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Arrêt
publié le 11 octobre 2022

Extrait de l'arrêt n° 35/2022 du 10 mars 2022 Numéro du rôle : 7530 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire, posées par la Cour d'appel de Bruxelles. La Cour const composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J.-P. Moerman, R. Leysen, Y. Kherbac(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 35/2022 du 10 mars 2022 Numéro du rôle : 7530 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire, posées par la Cour d'appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J.-P. Moerman, R. Leysen, Y. Kherbache, T. Detienne et S. de Bethune, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 24 février 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 mars 2021, la Cour d'appel de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu'il soumet les propriétaires qui disposent du même nombre de mètres carrés de terrain à un taux d'imposition différent selon la manière dont leur terrain a été divisé ou non en parcelles administratives (cadastrales) et sans que le contribuable soit en mesure de contrôler cette division à l'aide de données objectivement vérifiables ? »; 2. « L'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu'il soumet le propriétaire qui dispose d'un plus petit nombre de mètres carrés de terrain à un taux d'imposition plus élevé que le propriétaire qui dispose d'un plus grand nombre de mètres carrés de terrain, selon la manière dont leur terrain a été divisé (propriétaire du plus grand terrain) ou non (propriétaire du plus petit terrain) en parcelles administratives (cadastrales) et sans que le contribuable soit en mesure de contrôler cette division à l'aide de données objectivement vérifiables ? »; 3. « L'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu'il soumet les propriétaires qui disposent du même nombre de mètres carrés de terrain à une même plus-value présumée ? ». (...) III. En droit (...) Quant à la disposition en cause et à son contexte B.1. En vertu de l'article 2.6.4 du Code flamand de l'aménagement du territoire, une taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est due lorsque l'entrée en vigueur d'un plan d'exécution spatial ou d'un plan particulier d'aménagement entraîne, pour une parcelle, une ou plusieurs des modifications de destination énumérées aux 1° à 15° de cette disposition. Le redevable est la personne qui peut faire valoir son droit de propriété ou son droit de nue-propriété sur la parcelle au moment de l'entrée en vigueur du plan d'exécution spatial ou du plan particulier d'aménagement concerné (article 2.6.8, alinéa 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire). S'il y a plusieurs personnes redevables, elles sont solidairement responsables du paiement de l'intégralité de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale (article 2.6.9 du Code flamand de l'aménagement du territoire).

B.2.1. Les questions préjudicielles concernent l'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire. Cette disposition porte sur le calcul du montant de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale.

Dans la version applicable à l'instance soumise au juge a quo, qui doit statuer sur cinq cotisations afférentes à cette taxe pour l'exercice d'imposition 2012, l'article 2.6.10 disposait : « § 1er. La taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est calculée à partir de la plus-value présumée d'une parcelle à la suite de la modification de destination et en fonction de la superficie de la parcelle à laquelle s'applique la modification de destination. La superficie de la parcelle est la superficie déclarée et enregistrée au cadastre. § 2. La plus-value présumée d'une parcelle est calculée conformément au tableau suivant :

Nature de la modification de destination

Montant de la plus-value présumée par m2

Modification visée à l'article 2.6.4, 1°

86,31 euros

Modification visée à l'article 2.6.4, 2°

85,92 euros

Modification visée à l'article 2.6.4, 3°

83,73 euros

Modification visée à l'article 2.6.4, 4°

85,65 euros

Modification visée à l'article 2.6.4, 5°

54,89 euros

Modification visée à l'article 2.6.4, 6°

58,02 euros

Modification visée à l'article 2.6.4, 7°

57,63 euros

Modification visée à l'article 2.6.4, 8°

55,44 euros

Modification visée à l'article 2.6.4, 9°

57,36 euros

Modification visée à l'article 2.6.4, 10°

1,92 euros

Modification visée à l'article 2.6.4, 11°

2,58 euros

Modification visée à l'article 2.6.4, 12°

2,19 euros

Modification visée à l'article 2.6.4, 13°

0,39 euros

Modification visée à l'article 2.6.4, 14°

2,85 euros

Modification visée à l'article 2.6.4, 15°

2,46 euros


Si la parcelle fait l'objet de plusieurs modifications de destination simultanées, la plus-value présumée de la parcelle constitue la somme des produits des superficies respectives de chaque modification et le montant de la plus-value présumée par m2, comme le montre le tableau inclus dans le premier alinéa.

