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Arrêt
publié le 21 septembre 2023

Extrait de l'arrêt n° 3/2023 du 12 janvier 2023 Numéro du rôle : 7730 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 6 de la loi du 25 juin 1998 « réglant la responsabilité pénale des ministres », posée par la chambre des mises en La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Gie(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 3/2023 du 12 janvier 2023 Numéro du rôle : 7730 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 6 de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer « réglant la responsabilité pénale des ministres », posée par la chambre des mises en accusation de la Cour d'appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 22 décembre 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 14 janvier 2022, la chambre des mises en accusation de la Cour d'appel de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 6 de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer réglant la responsabilité pénale des ministres, en ce qu'il prévoit que les règles en matière d'instruction criminelle qui ne sont pas contraires aux formes de procéder prescrites par la loi sont respectées et que, dès lors, le contrôle de l'instruction est effectué par la chambre des mises en accusation viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, pris isolément et combinés avec l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme en ce que seuls les ministres et les autres titulaires des privilèges de juridiction sont privés de la garantie de voir la régularité de l'instruction soumise à des juges d'un degré supérieur ou d'un autre ressort à celui du magistrat instructeur et à celui des magistrats formant le collège prévu par l'article 7 de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer, alors qu'il n'existe aucune justification objective et raisonnable de priver une catégorie de citoyens, déjà privés du bénéfice de la double juridiction, de la garantie de voir l'instruction dont ils font l'objet contrôlée par un magistrat présentant la garantie de ne pas être du même rang ou d'un autre ressort que le magistrat instructeur et du même rang et du même ressort que celui des magistrats formant le collège prévu par l'article 7 de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer ? ». (...) III. En droit (...) B.1. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de l'article 6 de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer « réglant la responsabilité pénale des ministres » (ci-après : la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer) avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il rend la chambre des mises en accusation compétente pour contrôler la régularité de l'instruction menée à l'encontre d'un ministre. Cette compétence aurait pour effet de priver les ministres, à l'instar des autres titulaires d'un « privilège de juridiction », de la garantie de voir la régularité de l'instruction soumise à des juges d'un degré supérieur à ou d'un ressort autre que celui du magistrat instructeur et que celui des magistrats formant le collège prévu à l'article 7 de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer. Le juge a quo invite la Cour à comparer la situation des ministres et autres titulaires d'un « privilège de juridiction » avec celle des autres justiciables qui bénéficieraient d'une telle garantie.

Compte tenu des faits de l'affaire soumise au juge a quo, la Cour limite son examen à la situation des ministres, à l'exclusion des autres titulaires d'un « privilège de juridiction ».

B.2. L'article 103 de la Constitution instaure à l'égard des ministres un « privilège de juridiction » pour ce qui est des infractions qu'ils auraient commises dans l'exercice de leurs fonctions et de celles qu'ils auraient commises en dehors de l'exercice de leurs fonctions et pour lesquelles ils sont jugés pendant l'exercice de leurs fonctions.

Ce « privilège de juridiction » vise à protéger la fonction de ministre, et non l'individu qui l'exerce. Selon les travaux préparatoires de la révision de l'article 103 de la Constitution, « l'application d'un régime d'exception régissant la responsabilité pénale d'un ministre ne se justifie que dans la mesure où elle tend à permettre à celui-ci de continuer d'exercer normalement sa fonction et qu'elle ne peut nullement viser à protéger la personne du ministre. Il s'agit de protéger la continuité du travail du gouvernement contre des procès téméraires ou vexatoires. D'autre part, la fonction de ministre doit être protégée contre des procès qui s'inspirent de motivations d'ordre politique » (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1258/1, p. 3).

Il s'agit de garantir une administration de la justice impartiale et sereine à l'égard des ministres (ibid., p. 5).

