publié le 07 mars 2023
Extrait de l'arrêt n° 126/2022 du 13 octobre 2022 Numéro du rôle : 7794 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 376, §§ 1 er et 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de premièr La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet, (...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 126/2022 du 13 octobre 2022 Numéro du rôle : 7794 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 376, §§ 1er et 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Liège, division de Liège.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet, J. Moerman, E. Bribosia et W. Verrijdt, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite J.-P. Moerman, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 31 mars 2022, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 26 avril 2022, le Tribunal de première instance de Liège, division de Liège, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 376 §§ 1er et 2 du CIR 1992 viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce que cette disposition doit être interprétée en ce sens : - qu'un arrêt de la Cour constitutionnelle rendu sur question préjudicielle qui juge une mesure législative fiscale contraire aux principes d'égalité et de non-discrimination garantis par la Constitution n'est ni un 'nouveau moyen de droit' ni un 'changement de jurisprudence' mais, bien qu'il soit le produit d'un raisonnement juridique, est constitutif d'un fait nouveau probant pouvant donner lieu à un dégrèvement d'office de surtaxes qui sont établies à charge d'un contribuable en vertu de cette norme fiscale inconstitutionnelle; - qu'une circulaire administrative par laquelle l'administration fiscale reconnait explicitement l'inconstitutionnalité d'une mesure fiscale réglementaire et donne pour instructions générales à ses fonctionnaires d'adopter pour l'avenir, à quelque stade que ce soit de la procédure, même en ce qui concerne les affaires pendantes et les litiges futurs, une nouvelle ligne de conduite visant à supprimer cette inconstitutionnalité, perdrait sa nature d'acte du pouvoir exécutif et serait assimilée à un 'changement de jurisprudence' par le seul fait d'entériner une jurisprudence, serait un 'nouveau moyen de droit' et ne serait pas un fait nouveau probant ouvrant le droit à la procédure de dégrèvement d'office ? ».
Le 12 mai 2022, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs T. Detienne et W. Verrijdt ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l'examen de l'affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire. (...) III. En droit (...) B.1. L'article 376, §§ 1er et 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992) dispose : « § 1er. Le conseiller général de l'administration en charge de l'établissement des impôts sur les revenus ou le fonctionnaire délégué par lui, accorde d'office le dégrèvement des surtaxes résultant d'erreurs matérielles, de doubles emplois, ainsi que de celles qui apparaîtraient à la lumière de documents ou faits nouveaux probants, dont la production ou l'allégation tardive par le redevable est justifiée par de justes motifs, à condition que : 1° ces surtaxes aient été constatées par l'administration ou signalées à celle-ci par le redevable, par son conjoint sur les biens duquel l'imposition est mise en recouvrement ou par le codébiteur visé à l'article 2 du Code du recouvrement amiable et forcé des créances fiscales et non fiscales, dans les cinq ans à partir du 1er janvier de l'année au cours de laquelle l'impôt a été établi;2° la taxation n'ait pas déjà fait l'objet d'une réclamation ayant donné lieu à une décision définitive sur le fond. § 2. N'est pas considéré comme constituant un élément nouveau, un nouveau moyen de droit ni un changement de jurisprudence ».
B.2. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité, avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, de l'article 376, §§ 1er et 2, du Code des impôts sur les revenus, interprété comme faisant naître une différence de traitement entre deux catégories de contribuables : - d'une part, celui qui motive sa demande de dégrèvement par la circonstance qu'en réponse à une question préjudicielle, la Cour constitutionnelle a jugé que la disposition législative fiscale qui lui a été appliquée par l'administration est incompatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination et - d'autre part, le contribuable qui motive sa demande de dégrèvement par une circulaire du Service public fédéral Finances, qui invite les fonctionnaires à ne plus appliquer une disposition fiscale adoptée par le pouvoir exécutif parce que des cours d'appel ont jugé cette disposition incompatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination.
B.3.1. Contrairement à ce que soutiennent les parties demanderesses devant le juge a quo, la Cour s'est déjà prononcée sur la constitutionnalité de cette différence de traitement.