Si une zone, qui n'a pas encore été délimitée en application de l'article 2.2.3, § 2, alinéa 1er, relève de plusieurs catégories d'affectation de zone, la plus-value présumée est calculée à l'aide de la catégorie dont relève la majorité des fonctions de la zone ».

B.2.2. L'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire a été modifié dans l'intervalle à plusieurs reprises.

Ces modifications n'ont aucune incidence sur l'examen des questions préjudicielles.

B.2.3. L'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire trouve son origine dans l'article 91/2 du décret du 18 mai 1999 « portant organisation de l'aménagement du territoire » (ci-après : le décret du 18 mai 1999). Les travaux préparatoires de ce décret énoncent : « Taxation par parcelle 169. La taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale frappe une parcelle cadastrale.Le calcul du montant de la taxe se fait également ' parcelle par parcelle ' (infra). Pour la définition des exceptions et des exonérations (infra), certaines parcelles sont également exceptées ou exonérées, et pas d'autres définitions géographiques. 170. Le choix du niveau de la parcelle cadastrale contribue tant à l'opérationnalisation qu'à l'objectivité de la taxe. L'Administration du cadastre, de l'enregistrement et des domaines délimite en effet les parcelles cadastrales sur la base de critères objectifs et pertinents, en vertu de l'article 472, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992. En bref, la définition suivante est utilisée : ' Par parcelle cadastrale, l'on entend une partie plus ou moins grande du territoire située dans une même commune ou un même hameau, caractérisée par une même nature ou un même type de construction et appartenant à la même personne (ce qui n'exclut pas les indivisions, un même droit peut être divisé entre plusieurs titulaires).

Un bâtiment et ses dépendances, annexes, accès et jardins ne forment qu'une seule parcelle cadastrale lorsque le tout est attenant et est affecté au même usage.

Exemples : - un terrain agricole, - une prairie, - une maison et son jardin, - un château et son parc, - un appartement avec sa cave et son garage.

Autrement dit, les dépendances bâties et non bâties sont unies au bâtiment principal. Généralement, la valeur vénale ou locative de l'ensemble est plus élevée que la somme de la valeur des composants ' » (Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 2011/1, p. 58).

Dans ces mêmes travaux préparatoires, on peut lire que « le calcul de la superficie d'une parcelle entière est basé sur la superficie cadastrale connue » (ibid. p. 63).

B.2.4. Les articles 2.6.11 et 2.6.12 du Code flamand de l'aménagement du territoire, qui portent également sur le calcul du montant de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale, disposent : « Art. 2.6.11. Pour le calcul de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale, le montant de la plus-value présumée d'une parcelle est divisé en tranches, soumises séparément à un pourcentage d'imposition spécifique.

Ce calcul a lieu à l'aide du tableau suivant :

Partie de la plus-value présumée

Pourcentage applicable à la partie correspondante

Montant total de la taxe pour la partie précédente

de 0,01 à 12 500 euros

1 %

/

de 12 500 à 25 000 euros

2 %

125 euros

de 25 000 à 50 000 euros

3 %

375 euros

de 50 000 à 100 000 euros

5 %

1 125 euros

de 100 000 à 150 000 euros

8 %

3 625 euros

de 150 000 à 200 000 euros

14 %

7 625 euros

de 200 000 à 250 000 euros

18 %

14 625 euros

de 250 000 à 500 000 euros

24 %

23 625 euros

au-dessus des 500 000 euros

30 %

83 625 euros


Art. 2.6.12. § 1er. La plus-value présumée par m2, incluse dans l'article 2.6.10, § 2, premier alinéa, est actualisée tous les cinq ans. Dans ce dessein et sur la base du rapport d'évaluation visé à l'article 2.6.19, deuxième alinéa, le Gouvernement flamand présente tous les cinq ans une proposition au législateur décrétal. Le cycle de cinq ans commence le 1er janvier 2009.