B.3. L'article 103 de la Constitution fixe les principales caractéristiques du régime du « privilège de juridiction » des ministres. Ces derniers sont jugés exclusivement par la cour d'appel (alinéas 1er et 3). Celle-ci statue en premier et dernier ressort, mais ses arrêts peuvent faire l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation, chambres réunies, qui ne connaît pas du fond des affaires (alinéa 3). Les poursuites en matière répressive à l'encontre d'un ministre sont le monopole du ministère public près la cour d'appel compétente (alinéa 4). Toutes réquisitions en vue du règlement de la procédure, toute citation directe devant la cour d'appel et, sauf le cas de flagrant délit, toute arrestation nécessitent l'autorisation de la Chambre des représentants (alinéa 5). Pour le reste, il appartient au législateur de désigner la cour d'appel compétente, laquelle siège en assemblée générale, et de préciser la composition de celle-ci, ainsi que de fixer la procédure applicable, tant lors des poursuites que lors du jugement (alinéas 2 et 3).

B.4. En exécution de cette habilitation constitutionnelle, la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer prévoit une procédure particulière pour les infractions commises par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions ou en dehors de l'exercice de leurs fonctions mais jugées au cours de l'exercice de leurs fonctions.

L'article 4 de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer prévoit que les fonctions qui relèvent en principe de la compétence du juge d'instruction et du procureur du Roi sont exercées par le conseiller près de la cour d'appel compétente désigné à cette fin par le premier président de cette cour et par le procureur général compétent, chacun pour ce qui le concerne. Sauf en cas de crime ou de délit flagrant, les mesures de contrainte nécessitant le mandat d'un juge peuvent uniquement être ordonnées par un collège composé du conseiller instructeur et de deux autres conseillers à la cour d'appel désignés par le président de cette cour (article 7 de la même loi).

Au terme de l'instruction, il est prévu un règlement de la procédure par la chambre des mises en accusation de la cour d'appel compétente, qui peut décider qu'il n'y a pas lieu à poursuivre, ordonner des actes d'instruction complémentaires ou renvoyer l'affaire à la cour d'appel compétente (articles 9 et 16 de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer). Le procureur général près la cour d'appel doit, tant pour la demande de règlement de la procédure que pour la citation directe, recevoir l'autorisation de la Chambre des représentants (articles 10 et 11 de la même loi).

Celle-ci doit, sans se prononcer sur le fond du dossier, vérifier si la demande est sérieuse. Elle peut refuser son autorisation lorsqu'il s'avère que tant l'action publique que les faits sont manifestement fondés essentiellement sur des motifs politiques ou que les éléments fournis sont irréguliers, arbitraires ou insignifiants (article 12 de la même loi). Enfin, il est prévu que l'assemblée générale de la cour d'appel se compose, pour le jugement des ministres, de sept ou de cinq conseillers, selon que les infractions auraient été commises par le ministre dans l'exercice de ses fonctions ou en dehors de l'exercice de celles-ci (article 22 de la même loi).

B.5. L'article 6, en cause, de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer dispose : « Les règles en matière d'instruction criminelle qui ne sont pas contraires aux formes de procéder prescrites par la présente loi, sont également respectées ».

En vertu de cette disposition, les règles de droit commun en matière d'instruction criminelle sont applicables dans la mesure où la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer n'y déroge pas.

Telle qu'elle est interprétée par le juge a quo, la disposition en cause rend applicable à l'instruction menée à l'encontre d'un ministre l'article 235bis du Code d'instruction criminelle, en vertu duquel la chambre des mises en accusation contrôle, sur la réquisition du ministère public ou à la requête d'une des parties, voire d'office, la régularité de la procédure qui lui est soumise lors du règlement de la procédure, de même que dans les autres cas de saisine.

B.6. Il résulte de la combinaison de ces deux dispositions que la chambre des mises en accusation est compétente pour contrôler, en cours de procédure, la régularité de l'instruction menée à l'encontre d'un ministre. Le juge a quo demande à la Cour si cette compétence de la chambre des mises en accusation, qui est composée de trois conseillers à la cour d'appel, pour contrôler la régularité de l'instruction menée à l'encontre d'un ministre par des magistrats qui appartiennent à la même cour d'appel, à savoir un conseiller instructeur désigné par le premier président de la cour d'appel compétente, avec le concours, en ce qui concerne les mesures de contrainte nécessitant le mandat d'un juge, de deux autres conseillers à la cour d'appel désignés par le président de cette cour, conformément aux articles 4 et 7 de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer, est compatible avec les normes de référence citées en B.1.

