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Arrêt
publié le 26 mai 2023

Extrait de l'arrêt n° 149/2022 du 17 novembre 2022 Numéro du rôle : 7591 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 444 et 445 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance du Luxembourg, La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Gie(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 149/2022 du 17 novembre 2022 Numéro du rôle : 7591 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 444 et 445 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance du Luxembourg, division de Marche-en-Famenne.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, D. Pieters, E. Bribosia et W. Verrijdt, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 19 mai 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 2 juin 2021, le Tribunal de première instance du Luxembourg, division de Marche-en-Famenne, a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 444 et 445 du C.I.R. 1992 violent-ils les articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution lus en combinaison avec l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 4 du Protocole n° 7 à cette même Convention, dans la mesure où ils permettent à l'administration fiscale de sanctionner, d'une part, l'absence de dépôt d'une déclaration d'impôt d'une amende dont le montant fixe varie entre 50,00 EUR et 1.250,00 EUR et, d'autre part, en appliquant, dans le cadre de la procédure d'imposition d'office qui trouve son origine dans l'absence de dépôt de déclaration, un accroissement de 10 % à 200 % des revenus non déclarés ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 444 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), tel qu'il est applicable dans l'affaire devant la juridiction a quo, dispose : « En cas d'absence de déclaration ou en cas de déclaration incomplète ou inexacte, les impôts dus sur la portion des revenus non déclarés, déterminés avant toute imputation de précomptes, de crédits d'impôt, de quotité forfaitaire d'impôt étranger et de versements anticipés, sont majorés d'un accroissement d'impôt fixé d'après la nature et la gravité de l'infraction, selon une échelle dont les graduations sont déterminées par le Roi et allant de 10 p.c. à 200 p.c. des impôts dus sur la portion des revenus non déclarés.

En l'absence de mauvaise foi, il peut être renoncé au minimum de 10 p.c. d'accroissement.

Le total des impôts dus sur la portion des revenus non déclarés et de l'accroissement d'impôt ne peut dépasser le montant des revenus non déclarés.

L'accroissement ne s'applique que si les revenus non déclarés atteignent 2 500 EUR. [...] ».

B.1.2. L'échelle des accroissements prévue par l'article 444 du CIR 1992 a été établie par l'article 225 de l'arrêté royal du 27 août 1993 « d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 » (ci-après : l'AR/CIR 1992) comme suit :

Nature des infractions

Accroissements

A. Absence de déclaration due à des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable :


Néant

B. Absence de déclaration sans intention d'éluder l'impôt : - 1ère infraction (compte non tenu des absences de déclaration visées sub A) : - 2e infraction : - 3e infraction : A partir de la 4e infraction, les infractions de cette nature sont classées sub C et sanctionnées comme telles.


10 p.c. 20 p.c. 30 p.c.

C. Absence de déclaration avec intention d'éluder l'impôt : - 1ère infraction : - 2e infraction : - 3e infraction et infractions suivantes :


50 p.c. 100 p.c. 200 p.c.

D. Absence de déclaration accompagnée soit d'une inexactitude ou omission par faux ou d'un usage de faux au cours de la vérification de la situation fiscale, soit d'une corruption ou d'une tentative de corruption de fonctionnaire : dans tous les cas :


200 p.c.

B.2.1. L'impôt constitue un prélèvement pratiqué par voie d'autorité par l'Etat. Il est inscrit au budget de ce dernier et ne constitue pas la contrepartie d'un service accompli par l'autorité au bénéfice du redevable considéré isolément.

Quant à l'accroissement d'impôt, il ressort tant du texte même de l'article 444 du CIR 1992 que des travaux préparatoires relatifs aux dispositions législatives qui en sont à l'origine que le législateur visait à établir une sanction administrative afin de prévenir et de réprimer la fraude qui découlerait de l'absence de déclaration fiscale ou du caractère incomplet ou inexact de la déclaration. Ces situations sont en effet de nature à entraîner, pour l'administration fiscale, un risque supplémentaire de ne pas recouvrer le juste impôt et la nécessité de consacrer des moyens financiers et des ressources humaines en vue d'opérer les vérifications nécessaires à cette juste perception.