Si l'actualisation n'a pas été effectuée le 31 décembre de la dernière année du cycle de cinq ans mentionné dans le premier alinéa, le montant de la taxe due sur les bénéfices résultant de la planification spatiale, déterminé conformément aux articles 2.6.10 et 2.6.11, sera actualisé à partir du 1er janvier de l'année suivante. Pour ce faire, le montant sera d'abord multiplié par l'indice de santé pour le mois suivant le mois de l'entrée en vigueur du plan d'exécution spatial ou du plan particulier d'aménagement et ensuite divisé par l'indice de santé pour le mois suivant le mois de l'entrée en vigueur du décret dans lequel le montant applicable de la plus-value présumée par m2 a été fixé ou adapté pour la dernière fois. § 2. En dérogation au § 1er, le Gouvernement flamand soumettra, au plus tard le 31 décembre 2011, une première proposition d'actualisation de la plus-value présumée par m2 pour les modifications de destination visées à l'article 2.6.4, 14° et 15° au législateur décrétal. La proposition est basée sur une évaluation spécifique concernant ces modifications de destination.

Le règlement mentionné dans le premier alinéa n'exempte pas les modifications de destination visées à l'article 2.6.4, 14° et 15° des évaluation et actualisation globales [quinquennales], mentionnées dans le premier alinéa du § 1er. Le règlement mentionné dans le deuxième alinéa du § 1er s'applique aussi intégralement à ces modifications de destination ».

B.2.5. Il ressort des dispositions précitées que la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est calculée sur la base de la plus-value présumée d'une parcelle qui résulte d'une modification de destination. La plus-value présumée est obtenue en multipliant le montant de la plus-value présumée par mètre carré qui correspond à la modification de destination en question, telle qu'elle est établie dans le tableau figurant à l'article 2.6.10, § 2, du Code flamand de l'aménagement du territoire, par la superficie de la modification de destination sur la parcelle cadastrale exprimée en mètres carrés.

Le montant de cette plus-value est divisé en tranches, chaque tranche étant soumise à un pourcentage spécifique de la taxe, qui augmente en fonction du montant de la partie correspondante de la plus-value présumée. Les travaux préparatoires du décret du 18 mai 1999, précité, précisent que la totalité du montant de la taxe par parcelle est obtenue « premièrement, en multipliant le montant des bénéfices résultant de la planification spatiale dans la tranche la plus élevée par le taux d'imposition de cette tranche la plus élevée et, deuxièmement, en additionnant ce résultat au montant total de la taxe dans les tranches précédentes » (Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 2011/1, p. 63). Par conséquent, la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est progressive. Les travaux préparatoires mentionnent à cet égard qu'« en ce qui concerne le calcul de la taxe, il s'agit d'un système progressif, calculé par parcelle » et qu'« une taxe progressive sur les éléments patrimoniaux (en l'espèce une plus-value potentielle) est défendable en vertu du ' principe de la capacité contributive '. En d'autres termes, il faut éviter que la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale frappe avant tout, en termes relatifs, les ' petits propriétaires fonciers' » (ibid. p. 62).

B.2.6. Toujours selon les travaux préparatoires du décret du 18 mai 1999, « les montants des plus-values potentielles sont fixés par voie décrétale sur la base d'une étude scientifique actuelle », sans tenir compte des coefficients d'arrondissement. Les travaux préparatoires précisent ce choix comme suit : « Il n'est pas tenu compte des coefficients d'arrondissement actuels, pour lesquels il n'existe que peu de données scientifiques.

