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Arrêt
publié le 16 janvier 2023

Extrait de l'arrêt n° 90/2022 du 30 juin 2022 Numéro du rôle : 7640 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article L1523-10, § 3, du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, inséré par l'article 20 du décret La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J.-P. (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 90/2022 du 30 juin 2022 Numéro du rôle : 7640 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article L1523-10, § 3, du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, inséré par l'article 20 du décret de la Région wallonne du 29 mars 2018 « modifiant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de renforcer la gouvernance et la transparence dans l'exécution des mandats publics au sein des structures locales et supra-locales et de leurs filiales », posées par le Conseil d'Etat.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J.-P. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne et S. de Bethune, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt n° 251.450 du 9 septembre 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 22 septembre 2021, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : « L'article L1523-10, § 3, du Code de la Démocratie locale et de la Décentralisation, inséré par le décret du Parlement wallon du 29 mars 2018 modifiant le Code de la Démocratie locale et de la Décentralisation en vue de renforcer la gouvernance et la transparence dans l'exécution des mandats publics au sein des structures locales et supra-locales, et de leurs filiales viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec le principe général de la continuité du service public, en ce qu'une telle règle est susceptible de conduire, pour les seules sociétés qui y sont soumises, à la différence des autres sociétés et en particulier des autres sociétés de droit public qui n'y sont pas soumises, à la paralysie de leurs organes de gestion, dans l'hypothèse où une majorité des membres de ces organes, délibérément ou par négligence, ne participe plus à leurs réunions ? »; « L'article L1523-10, § 3, du Code de la Démocratie locale et de la Décentralisation, inséré par le même décret du Parlement wallon du 29 mars 2018 modifiant le Code de la Démocratie locale et de la Décentralisation en vue de renforcer la gouvernance et la transparence dans l'exécution des mandats publics au sein des structures locales et supra-locales, et de leurs filiales viole-t-il les articles 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, 6, § 1er, VIII et 10 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, en ce qu'il méconnaît la compétence attribuée à l'Etat fédéral en matière de droit des sociétés ? ». (...) III. En droit (...) B.1. Le Conseil d'Etat pose deux questions préjudicielles à la Cour sur l'article L1523-10, § 3, du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, inséré par l'article 20 du décret de la Région wallonne du 29 mars 2018 « modifiant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de renforcer la gouvernance et la transparence dans l'exécution des mandats publics au sein des structures locales et supra-locales et de leurs filiales », qui dispose : « Les organes de gestion de l'intercommunale délibèrent uniquement si la majorité de leurs membres sont physiquement présents. Les procurations ne sont pas prises en compte dans le calcul du quorum de présence.

Chaque administrateur ne peut être porteur que d'une seule procuration ».

Cette disposition prévoit un quorum de présence applicable aux délibérations des organes de gestion des intercommunales. Dans l'interprétation du Conseil d'Etat, elle fait obstacle à ce que les intercommunales prévoient dans leurs statuts et dans les règlements d'ordre intérieur de leurs organes restreints de gestion la possibilité, lorsque la majorité des administrateurs n'est pas présente lors d'une première réunion, de convoquer une seconde réunion qui pourra valablement délibérer, quel que soit le nombre de membres présents.

B.2. Les questions préjudicielles portent sur la compatibilité de la disposition en cause respectivement avec le principe d'égalité et de non-discrimination, lu en combinaison avec le principe général de la continuité du service public (première question préjudicielle), et avec les règles répartitrices de compétences (seconde question préjudicielle).

B.3.1. Depuis que les questions préjudicielles ont été posées, la disposition en cause a été modifiée par l'article 6 du décret de la Région wallonne du 15 juillet 2021 « modifiant certaines dispositions du Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de permettre les réunions à distance des organes » en vue, comme l'intitulé de ce décret l'indique, de permettre aux organes de se réunir à distance. Cette disposition est entrée en vigueur le 1er octobre 2021.

B.3.2. La modification précitée, en ce qu'elle concerne les modalités concrètes de participation aux délibérations des membres des organes de gestion de l'intercommunale, n'a pas d'incidence sur l'examen des questions préjudicielles.

B.4. L'examen de la conformité d'une disposition législative aux règles répartitrices de compétences doit en règle précéder celui de sa compatibilité avec les dispositions du titre II et des articles 170, 172 et 191 de la Constitution.

Par conséquent, la Cour répond d'abord à la seconde question préjudicielle.

Quant à la seconde question préjudicielle B.5. Le Conseil d'Etat demande à la Cour si la disposition en cause est compatible avec les articles 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, 6, § 1er, VIII, et 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980).