Le juge a quo demande s'il est raisonnablement justifié que ce contrôle ne soit pas opéré par des juges d'un degré supérieur à celui des magistrats responsables de l'instruction, ce qui serait le cas pour les autres justiciables, ou à tout le moins par des juges d'un autre ressort que ces magistrats.

B.7. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale.

Ils interdisent toute discrimination, quelle qu'en soit l'origine : les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination sont applicables à l'égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique.

B.8.1. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l'application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n'est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l'application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

B.8.2. Le fait que des procédures différentes s'appliquent aux ministres et aux autres justiciables découle d'un choix du Constituant, au sujet duquel la Cour ne peut se prononcer. La Cour est compétente en revanche pour contrôler la manière dont le législateur a exécuté l'habilitation, mentionnée en B.3, contenue dans l'article 103 de la Constitution. Le législateur dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation étendu en la matière. La Cour ne peut mettre en cause les choix opérés par le législateur dans ce domaine que s'ils sont déraisonnables ou s'ils aboutissent à une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

B.9.1. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme garantit à toute personne le droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial pour décider du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

B.9.2. La Cour européenne des droits de l'homme reconnaît que, si la notion de « tribunal » au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne s'étend pas au juge d'instruction, ce dernier n'étant pas appelé à se prononcer sur le bien-fondé d'une « accusation en matière pénale », les actes qu'il accomplit influent directement et inéluctablement sur la conduite et, dès lors, sur l'équité de la procédure ultérieure, y compris le procès proprement dit. Elle estime que, dans cette mesure, même si certaines des garanties procédurales envisagées par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention peuvent ne pas s'appliquer au stade de l'instruction, les exigences du droit à un procès équitable au sens large impliquent nécessairement que le juge d'instruction soit impartial (CEDH, 6 janvier 2010, Vera Fernssndez-Huidobro c. Espagne, ECLI:CE:ECHR:2010:0106JUD007418101, §§ 111-114). Il en va de même pour les juridictions d'instruction (voy. en ce sens : Cass., 2 avril 2003, P.03.0040.F, ECLI:BE:CASS:2003:ARR.20030402.7; 4 avril 2007, P.07.0218.F, ECLI:BE:CASS:2007:ARR.20070404.2).

Le principe de l'indépendance et de l'impartialité du juge, en tant que principe général de droit, s'applique du reste à toutes les juridictions, y compris aux juridictions d'instruction.

B.9.3. L'impartialité du juge doit s'apprécier de deux manières.

L'impartialité subjective, qui se présume jusqu'à preuve du contraire, exige que, dans une affaire sur laquelle il doit statuer, le juge n'ait ni de parti pris ni de préjugés et qu'il n'ait pas d'intérêt à l'issue de celle-ci. L'impartialité objective exige qu'il y ait suffisamment de garanties pour exclure également des appréhensions justifiées sur ces points (CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c.

Belgique, ECLI:CE:ECHR:1982:1001JUD000869279, § 30; 16 décembre 2003, Grieves c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:2003:1216JUD005706700, § 69).

B.9.4. En ce qui concerne l'impartialité objective, il y a lieu de vérifier si, indépendamment du comportement des juges, il existe des faits démontrables faisant naître un doute au sujet de cette impartialité. A cet égard, même une apparence de partialité peut revêtir de l'importance (CEDH, 6 juin 2000, Morel c. France, ECLI:CE:ECHR:2000:0606JUD003413096, § 42).

S'il faut examiner si un juge a suscité, dans un cas concret, de telles appréhensions, le point de vue du justiciable est pris en compte mais ne joue pas un rôle décisif. Ce qui est par contre déterminant, c'est de savoir si les appréhensions de l'intéressé peuvent passer pour objectivement justifiées (CEDH, 21 décembre 2000, Wettstein c. Suisse, ECLI:CE:ECHR:2000:1221JUD003395896, § 44). En ce qui concerne les liens hiérarchiques ou autres qui existent entre le juge et d'autres acteurs de la procédure, il faut décider dans chaque cas d'espèce si la nature et le degré du lien en question sont tels qu'ils dénotent un manque d'impartialité de la part du tribunal (CEDH, grande chambre, 6 novembre 2018, Ramos Nunes de Carvalho e Sss c.