Ces coefficients diffèrent considérablement : le facteur de correction le plus élevé s'élève à 1,5 (Anvers); le plus bas s'élève à 0,48 (Maaseik), ce qui signifie qu'un propriétaire dans l'arrondissement d'Anvers devra payer trois fois plus qu'un propriétaire dans l'arrondissement de Maaseik.

Par ailleurs, l'évolution du marché foncier ne tient pas du tout compte des limites d'arrondissement, eu égard à la grande diversité et aux importantes fluctuations des prix du foncier dans un seul et même arrondissement.

La suppression des coefficients d'arrondissement s'impose également pour l'application de la taxe, a fortiori dès lors que les plans d'exécution régionaux et provinciaux peuvent parfaitement dépasser les limites de l'arrondissement » (ibid. p. 63).

Quant aux deux premières questions préjudicielles B.3. Par la première question préjudicielle, la juridiction a quo demande à la Cour si l'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que cette disposition a pour effet que les propriétaires de terrains d'une même superficie sur lesquels s'applique une modification de destination de même nature peuvent être amenés à devoir payer une taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale différente, en fonction de la manière dont leur terrain est divisé ou non en parcelles cadastrales. Etant donné que la plus-value présumée est fixée par parcelle cadastrale et que le pourcentage de la taxe augmente en fonction du montant de la partie correspondante de la plus-value présumée, la taxe totale sur les bénéfices résultant de la planification spatiale par suite d'une modification de destination de même nature serait inférieure lorsque le terrain sur lequel s'applique cette modification de destination est divisé en plusieurs parcelles cadastrales, par rapport à la situation dans laquelle le terrain est constitué d'une seule parcelle cadastrale.

La deuxième question préjudicielle porte sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu'elle aboutit à une différence de traitement entre, d'une part, les propriétaires d'un terrain d'une superficie inférieure constitué d'une seule parcelle cadastrale et, d'autre part, les propriétaires d'un terrain d'une plus grande superficie qui est divisé en plusieurs parcelles cadastrales. Dans le cas d'une modification de destination de même nature, la détermination de la plus-value présumée par parcelle cadastrale, conformément à l'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire, pourrait avoir pour effet que la dernière catégorie de propriétaires doive payer une taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale inférieure à celle de la première catégorie de propriétaires.

Dans les deux questions préjudicielles, les différences de traitement soumises à la Cour sont liées à la circonstance que la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est calculée pour chaque parcelle cadastrale distincte. Eu égard à leur connexité, la Cour examine les deux premières questions conjointement.

B.4. La commune de Tervuren fait valoir que les différences de traitement mentionnées dans les deux premières questions préjudicielles seraient également incompatibles avec le droit de propriété, garanti par l'article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. Il n'appartient cependant pas à une partie devant la juridiction a quo de déterminer l'objet et l'étendue des questions préjudicielles.

B.5. Selon le Gouvernement flamand, les différences de traitement en cause ne découleraient pas de l'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire, mais de l'article 2.6.11 du même Code, étant donné que le caractère progressif du taux de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale résulte de cette dernière disposition.

Il peut être déduit de la formulation des questions préjudicielles et de la motivation de la décision de renvoi que la juridiction a quo souhaite soumettre à la Cour, non pas le caractère progressif de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale en tant que tel, mais bien la circonstance que la division cadastrale d'un terrain a une incidence sur le montant de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale, eu égard à la règle selon laquelle le taux de la taxe est appliqué à la plus-value présumée de chaque parcelle cadastrale distincte. Cette règle découle de l'article 2.6.10, § 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire, de sorte que l'exception du Gouvernement flamand doit être rejetée.

La Cour peut toutefois prendre en compte dans son examen le caractère progressif du taux de la taxe, qui trouve son fondement dans l'article 2.6.11 du Code flamand de l'aménagement du territoire, et les conséquences de cette progressivité sur le calcul du montant de la taxe en question en fonction de la division en parcelles cadastrales.

