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Arrêt
publié le 19 décembre 2022

Extrait de l'arrêt n° 87/2022 du 30 juin 2022 Numéro du rôle : 7450 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 524, § 1 er , alinéa 2, du Code judiciaire, posées par le Tribunal de première instance du Hainaut La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J.-P. (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 87/2022 du 30 juin 2022 Numéro du rôle : 7450 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 524, § 1er, alinéa 2, du Code judiciaire, posées par le Tribunal de première instance du Hainaut, division de Charleroi.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J.-P. Moerman, Y. Kherbache, T. Detienne, S. de Bethune et W. Verrijdt, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 30 septembre 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 octobre 2020, le Tribunal de première instance du Hainaut, division de Charleroi, a posé les questions préjudicielles suivantes : « - L'article 524, § 1er, alinéa 2, du Code judiciaire, interprété comme limitant la valeur de reprise d'une étude d'huissier de justice par le successeur d'un huissier de justice décédé à la valeur comptable de l'infrastructure de cette étude, viole-t-il les principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination qui ressortent notamment des articles 10 et 11 de la Constitution lus isolément ou en combinaison avec l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales en ce qu'il crée une discrimination entre les ayants droit des huissiers de justice : . selon que le défunt ait ou non cédé son étude avant son décès dans la mesure où le prix de cession d'une étude vacante sous régime de continuité serait nettement inférieur au prix d'apport d'une telle étude ? . selon que le défunt soit décédé avant ou après l'âge de 70 ans dans la mesure où le régime légal de la cession et de la continuité de l'étude ne s'appliquerait en cas de décès, de démission ou de destitution que jusqu'à ce que l'intéressé ait atteint l'âge de 70 ans ? - L'article 524, § 1er, alinéa 2, du Code judiciaire, interprété comme limitant la valeur de reprise d'une étude d'huissier de justice par le successeur d'un huissier de justice décédé à la valeur comptable de l'infrastructure de cette étude, viole-t-il les principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination qui ressortent notamment des articles 10 et 11 de la Constitution lus isolément ou en combinaison avec l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales en ce qu'il crée une discrimination entre les ayants droit des huissiers de justice et ceux des notaires qui bénéficient d'une l'indemnité de reprise égale à deux fois et demie le revenu moyen, indexé et éventuellement corrigé, des cinq dernières années de 1'étude ? - L'article 524, § 1er, alinéa 2, du Code judiciaire, interprété comme limitant la valeur de reprise d'une étude d'huissier de justice par le successeur d'un huissier de justice décédé à la valeur comptable de l'infrastructure de cette étude, viole-t-il les principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination ainsi que de protection du droit de propriété qui ressortent notamment des articles 10, 11 et 16 de la Constitution lus isolément ou en combinaison avec l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales et l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales ? ». (...) III. En droit (...) Quant à la disposition en cause B.1. L'article 524 du Code judiciaire dispose : « § 1er. L'huissier de justice qui est nommé pour succéder à un huissier de justice décédé, destitué ou démissionnaire reprend de plein droit ces obligations de l'huissier de justice auquel il succède, pour autant qu'existent ou que soient maintenues ces obligations qui résultent des contrats de travail et des baux, des contrats de fourniture, de renting et de location-financement en cours. Toutes les dettes qui ne résultent pas des contrats de travail et des baux, des contrats de fourniture, de renting et de location-financement en cours ne peuvent pas être transférées.

Le successeur reprend obligatoirement, à sa valeur comptable, l'infrastructure de l'étude, comme les biens meubles corporels, les logiciels, le matériel, les TIC qui appartient à l'huissier de justice auquel il succède. Les biens immobiliers sont exclus.

Le cas échéant, le successeur reprend les comptes de qualité de l'huissier de justice auquel il succède. § 2. Le Roi précise les modalités relatives à la reprise des baux, des contrats de fourniture, de renting et de location-financement et de l'infrastructure de l'étude visée au § 1er et fixe les règles de la communication aux candidats-huissiers de justice des obligations visées au § 1er et de l'infrastructure de l'étude et du montant de l'indemnité.