Portugal, ECLI:CE:ECHR:2018:1106JUD005539113, § 148). Le principe de l'impartialité objective ne peut toutefois pas avoir pour effet de compromettre le fonctionnement du système judiciaire (CEDH, 22 septembre 1994, Debled c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:1994:0922JUD001383988, § 37; 10 juin 1996, Thomann c.

Suisse, ECLI:CE:ECHR:1996:0610JUD001760291, § 36; décision, 12 décembre 2002, Sofianopoulos et autres c. Grèce, ECLI:CE:ECHR:2002:1212DEC000198802, p. 9).

B.10. Lors de l'adoption des règles relatives au « privilège de juridiction » des ministres, le Constituant s'est inspiré en partie du système existant du « privilège de juridiction » des magistrats (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1258/1, p. 5). Même s'il existe des différences substantielles entre les deux régimes, il a été précisé, dans les travaux préparatoires, que « la philosophie qui sous-tend [le privilège de juridiction des magistrats] paraît parfaitement applicable aux ministres » (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1258/1, p. 5). B.11. L'option du Constituant est de confier à la cour d'appel le jugement des ministres en ce qui concerne certaines infractions qu'ils auraient commises. Il prévoit que la loi détermine le mode de procéder contre eux, notamment lors des poursuites (article 103, alinéa 2, de la Constitution). Dans la mesure où ces éléments relèvent de la loi, la Cour doit encore vérifier que la situation des ministres qui, selon le juge a quo, sont privés du bénéfice du contrôle de la régularité de l'instruction par des juges d'un degré supérieur à celui des magistrats instructeurs ou par des juges d'un autre ressort que ces magistrats, est admissible au regard des normes de référence citées dans la question préjudicielle, lues en combinaison avec l'article 103 de la Constitution.

B.12. Dans le système établi par le Constituant, la cour d'appel est exclusivement compétente, en premier et dernier ressort, pour juger les ministres en ce qui concerne certaines infractions qu'ils auraient commises. Les ministres ne bénéficient donc pas d'un double degré de juridiction. Les arrêts de la cour d'appel sont susceptibles d'un pourvoi devant la Cour de cassation, chambres réunies, laquelle ne connaît cependant pas du fond des affaires.

Il est dans la logique de ce système que toute la procédure du « privilège de juridiction » des ministres, y compris lors de l'instruction, ait lieu au niveau de la cour d'appel, et non au niveau d'une juridiction d'un degré supérieur, la Cour de cassation, et, en particulier, que l'instruction contre un ministre soit menée par un ou plusieurs conseillers à la cour d'appel et que la chambre des mises en accusation soit compétente pour contrôler la régularité de cette instruction, tant en cours d'instruction que lors du règlement de la procédure. Comme il est dit en B.2, le « privilège de juridiction » a précisément été instauré dans le but de garantir une administration de la justice impartiale à l'égard des personnes qui peuvent en bénéficier. En ce qui concerne le fait de ne pas confier le contrôle de la régularité de l'instruction à une juridiction supérieure, ce motif, tout comme les autres motifs du « privilège de juridiction » mentionnés en B.2, peut dès lors justifier que les personnes auxquelles s'applique le « privilège de juridiction » soient, en matière d'instruction, de poursuites et de jugement, traitées différemment des justiciables auxquels s'appliquent les règles ordinaires de la procédure pénale.

Une telle situation est d'autant moins critiquable que l'article 103, alinéa 3, de la Constitution fait défense à la Cour de cassation de connaître du fond des affaires.

B.13.1. Le fait que le contrôle de la régularité de l'instruction menée à l'encontre d'un ministre par un ou plusieurs conseillers à la cour d'appel soit effectué par la chambre des mises en accusation de la même cour d'appel, composée de magistrats appartenant à la même juridiction, n'est d'ailleurs pas une anomalie au regard du droit commun de la procédure pénale.