B.6. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.7.1. Comme la Cour l'a jugé par son arrêt n° 50/2011 du 6 avril 2011, la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est un impôt. En effet, l'autorité peut imposer les bénéfices résultant de la planification spatiale dans le chef des propriétaires lorsque ceux-ci, à la suite de l'entrée en vigueur d'un plan de destination, peuvent se voir accorder un permis d'environnement pour leurs parcelles, alors que ce n'était pas le cas auparavant.

B.7.2. L'article 172, alinéa 1er, de la Constitution est une application particulière, en matière fiscale, du principe d'égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution.

B.7.3. Il appartient au législateur compétent d'établir l'assiette, le taux et le mode de calcul de l'impôt. Il dispose en la matière d'une large marge d'appréciation. En effet, les mesures fiscales constituent un élément essentiel de la politique socioéconomique. Elles assurent non seulement une part substantielle des recettes qui doivent permettre la réalisation de cette politique, mais elles permettent également au législateur d'orienter certains comportements et d'adopter des mesures correctrices afin de donner corps à la politique sociale et économique.

Les choix sociaux qui doivent être réalisés lors de la collecte et de l'affectation des ressources relèvent par conséquent du pouvoir d'appréciation du législateur compétent. La Cour ne peut sanctionner un tel choix politique et les motifs qui le fondent que s'ils reposent sur une erreur manifeste ou s'ils sont manifestement déraisonnables.

B.7.4. En outre, le législateur compétent ne peut pas prendre en compte les particularités des divers cas d'espèce. Il doit pouvoir faire usage de catégories qui, nécessairement, n'appréhendent la diversité de situations qu'avec un certain degré d'approximation. Un régime fiscal ne pourrait entrer dans le détail des situations individuelles sans organiser un contrôle dont le coût pourrait compromettre le rendement de la taxe.

B.7.5. La Cour doit cependant examiner si la disposition en cause, compte tenu du mode de calcul de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale, n'aboutit pas à des différences de traitement qui ne sont pas raisonnablement justifiées.

B.8.1. Les griefs de la commune de Tervuren portent sur le fait que, lors d'une modification de la destination d'un terrain, le calcul de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale s'effectue sur la base de la superficie de chaque parcelle cadastrale distincte. La division en parcelles cadastrales trouve son fondement dans le régime relatif au revenu cadastral des biens immobiliers, figurant dans les articles 471 à 504 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992).

Avant sa modification par la loi du 25 avril 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/04/2014 pub. 16/05/2014 numac 2014003219 source service public federal finances Loi adaptant dans la législation fiscale les dénominations des administrations du Service public fédéral Finances et portant diverses autres modifications législatives type loi prom. 25/04/2014 pub. 14/04/2015 numac 2015000185 source service public federal interieur Loi adaptant dans la législation fiscale les dénominations des administrations du Service public fédéral Finances et portant diverses autres modifications législatives. - Traduction allemande fermer « adaptant dans la législation fiscale les dénominations des administrations du Service public fédéral Finances et portant diverses autres modifications législatives », l'article 472, § 1er, du CIR 1992 disposait : « Le revenu cadastral est fixé par parcelle cadastrale. A cette fin, l'administration du cadastre procède à l'expertise des parcelles selon les règles et les formes fixées par le Roi ».

L'article 504 du même Code disposait : « L'administration du cadastre assure la conservation et la tenue au courant des documents cadastraux suivant les règles fixées par le Roi.

L'administration du cadastre est seule habilitée, selon les règles et les tarifs déterminés par le Roi, à établir et à délivrer des extraits ou des copies de documents cadastraux.

Sauf autorisation expresse de l'administration du cadastre, il est interdit de reproduire pareils extraits ou copies, ou encore de les traiter selon un procédé informatique ou autre ».

Par les articles 23 et 32 de la loi précitée du 25 avril 2014, les termes « administration du cadastre » contenus dans les articles 472, § 1er, et 504 du CIR 1992 ont à chaque fois été remplacés par les termes « Administration générale de la documentation patrimoniale ».