Les obligations ou l'infrastructure de l'étude qui ne sont pas reprises dans la communication visée à l'alinéa premier, ne peuvent pas être transférées ».

B.2. La disposition en cause a été insérée à l'occasion d'une réforme de la fonction d'huissier de justice par la loi du 7 janvier 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/01/2014 pub. 22/01/2014 numac 2014009011 source service public federal justice Loi modifiant le statut des huissiers de justice fermer « modifiant le statut des huissiers de justice » (ci-après : la loi du 7 janvier 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/01/2014 pub. 22/01/2014 numac 2014009011 source service public federal justice Loi modifiant le statut des huissiers de justice fermer). Les objectifs de la réforme étaient de moderniser la procédure de nomination des huissiers de justice, de réformer la discipline et la déontologie qui leur sont applicables, de revaloriser le statut du candidat-huissier de justice, ainsi que de régler le régime de continuité des études d'huissiers de justice en cas de démission, de décès ou de destitution de ceux-ci en l'absence de dispositions contractuelles. C'est ce dernier objectif qui a présidé à l'adoption de la disposition en cause.

A propos de ce dernier objectif, les travaux préparatoires mentionnent : « Le § 5 de l'ancien article 512 prévoyait, il est vrai, que le Roi fixe la procédure et les règles qui assurent la continuité de l'étude en cas de démission, de décès, de suspension ou de destitution. Or, cet arrêté royal n'a pas encore vu le jour. Cette situation crée une discontinuité qui risque de mettre en péril la mission de service public et nuit aux intérêts de l'huissier de justice démissionnaire ou de ses ayants droit, de son personnel et de ses clients. Cela suscite surtout des problèmes, dans la pratique, pour l'huissier de justice qui exerce encore seul sa profession (46 % selon la Chambre nationale des huissiers de justice).

L'exercice de la profession d'huissier de justice a également évolué, en ce sens que le maintien d'une étude en état et l'exercice correct de la profession requièrent une gestion méthodique, avec des investissements, le recrutement de personnel, le développement d'une clientèle, ainsi que du savoir-faire, une formation continue, l'organisation de l'étude, etc.

La cession conjointe de tous les éléments qui sont indissociablement liés à la continuité du service sert l'intérêt général. Le service public, qu'offre l'huissier de justice, ne peut être continué effectivement sans aucune interruption, que si l'huissier de justice nouvellement nommé peut disposer de tous les éléments nécessaires pour assurer le service au public et ce dès son entrée en fonction. Le public, la clientèle, est effectivement servi par la continuation sans heurts de l'étude. Cela comprend les dossiers, l'infrastructure et le service.

L'intérêt général est en outre servi par la poursuite de l'étude.

L'intérêt social est également en jeu, car personne ne peut nier que l'huissier de justice, comme à la reprise d'une entreprise, doive reprendre le personnel. Les droits des employés, lors d'un changement d'employeur, sont garantis, conformément à une directive du 14 février 1977, par une convention collective de travail (n° 32 du 28 février 1978 - actuellement n° 32bis du 7 juin 1985) conclue au sein du Conseil national du Travail.

A la lumière de tout ce qui précède, le nouveau régime prévoit dès lors l'obligation pour le successeur de reprendre les contrats de travail en cours, tout comme les baux, les contrats de fourniture, de renting et de location-financement en cours qui concernent l'infrastructure de l'étude. Le corollaire de ce régime est l'obligation de reprendre l'infrastructure de l'étude qui appartient en propriété, ce à sa valeur comptable.

C'est pourquoi il est prévu que le successeur, en pareil cas, reprenne les dossiers, décompte fait des avoirs relatifs aux prestations fournies par son prédécesseur, mais aussi le personnel (également appelé le ' passif social ') ainsi que les contrats de location, de renting, de fourniture et de location-financement en cours, pour autant que ceux-ci soient maintenus » (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-2937/001, pp. 5-7).

Et ensuite : « Le régime légal de la cession et de la continuité de l'étude s'applique en cas de décès ou en cas de démission ou destitution jusqu'à ce que l'intéressé ait atteint l'âge de 70 ans. L'huissier de justice qui choisit de continuer à travailler après avoir atteint l'âge de 70 ans ne pourra plus bénéficier de ce régime.

