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Arrêt
publié le 12 juin 2023

Extrait de l'arrêt n° 11/2023 du 19 janvier 2023 Numéro du rôle : 7809 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 2.6.5, 1°, et 2.6.10, § 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire, posée par la Cour d'appel de La Cour constitutionnelle, composée du président L. Lavrysen, du juge T. Giet, faisant fonction (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 11/2023 du 19 janvier 2023 Numéro du rôle : 7809 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 2.6.5, 1°, et 2.6.10, § 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire, posée par la Cour d'appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée du président L. Lavrysen, du juge T. Giet, faisant fonction de président, et des juges J. Moerman, T. Detienne, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 10 mai 2022, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 23 mai 2022, la Cour d'appel de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 2.6.5, 1°, et 2.6.10, § 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire, dans l'interprétation selon laquelle la catégorie des justiciables qui, par suite d'une modification de destination effectuée par un plan d'exécution spatial, peuvent bénéficier d'une plus-value sur la superficie totale de la parcelle concernée par la modification de destination est taxée de la même manière que la catégorie des justiciables qui, par suite d'une modification de destination, ne peuvent bénéficier d'une plus-value que sur une partie de la superficie de la parcelle concernée par la modification de destination, violent-ils les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est due, dans les deux cas, sur la superficie totale de la parcelle concernée par la modification de destination, alors qu'une partie de la parcelle est inconstructible ou est, à tout le moins, soumise à des restrictions en matière de construction ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur la compatibilité de la base imposable de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

B.2.1. La taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est un impôt. Son affectation est particulière : elle vise à attribuer à l'autorité publique une partie de l'augmentation de valeur des parcelles résultant des modifications de destination des plans d'exécution spatiaux. La taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale a été conçue par le législateur décrétal comme le pendant du régime d'indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale (Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 2011/1, p. 53).

Les travaux préparatoires du décret flamand du 27 mars 2009 « adaptant et complétant la politique d'aménagement du territoire, des autorisations et du maintien » (ci-après : le décret du 27 mars 2009) précisent : « La taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale rejoint partiellement le concept de taxe rémunératoire, c'est-à-dire la récupération du coût exposé pour une prestation fournie par l'autorité publique, auprès du groupe de contribuables qui sont irréfragablement présumés tirer avantage de cette prestation. L'impôt est en effet prélevé sur des avantages découlant de la planification spatiale, à savoir les effets secondaires résultant de l'exercice de la compétence de police que l'autorité planificatrice exerce ou doit exercer dans le cadre de l'aménagement du territoire » (Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 2011/1, p. 55).

B.2.2. La matière imposable est l'élément générateur de l'impôt, la situation ou le fait qui donne lieu à la débition de l'impôt. La matière imposable se distingue de la base imposable, qui est le montant sur lequel est calculé l'impôt.

La matière imposable de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est la plus-value « potentielle » d'un bien immobilier, qui résulte de la modification de plans.

A cet égard, les travaux préparatoires du décret, précité, du 27 mars 2009 précisent : « En d'autres termes, cela reste toujours un impôt sur les plus-values potentielles découlant d'une modification de destination.

Il peut dès lors être utilement renvoyé à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, selon laquelle la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est une ` imposition sur la destination '; la matière imposable est l'accroissement de valeur ` réputé découler d'une intervention de l'autorité régionale compétente en matière d'aménagement du territoire ' » (Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 2011/1, p. 56).

B.3.1. Dans la question préjudicielle, il est demandé à la Cour si les articles 2.6.5, 1°, et 2.6.10, § 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire sont compatibles avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que, dans le cadre de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale prévue par ces articles du Code, une même plus-value présumée s'applique pour tous les contribuables lors du calcul de la base imposable, alors que les contribuables qui relèvent d'une catégorie de contribuables dont la parcelle imposable est soumise, à la suite de la modification de destination, à des restrictions importantes et sérieuses en ce qui concerne d'éventuels travaux de construction bénéficient en réalité, en raison de la modification de destination imposable, d'une plus-value nettement plus basse que les contribuables dont la parcelle imposable n'est pas soumise, à la suite d'une même modification de destination, à de telles restrictions importantes et sérieuses en ce qui concerne d'éventuels travaux de construction.