B.2.2. Il résulte des dispositions citées en B.1.1 et B.1.2 que l'accroissement d'impôt est calculé, d'une part, en fonction de la nature et de la gravité de l'infraction, lesquelles définissent le pourcentage de l'accroissement et, d'autre part, en fonction de son assiette, laquelle dépend de l'impôt dû sur la portion des revenus non déclarés.

B.3.1. L'article 445 du CIR 1992, tel qu'il est applicable dans l'affaire devant la juridiction a quo, dispose : « Le fonctionnaire délégué par le directeur régional peut appliquer pour toute infraction aux dispositions du présent Code, ainsi que des arrêtés pris pour leur exécution, une amende de 50 euros à 1.250 euros.

Le Roi fixe l'échelle des amendes administratives et règle les modalités d'application de celles-ci.

Cette amende est établie et recouvrée suivant les règles applicables en matière d'impôt des personnes physiques. [...] ».

B.3.2. L'échelle des amendes prévue par l'article 445 du CIR 1992 a été établie par l'article 229/1 de l'AR/CIR 1992 comme suit :

Nature des infractions

Amende administrative

A. Infraction due à des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable :


Néant

B. Infraction non imputable à la mauvaise foi ou à l'intention d'éluder l'impôt : - 1ère infraction : - 2e infraction : - 3e infraction : - 4e infraction - infractions suivantes :


50,00 EUR 125,00 EUR 250,00 EUR 625,00 EUR 1 250,00 EUR

C. Infraction due à la mauvaise foi ou à l'intention d'éluder l'impôt (y compris la remise de déclarations volontairement incomplètes ou inexactes) :


1 250,00 EUR


B.4. L'article 445 du CIR 1992 a aussi été introduit pour inciter le contribuable à déposer sa déclaration dans les conditions et les délais légaux impartis.

Les travaux préparatoires à l'origine de cet article mentionnent : « En fait de sanctions administratives, la législation relative aux impôts sur les revenus ne connaît que l'accroissement; à l'encontre de la plupart des autres lois d'impôts, elle ignore les amendes administratives.

Cependant, l'administration doit pouvoir faire respecter les nombreuses obligations que les lois fiscales mettent à charge tant des tiers que des contribuables. Elle doit pouvoir réagir devant l'inertie, la négligence, la mauvaise volonté de ses débiteurs.

L'infraction matérielle doit pouvoir être punie.

Dès lors et compte tenu de l'expérience plus que centenaire acquise par l'administration de l'enregistrement et des domaines où le système des amendes administratives a donné d'excellents résultats, le Gouvernement propose d'étendre ce système aux impôts directs » (Doc. parl., Chambre, 1961-1962, n° 264/1, p. 114).

Cette amende peut donc sanctionner, entre autres, le seul fait de ne pas avoir introduit une déclaration dans le délai légal, sans pour autant tenir compte de l'importance des revenus non déclarés.

B.5. Il ressort de la motivation du jugement a quo que la question préjudicielle porte en substance sur la compatibilité des dispositions en cause avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme en ce qu'il contient le principe non bis in idem. La Cour examine la question en ce sens.

B.6.1. Le Conseil des ministres soutient que la question préjudicielle est irrecevable en ce qu'elle s'abstient d'identifier les catégories de personnes à comparer.

B.6.2. Lorsqu'est invoquée une violation du principe d'égalité et de non-discrimination, il faut en règle générale préciser quelles sont les catégories de personnes qui sont comparées et en quoi la disposition en cause entraîne une différence de traitement qui serait discriminatoire.

Toutefois, lorsqu'une violation du principe d'égalité et de non-discrimination est alléguée en combinaison avec un autre droit fondamental, le cas échéant résultant d'une convention internationale liant la Belgique, il suffit de préciser en quoi ce droit fondamental est violé. La catégorie de personnes pour lesquelles ce droit fondamental est violé doit être comparée à la catégorie de personnes envers lesquelles ce droit fondamental est garanti.