B.6. En vertu de l'article 6, § 1er, VIII, 8°, de la loi spéciale du 8 août 1980, la Région wallonne est compétente pour les associations de communes. Dans l'exercice de cette compétence, le législateur décrétal peut faire usage de techniques de droit public comme de droit privé, mais il lui est interdit, sauf recours à l'article 10 de la loi spéciale précitée, de déroger de manière générale au droit des sociétés, qui relève de la compétence de l'autorité fédérale (article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, de la même loi spéciale).

L'article L1523-1, alinéa 1er, du Code de la démocratie locale et de la décentralisation prévoit que les intercommunales adoptent la forme juridique de la société anonyme ou de la société coopérative à responsabilité limitée. Le même Code prévoit des règles spécifiques notamment en ce qui concerne les règles de fonctionnement de leurs organes de gestion, tel le quorum de présence prévu par la disposition en cause. En instaurant un tel statut, le législateur décrétal a exercé la compétence que lui confère l'article 6, § 1er, VIII, 8°, de la loi spéciale du 8 août 1980, sans déroger de manière générale au droit des sociétés.

Il n'y a dès lors pas lieu d'examiner la disposition en cause au regard de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980.

B.7. La disposition en cause est conforme à l'article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, et VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980.

Quant à la première question préjudicielle B.8. Le Conseil d'Etat demande à la Cour si la disposition en cause est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe général de la continuité du service public, en ce que, dans l'interprétation mentionnée en B.1, elle est susceptible de conduire, pour les seules sociétés qui y sont soumises, à la différence des autres sociétés et en particulier des autres sociétés de droit public qui n'y sont pas soumises, à la paralysie des organes de gestion de ces sociétés, dans l'hypothèse où une majorité des membres de ces organes, délibérément ou par négligence, ne participe plus à leurs réunions.

La question préjudicielle invite donc à comparer, d'une part, les intercommunales, qui ne sont pas autorisées à inclure dans leurs statuts ou dans les règlements d'ordre intérieur de leurs organes de gestion une clause permettant, après une première réunion à laquelle il a été constaté que le quorum de présence n'était pas atteint, de convoquer une seconde réunion au cours de laquelle il pourra être délibéré, quel que soit le nombre de membres présents, et, d'autre part, les autres sociétés, en particulier de droit public, qui peuvent prévoir une telle clause.

B.9. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale.

Ils interdisent toute discrimination, quelle qu'en soit l'origine : les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination sont applicables à l'égard de tous les droits et de toutes les libertés.

Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.10. Dans le cadre de cet examen, la Cour tient compte du principe général de la continuité du service public, en ce qu'il tend à assurer la permanence des institutions publiques et de leur fonctionnement (Cass., 12 février 2004, C.01.0248.N), dès lors que ce principe est invoqué en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.11. Contrairement à ce que soutient le Gouvernement wallon, les deux catégories de sociétés mentionnées en B.8 sont suffisamment comparables. La circonstance que les intercommunales sont des associations formées par des communes et, éventuellement, par d'autres personnes morales de droit public ou de droit privé, dans le but de gérer en commun des matières relevant de l'intérêt communal, n'a pas pour conséquence qu'elles se trouveraient dans une situation à ce point différente de celle d'autres sociétés, le cas échéant constituées par des pouvoirs publics pour exercer une mission de service public, qu'elles ne pourraient être comparées à ces sociétés, eu égard à l'objet de la disposition en cause.

B.12. La différence de traitement en cause repose sur un critère objectif, à savoir la question de savoir si la société concernée est une intercommunale ou non.

B.13. La règle selon laquelle la majorité des membres d'un organe collégial doit être présente pour que celui-ci puisse valablement délibérer est inhérente au fonctionnement des organes collégiaux.

Comme il est dit en B.8, la question préjudicielle ne remet pas en soi en cause cette règle, que le législateur décrétal, par la disposition en cause, a inscrite dans le Code de la démocratie locale et de la décentralisation pour les organes de gestion des intercommunales, mais uniquement le fait qu'elle s'applique sans exception à toute délibération, y compris aux réunions qui font suite à une première réunion lors de laquelle le quorum de présence n'était pas atteint. La Cour limite son examen à cette hypothèse.

B.14. La disposition en cause s'inscrit dans le contexte d'une réforme globale visant à renforcer la gouvernance et la transparence dans l'exécution des mandats publics au sein des structures locales et supra-locales et de leurs filiales. Le décret du 29 mars 2018 met en oeuvre cette réforme, qui s'articule autour de trois axes : la gouvernance, la responsabilisation et la transparence (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 1047/27, p. 7). L'objectif consistant en une plus grande responsabilisation des acteurs concernés et, en particulier, des administrateurs se traduit entre autres par l'obligation pour ceux-ci de participer effectivement aux travaux des organes de gestion dans lesquels ils siègent (ibid., p. 5).