B.8.2. Les règles relatives à l'établissement, à la conservation et à la mise à jour des documents cadastraux étaient initialement contenues dans le règlement pour la conservation du cadastre, établi par l'arrêté royal du 26 juillet 1877 (ci-après : le règlement pour la conservation du cadastre). Les articles 25 à 31 de ce règlement portaient sur l'enregistrement et le numérotage des nouvelles parcelles cadastrales et des parcelles cadastrales modifiées.

L'article 27, § 1er, disposait en particulier qu'« on ne peut réunir que les parcelles contiguës, de même nature et de même classement, appartenant au même propriétaire et qui ne sont pas divisées entre elles par un mur, une haie, un fossé large, un chemin, une rivière ou toute autre limite fixe ».

B.8.3. Le règlement pour la conservation du cadastre a été abrogé par l'article 54 de l'arrêté royal du 30 juillet 2018 « relatif à la constitution et la mise à jour de la documentation cadastrale et fixant les modalités pour la délivrance des extraits cadastraux » (ci-après : l'arrêté royal du 30 juillet 2018). Cet arrêté a instauré une nouvelle réglementation concernant « la manière dont la documentation cadastrale est constituée et mise à jour » et « la délivrance des copies, des extraits et de l'information provenant de cette documentation » (article 1er de l'arrêté royal du 30 juillet 2018).

Cette modification n'a toutefois aucune incidence sur la présente affaire, qui porte sur le calcul de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale pour l'exercice d'imposition 2012.

B.9. Les différences de traitement soumises à la Cour reposent sur un critère de distinction objectif, c'est-à-dire le fait qu'un terrain que possède un propriétaire et sur lequel s'applique une modification de destination, est divisé ou non en plusieurs parcelles cadastrales.

Les limites et la superficie d'une parcelle cadastrale sont fixées dans les documents cadastraux, qui sont conservés et mis à jour par l'administration fédérale compétente.

B.10.1. Aux termes des travaux préparatoires mentionnés en B.2.3, le choix d'une taxe au niveau de la parcelle cadastrale « contribue tant à l'opérationnalisation qu'à l'objectivité de la taxe.

L'Administration du cadastre, de l'enregistrement et des domaines délimite en effet les parcelles cadastrales sur la base de critères objectifs et pertinents, en vertu de l'article 472, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 ». Par la notion de « parcelle cadastrale », l'on entend « une partie plus ou moins grande du territoire située dans une même commune ou un même hameau, caractérisée par une même nature ou un même type de construction et appartenant à la même personne ». Toujours selon la définition donnée dans les travaux préparatoires, plusieurs immeubles, tels « un bâtiment et ses dépendances, annexes, accès et jardins » ne forment qu'une seule parcelle cadastrale « lorsque le tout est attenant et est affecté au même usage » (Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 2011/1, p. 58).

B.10.2. Le législateur décrétal a entendu aligner la définition de la notion de parcelle dans le cadre de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale sur la délimitation des parcelles cadastrales dans le cadre du régime relatif au revenu cadastral des biens immobiliers, contenu dans le CIR 1992 et ses arrêtés d'exécution. Il ressort également des dispositions mentionnées en B.8 que le statut de propriété, la nature, la localisation et l'usage des biens immobiliers sont notamment pris en compte à cet égard.

B.10.3. Comme il est dit en B.7.4, lorsqu'il instaure une imposition, le législateur décrétal ne saurait prendre en compte les particularités des divers cas d'espèce et il peut appréhender leur diversité de manière approximative et simplificatrice. Ce faisant, le législateur décrétal doit nécessairement tenir compte des difficultés liées à la perception de l'impôt, particulièrement en ce qui concerne les frais administratifs qui en découlent pour l'administration chargée du recouvrement. A cet égard, le fait que la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale soit établie sur la base de la documentation cadastrale constituée et mise à jour par l'administration fédérale compétente, sans qu'il faille examiner dans chaque cas concret dans quelle mesure les immeubles contigus doivent être considérés comme une ou plusieurs parcelles à la lumière des critères mentionnés en B.10.1, permet d'atteindre l'objectif, mentionné dans les travaux préparatoires, d'opérationnalisation et d'objectivité de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale (Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 2011/1, p. 58).