En effet, les questions préjudicielles auxquelles répond l'arrêt n° 160/2020 du 26 novembre 2020 « visent à demander à la Cour si l'article 376 du CIR 1992 comporte une discrimination, dans l'interprétation selon laquelle un arrêt de la Cour constitutionnelle rendu sur question préjudicielle qui constate l'inconstitutionnalité d'une norme fiscale législative est considéré comme un fait nouveau susceptible de donner lieu à un dégrèvement d'office de surtaxes, alors que tel ne serait pas le cas pour : - une décision des cours et tribunaux ordinaires par laquelle, sur la base de l'article 159 de la Constitution, une norme fiscale d'exécution est déclarée inconstitutionnelle dans son intégralité ou dans une certaine interprétation, décision à laquelle l'administration fiscale s'est expressément ralliée (affaires nos 7256 et 7265); - des arrêts des cours d'appel, passés en force de chose jugée et rendus envers d'autres redevables de l'impôt des personnes physiques, dans lesquels il a été jugé inter partes qu'une norme fiscale d'exécution viole le principe d'égalité, violation ayant été reconnue par l'administration dans une circulaire et ayant donné lieu à une modification de cette norme juridique pour l'avenir (affaire n° 7258); - [...] - des décisions des cours et tribunaux ordinaires passées en force de chose jugée qui constatent l'inconstitutionnalité de normes fiscales non législatives, inconstitutionnalité qui a été reconnue par l'administration dans une circulaire et qui a donné lieu à une modification de cette norme (affaire n° 7348) » (arrêt n° 160/2020, B.3.2).
B.3.2. Ces questions préjudicielles ont été posées dans un contexte normatif et procédural similaire à celui de l'affaire présentement examinée.
Elles ont, en effet, été posées par des juridictions qui étaient alors amenées à statuer sur des demandes de dégrèvement qui avaient été rejetées en application de la circulaire 2018/C/57 du Service public fédéral Finances du 15 mai 2018, aux termes de laquelle les arrêts des cours d'appel d'Anvers et de Gand mentionnés dans la partie II du présent arrêt devaient être considérés comme un « changement de jurisprudence » au sens de l'article 376, § 2, du Code des impôts sur les revenus (arrêt n° 160/2020, B.3.3 et B.3.4).
B.4. Au terme de l'examen de la différence de traitement décrite en B.3.1, qui est en substance identique à la différence de traitement visée en B.2, la Cour a jugé, par l'arrêt n° 160/2020 : « B.8.1. Lorsque, dans le cadre du litige particulier dont ils sont saisis, les cours et tribunaux constatent l'inconstitutionnalité d'une disposition réglementaire en matière fiscale, les redevables impliqués dans ce litige ne peuvent pas être imposés en application de cette norme.
B.8.2. Si l'article 376 du CIR 1992 devait être interprété en ce sens qu'une telle décision des cours et tribunaux, en dehors du litige dans lequel l'inconstitutionnalité a été constatée, doit être considérée par l'administration fiscale comme un élément nouveau susceptible de donner lieu à un dégrèvement d'office de surtaxes, la décision juridictionnelle précitée se verrait attribuer une autorité qui n'est pas conforme à l'article 159 de la Constitution.
B.8.3. Par conséquent, la différence de traitement qui est soumise au contrôle de la Cour résulte d'un choix effectué par le Constituant, au sujet duquel la Cour ne peut se prononcer.
Le fait que l'administration fiscale déciderait, dans une circulaire, de supprimer pour l'avenir la discrimination constatée par les cours et tribunaux ou que les autorités adaptent la réglementation pour l'avenir ne modifie pas ce constat.
B.9. L'article 376 du CIR 1992 n'est dès lors pas incompatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle les décisions des cours et tribunaux constatant l'inconstitutionnalité d'une disposition réglementaire en matière fiscale ne constituent pas un élément nouveau qui entre en considération pour le dégrèvement d'office de surtaxes ».
B.5. L'article 376, §§ 1er et 2, du CIR 1992 est dès lors compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, interprété comme signifiant qu'une circulaire du Service public fédéral Finances qui invite les fonctionnaires à ne plus appliquer une disposition fiscale adoptée par le pouvoir exécutif parce que des cours d'appel ont jugé cette disposition incompatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination ne constitue pas un élément nouveau entrant en considération pour le dégrèvement d'office au sens de cette disposition législative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 376, §§ 1er et 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, s'il est interprété comme signifiant qu'une circulaire du Service public fédéral Finances qui invite les fonctionnaires à ne plus appliquer une disposition fiscale adoptée par le pouvoir exécutif parce que des cours d'appel ont jugé cette disposition incompatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination ne constitue pas un élément nouveau entrant en considération pour le dégrèvement d'office au sens de cette disposition législative.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 13 octobre 2022.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, P. Nihoul