B.3.2. L'affaire soumise au juge a quo porte sur une modification de destination au sens de l'article 2.6.4, 6°, du Code flamand de l'aménagement du territoire, qui dispose : « Une taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est due lorsque l'entrée en vigueur d'un plan d'exécution spatial ou d'un plan particulier d'aménagement entraîne pour une parcelle, une ou plusieurs des modifications de destination suivantes : [...] 6° la modification de destination d'une zone relevant des catégories d'affectation de zone ` forêt ', ` autres espaces verts ' ou ` réserves et nature ' en une zone relevant de la catégorie d'affectation de zone ` activité économique ' ». La Cour limite son examen à cette situation.

B.4.1. L'article 2.6.5, 1°, du Code flamand de l'aménagement du territoire, tel qu'il est applicable dans l'affaire devant le juge a quo, dispose : « Aucune taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale n'est due dans les cas suivants : 1° lorsque la modification de destination n'entraîne pas la possibilité d'obtenir un permis d'environnement qui ne pouvait pas être obtenu avant l'entrée en vigueur du plan d'exécution spatial ou du plan particulier d'aménagement ». B.4.2. L'article 2.6.10, § 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire dispose : « La taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est calculée à partir de la plus-value présumée d'une parcelle à la suite de la modification de destination et en fonction de la superficie de la parcelle à laquelle s'applique la modification de destination. La superficie de la parcelle est la superficie déclarée et enregistrée au cadastre ».

L'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire prévoit des règles pour calculer la « plus-value présumée », laquelle est ensuite divisée en tranches, auxquelles s'applique un tarif progressif. Les travaux préparatoires du décret du 27 mars 2009 précisent : « En ce qui concerne le calcul de la taxe, celui-ci se fonde, contrairement au régime actuel prévu par le décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, sur un tarif progressif, calculé par parcelle.

L'instauration d'un impôt progressif sur des éléments patrimoniaux (en l'espèce, une plus-value potentielle) est défendable du point de vue du ` principe de la capacité contributive '. Pour le dire autrement, il faut éviter que, sur un plan relatif, la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale touche principalement des ` petits propriétaires fonciers '.

Le concept de progressivité se retrouve également dans le régime de l'impôt sur les revenus, ainsi que dans le cadre de diverses autres taxes relatives à des biens immobiliers.

En l'espèce, on se rapproche fortement des ` Dispositions particulières temporaires pour les donations de parcelles de terrain destinées à la construction d'habitations selon les prescriptions d'urbanisme ' prévues à l'article 140nonies du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe » (Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 2011/1, p. 62).

B.5.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s'oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5.2. L'article 172, alinéa 1er, de la Constitution est une application particulière, en matière fiscale, du principe d'égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution.

B.6.1. Le calcul de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale se fait en deux temps. Il est d'abord procédé au calcul de la « plus-value présumée », puis au calcul de la taxe proprement dite sur les bénéfices résultant de la planification spatiale par l'application à cette plus-value présumée d'un taux de taxation spécifique selon un système de tranches.

La plus-value présumée est obtenue par la multiplication de la superficie de la parcelle par un montant forfaitaire par m2 en fonction du type de modification de destination. Pour certaines modifications de destination, la superficie de la modification de destination est limitée, pour le calcul de la plus-value présumée, à une superficie maximale de 2 750 m2.

B.6.2. Les montants forfaitaires de la plus-value présumée sont fondés sur des études scientifiques actuelles.

Les travaux préparatoires du décret du 27 mars 2009 précisent : « Les montants des plus-values potentielles sont fixés par décret dans le nouvel article 91/2, § 2, alinéa 1er, du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, sur la base d'une étude scientifique actuelle.

