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Arrêt
publié le 26 septembre 2022

Extrait de l'arrêt n° 58/2022 du 21 avril 2022 Numéro du rôle : 7618 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1004/1, § 1 er , du Code judiciaire, posée par la Cour d'appel de Gand. La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges J.-P. Moerman, J. Moerman, Y. Kherbache(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 58/2022 du 21 avril 2022 Numéro du rôle : 7618 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1004/1, § 1er, du Code judiciaire, posée par la Cour d'appel de Gand.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges J.-P. Moerman, J. Moerman, Y. Kherbache et E. Bribosia, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, de la juge émérite R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 15 juillet 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 23 juillet 2021, la Cour d'appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « Dans quelle mesure l'article 1004/1, § 1er, du Code judiciaire viole-t-il l'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant et l'article 22bis de la Constitution, en ce que : - le droit commun du mineur d'être entendu, conformément à l'article 1004/1, § 1er, du Code judiciaire, n'est pas applicable dans toutes les procédures qui concernent le mineur, bien que la Convention relative aux droits de l'enfant et la Constitution l'exigent; - ce champ d'application est par conséquent trop limité et n'est conforme ni à l'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant, ni à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, ni à l'article 22bis de la Constitution si la Cour d'appel devait juger que les enfants Do.B. et Da.B. n'ont pas d'intérêt à être entendues en ce qui concerne le régime d'hébergement de D.N., au motif que celle-ci n'est que leur demi-soeur ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 1004/1, § 1er, du Code judiciaire dispose : « Tout mineur a le droit d'être entendu par un juge dans les matières qui le concernent relatives à l'exercice de l'autorité parentale, à l'hébergement ainsi qu'au droit aux relations personnelles. Il a le droit de refuser d'être entendu ».

B.2. Compte tenu des faits de l'affaire pendante devant la juridiction a quo et de la motivation de la décision de renvoi, il est demandé à la Cour si cette disposition est compatible avec l'article 22bis, alinéa 2, de la Constitution, avec l'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant et avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, en ce qu'elle n'est pas applicable dans toutes les procédures qui concernent l'enfant mineur et en ce qu'un enfant mineur n'a pas le droit d'être entendu dans un litige qui oppose les parents de sa demi-soeur ou de son demi-frère au sujet des modalités d'hébergement applicables à cette demi-soeur ou à ce demi-frère.

B.3.1. L'article 22bis, alinéa 2, de la Constitution dispose : « Chaque enfant a le droit de s'exprimer sur toute question qui le concerne; son opinion est prise en considération, eu égard à son âge et à son discernement ».

B.3.2. L'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant dispose : « 1. Les Etats parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. 2. A cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale ». B.4. Le Conseil des ministres fait valoir que la question préjudicielle est irrecevable, en ce qu'il est demandé à la Cour de contrôler la disposition en cause directement au regard de l'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant et au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

B.5.1. En vertu de l'article 142, alinéa 2, de la Constitution et de l'article 26, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur les questions relatives à la violation par une loi, un décret ou une règle visée à l'article 134 de la Constitution, des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'autorité fédérale, des communautés et des régions, des articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 143, § 1er, 170, 172 et 191 de la Constitution.

B.5.2. La Cour n'est donc pas compétente pour contrôler des normes législatives directement au regard de la disposition conventionnelle mentionnée en B.3.2.

Toutefois, lorsqu'une disposition conventionnelle liant la Belgique a une portée analogue à celle d'une des dispositions constitutionnelles dont le contrôle relève de la compétence de la Cour et dont la violation est alléguée, les garanties consacrées par cette disposition conventionnelle constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles concernées.

Il s'ensuit que, dans le contrôle qu'elle exerce au regard de la disposition constitutionnelle mentionnée en B.3.1, la Cour tient compte des dispositions de droit international qui garantissent des droits ou libertés analogues.

B.5.3. En ce que l'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant confère aux enfants le droit d'exprimer leur propre opinion sur toute question les intéressant, cette disposition a une portée analogue à celle de l'article 22bis, alinéa 2, de la Constitution, dont le contrôle relève de la compétence de la Cour. La Cour tient dès lors compte de cette disposition conventionnelle mentionnée dans la question préjudicielle.

B.5.4. Bien que, dans le cadre de son contrôle de normes législatives au regard des dispositions constitutionnelles dont le contrôle relève de sa compétence, la Cour tienne compte de la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l'homme, elle n'est pas compétente pour contrôler de manière générale des dispositions législatives au regard d'une jurisprudence. En ce qu'il est en l'espèce demandé à la Cour de contrôler la disposition en cause au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la question préjudicielle est irrecevable.