En effet, dans ce dernier cas, la continuité est assurée par le huissier de justice qui a atteint l'âge de 70 ans, qui reste en fonction. Il n'y a dès lors pas d'étude à reprendre.

Le texte de loi prévoit en outre que les obligations précitées sont uniquement reprises ' pour autant qu'existent ou que soient maintenues les obligations '. En effet, un régime légal n'est jugé nécessaire que dans les cas où la continuité et le transfert du passif social ne sont pas réglés autrement. On pense donc principalement aux entreprises individuelles, organisées en société ou non. Par contre, dans le cas d'un huissier de justice démissionnaire, destitué ou décédé, qui est ou était associé dans une association avec un ou plusieurs autres huissiers de justice, la continuité du service est garantie et le contrat de société prévoira selon toute probabilité un régime concernant la reprise des obligations de l'huissier de justice concerné » (ibid., pp. 18-19).

Quant à la première question préjudicielle B.3. La Cour est interrogée sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'elle ferait naître une discrimination entre les ayants droit des huissiers de justice, d'une part, selon que le défunt a cédé ou non son étude avant son décès et, d'autre part, selon que l'huissier de justice est décédé avant ou après l'âge de 70 ans.

B.4.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.4.2. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme n'a pas d'existence indépendante, puisqu'il vaut uniquement pour la « jouissance des droits et libertés » reconnus dans la Convention (CEDH, grande chambre, 19 février 2013, X et autres c.

Autriche, § 94).

La juridiction a quo ne mentionne pas d'autres dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme lues en combinaison avec son article 14. En conséquence, la Cour n'examine pas la question préjudicielle en ce qu'elle porte sur la violation de l'article 14 de la Convention, lu en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

En ce qui concerne la première branche de la première question préjudicielle B.5. La Cour doit examiner si les ayants droit d'un huissier de justice défunt dont l'étude est cédée conformément à la disposition en cause sont traités différemment des ayants droit d'un huissier de justice qui a opté pour une cession conventionnelle. Les parties demanderesses devant la juridiction a quo estiment qu'en raison de l'application de ce régime légal, sur lequel elles n'ont aucun contrôle, elles sont désavantagées par rapport à la situation qui leur aurait été applicable en cas de cession conventionnelle.

B.6. Par la disposition en cause, le législateur vise à assurer la continuité de l'étude de l'huissier de justice en cas de démission, de décès, de suspension ou de destitution, dans l'intérêt général et du public, puisque l'huissier de justice exerce les missions d'un auxiliaire de la justice.

Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.2 que le législateur a entendu mettre en balance l'intérêt général et les intérêts de l'huissier de justice démissionnaire ou de ses ayants droit, ainsi que ceux de son personnel et de ses clients.

B.7. La différence de traitement en cause repose sur un critère objectif, en l'occurrence la décision prise par l'huissier de justice d'organiser de son vivant la cession de son étude de manière conventionnelle ou non. Ce critère est pertinent, puisqu'il permet d'éviter les situations dans lesquelles il existerait un risque pour la continuité de certaines études d'huissier de justice.

B.8.1. La disposition en cause n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif mentionné en B.6, étant donné qu'elle prévoit l'obligation pour le successeur de reprendre les éléments jugés nécessaires à la bonne marche de l'étude et qu'elle garantit l'emploi existant. Elle prend également en compte les intérêts des ayants droit en permettant la reprise de l'infrastructure de l'étude à une valeur aisément calculable et non ambiguë, à savoir la valeur comptable. La disposition en cause vise par ailleurs exclusivement « les cas où la continuité et le transfert du passif social ne sont pas réglés autrement » (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-2937/001, p. 19) et constitue donc une règle à laquelle les huissiers de justice peuvent déroger par voie de convention.

B.8.2. Contrairement à ce que soutiennent les parties demanderesses devant la juridiction a quo, il n'apparaît pas qu'il existerait une pratique générale de cession conventionnelle des études d'huissier de justice pour un montant qui serait systématiquement supérieur au montant qui découle de l'application de la disposition en cause. De la simple possibilité que, par le jeu de la négociation conventionnelle, dans certaines situations, une étude d'huissier puisse être cédée à un montant supérieur au montant qui est d'application sous le régime légal de continuité, il ne découle pas que la disposition en cause produit des effets disproportionnés.