B.10.4. Compte tenu du pouvoir d'appréciation étendu dont dispose le législateur décrétal en matière fiscale, une approche par parcelle dans le cadre d'une imposition telle que la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale, qui vise essentiellement à taxer la plus-value d'un immeuble à la suite de l'intervention de l'autorité régionale compétente en matière d'aménagement du territoire, repose par conséquent sur un critère de distinction pertinent.

B.10.5. Le postulat des questions préjudicielles selon lequel le redevable ne serait pas en mesure de « contrôler à l'aide de données objectivement vérifiables » la division en parcelles cadastrales ne découle pas de la disposition en cause. Les règles relatives à la constitution et à la mise à jour de la documentation cadastrale sont en effet fixées par le Roi en exécution des articles 472, § 1er, et 504 du CIR 1992, comme il est dit en B.8. Pour autant que, dans un cas concret, la division en parcelles cadastrales ne corresponde pas à la situation réelle des immeubles en question et, en ce qui concerne la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale, pour autant qu'il puisse en résulter une différence de traitement par rapport à d'autres propriétaires fonciers, il ne s'agit pas davantage d'une conséquence de la disposition en cause, mais de l'application, par l'administration fédérale compétente, des règles établies par le Roi.

B.11.1. Il convient encore d'examiner si la détermination, en vertu de la disposition en cause, de la plus-value présumée au niveau de la parcelle cadastrale produit des effets disproportionnés.

B.11.2. L'établissement de la taxe, progressive, sur les bénéfices résultant de la planification spatiale sur la base de la superficie d'une parcelle cadastrale a pour effet que les propriétaires de plus grandes parcelles sont plus lourdement taxés que les propriétaires de plus petites parcelles et tient donc compte du principe de la capacité contributive, comme l'a souhaité le législateur décrétal (Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 2011/1, p. 62). Dès lors qu'à la lumière des critères, mentionnés en B.10.1, utilisés pour délimiter les parcelles cadastrales, le législateur décrétal a pu considérer que la plupart des propriétaires possèdent un terrain constitué d'une seule parcelle cadastrale, la disposition en cause n'a en principe pas d'effets disproportionnés.

B.11.3. Toutefois, lorsqu'un terrain est divisé en plusieurs parcelles cadastrales appartenant au même propriétaire, la disposition en cause a pour effet que le caractère progressif du pourcentage de la taxe, tel qu'il est établi à l'article 2.6.11 du Code flamand de l'aménagement du territoire, est appliqué distinctement par parcelle cadastrale. Il s'ensuit que la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale peut être plus élevée lorsqu'un terrain est constitué d'une seule parcelle cadastrale que lorsqu'un terrain de la même superficie, ou ayant même une superficie supérieure, est divisé en plusieurs parcelles cadastrales.

B.11.4. Il n'apparaît pas que la progressivité de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale et le niveau des pourcentages de la taxe, tels qu'ils sont fixés par l'article 2.6.11 du Code flamand de l'aménagement du territoire, sont de nature à porter une atteinte disproportionnée aux droits du propriétaire dont le terrain est taxé comme une seule parcelle. Par ailleurs, au sein de la catégorie des propriétaires dont le terrain est divisé en plusieurs parcelles cadastrales, des différences relatives à la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale apparaîtront également en fonction du nombre de parcelles.

B.11.5. Enfin, la division en parcelles cadastrales, par application des règles mentionnées en B.8 et B.10.5, dépend des spécificités du terrain en question. Les conséquences financières réelles de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale ne sont connues que lorsque la plus-value résultant d'une modification de destination est effectivement réalisée, dans le cadre de laquelle, outre la superficie d'une parcelle cadastrale, de nombreux autres facteurs jouent un rôle.