B.6.3. Etant donné que la violation du principe d'égalité et de non-discrimination est alléguée en combinaison avec l'article 4 du Protocole n° 7, précité, et que la question préjudicielle expose en quoi cette disposition conventionnelle est violée, l'exception est rejetée.

B.7.1. Enfin, le Conseil des ministres soutient que la question préjudicielle est irrecevable car elle porte en réalité sur la compatibilité des dispositions en cause avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative au principe non bis in idem, dont l'examen relève de la compétence du juge du fond.

B.7.2. L'interprétation de l'article 4 du Protocole n° 7, précité, par la Cour européenne des droits de l'homme fait partie intégrante de cette disposition conventionnelle.

B.8. Les exceptions d'irrecevabilité sont rejetées.

B.9. La question préjudicielle porte sur la compatibilité, avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution lus en combinaison avec l'article 4, paragraphe 1, du Protocole n° 7, précité, de l'application cumulative de l'amende et de l'accroissement d'impôt, telle qu'elle résulte des dispositions en cause, à un même contribuable par l'administration fiscale lors d'un même exercice d'imposition. Contrairement à ce que soutient la partie requérante devant la juridiction a quo, la question préjudicielle présentement examinée porte sur un objet autre que celui des questions préjudicielles qui ont donné lieu à l'arrêt n° 7/2019 du 23 janvier 2019, qui concernait notamment l'application alternative des dispositions en cause.

B.10. En vertu de l'article 4, paragraphe 1, du Protocole n° 7, précité, « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ». Cette disposition consacre le principe général de droit non bis in idem. Ce principe est violé lorsqu'une même personne, déjà condamnée ou acquittée en raison d'un comportement, est à nouveau poursuivie (bis), en raison du même comportement, pour des infractions dont les éléments essentiels sont identiques (in idem).

B.11. Comme la Cour l'a jugé par son arrêt n° 61/2014 du 3 avril 2014, l'amende fiscale prévue à l'article 445 du CIR 1992 et l'accroissement d'impôt prévu à l'article 444 du CIR 1992 ont un caractère répressif prédominant et constituent dès lors des sanctions de nature pénale au sens de l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme.

B.12. L'amende fiscale prévue par l'article 445 du CIR 1992 et l'accroissement d'impôt prévu par l'article 444 du CIR 1992 répriment des faits qui sont en substance identiques (in idem) dès lors qu'ils peuvent, tous deux, sanctionner un défaut de déclaration de la part du contribuable.

B.13.1. Il appartient dès lors à la Cour de vérifier si, par l'infliction des sanctions de nature pénale en cause, il y a eu une répétition des poursuites (bis) au sens de l'article 4 du Protocole n° 7, précité.

