommateurs. La CWaPE doit également remettre un avis sur les projets d'arrêté.

Enfin, le législateur décrétal doit confirmer les arrêtés dans les six mois de leur date d'entrée en vigueur, sans quoi ceux-ci sont censés n'avoir jamais produit d'effets.

B.7.1. Il découle de ce qui est dit en B.3.2 qu'une habilitation conférée au pouvoir exécutif de prendre des mesures dont le législateur décrétal n'aurait pas déterminé l'objet, dans les matières visées à l'article 23 de la Constitution, est, en principe, inconstitutionnelle.

Toutefois, lorsque le législateur décrétal se trouve dans l'impossibilité de déterminer lui-même l'objet des mesures à prendre dans une telle matière parce que le respect de la procédure parlementaire ne lui permettrait pas de réaliser un objectif d'intérêt général, il peut être admis qu'il habilite le pouvoir exécutif à le faire. A cet effet, il est en tout cas requis qu'il détermine explicitement et sans équivoque l'objet de cette habilitation et que les mesures prises par le pouvoir exécutif soient confirmées par le législateur décrétal dans un délai relativement court, fixé dans la norme d'habilitation.

B.7.2. Par ailleurs, le principe de légalité contenu dans l'article 23 de la Constitution ne s'oppose pas à ce qu'une telle habilitation soit faite en anticipation de circonstances exceptionnelles, ni à ce que le pouvoir exécutif constate lui-même, le moment venu, la survenance de telles circonstances, pour autant que le législateur décrétal ait défini celles-ci à l'avance, de manière suffisamment précise, et que l'habilitation soit strictement limitée aux mesures nécessaires pour faire face à ces circonstances exceptionnelles.

B.8. Il ressort de ce qui est dit en B.6 que le législateur décrétal a déterminé explicitement et sans équivoque l'objet de l'habilitation conférée au Gouvernement et que les mesures prises doivent être confirmées dans les six mois de leur entrée en vigueur, ce qui est un délai relativement court. Le législateur décrétal a également défini de manière suffisamment précise les circonstances exceptionnelles dans lesquelles le Gouvernement est habilité à agir, à savoir des circonstances de crise impactant la santé, la sécurité ou la situation financière de clients résidentiels dont l'accès à l'énergie est compromis. Enfin, l'habilitation est strictement limitée aux mesures nécessaires pour faire face aux circonstances précitées. En effet, l'habilitation autorise uniquement à déroger aux décrets « électricité » et « gaz », ce qui ne permet de régler les matières concernées que par voie d'exception aux dispositions qui restent généralement applicables; ces dérogations doivent viser strictement les clients résidentiels impactés par les circonstances de crise, dont elles tendent à garantir le droit à l'énergie. Le législateur décrétal a également prévu que les mesures doivent être justifiées et proportionnées au regard des circonstances et que leur durée est limitée à une période qui ne peut excéder un an.

Enfin, en vue d'assurer le respect de ces conditions, le Gouvernement doit se concerter avec les acteurs concernés avant de prendre les mesures précitées, lesquelles doivent de surcroît faire l'objet d'un avis préalable de la CWaPE. Le respect de ces conditions peut être contrôlé par le juge compétent.

B.9. Le moyen unique n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 13 avril 2023.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, P. Nihoul

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