B.6. Le Conseil des ministres fait également valoir que la question préjudicielle est irrecevable en ce qu'il est demandé à la Cour d'examiner si la disposition en cause est compatible avec les normes de référence mentionnées dans cette question, dès lors que cette disposition, eu égard au fait que son champ d'application est limité aux procédures relatives « à l'exercice de l'autorité parentale, à l'hébergement ainsi qu'au droit aux relations personnelles », n'est pas applicable dans toutes les procédures qui concernent les enfants mineurs. Il fait valoir à cet égard que la réponse à cet aspect de la question préjudicielle n'est manifestement pas utile à la solution du litige pendant devant la juridiction a quo.

B.7.1. C'est en règle à la juridiction a quo qu'il appartient d'apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige. Ce n'est que lorsque tel n'est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n'appelle pas de réponse.

B.7.2. Il ressort des faits de l'affaire pendante devant la juridiction a quo et de la motivation de la décision de renvoi que la contestation relative à l'application de la disposition en cause dans cette affaire porte sur le point de savoir si, dans le cadre d'un litige relatif à l'hébergement d'un enfant mineur, le droit d'être entendu appartient exclusivement à l'enfant mineur pour lequel un hébergement doit être réglé ou si ce droit appartient également à ses demi-soeurs mineures avec lesquelles il réside à titre principal, conformément à des modalités d'hébergement fixées à titre provisoire.

Etant donné que l'affaire pendante devant la juridiction a quo porte sur un régime d'hébergement applicable à un enfant mineur, il n'est, comme le fait valoir le Conseil des ministres, manifestement pas utile à la solution du litige pendant devant la juridiction a quo d'examiner si la disposition en cause est compatible avec les normes de référence mentionnées dans la question préjudicielle, en ce que le droit d'être entendu, visé dans cette disposition, n'est pas applicable dans des matières autres que celles qui concernent l'exercice de l'autorité parentale, le régime d'hébergement et le droit aux relations personnelles.

B.7.3. La Cour examine donc la compatibilité de la disposition en cause avec les normes de référence mentionnées dans la question préjudicielle dans la seule mesure où un enfant mineur n'a pas le droit d'être entendu dans un litige qui oppose les parents de sa demi-soeur ou de son demi-frère au sujet de l'hébergement de cette demi-soeur ou de ce demi-frère.

B.8. Selon la disposition en cause, tout enfant mineur a le droit d'être entendu par un juge dans les matières qui l'intéressent en ce qui concerne l'exercice de l'autorité parentale, le régime d'hébergement et le droit aux relations personnelles. La juridiction a quo interprète cette disposition en ce sens que le droit d'être entendu dans une procédure judiciaire s'applique uniquement à l'enfant mineur visé par cette procédure. Cette interprétation a pour corollaire que, lorsque la procédure judiciaire concerne un régime d'hébergement applicable à un enfant mineur, seul cet enfant mineur, à l'exclusion donc de ses demi-soeurs ou demi-frères mineurs, a le droit d'être entendu.

B.9. Selon l'article 22bis, alinéa 2, de la Constitution, tout enfant a le droit de s'exprimer « sur toute question qui le concerne ». Selon l'article 12, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant, les Etats parties à cette Convention garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion « sur toute question l'intéressant ». Selon le paragraphe 2 de cette disposition, l'enfant doit avoir l'occasion d'être entendu « dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant ».

B.10. Selon l'article 375bis de l'ancien Code civil, tel qu'il a été modifié par l'article 3 de la loi du 20 mai 2021Documents pertinents retrouvés type loi prom. 20/05/2021 pub. 09/06/2021 numac 2021042005 source service public federal justice Loi modifiant l'ancien Code civil en ce qui concerne les liens personnels entre frères et soeurs fermer « modifiant l'ancien Code civil, en ce qui concerne les liens personnels entre frères et soeurs » (ci-après : la loi du 20 mai 2021Documents pertinents retrouvés type loi prom. 20/05/2021 pub. 09/06/2021 numac 2021042005 source service public federal justice Loi modifiant l'ancien Code civil en ce qui concerne les liens personnels entre frères et soeurs fermer), « tous les frères et soeurs » ont, à tout âge, le droit d'entretenir des relations personnelles entre eux et, à défaut d'une convention entre les parties, le tribunal de la famille statue sur l'exercice de ce droit dans l'intérêt de l'enfant, à la demande des parties ou du procureur du Roi. Les travaux préparatoires de la loi du 20 mai 2021Documents pertinents retrouvés type loi prom. 20/05/2021 pub. 09/06/2021 numac 2021042005 source service public federal justice Loi modifiant l'ancien Code civil en ce qui concerne les liens personnels entre frères et soeurs fermer font apparaître que, par le mot « tous », le législateur a voulu préciser que ce droit appartient aussi, entre autres, aux demi-soeurs et aux demi-frères (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-0780/009, p. 4, et DOC 55-0780/10, p. 8).