B.9. En ce qu'il aboutit à une différence de traitement entre, d'une part, les ayants droit d'un huissier de justice décédé dont l'étude a été cédée conformément à la disposition en cause et, d'autre part, les ayants droit d'un huissier de justice qui a choisi une cession conventionnelle, l'article 524, § 1er, alinéa 2, du Code judiciaire n'est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

En ce qui concerne la seconde branche de la première question préjudicielle B.10. La Cour doit examiner si les ayants droit d'un huissier de justice qui est décédé sont traités différemment selon que l'huissier de justice est décédé avant ou après avoir atteint l'âge de 70 ans.

B.11. La disposition en cause n'opère toutefois aucune distinction fondée sur l'âge de l'huissier de justice au moment de son décès.

B.12. Etant donné qu'elle repose sur une interprétation manifestement erronée de la disposition en cause, la première question préjudicielle, en cette branche, n'appelle pas de réponse.

Quant à la deuxième question préjudicielle B.13. Par une deuxième question préjudicielle, la Cour est interrogée sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que cette disposition ferait naître une discrimination entre les ayants droit des huissiers de justice et les ayants droit des notaires, puisque ces derniers bénéficient d'une indemnité de reprise.

B.14. Pour le même motif que celui qui est exprimé en B.4.2, la Cour n'examine pas la compatibilité de la disposition en cause avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.15. Les huissiers de justice et les notaires constituent des catégories de personnes suffisamment comparables en l'espèce, puisqu'ils sont les uns et les autres des officiers ministériels exerçant une profession libérale et que le législateur a prévu pour ces deux catégories un régime de continuité de l'étude. Partant, leurs ayants droit sont également suffisamment comparables.

B.16.1. L'article 55 de la loi du 16 mars 1803Documents pertinents retrouvés type loi prom. 16/03/1803 pub. 28/10/2009 numac 2009000678 source service public federal interieur Loi contenant organisation du notariat Coordination officieuse en langue allemande fermer « contenant organisation du notariat » (ci-après : la loi de ventôse) règle la manière dont les études notariales sont transmises. Il dispose : « § 1er. a) Doivent être remis au notaire nommé en remplacement dans le délai prévu à l'article 54, alinéa premier, moyennant indemnité, tous actifs mobiliers matériels et immatériels liés à l'organisation de l'étude ainsi que les honoraires dus pour les expéditions et les honoraires d'exécution. Est exclu de la remise le passif qui n'est pas issu des contrats d'emploi, et ne résulte ni de baux, ni de contrats de fourniture en cours. b) Lorsque les actifs faisant l'objet de la remise prévue au littera a) figurent dans le patrimoine d'une société pluripersonnelle visée à l'article 50, § 2, cette remise intervient sous forme de cession des parts de la société.Préalablement à cette cession, les associés retirent leurs réserves et apurent le passif exclu de la remise, comme prévu au littera a). Le cédant reste responsable de l'apurement total de ce passif vis-à-vis du cessionnaire.

Si le patrimoine de la société comprend un immeuble affecté en tout ou en partie à l'étude notariale ou des droits réels sur ce bien, le cessionnaire a le choix, soit, de conserver l'immeuble ou les droits réels sur celui-ci dans la société, le cas échéant avec les crédits y afférents accordés à la société, soit, de faire céder l'immeuble ou les droits réels aux associés restants avant la cession des actions, avec les dettes y afférentes.

Pour chaque option une valorisation séparée des actions à céder est établie.