B.13.2. Par son arrêt en cause de A. et B. contre Norvège du 15 novembre 2016, la grande chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a jugé, au sujet du cumul de procédures relevant à la fois du droit administratif et du droit pénal (procédures mixtes) : « 130. (...) s'agissant de faits punissables aussi bien sur le terrain du droit pénal que sur celui du droit administratif, la manière la plus sûre de veiller au respect de l'article 4 du Protocole n° 7 consiste à prévoir, à un stade opportun, une procédure à un seul niveau permettant la réunion des branches parallèles du régime légal régissant l'activité en cause, de façon à satisfaire dans le cadre d'un seul et même processus aux différents impératifs poursuivis par la société dans sa réaction face à l'infraction. Toutefois, ainsi qu'il a été expliqué ci-dessus (notamment aux paragraphes 111 et 117 à 120), l'article 4 du Protocole n° 7 n'exclut pas la conduite de procédures mixtes, même jusqu'à leur terme, pourvu que certaines conditions soient remplies. En particulier, pour convaincre la Cour de l'absence de répétition de procès ou de peines (bis) proscrite par l'article 4 du Protocole n° 7, l'Etat défendeur doit établir de manière probante que les procédures mixtes en question étaient unies par un ` lien matériel et temporel suffisamment étroit '. Autrement dit, il doit être démontré que celles-ci se combinaient de manière à être intégrées dans un tout cohérent. Cela signifie non seulement que les buts poursuivis et les moyens utilisés pour y parvenir doivent être en substance complémentaires et présenter un lien temporel, mais aussi que les éventuelles conséquences découlant d'une telle organisation du traitement juridique du comportement en question doivent être proportionnées et prévisibles pour le justiciable. 131. S'agissant des conditions à satisfaire pour que des procédures mixtes, administratives et pénales, puissent être regardées comme présentant un lien matériel et temporel suffisant et donc comme compatibles avec le critère de ` bis ' découlant de l'article 4 du Protocole n° 7, la Cour résume de la manière suivante les considérations pertinentes tirées de sa jurisprudence telle qu'examinée ci-dessus.132. Les éléments pertinents pour statuer sur l'existence d'un lien suffisamment étroit du point de vue matériel sont notamment les suivants : - le point de savoir si les différentes procédures visent des buts complémentaires et concernent ainsi, non seulement in abstracto mais aussi in concreto, des aspects différents de l'acte préjudiciable à la société en cause; - le point de savoir si la mixité des procédures en question est une conséquence prévisible, aussi bien en droit qu'en pratique, du même comportement réprimé (idem); - le point de savoir si les procédures en question ont été conduites d'une manière qui évite autant que possible toute répétition dans le recueil et dans l'appréciation des éléments de preuve, notamment grâce à une interaction adéquate entre les diverses autorités compétentes, faisant apparaître que l'établissement des faits effectué dans l'une des procédures a été repris dans l'autre; - et, surtout, le point de savoir si la sanction imposée à l'issue de la procédure arrivée à son terme en premier a été prise en compte dans la procédure qui a pris fin en dernier, de manière à ne pas faire porter pour finir à l'intéressé un fardeau excessif, ce dernier risque étant moins susceptible de se présenter s'il existe un mécanisme compensatoire conçu pour assurer que le montant global de toutes les peines prononcées est proportionné. 133. A cet égard, il est également instructif de tenir compte de la manière dont l'article 6 de la Convention est appliqué dans le type d'affaire aujourd'hui examinée (Jussila, précité, § 43) : ` (...) il va de soi que certaines [procédures pénales] ne comportent aucun caractère infamant pour ceux qu'elles visent et que les " accusations en matière pénale " n'ont pas toutes le même poids. De surcroît, en adoptant une interprétation autonome de la notion d'" accusation en matière pénale " par application des critères Engel, les organes de la Convention ont jeté les bases d'une extension progressive de l'application du volet pénal de l'article 6 à des domaines qui ne relèvent pas formellement des catégories traditionnelles du droit pénal, telles que les contraventions administratives (...), les punitions pour manquement à la discipline pénitentiaire (...), les infractions douanières (...), les sanctions pécuniaires infligées pour violation du droit de la concurrence (...) et les amendes infligées par des juridictions financières (...). Les majorations d'impôt ne faisant pas partie du noyau dur du droit pénal, les garanties offertes par le volet pénal de l'article 6 ne doivent pas nécessairement s'appliquer dans toute leur rigueur (...). ' Le raisonnement ci-dessus permet de dégager les éléments pertinents lorsqu'il faut déterminer si l'article 4 du Protocole n° 7 a été respecté dans les affaires de procédures mixtes (administratives et pénales). De plus, comme la Cour l'a déjà dit à de nombreuses reprises, la Convention doit se lire comme un tout et s'interpréter de manière à promouvoir sa cohérence interne et l'harmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, § 68, série A, n° 28; voir aussi Maaouia c. France [GC], n° 39652/98, § 36, CEDH 2000-X, KudCla c. Pologne [GC], n° 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI, et Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 48, CEDH 2005-X).