Selon l'article 387septiesdecies de l'ancien Code civil, tel qu'il a été inséré par l'article 7 de la loi du 20 mai 2021Documents pertinents retrouvés type loi prom. 20/05/2021 pub. 09/06/2021 numac 2021042005 source service public federal justice Loi modifiant l'ancien Code civil en ce qui concerne les liens personnels entre frères et soeurs fermer, les frères et soeurs mineurs ont le droit de ne pas être séparés, ce droit doit être apprécié dans l'intérêt de chaque enfant, et les parents, les parents d'accueil, le tribunal et l'autorité compétente à cet effet, si l'intérêt d'un enfant exige que ce droit ne soit pas exercé, s'efforceront de maintenir les contacts personnels entre cet enfant et chacun de ses frères et soeurs, à moins que cela soit également contraire à l'intérêt de cet enfant. Selon l'article 387sexiesdecies de l'ancien Code civil, tel qu'il a été inséré par l'article 6 de la loi du 20 mai 2021Documents pertinents retrouvés type loi prom. 20/05/2021 pub. 09/06/2021 numac 2021042005 source service public federal justice Loi modifiant l'ancien Code civil en ce qui concerne les liens personnels entre frères et soeurs fermer, les enfants qui ont été éduqués ensemble dans une même famille et qui ont développé un lien affectif particulier entre eux sont, notamment pour l'application de l'article 387septiesdecies, assimilés à des frères et soeurs.

B.11.1. Lorsqu'un juge doit se prononcer sur un régime d'hébergement applicable à un enfant mineur, sa décision peut directement affecter les droits de ses demi-soeurs et demi-frères qui sont garantis par les articles 375bis et 387septiesdecies de l'ancien Code civil. Dans son appréciation des modalités d'hébergement les plus appropriées, le juge doit donc tenir compte de ces droits.

B.11.2. Il s'ensuit que le juge, en pareilles circonstances, statue dans une matière qui concerne non seulement l'enfant mineur concerné au sens de l'article 22bis, alinéa 2, de la Constitution, mais également ses demi-soeurs et demi-frères mineurs.

B.12. Dans l'interprétation selon laquelle le droit d'être entendu dans une procédure judiciaire en ce qui concerne l'établissement d'un régime d'hébergement applicable à un enfant mineur est refusé à ses demi-soeurs et demi-frères mineurs, la disposition en cause n'est pas compatible avec l'article 22bis, alinéa 2, de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant.

B.13.1. Toutefois, la disposition en cause peut recevoir une autre interprétation. Selon cette disposition, chaque enfant mineur a le droit d'être entendu « dans les matières qui le concernent », en ce qui concerne, entre autres, « l'hébergement ainsi [que le] droit aux relations personnelles ». Etant donné qu'une décision de justice concernant l'hébergement d'un enfant mineur peut affecter les droits de ses demi-soeurs et demi-frères mineurs qui sont garantis par les articles 375bis et 387septiesdecies de l'ancien Code civil, une telle décision peut être considérée comme étant prise dans une matière qui concerne ces derniers. Dans cette interprétation, le droit d'être entendu dans une procédure judiciaire concernant la fixation de modalités d'hébergement d'un enfant mineur appartient non seulement à cet enfant mineur, mais également à ses demi-soeurs et demi-frères mineurs.

B.13.2. Dans l'interprétation selon laquelle le droit d'être entendu dans une procédure judiciaire concernant l'établissement des modalités d'hébergement d'un enfant mineur appartient non seulement à l'enfant mineur concerné mais également à ses demi-soeurs et demi-frères mineurs, la disposition en cause est compatible avec l'article 22bis, alinéa 2, de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 1004/1, § 1er, du Code judiciaire viole l'article 22bis, alinéa 2, de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant, dans l'interprétation selon laquelle le droit d'être entendu dans une procédure judiciaire concernant la fixation de modalités d'hébergement d'un enfant mineur est refusé aux demi-soeurs et demi-frères mineurs de cet enfant mineur. - La même disposition ne viole pas l'article 22bis, alinéa 2, de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant, dans l'interprétation selon laquelle le droit d'être entendu dans une procédure judiciaire concernant la fixation de modalités d'hébergement d'un enfant mineur appartient également aux demi-soeurs et demi-frères mineurs de cet enfant mineur.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 avril 2022.

Le greffier, Le président, F. Meersschaut L. Lavrysen

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