Le cessionnaire doit faire ce choix dans les soixante jours après la publication de sa nomination au Moniteur belge. § 2. En outre, le notaire associé non titulaire qui cesse ses fonctions, ou ses héritiers, doit céder dans le délai prévu à l'article 54, premier alinéa, moyennant indemnité, tous ses droits dans les éléments meubles corporels et incorporels dépendant de l'étude. Cette remise intervient sous forme de cession de ses parts dans la société, sauf si ces parts ont été attribuées en rémunération d'un apport en industrie et en tenant compte des dispositions de l'article 51, § 3, b). § 3. a) Le montant de l'indemnité prévue au § 1er, a), est égal à deux fois et demie le revenu moyen, indexé et éventuellement corrigé, des cinq dernières années de l'étude. b) En cas d'association, le montant de l'indemnité est égal à deux fois et demie la quote-part du notaire associé dans le revenu de l'étude visé sous a), telle que cette quote-part est fixée par le contrat de société.c) Le Roi établit les règles de calcul et d'indexation du revenu moyen de l'étude visé sous a) et b), ainsi que les critères de correction éventuelle à la baisse pour des raisons économiques ou d'équité, entre autres lorsque la remise intervient sous forme de cession de parts, comme prévu au § 1er, b).Le montant de l'indemnité de reprise est déterminé dans un rapport établi par un réviseur d'entreprise ou par un expert-comptable externe, désigné par la Chambre nationale des notaires. Ce réviseur ou expert-comptable ne peut avoir exercé précédemment aucun mandat dans l'étude concernée des notaires. Le réviseur ou l'expert-comptable désigné décrit tous les éléments de l'étude notariale à reprendre. d) Le ministre de la Justice fixe les modalités de la communication aux candidats-notaires du montant de l'indemnité visée sous a).Cette communication a lieu en tous cas, vingt et un jours au moins avant l'expiration du délai prévu à l'article 43, § 1er ».

B.16.2. La principale différence entre le régime de continuité de la profession de notaire et le régime de continuité de la profession d'huissier de justice tient dans la fixation de la base de valeur de la cession. Pour la reprise d'une étude de notaire, l'indemnité pour les actifs meubles matériels et immatériels est calculée sur la base du revenu moyen de l'étude, tandis que la disposition en cause prévoit une obligation de reprise de certains éléments de l'infrastructure de l'étude de l'huissier de justice, calculés à leur valeur comptable.

B.17. Les huissiers de justice et les notaires exercent des fonctions essentiellement différentes et disposent de compétences exclusives distinctes. Si les notaires ont pour mission principale d'élaborer certains actes juridiques portant sur des matières précises, les huissiers de justice prêtent leur concours à l'exécution du service public de la justice.

Comme l'observe le Conseil des ministres, l'existence d'une indemnité de reprise des études notariales est en outre fondée sur une différence historique, puisque les notaires procèdent de longue date au transfert à titre onéreux de leurs études et que le notaire auquel il est succédé aura donc généralement payé une indemnité analogue. Il n'apparaît pas qu'une telle pratique existerait également auprès des huissiers de justice.

A cet égard, le ministre de la Justice a indiqué, lors des travaux préparatoires de la loi du 7 janvier 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/01/2014 pub. 22/01/2014 numac 2014009011 source service public federal justice Loi modifiant le statut des huissiers de justice fermer, qu'« à la différence des notaires, la loi ne prévoit pas d'indemnité de reprise pour l'étude d'un huissier de justice » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-2937/006, p. 21).

B.18. Eu égard à ces différences, il n'est pas manifestement déraisonnable que le régime de continuité de la profession d'huissier de justice ne prévoie pas une indemnité similaire à l'indemnité contenue dans l'article 55 de la loi de ventôse. Le législateur a pu se baser sur l'absence d'une pratique de cession à titre onéreux des études d'huissier de justice pour ne pas prévoir un système qui ferait peser une charge financière importante sur les huissiers repreneurs.

La circonstance qu'il s'agit dans les deux cas d'officiers ministériels exerçant une profession libérale ne requiert pas, en soi, une équivalence en ce qui concerne la manière dont le législateur fait usage du pouvoir d'appréciation dont il dispose pour régler les professions en question.

B.19. En ce qu'il aboutit à une différence de traitement entre les huissiers de justice et les notaires, l'article 524, § 1er, alinéa 2, du Code judiciaire n'est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Quant à la troisième question préjudicielle B.20. Par une troisième question préjudicielle, la Cour est interrogée sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention précitée, en ce qu'elle porterait une atteinte aux biens des ayants droit de l'huissier décédé.

B.21.1. L'article 16 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».

B.21.2. L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.

Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».

B.21.3. L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme offre une protection non seulement contre l'expropriation ou contre la privation de propriété (premier alinéa, seconde phrase), mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase) et contre toute réglementation de l'usage des biens (second alinéa).

Cet article ne porte pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général.

L'ingérence dans le droit au respect des biens n'est compatible avec ce droit que si elle est raisonnablement proportionnée au but poursuivi, c'est-à-dire si elle ne rompt pas le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et celles de la protection de ce droit. La Cour européenne des droits de l'homme considère également que les Etats membres disposent en la matière d'une grande marge d'appréciation (CEDH, 2 juillet 2013, R.Sz. c. Hongrie, § 38).

B.22. Dès lors que l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme a une portée analogue à celle de l'article 16 de la Constitution, les garanties qu'il contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans cette disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle de la disposition attaquée.

B.23. La disposition en cause organise un régime de transfert d'une étude d'huissier de justice. Un tel mécanisme entraîne donc un transfert de propriété dans le chef de l'huissier de justice repreneur. En cas de décès de l'huissier de justice et en l'absence de dispositions conventionnelles, l'article 524 du Code judiciaire empêche ses ayants droit de recourir à toute autre forme de valorisation des biens professionnels du défunt. En l'espèce, les parties demanderesses devant la juridiction a quo soutiennent que cette ingérence dans le droit au respect des biens n'est pas proportionnée au but poursuivi, puisqu'elle exclut des biens transférés le goodwill de l'étude, qui correspond à la survaleur présente engendrée par des éléments passés et futurs, au premier rang desquels se trouve la clientèle.

B.24. La Cour européenne des droits de l'homme considère que la notion de « biens » au sens de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits de propriété » et donc pour des « biens » aux fins de l'article précité (CEDH, 23 février 1995, Gasus Dosier- und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, § 53; 25 mars 1999, Iatridis c. Grèce, § 54). A cet égard, la Cour européenne des droits de l'homme a relevé que la clientèle professionnelle, constituée grâce au travail, revêtait le caractère d'un droit privé, et s'analysait en une valeur patrimoniale (CEDH, 26 juin 1986, Van Marle e.a. c. Pays-Bas, § 41; 30 novembre 1987, H. c. Belgique, § 47, b); décision, 25 mai 1999, Olbertz c. Allemagne; décision, 9 novembre 1999, Döring c. Allemagne; décision, 6 février 2003, Wendenburg e.a. c. Allemagne; décision, 22 mai 2006, Lederer c. Allemagne; 13 mars 2012, Malik c. Royaume-Uni, § 89; 16 octobre 2018, Könyv-Tàr. KFT e.a. c. Hongrie, § 31). La Cour a également indiqué qu'il importait peu de connaître la façon dont ladite clientèle avait été acquise (CEDH, 24 mai 2005, Buzescu c.

Roumanie, § 82), par exemple en tirant avantage d'une position favorable (CEDH, 13 mars 2012, Malik c. Royaume-Uni, § 89). De manière générale, la Cour européenne des droits de l'homme rappelle que le goodwill constitue un élément d'évaluation d'un cabinet professionnel (CEDH, 13 mars 2012, Malik c. Royaume-Uni, § 93; 16 octobre 2018, Könyv-Tàr. KFT e.a. c. Hongrie, § 31).

Enfin, il est admis de longue date que les biens visés plus haut bénéficient de la protection de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme lorsqu'ils prennent la forme d'une espérance légitime dans le cadre d'un héritage (CEDH, 13 juin 1979, Marckx c. Belgique, § 63).

B.25. Il découle du régime de continuité tel qu'il est établi dans la disposition en cause que le goodwill et la clientèle de l'étude d'huissier concernée ne relèvent pas des éléments qui sont repris obligatoirement et à leur valeur comptable par l'huissier de justice nommé en remplacement. En effet, le goodwill et la clientèle ne peuvent être considérés comme « infrastructure de l'étude » au sens de la disposition en cause, de sorte qu'en vertu de cette disposition, aucune indemnité n'est due à l'huissier de justice auquel il est succédé ou à ses ayants droit. Il y a donc ingérence dans le droit des ayants droit au respect de leurs biens.