La mesure dans laquelle la procédure administrative présente les caractéristiques d'une procédure pénale ordinaire est un élément important. Des procédures mixtes satisferont plus vraisemblablement aux critères de complémentarité et de cohérence si les sanctions imposables dans la procédure non formellement qualifiée de ` pénale ' sont spécifiques au comportement en question et ne font donc pas partie du ` noyau dur du droit pénal ' (pour reprendre les termes de l'arrêt Jussila précité). Si, à titre additionnel, cette procédure n'a pas de caractère véritablement infamant, il y a moins de chances qu'elle fasse peser une charge disproportionnée sur l'accusé. A l'inverse, plus la procédure administrative présente de caractéristiques infamantes la rapprochant dans une large mesure d'une procédure pénale ordinaire, plus les finalités sociales poursuivies par la punition du comportement fautif dans des procédures différentes risquent de se répéter (bis) au lieu de se compléter. L'issue des affaires mentionnées au paragraphe 129 ci-dessus peut passer pour des illustrations de la concrétisation d'un tel risque. 134. De plus, ainsi qu'il a déjà été dit implicitement ci-dessus, même lorsque le lien matériel est suffisamment solide, la condition du lien temporel demeure et doit être satisfaite.Il ne faut pas en conclure pour autant que les deux procédures doivent être menées simultanément du début à la fin. L'Etat doit avoir la faculté d'opter pour la conduite des procédures progressivement si ce procédé se justifie par un souci d'efficacité et de bonne administration de la justice, poursuit des finalités sociales différentes et ne cause pas un préjudice disproportionné à l'intéressé. Toutefois, ainsi qu'il a déjà été précisé, il doit toujours y avoir un lien temporel. Ce lien doit être suffisamment étroit pour que le justiciable ne soit pas en proie à l'incertitude et à des lenteurs, et pour que les procédures ne s'étalent pas trop dans le temps (voir, comme exemple de lacune de ce type, Kapetanios et autres, précité, § 67), même dans l'hypothèse où le régime national pertinent prévoit un mécanisme ` intégré ' comportant un volet administratif et un volet pénal distincts. Plus le lien temporel est ténu, plus il faudra que l'Etat explique et justifie les lenteurs dont il pourrait être responsable dans la conduite des procédures ».

B.13.3. Par son arrêt du 21 septembre 2017, la Cour de cassation a jugé que le principe non bis in idem s'applique en présence de deux procédures administratives distinctes : « L'article 4.1 du Septième Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tel qu'il est interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, ne s'oppose pas à ce que des procédures administratives distinctes visant à l'application de sanctions fiscales, qui ont été engagées contre une seule et même personne et en raison des mêmes faits antérieurement à la clôture définitive de l'une d'entre elles, se poursuivent jusqu'à leur terme et aboutissent, le cas échéant, à la décision d'infliger une sanction, à condition que l'existence d'un lien matériel et temporel suffisamment étroit entre ces procédures soit établie » (Cass., 21 septembre 2017, F.15.0081.N).

B.13.4. La juridiction a quo considère que les sanctions prévues par les dispositions en cause sont infligées à l'issue de procédures administratives distinctes et que, partant, le principe non bis in idem est susceptible de s'appliquer à ces procédures. Par un arrêt du 21 avril 2022, la Cour de cassation a jugé dans le même sens (Cass., 21 avril 2022, F.20.0156.N).

B.13.5. Il appartient dès lors à la Cour de vérifier si les critères dégagés par la Cour européenne des droits de l'homme sont a priori remplis par les dispositions législatives en cause.