En ce qu'elle impose un quorum de présence lors des réunions des organes de gestion des intercommunales et en ce qu'elle prévoit, à cet égard, que les procurations ne sont pas prises en compte, la disposition en cause vise à garantir que les décisions des organes de gestion des intercommunales soient prises par un nombre suffisant d'administrateurs. Parmi ces administrateurs, les représentants des communes associées sont désignés parmi les membres du conseil et du collège communaux (article L1523-15, § 3, alinéa 6, du Code de la démocratie locale et de la décentralisation). La disposition en cause renforce ainsi le contrôle démocratique sur le fonctionnement des intercommunales. Il s'agit de garantir la légitimité des décisions prises, d'éviter que le pouvoir réel soit accaparé par un nombre restreint d'administrateurs et de garantir que les intérêts des communes et des autres entités associées soient effectivement représentés au sein des organes de gestion des intercommunales.

La disposition en cause est pertinente en vue de la réalisation de ces objectifs légitimes. A cet égard, le législateur décrétal a pu raisonnablement estimer que, compte tenu de la nature particulière des intercommunales et du contexte dans lequel la réforme est intervenue, la mesure en cause ne doit pas s'appliquer à l'ensemble des autres sociétés de droit public pour lesquelles la Région wallonne est compétente. En particulier, le législateur décrétal a pu considérer que les intercommunales sont plus exposées que d'autres sociétés au risque de dérives et qu'il s'indique de prendre des mesures particulières pour renforcer la capacité de contrôle des communes et des autres entités associées sur le fonctionnement des intercommunales dont elles font partie.

B.15. La Cour doit encore examiner si la différence de traitement en cause entraîne des effets disproportionnés pour les intercommunales, eu égard aux objectifs poursuivis.

Pour que survienne la paralysie de l'organe de gestion évoquée dans la question préjudicielle, il faudrait qu'une majorité des administrateurs cesse de participer aux réunions de l'organe de gestion concerné. Un tel risque de paralysie paraît relativement limité. L'administrateur qui ne remplit pas les obligations qui lui incombent en cette qualité n'ignore pas qu'il engage sa responsabilité vis-à-vis de l'intercommunale. En effet, l'administrateur s'engage par écrit, à son installation, à veiller au fonctionnement efficace de l'organe de gestion (article L1532-1, § 1er, 1°, du Code de la démocratie locale et de la décentralisation). Cette obligation implique sa participation aux réunions de l'organe de gestion.

L'article L1532-1, § 3, 1°, alinéa 2, du même Code rappelle que les administrateurs sont, conformément au droit commun, responsables de l'exécution de leur mandat et des fautes commises dans leur gestion.

En ce qui concerne les organes restreints de gestion visés à l'article L1523-18 du Code précité, à qui le conseil d'administration a délégué une partie de ses pouvoirs, ce même conseil d'administration peut en principe mettre fin à la délégation en cas de problème.

Par ailleurs, même si le risque de paralysie de l'organe de gestion ne peut être totalement exclu, le législateur décrétal a pu valablement estimer que son éventualité ne saurait à elle seule justifier qu'il soit possible, pour une intercommunale, de déroger généralement et systématiquement, à l'obligation de respecter le quorum de présence lorsqu'une seconde réunion est convoquée après une première réunion lors de laquelle le quorum n'était pas atteint. Toute décision ne revêt du reste pas le même degré d'urgence au regard de la nécessité d'assurer la continuité du service public dont l'intercommunale est investie.

Enfin, dans l'hypothèse dans laquelle un ou plusieurs administrateurs feraient défaut de manière répétée et injustifiée et manqueraient de ce fait aux obligations qui découlent de leur mandat, la disposition en cause doit être interprétée comme permettant aux membres actifs du conseil d'administration de constater l'abandon de fait du mandat et de demander à l'assemblée générale, à tout moment, de révoquer l'administrateur concerné (article L1532-1, § 4, 1°, du Code de la démocratie locale et de la décentralisation), sans qu'il faille tenir compte des administrateurs défaillants dans le calcul du quorum de présence.

B.16. La disposition en cause est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe général de la continuité du service public.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article L1523-10, § 3, du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, inséré par l'article 20 du décret de la Région wallonne du 29 mars 2018 « modifiant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de renforcer la gouvernance et la transparence dans l'exécution des mandats publics au sein des structures locales et supra-locales et de leurs filiales », ne viole pas l'article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 5°, et VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. - La même disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe général de la continuité du service public.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 30 juin 2022.

Le greffier, Le président, F. Meersschaut P. Nihoul

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