B.26. Pour être compatible avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, une ingérence doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et celles de la protection des droits fondamentaux de l'individu. Il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but à atteindre. Un juste équilibre entre l'intérêt général et les droits de l'individu ne sera pas atteint si la personne concernée a dû supporter une charge individuelle et excessive (CEDH, 13 janvier 2015, Vékony c.

Hongrie, § 32).

B.27. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.2 que la disposition en cause vise à assurer la continuité de l'étude de l'huissier de justice en cas de démission, de décès, de suspension ou de destitution, dans l'intérêt général et du public. Il apparaît également que le législateur a entendu mettre en balance l'intérêt général avec les intérêts de l'huissier de justice démissionnaire ou de ses ayants droit, et ceux de son personnel et de ses clients.

B.28.1. En organisant le régime de continuité en cause, le législateur a eu égard à la spécificité de la profession d'huissier de justice, notamment en ce qui concerne les pratiques économiques de celle-ci. En effet, s'il est vrai que l'huissier de justice est titulaire d'une profession libérale, il est en outre officier ministériel exerçant des missions d'un auxiliaire de la justice, et il reste qu'il est soumis, en cette dernière qualité, à des règles dérogeant largement à celles qui sont applicables aux professions indépendantes et aux autres professions libérales : il appartient à l'autorité, notamment, de fixer le nombre des études d'huissier de justice, de les nommer et d'établir les tarifs applicables à leurs missions. Les huissiers de justice sont par ailleurs chargés de plusieurs missions exclusives par rapport auxquelles ils sont tenus d'exercer leur ministère et qu'ils ne peuvent donc refuser (articles 519 et 520 du Code judiciaire), de même qu'ils ne peuvent exercer leurs fonctions officielles que dans l'arrondissement judiciaire fixé par l'arrêté royal de nomination (article 516 du Code judiciaire).

En excluant le goodwill et la clientèle des éléments transférables de l'infrastructure de l'étude d'huissier de justice sous le régime de continuité, le législateur a en outre pris en compte la nature intuitu personae et volatile des relations entre un huissier de justice et ses clients.

B.28.2. La disposition en cause n'excède pas ce qui est nécessaire pour conserver l'équilibre entre l'ingérence dans le droit des ayants droit au respect de leurs biens et l'intérêt général, et elle ne produit pas non plus des effets disproportionnés.

Les ayants droit bénéficient en effet de l'obligation de reprise des autres éléments de l'infrastructure de l'étude, à une valeur aisément calculable et non ambiguë. Ils bénéficient également de la circonstance qu'en vertu de l'article 524, alinéa 1er, du Code judiciaire, l'huissier de justice nommé en remplacement reprend de plein droit les obligations de l'huissier de justice auquel il succède, pour autant qu'existent ou que soient maintenues ces obligations, lesquelles sont en lien avec des contrats de travail et des baux, des contrats de fourniture, de renting et de location-financement en cours.

La disposition en cause constitue pour le surplus une règle à laquelle les huissiers de justice peuvent déroger en assurant par convention la continuité de leur étude, afin de sauvegarder les intérêts patrimoniaux de leurs ayants droit, à leurs propres conditions.

Enfin, les parties demanderesses devant la juridiction a quo ne démontrent pas qu'il existerait une pratique générale de cession conventionnelle des études d'huissier de justice pour un montant qui serait systématiquement supérieur au montant qui découle de l'application de la disposition en cause. De la simple possibilité que, par le jeu de la négociation conventionnelle, une étude d'huissier puisse être cédée à un montant supérieur au montant qui est d'application sous le régime légal de continuité, il ne découle pas que la mesure produit des effets disproportionnés.

B.29. L'ingérence est par conséquent justifiée et ne produit pas des effets disproportionnés en ce qui concerne les droits des ayants droit concernés, eu égard aux objectifs poursuivis.

B.30. En ce qu'il implique une restriction du droit au respect des biens, l'article 524, § 1er, alinéa 2, du Code judiciaire n'est pas incompatible avec les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 524, § 1er, alinéa 2, du Code judiciaire ne viole pas les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 30 juin 2022.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, P. Nihoul

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