Les coefficients d'arrondissement existants, pour lesquels il existe peu de fondements scientifiques, ne sont pas pris en compte. [...] Il peut être valablement renvoyé à la légisprudence de la section de législation du Conseil d'Etat, selon laquelle ` en droit fiscal, l'efficacité des critères et le coût administratif de leur application doivent être pris en considération lorsqu'il s'agit d'apprécier s'ils sont susceptibles d'une justification raisonnable '. En l'espèce, le Conseil d'Etat a spécifiquement jugé que ` lorsque la loi fiscale vise en même temps des agents économiques dont les différentes productions ont une incidence variée sur l'environnement, elle doit nécessairement appréhender cette diversité de situations en faisant usage de catégories qui ne correspondent aux réalités que de manière schématique et approximative ' » (Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 2011/1, p. 63).

En outre, les plus-values présumées qui figurent dans l'article 2.6.10, § 2, alinéa 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire sont actualisées tous les cinq ans.

B.7. Il appartient au législateur décrétal de désigner les redevables de l'impôt qu'il instaure, de même que l'importance de cet impôt. Il dispose en la matière d'une marge d'appréciation étendue.

Lorsque le législateur décrétal désigne les redevables de l'impôt, il doit pouvoir faire usage de catégories qui, nécessairement, n'appréhendent la diversité des situations qu'avec un certain degré d'approximation, dès lors qu'il ne peut pas prendre en compte les particularités des divers cas d'espèce et qu'il peut appréhender leur diversité de manière approximative et simplificatrice. Le recours à ce procédé n'est pas déraisonnable en soi. Il revient néanmoins à la Cour d'examiner s'il en va de même quant à la manière dont ce procédé a été mis en oeuvre.

B.8.1. La taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale ne frappe pas la plus-value effectivement réalisée, mais uniquement la plus-value « potentielle » d'un bien immobilier, qui est réputée découler d'une intervention de l'autorité compétente en matière d'aménagement du territoire.

B.8.2. La taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est appliquée à l'égard de quinze modifications de destination (article 2.6.4 du Code flamand de l'aménagement du territoire), sachant que son calcul est soumis à des pourcentages différents. En outre, l'article 2.6.5 du Code précité prévoit une série de cas concrets dans lesquels aucune taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale n'est due, et l'article 2.6.6 du même Code fixe les conditions auxquelles les parcelles qui sont expropriées ou cédées à l'amiable pour cause d'utilité publique sont exemptées de cette taxe.

L'article 2.6.10, § 3, du Code flamand de l'aménagement du territoire prévoit par ailleurs un mécanisme de correction pour les parcelles qui ont été établies comme zones d'occupation permanente de résidences secondaires et qui constituent une solution planologique pour les zones abritant des « résidences de week-end ».

Enfin, le montant dû au titre de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale peut encore être réduit lorsque le contribuable recourt à la règle de la bonification prévue à l'article 2.6.15 du Code flamand de l'aménagement du territoire.

B.8.3. Le montant dû au titre de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale peut ainsi fortement varier, dès lors que son importance dépend non seulement de la nature de la modification de destination, mais également de la plus-value présumée, du système de tranches, des diverses exceptions, exemptions et suspensions possibles, ainsi que de la bonification.

Eu égard à son large pouvoir d'appréciation et à sa faculté de n'appréhender la diversité des situations qu'avec un certain degré d'approximation, le législateur décrétal pouvait dès lors raisonnablement décider de taxer la plus-value potentielle sur la base d'une « plus-value présumée » fixée forfaitairement, qui tienne compte de certaines destinations, sans devoir opérer à cet égard une distinction selon les possibles sous-catégories des destinations.

Par conséquent, il n'est pas déraisonnable que le législateur décrétal ait prévu une base imposable forfaitaire, par laquelle une même plus-value présumée s'applique pour tous les contribuables, lors du calcul de la base imposable, en cas de modification de la destination de la parcelle imposable de « forêt », « autres espaces verts » ou « réserves et nature » à « activité économique ».

B.9. Les articles 2.6.5, 1°, et 2.6.10, § 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire ne sont pas incompatibles avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que, lors du calcul de la base imposable de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale, une même plus-value présumée s'applique en cas de modification de la destination de la parcelle imposable de « forêt », « autres espaces verts » ou « réserves et nature » à « activité économique ».

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 2.6.5, 1°, et 2.6.10, § 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire ne violent pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 janvier 2023.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, L. Lavrysen

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