Il existe en effet plusieurs hypothèses dans lesquelles la régularité de l'instruction est contrôlée par des juges appartenant à la même juridiction que le magistrat instructeur. Tel est le cas lors du règlement de la procédure à la clôture d'une instruction, qui relève de la compétence de la chambre du conseil, laquelle est composée d'un juge appartenant à la même juridiction que le juge d'instruction (articles 127 et suivants du Code d'instruction criminelle, articles 195 et 259sexies, § 1er, 1°, du Code judiciaire). Tel est également le cas lorsque la chambre des mises en accusation retire une instruction au juge d'instruction qui en était chargé et qu'elle désigne un magistrat comme conseiller instructeur (articles 136, alinéa 1er, et 236 du Code d'instruction criminelle). Dans pareil cas, lors du règlement de la procédure, la chambre des mises en accusation est compétente pour contrôler la régularité de l'instruction.

Une telle configuration n'est pas en soi de nature à créer, dans le chef des parties ou de tiers, une suspicion légitime quant à la stricte impartialité des juges qui contrôlent la régularité de l'instruction. Il s'agit du fonctionnement normal de l'institution judiciaire.

B.13.2. Il n'en irait autrement que s'il existait entre les magistrats instructeurs et les juges chargés de contrôler la régularité de l'instruction des liens plus spécifiques, entre autres hiérarchiques ou familiaux, qui seraient de nature à susciter dans le chef des parties ou des tiers une appréhension objective relative à l'impartialité (CEDH, 8 octobre 2020, Jhangiryan c. Arménie, ECLI:CE:ECHR:2020:1008JUD004484108, § 100).

B.13.3. La situation qui est soumise à la Cour se distingue par ailleurs de celle dans laquelle un magistrat serait personnellement concerné par la procédure en cours. La Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que les relations professionnelles et sociales existant entre les juges d'une même juridiction peuvent faire naître, dans le chef des parties et de tiers, une suspicion légitime quant à la stricte impartialité de tous les juges de cette juridiction appelés à statuer sur une poursuite pénale lorsque l'un d'eux est concerné par la procédure en question (Cass., 9 novembre 2011, P.11.1616.F, ECLI:BE:CASS:2011:ARR.20111109.3; 18 juin 2019, P.19.0311.N, ECLI:BE:CASS:2019:ARR.20190618.2; 7 septembre 2021, P.21.1125.N, ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20210907.2N.21).

B.14.1. Enfin, comme il est dit en B.4, les fonctions de juge d'instruction sont exercées par un conseiller désigné à cette fin par le premier président de la cour d'appel (article 4 de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer) ; les mesures de contrainte nécessitant le mandat d'un juge peuvent en principe uniquement être ordonnées par un collège composé du conseiller instructeur et de deux autres conseillers à la cour d'appel (article 7); l'autorisation de la Chambre des représentants est requise pour le règlement de la procédure (articles 10 et 11); la chambre des mises en accusation, qui se compose de trois conseillers à la cour d'appel, est compétente pour décider des suites qu'il y a lieu de donner à la procédure et pour contrôler la régularité de l'instruction, y compris en cours d'instruction (articles 6, 9 et 16 de la même loi; article 235bis du Code d'instruction criminelle); enfin, la cour d'appel siège, pour le jugement des ministres, en assemblée générale de sept ou cinq conseillers, selon le cas (article 22 de la loi précitée).

B.14.2. Il découle de ce qui précède que les ministres bénéficient de garanties suffisantes, qui sont de nature à assurer à leur égard une administration de la justice impartiale et sereine, conformément à l'objectif mentionné en B.2.

B.15. Compte tenu de ce qui est dit en B.13.2, l'article 6 de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer, lu en combinaison avec l'article 235bis du Code d'instruction criminelle, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il rend la chambre des mises en accusation compétente pour contrôler la régularité d'une instruction menée à l'encontre d'un ministre.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Compte tenu de ce qui est dit en B.13.2, l'article 6 de la loi du 25 juin 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/06/1998 pub. 27/06/1998 numac 1998021268 source services du premier ministre et ministere de la justice Loi réglant la responsabilité pénale des ministres fermer « réglant la responsabilité pénale des ministres », lu en combinaison avec l'article 235bis du Code d'instruction criminelle, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il rend la chambre des mises en accusation compétente pour contrôler la régularité d'une instruction menée à l'encontre d'un ministre.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 12 janvier 2023.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, P. Nihoul

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