B.14.1. Il découle de ce qui est dit en B.2.1 et B.4 que les dispositions en cause poursuivent des buts complémentaires : même si les deux mesures revêtent un caractère répressif prédominant, l'accroissement d'impôt prévu à l'article 444 du CIR 1992 entend préserver les droits du Trésor, en ce qu'il est calculé sur la base des impôts dus sur la portion des revenus non déclarés ou déclarés tardivement. En revanche, l'amende prévue par l'article 445 du CIR 1992 vise en premier lieu à faire acquérir au contribuable davantage de sens civique et à lui faire comprendre qu'il doit remplir ses obligations fiscales à l'avenir. En effet, l'amende peut sanctionner le seul fait de ne pas avoir introduit de déclaration dans le délai légal, indépendamment de l'importance, et même de l'existence, des revenus non déclarés. L'accroissement, quant à lui, dépend du montant de l'impôt, qui ne peut être fixé qu'une fois la base imposable déterminée. Partant, il faut considérer que les dispositions en cause concernent des aspects différents de l'acte préjudiciable à la société en cause devant la juridiction a quo.

B.14.2. Il convient ensuite de vérifier si le cumul des procédures en cause est une conséquence prévisible, aussi bien en droit qu'en pratique, du comportement réprimé. Dans ce cadre, le contrôle de la Cour porte sur la prévisibilité de ce cumul « en droit », qui découle en l'espèce de l'existence de sanctions de nature pénale prévues dans une seule et même législation. En ce qui concerne le risque de répétition lorsque les éléments de preuves sont recueillis et appréciés, celui-ci est a priori limité, dès lors que ces procédures sont conduites par la même autorité, à savoir l'administration fiscale.

Pour le surplus, il appartient à la juridiction a quo de vérifier si les procédures à l'origine du litige satisfont in concreto aux exigences de prévisibilité et si elles ont été conduites d'une manière qui évite autant que possible toute répétition lorsque les éléments de preuve sont recueillis et appréciés. Le cas échéant, elle peut choisir de n'appliquer qu'une des deux sanctions à l'infraction qu'elle a constatée.

B.14.3. En ce qui concerne la proportionnalité, il faut constater que les dispositions en cause prévoient que le Roi fixe les échelles d'amendes et d'accroissements, ce qui permet de tenir compte, lors de l'application de ces sanctions, de la gravité de l'infraction commise.

Ni l'article 26, § 1er, de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle du 6 janvier 1989, ni aucune autre disposition constitutionnelle ou législative ne confèrent à la Cour le pouvoir de statuer, à titre préjudiciel, sur la constitutionnalité d'un arrêté royal. Il appartient à la juridiction a quo de vérifier si les échelles qui figurent dans les arrêtés royaux d'exécution des dispositions en cause tiennent compte du critère de proportionnalité précité.

Par ailleurs, l'application de chacune des sanctions précitées est entourée de plusieurs garanties. Ainsi, l'article 444, alinéas 2 à 4, du CIR 1992, tel qu'il est applicable dans l'affaire devant la juridiction a quo, précise qu'en l'absence de mauvaise foi, l'administration fiscale peut renoncer au minimum de 10 % d'accroissement, que le total des impôts dus sur la portion des revenus non déclarés et de l'accroissement d'impôt ne peut dépasser le montant des revenus non déclarés et que l'accroissement d'impôt ne s'applique pas si les revenus non déclarés n'atteignent pas 2 500 euros. D'autres garanties ont été fixées par arrêté royal.

B.14.4. Pour le surplus, il appartient à la juridiction a quo de vérifier concrètement si le cumul de sanctions en cause, à l'issue des procédures précitées, ne fait pas peser une charge disproportionnée sur le contribuable concerné au regard des circonstances de l'espèce.

B.15. Enfin, il revient également à la juridiction a quo d'examiner si ces procédures sont reliées par un lien temporel suffisamment étroit pour que le contribuable ne soit pas en proie à l'incertitude et à des lenteurs et pour que les procédures ne s'étalent pas trop dans le temps.

B.16. Les articles 444 et 445 du CIR 1992, dans leur version applicable au litige devant la juridiction a quo, sont compatibles avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme. Il n'y a pas d'arguments invoqués pour examiner la compatibilité de la disposition en cause avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la même Convention.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 444 et 445 du Code des impôts sur les revenus 1992 ne violent pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 17 novembre 2022.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux P. Nihoul

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