B.11.6. Compte tenu de ce qui précède, les conséquences des différences de traitement soumises à la Cour ne sont pas disproportionnées par rapport aux objectifs poursuivis par le législateur décrétal.

B.12. L'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire n'est dès lors pas incompatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que cette disposition a pour effet que la plus-value présumée sur la base de laquelle est calculé le montant de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est fixée par parcelle cadastrale.

Quant à la troisième question préjudicielle B.13. Il peut être déduit de la formulation de la décision de renvoi et des mémoires introduits auprès de la Cour que la troisième question préjudicielle porte sur la compatibilité de l'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que cette disposition fixe forfaitairement les montants des plus-values présumées par mètre carré pour chacune des modifications de destination, ce qui empêche de tenir compte concrètement des facteurs spécifiques, comme la localisation, qui sont déterminants pour la valeur d'une parcelle. Ainsi, la disposition en cause traiterait de manière identique les propriétaires de parcelles qui subissent une modification de destination de même nature, étant donné que tous ces propriétaires sont taxés sur la base d'un même montant de la plus-value présumée, alors que la plus-value réelle de leur parcelle peut différer à la lumière de leurs caractéristiques individuelles.

B.14. Ainsi que la Cour l'a jugé par l'arrêt précité n° 50/2011 du 6 avril 2011, la matière imposable de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale n'est pas une plus-value réalisée, à savoir un revenu effectivement perçu, mais un élément du patrimoine, à savoir la plus-value d'un bien immobilier, réputée découler d'une intervention de l'autorité régionale compétente en matière d'aménagement du territoire.

B.15.1. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.2.6 que les montants des plus-values présumées par mètre carré sont fixés « sur la base d'une étude scientifique actuelle » et qu'il a été choisi de ne plus tenir compte « des coefficients d'arrondissement existants », notamment parce que ces coefficients différaient considérablement entre eux et qu'il existait peu de données scientifiques en la matière. Par ailleurs, « l'évolution du marché foncier ne tient absolument pas compte des limites d'arrondissement, eu égard la grande diversité et aux importantes fluctuations des prix du foncier dans un seul et même arrondissement » (Doc. parl., Parlement flamand, 2008-2009, n° 2011/1, p. 63).

B.15.2. En vertu de l'article 2.6.12, § 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire, « la plus-value présumée par m2, incluse dans l'article 2.6.10, § 2, premier alinéa, est actualisée tous les cinq ans », conformément à la procédure prévue par cette disposition.

B.16.1. Comme il est dit en B.7.4, lorsqu'il instaure une imposition, le législateur décrétal ne peut pas prendre en compte les particularités des divers cas d'espèce et il peut appréhender leur diversité de manière approximative et simplificatrice. Ce faisant, le législateur décrétal doit nécessairement tenir compte des difficultés liées à la perception de l'impôt, particulièrement en ce qui concerne les frais administratifs qui en découlent pour l'administration chargée du recouvrement.

B.16.2. Ainsi, le législateur décrétal a raisonnablement pu choisir de ne pas déterminer la base imposable de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale en fonction de la plus-value réelle, mais d'utiliser un système de montants forfaitaires par mètre carré régulièrement actualisés et fondés sur des données scientifiques, qui sont conformes à la nature de la modification de destination et qui s'appliquent uniformément à l'ensemble du territoire de la Région flamande. Il n'est pas manifestement déraisonnable de considérer que, s'il fallait procéder pour chaque parcelle individuelle à une estimation concrète de la plus-value réelle, cette estimation impliquerait des frais susceptibles de ne pas être proportionnés au rendement de la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale.

B.17. L'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire n'est dès lors pas incompatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que cette disposition fixe forfaitairement les montants des plus-values présumées par mètre carré, sur la base desquels la taxe sur les bénéfices résultant de la planification spatiale est calculée.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 2.6.10 du Code flamand de l'aménagement du territoire ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 10 mars 2022.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, L. Lavrysen

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